vendredi 31 mai 2024

"Lettres à Lou": gare à Lou... garou...Christophe Feltz et Marcel Loeffler jouent au loup...

 


Spectacle de poésie musicale,«Lettres à Lou»de Guillaume Apollinaire Musiques de Frédéric Chopin, Érik Satie, Maurice Ravel & Claude Debussy, avec Christophe Feltz(jeu), Marcel Lœffler(accordéon

  le vendredi 31 mai 2024 à 20h à la salle Amadeus du Münsterhof, 9 rue des Juifs à Strasbourg,«Strasbourg Capitale Mondiale du Livre -Unesco 2024»

photo jl hess

"Les «Lettres à Lou»comptent probablement parmi les plus belles lettres d’amour de la littérature française.L’histoire commence le 27 septembre 1914: Apollinaire, l’un des écrivains les plus influents du XXe siècle, rencontre Louise de Coligny-Châtillon à l’occasion d’un déjeuner dans un restaurant à Nice. Immédiatement il tombe sous son charme, dès le lendemain il lui écrit: «J’éprouve maintenant moins de gêne à vous écrire que je vous aime. Je l’avais senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussi tôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient.»Mais celle qu’il surnomme Lou, être sensible, insaisissable, frivole et déchaîné, n’est pas prête à lui accorder ses faveurs, si bien qu’abattu par ses dérobades, Apollinaire s’engage dans l’armée. Du front il confectionne une bague sur laquelle il inscrit «Gui aime Lou»qu’il envoie à son adorée.Il meurt de la grippe espagnole le 09 novembre 1918, deux jours avant l’armistice."....


Beau texte d'introduction au spectacle: une performance amoureuse à la manière de cette correspondance inédite entre Apollinaire et sa folle bien-aimée. Passion dévorante, charnelle autant qu'épistolaire, savante, livresque, poétique. Fantasmée aussi par la séparation, l'absence, l'éloignement de sa proie, sa muse, sa déesse.Amour, dévotion, mais aussi frivolité, légèreté du texte, des mots empruntés au langage imagé, tel "croupe" et autres attraits sensuels et érotiques, animal, organique...Le verbe d'Apollinaire n'est pas innocent mais bien "coupable" de désir charnel, de volonté de charmer, séduire. Christophe Feltz fait sourdre toute cette volupté des mots, cette syntaxe rythmée, musicale, ce phrasé harmonieux et frondeur à la foi. Le ton est varié, modulé savamment, dosé comme il faut,tantôt ludique, tantôt quasi dramatique et l'on voyage dans les contrées d'une carte du tendre désopilante, désorientante. Du bel ouvrage d'adaptation de ces textes sensibles, audacieux, pleins de verve, de tension, de tendresse et douceur aussi. 


La scansion, la cadence des mots se fait musique et l'accompagnement de l'accordéoniste sied à merveille à la diction du comédien-lecteur. Qui s'empare à bras le corps de cette prose à loisir, à l'envi. Les morceaux de musique inspirés de Satie, Ravel, Debussy font mouche dans cette atmosphère sereine ou chaotique de sentiments exacerbés. Les gestes du comédien-conteur renforcent les effets de suspens, surprise, colère ou admiration irraisonnée d'Apollinaire pour sa belle. Des tranchées aux lieux plus intimes des écritures confidentielles, on suit avec empathie et compassion secrète, les affres des maux de l'âme du poète, emprisonné dans sa passion déçue et bafouée.On plonge dans des univers, ambiances séducteurs et séduisants de très bon aloi. Les deux complices à l'unisson, en accord musical et prosodique bien huilé par une belle osmose, une entente cordiale et un respect total de la liberté l'un de l'autre. Félin pour l'autre pour magnifier cette correspondance amoureuse de la plus grande richesse littéraire. Apollinaire loin d'être en cage amoureuse, libéré, lâché dans l'atmosphère et l'espace intime et chargé d'histoire du Munsterhof. Un duo, tandem remarquable qui fonctionne en alternance ou symétrie pour partager un plaisir non dissimulé d'amour de la littérature et de la musique au diapason. 


Avignon 2005 Ce qui a inspiré Christophe Feltz....

Le rêve de Jean-Louis Trintignant de donner à entendre les mots d'Apollinaire dans la Cour d'honneur a croisé le désir du Festival d'Avignon de faire une place particulière à la poésie et aux poètes cette année. Et quel poète, Apollinaire, qui nous parle dans une douce mélancolie du désir, de la guerre, de la mort et de la vie. Accompagné par deux musiciens, Daniel Mille à l'accordéon et Grégoire Kornulik au violoncelle, la voix inoubliable de Jean-Louis Trintignant donne corps à cette langue. Sous les étoiles, assis devant une petite table, il dit des extraits des Poèmes à Lou et du recueil Alcools, relayés par la musique d'Érik Satie et de Daniel Mille. En 1914, Guillaume Apollinaire tombe fou amoureux de Louise de Coligny, alias “Lou”. Exaspéré par les rebuffades successives de la belle, il décide de s'engager dans la Grande Guerre et est incorporé au 38e régiment d'artillerie à Nîmes. De là, il écrira à sa bien-aimée des poèmes enflammés, correspondance où l'image hallucinée de Lou se mêle à celle des tranchées. Ces lettres sont devenues Poèmes à Lou.

 


 


mercredi 29 mai 2024

"Through the Grapevine": des drôles de jeux de rôles inversés: bêtes à deux dos....


Through the Grapevine
,
Alexander Vantournhout / not standing

 Le chorégraphe, danseur et circassien Alexander Vantournhout poursuit son exploration du duo, dans un travail mené cette fois avec le danseur Axel Guérin. Tous deux ont des morphologies très différentes, et cette différence constitue à la fois le point de départ et le moteur de la performance. Tantôt fondés sur un principe de symétrie, tantôt inspirés par le déplacement des animaux, les mouvements dévoilent le potentiel expressif et créatif de la différence, de tout ce qui échappe à la norme. À l’inverse de toutes les constructions imaginaires, virtuelles, publicitaires ou fantasmées d’un corps parfait, dont on retouche l’image s’il le faut, qui s’impose à toutes et tous. Dans une scénographie nue qui permet la concentration du regard, le toucher joue ici un rôle essentiel. Non sans humour, les interprètes s’éprouvent l’un l’autre, échangeant régulièrement le rôle de celui qui guide et de celui qui se laisse guider, de protagoniste ou d’antagoniste. Les codes étroits du duo classiques explosent ici au profit d’une danse intime et originale.

