dimanche 30 juin 2024

"Spectres d'Europe": un cocktail de diversités chorégraphiques très étonnant et attachant

 


Spectres d’Europe Pierre-Émile Lemieux-Venne / Lucas Valente / Alba Castillo

Ces silhouettes sont toutes différentes mais elles partagent les mêmes joies simples : chanter à tue-tête sous la douche, danser librement sur leur chanson préférée, savourer les picotements d’un amour naissant... Portrait d’une jeunesse décomplexée qui a soif de vivre, de rire et d’aimer (Sous les jupes). — Quand les spectres s’éveillent, la lumière danse avec les ombres dans un jeu de clair-obscur (Rex). — Le temps file, inexorable, vers un futur hypothétique, sans que l’on ne puisse jamais suspendre sa course. Les Anciens le mesuraient grâce à l’écoulement d’un sablier. Sans doute avaient-ils remarqué que le temps s’apparente au sable : plus on essaie d’en retenir dans sa main, plus il s’écoule rapidement (Poussière de Terre).

Spectres d’Europe fait dialoguer les univers de trois chorégraphes de la nouvelle génération aux styles déjà bien affirmés : la légèreté profonde et communicative de Pierre-Émile Lemieux-Venne (danseur-chorégraphe du Ballet de l’OnR), la danse spectrale de Lucas Valente, lauréat du dernier Concours de jeunes chorégraphes de Biarritz, et les circonvolutions métaphysiques de l’artiste espagnole Alba Castillo. Une soirée en trois actes où se croisent les fantômes des temps passés, présents et futurs.

 Sous les jupes de Pierre-Émile Lemieux-Venne. Rex de Lucas Valente. Poussière de Terre d’Alba Castillo. Créations. Reprise.Strasbourg Opéra 07 juin 04 juil. 2024 Chorégraphie Alba Castillo, Pierre-Émile Lemieux-Venne, Lucas Valente Costumes Alba Castillo, Cauê Frias, Pierre-Émile Lemieux-Venne Lumières Tom Klefstad, Lucas Valente, Lukas Wiedmer


"Sous les jupes" [ Création ] Pièce pour 10 danseurs. 
Salut les copains: le magazine!
Voici incarné, un univers juvénile, jubilatoire, incandescent de jeunesse, de candeur, d'insouciance. Tout est dit dans ces corps dansant qui oscillent, tanguent et s'expriment sur des "tubes", canons de musique de variété légère, "yé-yé" en diable.Couleurs pastel, les costumes sont au diapason de cette tendresse à fleur de peau: comme au lycée, c'est une photo de classe, un cliché sur la frivolité d'un âge bien porté par les danseurs. Sur fond de drapés de couleurs suspendus au dessus du plateau, flotte une atmosphère de relâche, d'entracte, de pause dans le temps. Hier ou aujourd'hui? Un duo sur canapé plein de douceur, de séduction, d'attraction entre deux êtres, en robe ou pantalon dégenré se construit comme un adage burlesque contemporain. Très beau duo malin, plein d'humour et de légèreté futile. L'amour doux, frivole mais direct : à la Mats Ek dans l'esthétique segmentée, punch et fébrile, animée d'énergie et de détournement de gestuelle. A la Preljocaj par l'intensité des relations entre les êtres.En nuisette rose, en danse traditionnelle du Québec, en trio désopilant, en forme de maillon, de chenille rampante. Saccades et pas traditionnel au diapason.

"Salut les copains" d'abord, les rires et les moments de joie qui dansent d'eux même. Dans des unissons débridées pourtant très strictes dans l'écriture. Encore un duo à la "je t'aime", déclaration d'amour de deux corps aimantés, et cette bande de copains indéfectible se déplace, se joue d'objets mobiliers, chaises ou divan avec hardiesse et exactitude. Glamour déhanché façon comédie musicale ou show style music-hall, la fête est plus que présente et les danseurs excellent dans cette jeunesse innocente. Midinettes ou Claudettes, garçons à l'unisson de la diversité dans le groupe, tout ici respire la liberté de ton. Pierre-Emile Lemieux-Venne se régale à réunir ici une génération pas perdue, porteuse d'enthousiasme et de ferveur solidaire. Un opus riche et généreux qui touche et fait vibrer les corps à l'unisson.

Chorégraphie et costumes Pierre-Émile Lemieux-Venne Musique Les Charbonniers de l’enfer, Muse, Pet Shop Boys, Andrea Bocelli, Mike Brant, Céline Dion, Lesley Gore, Françoise Hardy, Juliane Werding Lumières Tom Klefstad 


"Rex" Création ]Pièce pour 6 danseurs.
Piège de lumière
La seconde pièce de ce programme est d'un autre ton : dramatique, ésotérique, énigmatique: un homme roule à terre en reptations sauvages et virulentes, rapides roulé boulé tonique. Souffrance exprimée sur lit de musique grecque orthodoxe, chant du cygne ou élégie divine. Cinq officiants viennent s'affairer autour de lui et semblent porter sa peine et sa charge. La scène est profondément émouvante et belle dans la semi obscurité. Le personnage est pris au piège de lumière comme un insecte éphémère porteur de mort. La musique se fait vorace et omniprésente puis laisse la place à un solo, une créature de blanc vêtue traquée par la lumière portée par deux danseurs. Poursuite dans le noir, tunnel d'obscurité, de secret, duo de lampes pour corps lyriques portés par l'apesanteur. Visions fugaces en rémanences, très cinématographiques, expérimentales en diable: un ballet mécanique de lumières du plus bel effet esthétique.

