Y aurait-il comme un paradoxe entre la pratique de la danse et le contexte actuel, de "distanciation sociale" et de "gestes barrière"?
Ceci irait à l'encontre de notre métier de danseur, intervenant en milieu d'accueil d'un public en "situation de handicap mental".
Pour la simple et bonne raison que nous passons notre temps, nous les danseurs, à mesurer nos distances, à les apprécier à des fins de bien-être et de respect de notre propre espace vital et à celui de l'autre, à évaluer l'espace qui nous sépare ou nous rapproche de l'autre.
A la seule différence que, dans le cas actuel, ces "mesures" -de distance-ne sont ni artistiques, ni psychologiques, mais "sanitaires".
Comment dès lors envisager notre métier d'interprète ou d'enseignant pédagogue pour la pratique d'un art qui n'est que contact, farandoles, étreintes, pas de deux ou danse chorale ?
La réponse est simple:en apprenant non pas à "garder nos distance" ni à "mesurer notre espace" mais en s'appropriant ces notions d'une autre façon: respecter l'espace de l'autre, le sien, savoir quantifier les bonnes distances de relation et d'expression, par le regard, la mise en espace, le cadrage... Par la valorisation de la vision du corps de l'autre, dans son intégralité, voire les postures, les attitudes des corps, les reproduire, les modifier, les prolonger, de "loin", à "distance".
Dans le silence, ou en rythmant corporellement les déplacements, les immobilismes, les pauses.
Être "statique", ne pas courir dans tous les sens, sans évaluer son trajet, ses directions, donc ses intentions et ses décisions.
Et puis, concernant les "gestes barrière", savoir qu'ils ne seront jamais une frontière ni un enclos, où l'on se parque pour être exclu, mais au contraire des repères pour "visualiser" et vivre des signes, signaux, comme le "langage des signes", à voir, regarder, décrypter, dans leurs aspects esthétiques et plastiques.
On pourrait comparer cette situation à l'introduction de la pratique de la danse dans les camps de réfugiés politiques ( Seydou Boro au Burkina Faso ) où cet art semble bien "futile", "inopérant" pour la survie. Mais au contraire il est facteur de lien social, d'écoute et de développement de la solidarité dans l'imaginaire et l'utopie.
Alors Mai 68 de retour?
Ou l'on parlait de territoire, d'espace de liberté et de création, de pédagogie nouvelle, heurtant de front les notions de discipline, d'encadrement formaté pour aller vers la "liberté" des échanges, des circulations.
Dans le contexte actuel, de privation de ces "libertés fondamentales": BOUGER, CIRCULER, SE RENCONTRER, FËTER, imaginons des relations qui mettent en valeur ces gestes barrière de sécurité comme source d' attitudes créatrices, les séparations, comme des valorisation d'espace vitaux, artistiquement "encadrés" ou décadrés, hors norme, hors cadre. Non pas dans un esprit de révolte ou d'obstruction, de désobéissance, mais de "soulèvement", d'"insurrection" comme le conçoivent Georges Didi Huberman, et Odile Duboc (voir son spectacle "Codicille, Insurrection"), où le politique rejoint l'artistique, et où la danse trouve sa place citoyenne légitime.
A l'opposé de cette "épidémie de danse" de Strasbourg de 1518, où la contamination de gestes incontrôlés va vers la mort et la folie en proie à un instinct grégaire démentiel.
Des ateliers sont donc compatibles avec un public restreint, "protégé" bien sûr quant à l'aspect sanitaire d'accueil des participants et intervenants pédagogues-danseurs-éducateurs.
Dans des espaces vastes (salle d'évolution, gymnase, salle de spectacle du SAHJ SAAD).
Sur inscription préalable, volontaire ou appréciée comme "bénéfique" pour les usagers concernés.
un programme simple, sans accessoire ou autres objets perturbants les consignes de toucher sanitaire ou d'emploi et manipulation collectifs.
Et de toute manière, pendant un temps limité, évacuer le concept de danse "contact" si cher au milieu de la danse en général et particulièrement de la danse contemporaine.
Alors le concept de "distanciation sociale" si discriminatoire dans son libellé, celui de "geste barrière" en opposition à notre attitude professionnelle d'ouverture, de rapprochement, d'accueil et de considération de la différence, seraient pris en compte et légèrement "décalés" au profit d'une interprétation artistique, humaine et rassembleuse, au lieu d'exclure, de mettre à distance ceux qui nous entourent ,"usagers" si précieux de l'AAPEI.
Alors, on "garde nos distances" ou on les apprécie en dansant le jerk, tout seul ! On s'évite, on se contourne, on se défile, on esquive!On s'éloigne sans se quitter des yeux en évaluant l'espace qui se crée entre nous: un savoir vivre ensemble sans se toucher: toute une histoire !
En tout cas, il y aura un festival de danse solo à la rentrée prochaine: petit format, petite surface et un seul interprète à rémunérer !
Rappel étymologique précieux pour aborder mon essai, compléter ce "manifeste" qui essaye de se confronter à la réalité et à la convivialité de notre profession de "soignant" du corps et de l'âme:
Le mot handicap provient d’un terme anglais : « hand in
cap », ce qui signifie littéralement « main dans le chapeau ». Cette
expression découle d’un jeu d’échanges d’objets personnels qui se
pratiquait en Grande-Bretagne au 16ème siècle. Un arbitre évaluait les
objets et s’assurait de l’équivalence des lots afin d’assurer l’égalité
des chances des joueurs. Le handicap traduisait la situation négative,
défavorable, de celui qui avait tiré un mauvais lot.
Aussi loin que remonte l’histoire – des mythes de
l’Antiquité, en passant par le Moyen Âge, la Première Guerre Mondiale,
ou même les dernières représentations cinématographiques ou artistiques
du 20ème siècle – le handicap a toujours été synonyme d’exclusion, de
pauvreté, d’infirmité, d’incapacité, etc.
Puis, ce terme fut ensuite utilisé dans certains sports,
notamment dans les courses hippiques où des handicaps sont attribués aux
chevaux (selon le poids du cheval, selon le poids du jockey qui le
monte, selon le sexe du cheval, etc.), dans les jeux (échecs, jeux de
carte, etc.), dans les représentations artistiques (peinture de
personnes de petite taille, parades de cirque, etc.), puis dans la
société (invalides de guerre, trisomie, etc.).
Pendant la première moitié du 20ème siècle, la législation
a commencé à favoriser ceux qui étaient considérés comme infirmes et
exclus de la société. Sont alors apparues les premières lois et
associations pour la défense des personnes handicapées et en situation
de handicap. Il faut alors définir clairement la notion de handicap.