Corps à corps. Corps raccords. Corps accords

Deux hommes sur le plateau, torses nus, pieds nus, en shorts rayés; sobriété et frugalité au menu!S'ensuit un jeu d'évaluation, de mesures, de mensurations anatomiques du plus drôle effet. Ils se toisent, se considérent afin de mieux exister, s'estimer:félins pour l'autre. De galipettes savantes en jeu de construction, Lego ou mikado, les voilà s'affrontant en autant de référence d'art martiaux ou capoeira mais surtout de jeu de construction architecturale tiré au cordeau. Cela donne des figures, attitudes, postures où l'on ne sait plus quel membre appartient à qui tant les combinaisons s'imbriquent, s'emboitent, et viennent à former des perles de structures changeantes. Les corps racontent la complicité, l'osmose de ces deux jumeaux, siamois qui fusionnent, s'enlacent sans se lasser, esquivent ou accueillent l'autre: en danger toujours, assuré par un rythme, une rigueur drastique que l'on ne soupçonne pas. Le naturel du déroulement du show faisant foi. Et loi de sobre ébriété humoristique oblige, exécution décalée comme ces mesures et estimations d'espèces d'espaces personnels et communs.Tout en bascule, en équilibre-déséquilibre sur le fil de la seule narration des corps exposés à un récit organique et sensuel.


Cette bête à deux dos, quatre pattes se meut en manège, les distances exécutées comme avec des compas dans l'oeil, des unités de mesures comme le mètre ou le pouce, le "pied"....Maitres à danser, mètres à tracer un duo insolite, soudé, collé en toute distanciation ou nonchalance feinte. Bobines de laine qui se dévident, pierre qui roule et amasse douceur et détente...Du grand art, de l'intuition animale à foison pour cette pièce où le suspens dans le silence préfigure des sculptures mouvantes incessantes. Ça roule ma boule en roulé-boulé bien huilé comme une machinerie ou des leviers ou bielles de locomotives.


Le karma sutra des circassiens: enivrez vous...through the grapevine...

Quitter le sol pour accéder aux étoiles dans des jeux d'équilibristes, les appuis restreints de seule partie de corps pour accueillir sauts, bonds et rebonds en plein vol. Figures libres de performeurs, cascadeurs et circassiens du mouvement, points de chainette, tricotage des corps comme de la matière à penser en petits bougés sempiternels, dans une énergie fluide et respirée. 


Le risque à fleur de peau, les regards aiguisés par la concentration et l'attention que requièrent ces exercices de haute voltige. Un bonheur partagé par le chorégraphe et le public, invité lui aussi à mesurer ses capacités et envergures physiques dans le petit cabinet ouvert et dédié aux curieux, joueurs et adhérents à la curiosité et confrontation avec son propre corps.Indice de masse corporelle et poids exclus: on y découvre son propre équilibre, son envergure et autre fondation tectonique de notre charpente corporelle...La "médecine" du bonheur, du soin, clefs de cette performance hors norme enchanteresse et enthousiasmante: transports en communs garantis pour cette créature binôme étrange et sans nom...

Des maitres à danser d'antan! Pas "deux poids , deux mesures" pour ces mètres du temps...Di-vins grains nobles d'une vendange tardive! Ce qui re-lie de vin l'un et l'autre pour un millésime fameux.





Au Maillon jusqu'au 31 MAI




dimanche 26 mai 2024

"Koudour": l'amour itinérant ou les pleurs inondables....Le bal de la mariée mise à nue par sa culture même...

 


Koudour est la dernière création de l’actrice, metteure en scène et autrice Hatice Özer, qui présente également cette saison Le Chant du père. En romani turcique, koudour est un verbe qui signifie mourir de désirs. Dans les fêtes de mariage traditionnelles, au rythme de la danse, des désirs enfouis rejaillissent, jusqu’à la transe. Hatice Özer s’inspire des récits d’exaltation chez les soufis du XIIIe siècle, des contes du Moyen-Orient et des soigneurs fakirs d’Anatolie. Entourée de trois musiciens virtuoses − Antonin-Tri Hoang, Benjamin Colin et Matteo Bortone −, elle est la « femme au tambour », maîtresse de cérémonie de ce mariage sans mariés, où les spectatrices et spectateurs seront les convives. 


Et voici la suite de la soirée turque aux accents de percussions, de gaité, de convivialité

On change de salle pour migrer dans la grande salle Koltes du TNS. Le plateau est nu, recouvert de tapis, une balustrade et deux montées d'escalier pour accéder à la scène, future salle de bal, salle des fêtes dévolue aux mariages dans la curieuse cité modèle en Dordogne. Cité refuge pour émigrés, en U , jaune à l'architecture fonctionnelle, historique et peuplée d'exilés qui se retrouvent et y prolongent leurs us et coutume à l'envi ! C'est toujours notre conteuse qui mène l'action: récit malin et enjoué des pérégrinations rituelles et sociétales des Noces turques. Grave et sérieux passage à l'âge adulte, histoire de femmes soumises mais se questionnant sur leur passé et avenir. Belle évocation des femmes de 60 ans qui posent et s'exposent à l'envi dans des postures enrobantes, sexy et très évocatrices d'une séduction empêchée, bridée par la culture et l'éducation des filles. Avec humour, distanciation et beaucoup de respect Hatice Ozer se raconte, décortique son prénom, nous dévoile mille et un détails croustillants de ces coutumes toutes bien vivantes et partage avec ses trois musiciens en bord de scène, la vie et l'oeuvre du peuple turc exilé. C'est touchant, troublant et très émouvant, à fleur de peau. Toute de dorée vêtue, en paillettes et strass, elle navigue dans des univers proches et lointains, familiers ou "exotiques". Un bonheur de la voir pleine d'énergie, chanter, conter, prendre des fous rires et brosser un portrait-panorama de sa famille, très grande famille à tiroir dont il semble impossible de s'affranchir. Mais en femme libre, comédienne, elle propose une autobiographie salée, pimentée, vécue et débridée. Elle apprend à jouer du tambourin, espace réservé aux seuls hommes en banlieue parisienne et pas pour jouer dans "les mariages"! Pour son plaisir, ses "loisirs" de femme émancipée. Au regard de la gente masculine c'est blasphème et usurpation du pouvoir. Une performance de meneuse de cabaret percutant qui n'a pas d'égale dans le monde du théâtre contemporain. Et c'est le bal qui démarre sur le plateau du TNS, le public invité à vibrer et danser avec comédienne et musiciens. Parade qui ira jusque dans les balcons se poursuivre pour initier, convoquer et inviter chacun à partager cet esprit festif que l'on a du mal à quitter. Que voilà une "bonne maison" partageuse, multiculturelle naturelle et spontanée..Emplie de sérieux, de gravité aussi au vu du sujet. La mariée mise à nue par ses musiciens et pairs, même.

Au TNS jusqu'au 25 MAI

 

Koudour est la deuxième création de l’actrice, metteure en scène et autrice Hatice Özer – avec sa compagnie La neige la nuit. Elle est accompagnée ici de Antonin-Tri Hoang, compositeur et musicien multi-instrumentiste, Benjamin Colin, percussionniste bruiteur multi-instrumentiste et créateur sonore, et Matteo Bortone, contrebassiste et compositeur.

"Le chant du père": l'amoureux itinérant..Colporteur d'Amour..Un duo père-fille sans pareil.

 


En 1986, Yavuz Özer quitte la Turquie pour venir travailler en France ; il veut pour ses enfants une vie meilleure. Ouvrier ferronnier de métier, il est aussi conteur, chanteur et musicien dans l’âme. Il exerce son art auprès de la communauté turque du Périgord, chante l’exil, la nostalgie, accompagné de son luth oriental. Aujourd’hui, c’est sa fille, Hatice Özer, devenue actrice et metteure en scène, qui l’invite à la rejoindre sur le plateau pour partager avec le public un khâmmarât
− le mot arabe à l’origine de « cabaret » et qui signifie : lieu où l’on boit et chante. Ensemble, père et fille évoquent, en turc ou en français, en mots ou en chansons, le lien profond qui les unit, le désir d’art et de beauté qui se transmet à travers le théâtre et la musique. Cette saison Hatice Özer présente aussi le spectacle Koudour.

Pour sa première création scénique, Hatice Özer construit une histoire sensible de transmission qui retrace le chemin d’une famille d’Anatolie jusqu’en Dordogne.

Sur scène, un père et une fille. Lui, venu en France pour donner à sa famille une vie meilleure, homme discret et un musicien hors pair, et elle, jeune femme volubile montée à Paris pour devenir comédienne professionnelle. Ensemble, en turc ou en français, parlé ou chanté, lui et elle racontent comment l’héritage se transforme. Que reste-il des histoires, de la convivialité, du grand départ, de la poésie ? Comment comprendre le sacrifice du père et la douleur du déracinement, si ce n’est par le théâtre et la musique? Le Chant du père vient rapprocher délicatement deux êtres, deux générations, dans un cabaret oriental intime.

D’emblée son sourire complice charme et Hatice Özer séduit, enjôle, enrobe son texte malin pour enchanter une évocation toute familiale de sa culture , de son enfance. Robe noire de velours, cheveux mi longs, collants et chaussettes blanches  de fillette-femme, elle verse le thé dans de beaux gestes chorégraphiques: longues coulées de liquides qui se mêlent en cascades pour les offrir au public. Mot d'ordre: le partage de souvenirs, d'épopées singulières, personnelles dans un texte à sa mesure: sobre, simple, évocateur de bons moments ou de doutes, de douleurs aussi. On joue avec le sens des mots, le recul du vécu pour mieux raconter l'histoire mêlée d'un père et d'une fille d'Anatolie, soudés par l'exil. Mais c'est la joie de conter, de chanter, de dévoiler des secrets de fabrication de contes et légendes, qui prend le dessus!Pas de nostalgie, mais des chants, de la malice, le gout du bon thé partagé et versé selon les coutumes du pays. L'ambiance "cabaret" du Magic Miroir" renforçait à l'origine cette atmosphère festive, le père présent et solidaire, Yavuz Özer comme partenaire enjoué et compère de toujours Un ravissement pour une soirée conviviale pleine de charme..Les voix chaleureuses dans un phrasé et une musicalité hors du commun pour bercer les prémisses de la nuit! Ici la boite noire n'a rien gâché de cette spontanéité du verbe, des attitudes complices avec le public. La comédienne-conteuse-chanteuse se donne à fond et enjolive une situation pourtant douloureuse et pleine de larmes qui débordent comme le thé que l('on sert à l'envi jusqu'à plus soif ou plus de larmes..

Le Chant du père est le premier spectacle conçu et écrit par Hatice Özer, en collaboration avec son père, Yavuz Özer. En tant qu’actrice, elle a été formée au Conservatoire de Toulouse et a suivi, en 2017, le programme d’ateliers Ier Acte du TNS, initié par Stanislas Nordey. Elle a notamment joué sous la direction de Jeanne Candel et Samuel Achache, Wajdi Mouawad, ainsi que Julie Berès − dans Désobéir, présenté au TNS en 2019 dans le cadre de L’autre saison. En 2020, elle a créé la compagnie La neige la nuit, basée en Dordogne.

Au TNS jusqu'au 25 MAI



 

vendredi 24 mai 2024

"Lettres et sons": la musique et les mots aux bons soins des docteurs Cadiot, Dusapin et Accroche Note.

 


L’Ensemble Accroche Note propose un croisement créatif entre les textes de l’écrivain Olivier Cadiot, considéré comme une figure emblématique de la poésie contemporaine et des œuvres de Pascal Dusapin, compositeur pétri de littérature, de philosophie et de poésie. En présence d’Olivier Cadiot, qui lit les textes de ses œuvres mis en musique.
 
 "Incroyable ! Si heureux d'inviter Olivier Cadiot à la salle Arp ( Aubette )
Strasbourg Capitale mondiale du livre .
Celui-ci lira des extraits de son livre : Médecine générale . ( P.O.L )"...."
 
Alors après ce "cri" du coeur voici venir la soirée tant convoitée!
Olivier Cadiot en personne après avoir exposé sa complicité avec la musique et le métier d'auteur librettiste s'adonne à la lecture de "Médecine générale" celle qui pourrait soigner celui qui écoute sa voix légère, aux intonations musicales et sonores "à toutes vitesse" ou plus posées. Belle diction habitée, vécue de tout son corps et avec expressivité et tendresse. Douceur et bienveillance du ton, jovialité du visage, ouvert à l'autre. "Place à la musique" après cette lecture animée et vivante de l'auteur.

"Anacoluthe" en suite logique pour voix de femme, clarinette-contrebasse et contrebasse  pour le plaisir.
 Un savant et joyeux mélange de sonorités entremêlées ou soudées par une ligne mélodique sous-jacente.Beau trio aligné face à nous dans cette mythique Salle de ciné-bal de l'Aubette.

"Mimi" pour deux voix de femmes, hautbois, clarinette basse et trombone prend le relais et la composition de Pascal Dusapin se fait virulente et frontale, comme les "Cris de Paris". Les chanteuses, Françoise Kubler et Hae-lim Lee excellent en résonances, émissions virulentes, stridentes, fortes et aiguës. 

 "Il-li-ko"pour voix de femme seule (Iet II) nous emmène très loin: on repart sur des propos de la musique de Pascal Dusapin, complice de l'auteur Olivier Cadiot, autour de l'oeuvre dédiée à Françoise Kubler. Un parlé-chanté qui surfe entre texte et musique, du chant lyrique virtuose , sorte de sprechgesang revisité. Une phrase légère et continue: faut-il chanter ou parler? C'est une musique pour le texte, préfiguration de l'opéra" Roméo et Juliette" de 1987...De bien beaux souvenirs...Jeux sur les mots, les langues, les intonations et le questionnement: chant ou lecture, parlé ou chanté...Françoise Kubler très à l'aise dans cette partition-récit invraisemblable et succulente. Tout le plaisir semble être partagé entre l'interprète qui se livre corps et voix et le public ravi par tant de prouesses de la performeuse en direct.Chevelure architecturée, toute de cuir noir vêtue.
 
"Now the fields are ": dernier morceau du récital-lecture, extrait de "Roméo et Juliette" pour voix de femme, clarinette et contrebasse. Un "final" qui mêle une extrême exigence de composition et d'interprétation pour ce trio qui se révèle interprète solaire et inspiré de la musique inqualifiable de Dusapin. 
 
Olivier Cadiot clôt la soirée avec en lecture un extrait de "Pour Mahler", une lecture primeur qui touche et impacte l’ouïe et tous les sens qu'il sait mettre en éveil. Les mots, leur combinaison, leur choc se font ludiques et percutants: "je pose, je compose et décompose" comme une partition: la langue et le verbe comme un enchantement de l'esprit par la musicalité et le rythme du phrasé de cet auteur si proche des musiciens et des compositeurs de son temps.
Belle et partageuse initiative de la part de l'Accroche Note, renforcé par Laetitia Nguyen, Dimitri Debroutelle et Jean Daniel Hégé.
 

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Oeuvres de Pascal Dusapin et texte
Olivier Cadiot.
 
Strasbourg Salle de l'Aubette (Arp ) Vendredi 24 Mai

"Epopées fantastiques": picaresque et passionnant !

 


Richard Strauss admirait tant le Traité d’instrumentation de Berlioz qu’il l’étoffa de commentaires et d’exemples nouveaux. Il est donc légitime de réunir les deux musiciens qui illustrèrent avec éclat leur sens de l’orchestre.

Dans la Symphonie fantastique, d’abord intitulée « Épisode de la vie d’un artiste », Berlioz met en scène ses passions amoureuses par le biais d’une idée fixe qui donne sa fièvre à la symphonie puis la précipite dans des couleurs infernales… Un must de l'orchestration, de la vibration des cordes pour installer une atmosphère immensément dense, masse sonore empreinte de romantisme et de grandeur. Les cordes en poupe, les vents pour qui Berlioz offre une place de choix, interventions singulières de chacun pour initier sons et musique. Le leitmotiv revient, familier mais jamais galvaudé, magnifié par une interprétation d'ensemble magistrale Les coups de sonnerie du clocher qui appelle à la concentration et méditation sont de toute grandeur et beauté: une présence magnifique qui émeut, touche et vibre au plus profond. L'oeuvre est ample et se déploie dans toute son envergure sous la direction et la baguette agile de Aziz Shokhakimov, directeur habile et inspiré de ce chef-d'oeuvre aux teneurs, fragrances et sonorités fantastiques.

Quant à Don Quichotte, sous-titré « Variations fantastiques sur un thème à caractère chevaleresque », il s’agit de l’un des poèmes symphoniques inspirés à Strauss par les grandes œuvres de la littérature. Don Quichotte, évoqué par le violoncelle, c’est bien sûr aussi le compositeur lui-même !

« Oui, avoue le chevalier, je suis peut-être fou, mais à tout prendre je le suis moins que la société où nous vivons ». Si chacun se retrouve dans Don Quichotte, c'est qu'il s'agit de l'oeuvre qui, par excellence, nous permet de faire face à un monde privé de sens. L'ingénieux hidalgo est le symbole de l'homme moderne confronté à un univers dont toutes les structures signifiantes se délitent. Sa réponse : croire sans relâche et faire comme si. Voilà ce que conseille le roman de Cervantès : substituer au monde réel un imaginaire où l'on puisse conserver espoir. Don Quichotte n'est pas un simple personnage, il est aussi auteur, celui de son destin . De toute l'histoire de la littérature, il est le premier personnage à décider de vivre sa vie comme dans les livres.  

Alors en musique, vous imaginez la suite! Un Don Quichotte qui fait la part belle à la surprise, au jeu musical de l'intervention singulière des instruments à vent pour évoquer cavalcades, erreurs, moulin à vent et autre Dulcinée ou Sancho Pença. La narration a la part belle et l'imagination du "spectateur" va bon train: paysages en ouverture pour camper le décor, instruments insolites pour dessiner dans l'espace sonore les contours des caractères et des situations. Et sur ce fameux énergumène de grande classe et de noblesse fortuite, on se prend à imaginer péripéties et autres aventures chevaleresques, picaresques en diable..

 


On songe au bel ouvrage illustré de Garouste "L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche" et à la musique de Léon Minkus pour le ballet de Marius Petipa...Mais les yeux grands ouverts on observe avec délice d'où viennent ces sources sonores inédites qui activent et propulsent l'action, dépeignent les personnages et le tour est joué. Une redécouverte où le violoncelliste Pablo Ferrandez excelle en délicatesse, retenue, glissé de l'archet sur le corps de son instrument scellé au corps en toute indépendance mais osmose.Un régal de fantaisie musicale qui confère à cette oeuvre un caractère bigarré, enjoué, lumineux et plein de vie!

Une soirée de rêve où découverte et familiarité avec les oeuvres vont de pair et scellent la complicité de Berlioz et Strauss pour une page musicologique de très grande qualité et ingéniosité. Avec deux bis, l'un du violoncelliste, cadeau soliste toute en retenue et un morceau de choix du répertoire par tout l'orchestre très partageux!

Au PMC les 23 et 24 MAI Orchestre Philarmonique de Strasbourg

lire: "Un été avec Don Quichotte" de William Marx


 


jeudi 23 mai 2024

"Héraclès sur la tête" et aux pieds pour des travaux d'interet général

 

Anne Nguyen Cie par Terre France 4 interprètes création 2022

Héraclès sur la tête



Breakeuse virtuose, formée à la danse contemporaine et aux arts martiaux, Anne Nguyen fait rayonner, depuis 2005, l’esthétique et les valeurs du hip-hop. Son écriture, rigoureuse et maitrisée, est toujours associée à des sujets de société. Héraclès sur la tête remonte aux origines de la culture hip-hop. Sur une playlist de rap U.S. qui raconte la réalité, parfois brutale, de la jeunesse afro-américaine, de New-York à South Central en passant par Atlanta, Dallas, Houston ou Philadelphie, quatre danseurs, deux B-Boys et deux danseuses hip-hop, explorent les principes de la compétition, de la hiérarchie et de la méritocratie. De Gil Scott Heron, KRS-One et Public Enemy jusqu’au gangsta rap et au rap contemporain, la bande son nous plonge dans une vision du système décrit depuis là où il faut lutter pour survivre. Les danseurs, seuls ou en groupe, composent une narration sur les jeux stratégiques auxquels nous nous prêtons tous, mais dont nous subissons différemment les conséquences. Imprégné de la philosophie d’apaisement de la violence qui a vu naître la culture hip-hop, Héraclès sur la tête est un manifeste pour la paix, qui dénonce la corruption à toutes les échelles de la société, nous invite à prendre conscience de nos comportements et à questionner le sens de nos trajectoires individuelles et collectives.
 

L'énergie ne les quittera pas une heure durant même au bout des doigts, dans les moments d'immobilité feinte, les pauses exemplaires où le silence se fait et se fabrique en un temps de repos, de suspension du mouvement. Un solo démarre interprété par Konh-Ming Xiong, pétri de délicatesse, de petits phrasés brefs ou langoureux, sensuels, gracieux. Ondoyants et pourtant segmentés, structurés au cordeau. Les trois autres compères en tenue citadine, décontractée, sans entrave ni embuche se meuvent à l'envi dans une grammaire et syntaxe gestuelle en résonance, en canon. Chacun désigne quelque chose, menace le groupe à tour de rôle , prend le relais et navigue dans une mouvance syncopée. De la nonchalance aussi, extrême décontraction simulée qui fait mouche dans ce panel déployé de gestes, postures, attitudes très marquées par une esthétique de danse urbaine. Dans l'urgence de s'exprimer mais modulée par une pensée, réflexion qui semble sourdre des regards, des temps de suspension ou d'apnée visuelle. Des tableaux, visions et cadres très construits se donnent à voir le temps de signifier, de comprendre, de partager ce bonheur et cette intelligence de danser. 
 

Fraternelle pièce à conviction pour prouver s'il le fallait que le hip-hop est multiple, complexe, codé, intelligible. A décrypter comme autant de signatures et de corporéités individuelles. De quoi satisfaire les appétits d'identité, de singularité, de métissages. Les travaux de ses quatre interprètes comme des épreuves de force de qualité gestuelle, de contraste entre douceur et radicalité. Épopée des temps modernes, odyssée de l'espèce hip-hop sous toutes ses coutures et bien d'autre pas "prêt à porter". A la conquête de la singularité dans le groupe et de l'être ensemble tant revendiqué par notre société...dansante. Sur les pavés se joue tant de persévérance et d'espoir que seule la danse semble en possession de fédérer."Par terre", au sol ou sur la tête, qu'importe ! Anne Nguyen, assistée de Pascal Luce, une fois de plus propose un univers "déroutant" sur des chemins de traverse en bonne "compagnie": Janice Bieleu, Fabrice Mahicka, Clara Salge et déjà cité, Konh Ming Xiong.
 
A Pole Sud les 22 et 23 MAI

"Carmen.": "chanson" pour dragon: "point" barre... ou à la ligne....Et "tralala..."

 


Carmen.
, François Gremaud / 2b company

Après le succès de Phèdre ! et Giselle…, présenté en 2022 au Maillon, François Gremaud clôt avec Carmen. sa trilogie consacrée à trois figures tragiques de l’art dramatique. Après le théâtre et le ballet, l’opéra donc, et pas n’importe lequel : composé par Georges Bizet sur un livret inspirée d’une nouvelle de Prosper Mérimée, l’œuvre reste une des pièces lyriques les plus jouées à travers le monde depuis qu’elle fit scandale lors de sa création en 1875 à l’Opéra Comique. L’histoire est connue : chargé de mener en prison la jeune bohémienne qu’il vient d’arrêter, Don José en tombe éperdument amoureux jusqu’à la poignarder, ivre de jalousie, lorsqu’elle se laisse séduire par un torero local. Pas de remparts de Séville ici cependant, mais un plateau nu sur lequel la chanteuse Rosemary Standley, accompagnée par un ensemble de musiciennes, raconte, commente puis finit par interpréter ce standard de la culture musicale européenne. Variation sur celui-ci, la performance est un moyen de retracer avec humour son histoire, mais aussi de dire autrement les passions qui le traversent.

Point de Carmen classique dans cet opus singulier: mais une "ponctuation" de choix pour diversifier le personnage, le faire s'incarner par une femme libre et en possession de tous ses droits et facultés. Droit d'être droite, face à son contexte social peu enclin à considérer les femmes, surtout les cigarières de la manufacture des tabacs où Carmen règne. Bizet accouche d'une heroine dont il ne connaitra pas les bienfaits de la notoriété, ni des rentrées pécuniaires. Le personnage heurte et condamne le compositeur à modifier sans cesse le livret, osciller entre provocation et simple récit. Mais la "claque" est dans la salle qui vient encourager ce dernier à éduquer et élever sa "créature" pour la transporter dans une musique, désormais plus que célèbre et légendaire. C'est l'actrice-cantatrice Rosemary Standley qui s'y colle deux heures durant avec trois fois rien de décor et mise en scène. Accompagnée par un quintet de musiciennes résumant à elles seules toute l'orchestration symphonique de l'oeuvre de Bizet. 

Rrose Mary Selavy...hétéronyme de Marcel Duchamp, créature de Bizet comme devenue son double et celui de François Gremaud. Car le géniteur de cette Carmen à changé et voici celui qui la redécouvre et nous la livre entière incarnant à tour de rôle tous les personnages de cet opéra "comique" pour salles Favard des grands boulevards du crime parisien.!L'artiste devant nous, seule, auréolée de musique est fabuleuse et s'inscrira dans la légende des démons et bêtes de scène actuelles.Tout en noir sans falbalas ni froufrou, la voici qui s'empare du plateau, discrète, attendrissante autant que furibonde et féroce. "Chantal" chante et ne parle pas et tous les airs qu'elle porte sur le plateau sont finement et délicieusement interprétés.Les "tubes" et canons de la partition venant auréoler ce solo magistral. La voix est tantôt celle du baryton, de la mezzo soprano ou du maitre Bizet et ses dialogues, paroliers de compagnie. Que l'on découvre au fur et à mesure du récit que tisse la comédienne. On y apprend plein de petits détails croustillants sur la genèse de cette Carmen, la vraie, et le festin va bon train. De trouvailles en surprises, on suit ce personnage en empathie totale et Don José autant que le fameux toréador deviennent non plus des fantômes désincarnés mais des acteurs présents avec qui elle dialogue. On voit tout ce petit monde jusqu'à la mère, figure freudienne par excellence pour cette Lacan-tatrice loin d'être chauve. Alors le spectacle se joue de bien des embuches et avec humour, distanciation et autres stratagèmes de scénographie et dramaturgie: François Gremaud fait mouche et touche en chef d'orchestre ou de partie, de salle, pour formation réduite mais au combien efficace. La musique de l'opéra dit "comique"restituée à l'envi dans son plus simple appareil: les instruments phares qui donnent le "la" à toute l'oeuvre. Son suspens, sa joie, sa douleur, son drame...En toute simplicité, en toute complicité. Les musiciennes au diapason du jeu de la chanteuse-actrice.

Le recueil que chacun emporte avec soi pour sa bibliothèque (Giselle-Phèdre et désormais Carmen)est cadeau de la maison. Ce ne seront pas les "fantômes" de bibliothèques mais bien de femmes de caractère que nous conservons en mémoire! Point d'exclamation...Taratata !

Au Maillon jusqu'au 25 MAI

mardi 21 mai 2024

"Tropique du Képone": bananes toxiques à fond de cale...




"Tropique du Képone ou Principe de précaution" de Myriam Soulanges de Back Art Diffusion et Marlène Myrtil de la Cie Kaméleonite

Une pièce de danse aux manières afro futuristes qui alerte sur les problèmes écologiques des territoires de Martinique et de Guadeloupe. Une invitation à se lever contre l’ordre imposé.

Tropique du képone souligne l’urgence d’agir face à l’état préoccupant des Antilles autour du scandale du chlordécone, commercialisé sous le nom de képone. Les deux femmes se projettent dans un avenir où les paradigmes du vivant ont été modifiés. 2722, le Tropique du képone est un lieu où les corps se sont adaptés, révoltés, néantisés. La vie pourtant subsiste. Mais à quel prix et par quels chemins ? Construit à partir d’archives radiophoniques, textuelles, télévisées et d’articles scientifiques, le spectacle prend une dimension plastique sous la forme d’une installation dans laquelle évoluent les danseuses. Découvrez un duo où la poésie et l’absurde leur servent d’outils de résistance face à un sujet toxique.


Le chlore des "pas connes" ! 
Un duo chorégraphique venu de la Martinique, Guadeloupe et Guyane où deux femmes emplumées de tutus colorés bigarrés pastichent les effets de la chlordécone, insecticide puissant utilisé dans les bananeraies aux Antilles.C'est tout d'abord de la folie sauvage, allumée, elles ont la "banane", le frite ou la pêche, elles sont "happy" hallucinées par les effets néfastes de ce poison toléré dans l'agriculture intensive de l'exportation. Pourtant le décor, plaque blanche glissante inclinée sera le terrain à haut risque de leurs évolutions: agrippées à cette pente descendante, elles cèdent ou résistent, grimpent ou dégringolent à l'envie tout en effeuillant les bananes empoisonnées .Elles passent de la joie, à l'euphorie, de la stupeur à la tétanie, de la peur partagée à l'amitié fraternelle, ces deux travailleuses enjouées de plantation, carrière à pesticide ou usine à gobelets en plastique blanc polluant.Pollution ou intox, on le sait et on le subit, on l'ignore ou on s'insurge: c'est ce dernier choix qu'elles proposent dans une rencontre dansée endiablée, tonique où dans une aire de détritus, les sacs à bananes sont poubelles ou masques: c'est "bon banania", et bien "planté"! Froufrous et gravité s'y côtoient dans l'humour pour évoquer une vraie question et faire réagir petits et grands, vidéo et musique au poing. Les "plongées" visuelles du plan incliné très cinématographiques sont bluffantes et l'empathie fonctionne: à fond la banane !


Dans le cadre du festival "passages transfestival " Archipelago" le 20 MAI à Metz

lundi 20 mai 2024

"Wonderwoman": l'invisibilité de la douleur mise à nue par ses artisans mêmes.

 

Nouvelle création de la sicilienne Chiara Marchese, Wonderwoman est un éloge à la résilience. Ici, la violence se combat à coup de tendresse grâce au super pouvoir d’une humanité débordante.

Invitée à Passages Transfestival en 2023 avec son spectacle Le poids de l’âme, Chiara Marchese revient à Metz. Dans un scénario abstrait, une immense obscurité donne à voir l’épaisseur et la densité du temps passé. Dans un corps à corps avec cette matière noire Wonderwoman navigue dans ses souvenirs d’enfance, en trouvant des vérités atroces et communes avec d’autres êtres humains. Wonderwoman est un combat sans armes pour se reconstruire. Comme dans la tradition kintsugi, la matière dorée arrive sur scène avec un pouvoir réparateur. Cinq fragments métalliques coupent la scène. Suspendue, en position horizontale, comme dans un sommeil éternel, Wonderwoman incarne et fait revivre tous ceux qui ont été victimes et les invite à briller à nouveau.

Wonder woman fragile, loin d'être intouchable, en proie aux agressions du monde...La femme face à nous sur le plateau ne manque pas d'audace, de charme, tout de noir moulée, cuir scintillant et autre attributs sexy et accrocheurs. Des baisers, une chanson de Françoise Hardy pour nous tremper dans le bain d'une vie dangereuse, périlleuse. Le plastic noir enveloppant ses ébats pour la protéger, la noircir, la rendre invisible aux yeux des prédateurs...Lumières absentes pour mieux dissimuler son existence et ses déboires. Le corps cependant suspendus à une balançoire, objet de désir autant que de risque et de danger. Chiara Marchese joue sur la corde raide, gagne ou échoue dans la conviction ou l'empathie que l'on peut ressentit ou pas face à son destin, son sort qu'elle provoque .Femme fatale, enfant qui se retrouve auprès de son armée de perroquets, jouets ou objets transitionnels de son passé Elle accouche du premier volatile, les jambes et cuisses ouvertes comme une "origine du monde" mais qui serait passée inaperçue dans la banalité du monde environnant. Seule sur le plateau, l'artiste voudrait bien être l'invincible, la cible chérie des autres mais ses tentatives semblent vaines. Les super pouvoirs n'opèrent pas et tout ce qu'elle déballe de récits, de paroles ou d'aveux fait mouche ou ne touche pas. Fragile et vulnérable proie, notre anti-héroïne se débat avec acharnement pour surnager de cette marée noire envahissante de plastic noir toxique. Les images, fortes et impactantes sont de mise et la scénographie remet en question l'invisibilité des violences faites aux femmes.

A l'Arsenal le 19 MAI dans le cadre du festival "passages"

"Happy Island": danse bien "madérisée" sauce La Ribot !

 

Happy Island tient son titre de l’île de Madère sur laquelle est basée la compagnie de danse Dançando com a Diferença d’Henrique Amoedo, une compagnie composée d’une vingtaine d’artistes en situation de handicap.Cinq de ces danseur·euses accompagnent La Ribot dans un spectacle jubilatoire qui restitue l’esprit de liberté de cette communauté singulière, que l’on voit au complet dans un film réalisé par Raquel Freire. Comme pour mieux confondre le réel et l’imaginaire, le film projeté en fond de scène et la performance désinhibent leur furieux désir de vivre. Pur hommage au désir de danser, la pièce exalte sur scène la beauté insoupçonnée de ces corps émancipés. Dans Happy Island, fiction et réalité se rapprochent d’un rêve vécu et rêvé. Ce qui existe et nous est montré n’est finalement que le témoignage de la vie et de l’art.

Des arbres biscornus, tordus, centenaires, ancêtres magnifiques de l'archéologie du végétal: sortes de monstres, quasimodo magnifiques et bienfaisants...Métaphores de ces corps "différents" des artistes en situation de handicap mental et moteur.? Peut-être pour cette folie débridée et enchanteresse, cette liesse sur le plateau et sur l'écran qui résonne des images filmées d'une expérience chorégraphique unique et singulière. Menée de "main de maitre" par la Ribot qui ne se ménage pas comme à son habitude. Alors se frotter au monde du handicap mental sera pour elle, étape, bivouac et expérience de plus à mettre à son actif. Que voici ces être bien vivants se coltinant sans entrave ni empêchement la joie et le plaisir de la scène. Un solo magnifique d'une interprète en long tutu rouge, les yeux bandés! Des passages et interventions clownesques, burlesques d'un lutin bondissant qui traverse la scène et brandit un rond de lumière. Lune, projecteur ou autre objet qui reflète, illumine ou divertit le rythme et la narration loufoque et fantasque de la pièce. Quand une des interprètes quitte son fauteuil pour appréhender le sol et s'y fondre, c'est à un moment d'émotion de tous les possibles que nous assistons.La danse magnifie, transfigure, ose l'impossible pour exulter les corps. Une poursuite de l'une d'entre elle aux quatre coins de la salle est un morceau de bravoure, de suspens, une performance qui interroge et fascine. Personne de doré vêtu, traqué par les feux de la rampe qui s'évade en sa compagnie. Enfreindre les lois et aprioiris, les embuches et autre "handicaps" pour mieux les inscrire dans la théâtralité et la dramaturgie. Chapeau à tous pour cet opus plein de charme, de délicatesse, de décence et de respect autant que de décollage et facéties incongrues. La "meute" s'amuse, nous réjouit, nous déplace et revisite les canons de la beauté. Magnifiés, considérés et grandis, voici les artistes de la compagnie "Dançando com a diferança" au sommet d'une montagne de surprises et inventivité débridée qui fait du bien et raconte les corps comme autant d'histoires et de récits singuliers. Juste une petite différence ou "un p'tit truc en plus"....

A l'Arsenal salle de l'esplande le 19 Mai dans le cadre du festival "passages"

"Megastructure": enchevêtrements, entrelacs et autres facéties de corps complices.

 

Suite à une blessure, Isaiah Wilson sera remplacé par Wilchaan Roy Cantu.

MEGASTRUCTURE tisse avec curiosité la trajectoire de deux corps en constante cohabitation dont le mouvement forme d’étranges et périlleuses associations.Isaiah Wilson et Sarah Baltzinger brisent avec MEGASTRUCTURE les conventions habituelles du spectacle vivant pour parler d’intimité, dans sa forme la plus pure, celle du corps en mouvement dans un espace partagé entre les performers et le public. Permettre ici à tout un chacun de pouvoir pleinement et viscéralement s’identifier à ce que raconte les performers au plateau. Ce duo est comme un puzzle dont les pièces se démontent, se cherchent, se casent, se testent, se réinventent en permanence. MEGASTRUCTURE est une pièce chorégraphique sans composition sonore, sans décor dont la musicalité naturelle est générée par les corps en direct, dans une énergie percussive.

Seuls, à deux sur le plateau nu de l'Arsenal, ils font miracle de jeux de corps segmentés, virtuoses de la simplicité évidente mais très recherchée de décomposition des gestes. En autant de questions/réponses, de dialogues variés et prolixes. Sur un rythme très compté, calculé, le son et le bruit des corps comme simple support musical. Le souffle, la respiration et le timing extrêmement précis des gestes millimétrés. Comme autant de poses, attitudes ou postures qui s'emboitent, se génèrent, prennent le relais l'une de l'autre. Félins pour l'autre, les deux danseurs médusent et hypnotisent. Des fragments, des brisures, des fractures de membres manipulé pour credo et leitmotiv récurent.A vous couper le souffle, en apnée pour mieux retrouver ses esprits et les suivre dans cet exercice périlleux d'extrême concentration. Une chorégraphie, duel, duo, tandem à loisir et à foison. Sarah Baltinzger et Wilchaan Roy Cantu démantibulés, déstructurés, segmentés dans une kiné-sphère solide et construite. Sans cesse en "décomposition" chorégraphique, en canevas savant qui se modifie. Corps et graphie qui impacte l'espace, défie la musicalité des gestes qui s’égrènent à l'envi.  Miettes et morceaux corporels se retructurent, s'aditionnent, se conjuguent au mode interactif en direct et sous nos yeux comme une architectonique des plaques en mouvement. Sans faille ni bassin d'effondrement mais dans une avancée ludique et percussive de toute beauté.

A l'Arsenal Grande salle plateau le 18 Mai dans le cadre du festival "passages"

"Malaka"; touffues, crêpues, décoiffantes et tendres voix de femmes : Laurina et Sacha vont en bateau....

 


Deux grains de voix distincts, des mélodies acoustiques à la guitare et aux percussions et un mélange subtil de français, d’anglais et de créole. Laurina et Sacha, les deux sœurs de Malaka, invitent à apprécier la simplicité et la richesse d’une musique porteuse de messages à la frontière du folk et de la soul. Leurs voix puissantes et profondes fusionnent, se répondent et s’entremêlent, créant une atmosphère envoûtante.Les deux sœurs questionnent leurs racines, abordent l’urgence climatique et parlent de confiance en soi. Une musique épurée qui laisse le cœur léger et enchantera le club pour un concert ouaté hors du temps.

Sur la scène, face au public nombreux venu en soirée au festival "perspectives" au "Club" nocturne pour noctambules chevronnés dans un "troisième lieu" étrange, les voici galvanisées par leur verve, enthousiasme et une pêche d'enfer.Une poésie tendre de paroles en français, en anglais dans une diction exacte et précise. Tantôt l'une, tantôt l'autre, faite lune pour l'autre, dans un duo complice, une osmose qui se répond, dialogue, laisse à l'autre l'espace pour cette gémellité incroyablement libre et prospère. C'est un ravissement que de participer à ce concert généreux aux nombre de rappels et bis incalculables. On ne peut les quitter tant ce qui passe et simple, humain, musical et charmeur. Une batterie de choc non envahissante, bordant et relevant leur prestation unique et magnétique. De surcroit, belles et solaires, auréolées de chevelures denses et ondulantes, hirsute et masse compact où il ferait bien "mettre ses mains" pour capter l'énergie et le fougue attendrie de leurs émois musicaux. De l'émotion qui décale, déplace, emporte et fait voyager hors des frontières les esprits et imaginaires de chacun. Modestes figures de la Soul et du Folk, voici un tandem, une paire de jumelles pour mieux scruter et déguster les fragrances, les couleurs et les son métissés des musiques d'aujourd'hui. Sur des continents inconnus, sur des portées de notes qui transportent et euphorisent tout un chacun.

Au festival "perspectives" à Saarbruck le 19 Mai au "Club".

Nées en Guadeloupe, Laurina et Sacha Moïsa ont quitté l’île à l’âge de 2 et 4 ans et ont grandi à Clermont-Ferrand. Durant le confinement, elles s’associent et font naître le duo Malaka avec le désir de se rapprocher de leurs origines, tout en s’emparant de sujets actuels de société. Elles puisent leur inspiration musicale dans des sources variées et hétéroclites comme Laylow, Joy Crooks, Little Simz ou encore Ren. Maï, leur premier EP est sorti en février 2024.



"Star Show": sur la paillasse du cosmonaute, la magie astronomique

 


Les objets s’animent et partent à la conquête de l’espace ! Tubes, boîtes de conserve, figurine, mégaphone et ventouse participent à une nouvelle mission de la NASA. Seul en scène, Alan Floc’h nous transporte dans un univers plein d’humour et à l’imagination débridée.
Après la frousse procurée en 2022 par La Caravane de l’horreur, la Compagnie Bakélite revient à PERSPECTIVES pour nous faire vivre le grand frisson de l’exploration spatiale. Originaire de Rennes, la compagnie est connue pour l’originalité et l’inventivité de ses créations de théâtre d’objets : des formes courtes sans paroles qui tournent dans le monde entier.Dans Star Show, qui se produira pour la première fois en Allemagne, des bibelots du quotidien deviennent acteurs à part entière d’un voyage dans le cosmos. La Compagnie Bakélite manie à la perfection l’art de modeler l’immensément grand à l’aide du tout petit. Dans ce théâtre de bidouilles, la galaxie tient sur deux mètres carrés, des éclats de faïences deviennent de dangereux débris spatiaux et le public a la tête dans les étoiles.Une aventure lunaire et co(s)mique qui fera décoller toute la famille vers l’infini et au-delà !

Un petit théâtre, une petite salle, une petite jauge pour un "grand spectacle" ! Un espace très réduit comme un cube monté en structure ouvragée, pour espace de jeu. Le voici assis aux commandes d'une navette spatiale ou d'une base expérimentation astrale. Il est tout de blanc vêtu, nickel, sans tache ni ombre, blanc clinique, propre et net. Le visage figé, une capuche sur la tête comme seule protection. Manipulateur d'une miniature de son personnage, petit bonhomme en réduction qu'il tente de faire voler, gicler, rebondir ou jaillir. De petites boites de conserve, ce savant fou, sorte de magicien d'Oz fait ses expériences, tâtonne, essaye, gagne ou réussit sans jamais succomber ni se  désespérer. Il remet l'ouvrage sans cesse sur sa paillasse de chimiste, de carrés carrelages blancs lisses. C'est drôle, décalé, étonnant et charmant. Un côté naïf à la Boris Vian dans sa chanson "la java des bombes atomiques": "j ' y retourne immédiatement".....Alors la magie opère et l'on est sous le charme d'un prestidigitateur-amuseur de bon aloi. De fil en aiguilles on franchit les limites du possible et de l'infiniment petit pour atteindre les étoiles... Les sons et les bruits comme portés par un mégaphone magique. Sorte de trompe, de haut parleur fantaisiste qui aurait le dernier mot! Et quand notre homme enfle, se gonfle, s'est pour échapper aux lois de la pesanteur, au ralenti comme le premier homme marchant sur la lune. En sus, le visage déformé par le cadran de son casque comme un ordinateur d'antan.Un rêve éveillé de gamin en quête de merveilleux. Alan Floc'h aux commandes de ce vaisseau de pacotille qui décolle et enchante petits et grands.

Au Theater am Kastnerplatz à Saarbrucken dans le cadre du festival "Perspectives"

"Armour": verges folles et autres extensions du domaine du cirque...La danse des orifices.

 


ARMOUR est un threesome de portés acrobatiques qui explore les questions liées aux masculinités. Arno Ferrera, Gilles Polet et Charlie Hession se confrontent aux aspects toxiques de la virilité et donnent corps à leur désir en proposant une nouvelle perspective sur ces notions. Le trio déconstruit les mécanismes de (sur)protection qui entravent les relations humaines dans un engagement acrobatique intense basé sur l’écoute et la confiance.
Vêtus de protections de sport, les trois interprètes revisitent les portés pour mieux se rapprocher et ouvrir un espace d’intimité et de vulnérabilité. Se libérant peu à peu de ces carapaces viriles, ils laissent place à la tendresse en écho à la phrase de bell hooks « Pour connaître l'amour, il faut que les hommes soient capables de renoncer à la volonté de dominer. »Une performance physique emplie de douceur, d’érotisme et d’autodérision.

C'est au sein de l'église Saint Jacob à Sarrebruck que va se dérouler un opus pas très catholique sur une piste à six côtés, arène sur laquelle se focalise le public encerclant les artistes protagonistes de cet événement sans précédent. Trois sportifs vêtus de tenue colorées seyantes, moulantes à souhait s'adonnent à une sorte de boxe revisitée, un kung-fu irrésistible bordé de touches de judo ou autres sources gestuelles et rituelles d'arts martiaux. Drôle et curieux duo, relayé par la venue d'un troisième athlète, jovial, concentré. Ils s'adonnent à des exercices fabuleux impliquant poids, appuis, force, esquives et autres lois de combat singulier. Les répliques sont offensives, justes, très visuelles, quasi ludiques.Les trois hommes complices, compères d'un show extravagant, plein d'humour et de verve, de plaisir et de malice partagés. Des portés en position de chainette, des attitudes qui tissent un canevas dramaturgique très bien construit, évoluant peu à peu vers le risque, le danger.i Des carapaces de hockey sur glace ou de CRS comme parure d'insecte protégé, calfeutrés dans leur apparat de combat viril très "genré". C'est dans une séquence très "osée" qu'ils excellent. Un jeu sur les pénis de chacun dissimulés dans leur slip-poche kangourou comme un tiré-poussé très acrobatique. Verges en extension comme des membres à part entière dans leur coque souple. Comme à tire-pénis à tire-larigot, attire le haricot. Audace, risque de débandade ou de bande à part pour ce trio virtuose qui n'a de cesse d'inventer, de rebondir , de faire "boule" ou bête à deux ou trois dos pour esquisser peu à peu tendresse et douceur en contrepartie de l'esprit de réussite et de concurrence des mâles entre eux. La "main dans la culotte" pour mieux s'étirer, de cambrer, se donner en offrande corporelle et amoureuse. Pétomanes de choc à la Joseph Pujol ils font souffler un vent du folie avec leurs empreintes corporelles sonores.Et très "animal" ils se reniflent et écoutent les sons des orifices de la danse avec humour et délectation. Du Roland Huesca pour de vrai comme incarnation de son ouvrage éponyme! "La danse des orifices".Du joli travail circassien autant que de danseurs dans deux séquences en trio débonnaire quasi trad et un numéro à capella, à l'unisson très convaincant. Les corps performeurs autant que charmeurs, les visages réjouis et aimables, les postures de barbus hommes en liesse pour le bonheur du public les entrainant et encourageant sans fausse honte à aller jusqu'au bout de leur propos. De belles "armures" chevaleresques et picaresques pour des amours de tous genres. On se régale et on réfléchit sur l'humaine condition, le corps en bataille jeté dans l'arène. Hommes qui courent avec les loups" emportés par des "portées" musicales et du souffle, du toupet, euphoriques, transport en commun immodérés.


Arno Ferrera est de retour à Sarrebruck et un habitué du festival après deux spectacles produits par la Compagnie Un Loup pour l’Homme présentés à PERSPECTIVES : Rare Birds en 2017 et Cuir en 2021, où il partageait déjà la scène avec Gilles Pollet dans un corps-à-corps puissant. Coproduction PERSPECTIVES, ARMOUR a été créé en avril 2024 et sera jouée pour la première fois en Allemagne dans le cadre du festival.

Le 20 MAI au festival "perspectives"