On plonge dans l'antre de la mythologie sans le savoir, à tâtons dans l'outre-noir scintillant, aveuglant. Cécité et aveuglement des êtres convoqués à ce rituel funèbre.La danse est fluide , fuyante, éphémère: papillon de nuit, luciole et autres bestioles fantastiques pour créer un univers onirique très poétique. Les faisceaux de lumière balayant l'espace pour servir l'écriture de Lucas Valente au plus près de son intention hors du temps pour une expérience unique et troublante.

Chorégraphe Lucas Valente Musique Emptyset, Rival Consoles, Luke Atencio, Chœur Byzantin de Grèce, Hildur Guðnadóttir Costumes Cauê Frias Lumières Tom Klefstad, Lucas Valente

"Poussière de Terre"[ Reprise ]Pièce pour 15 danseurs.
Le sablier tamise la danse de son plein grès
La troisième pièce de ces "spectres d'Europe" est dans la lignée de l’inouï, du jamais vu , de l'indicible. C'est une sculpture suspendue, sorte de sablier souple dont le vase empli de grès se déverse en filet vivant sur le sol. Le temps suspendu comme une oeuvre de Ernesto Neto: vivante, organique, très présente. Filtre d'amour, élixir minéral qui ponctue la pièce  et déroule en fine cascade la narration. Une femme traverse à l'envi cette douche sèche, passe à travers les gouttes de grès sans y toucher. La danse tamise les corps, rejoint cette atmosphère géologique et s'unit au climat singulier de cette troupe d'hommes quasi nus, lisses, fragiles qui marchent à reculons. Traques, poursuites égrènent l'espace, déplacent6 les corps, bousculent un récit omniprésent de fuite, de fugue incessante. Source de partage, cette clepsydre minérale géante donne à voir et à recueillir un nectar divin dont les danseurs s'abreuvent à loisir.

Peu à peu le sable se répand sur le plateau et les pas des danseurs y tracent et signent des empreintes, des cercles et autres figures de matières picturales ou de gravures. Un solo lumineux y creuse son sillon dans des sillages d'une chorégraphie singulière "signée" Alba Castillo. Figures de nativité archaïque, archéologique, la danse y est pétrie de robustesse, d'animalité. Retour à la terre au final comme au seuil d'un tombeau, d'un cercueil fait de poussières de terre nourricière. Ensevelir les corps pour les préserver, les conserver dans leur jeunesse, échapper au temps et à l'usure dans une roche perméable, poreuse, fragile: le grès, le sable poreux comme la peau du monde qui respire par tous ses pores.

Chorégraphie, costumes et scénographie Alba Castillo Musique Goldmund, Lawrence English, Karin Borg, Bryce Dessner, Brian Eno, Nils Frahm, Jóhann Jóhannsson, Bruno Sanfilippo Lumières et scénographie Lukas Wiedmer


samedi 29 juin 2024

lovemusic :"i was wearing my skin unfresh": de bonnes "nouvelles" courtes qui en disent long: une performance, créature singulière hors norme.


 
I was wearing my skin unfresh - spectacle immersif de micro-drames sonores sur les textes de Diane Williams et John Cage, une nouvelle création de Finbar Hosie et Emiliano Gavito 💜
📍LIEU D’EUROPE - Strasbourg
📅 Samedi 29 juin
🕕 18.00

✨I was wearing my skin unfresh / Je portais ma peau souillée
Micro-fictions musicales
⚠️Réservé à un public de +16ans
Dans le cadre du mois des visibilités LGBTQIA+, le Lieu d’Europe et Lovemusic proposent une lecture musicale d’une sélection de courtes histoires de l'auteure américaine Diane Williams, ainsi que d’autres textes et témoignages issus de l’héritage artistique LGBTQIA+. Traitant de la sexualité et du désir et articulée autour des questionnements du statu quo hétéro/normatif et des dynamiques du pouvoir relationnel, chaque histoire tisse son propre microcosme, intimiste et décalé.
👉Membres du collectif strasbourgeois, le compositeur franco-britannique Finbar Hosie et le performeur et flûtiste Emiliano Gavito ont composé des miniatures musicales et des lectures audacieuses de ces micro-fictions. Le spectacle invite le public à un dialogue musical et littéraire qui rend compte de la diversité des expériences émotionnelles humaines dans un dispositif sonore et scénique immersif.
 
Musique au long-court...Dans un dispositif original au sein de la toute nouvelle salle de spectacle du Lieu d'Europe, c'est une performance immersive et singulière qui s'offre à nos sens, à nos corps en éveil. Des cadres de fenêtres comme plantés pour une scénographie au coeur de laquelle une couche-coussin noire accueille les spectateurs, proches et dans le décor. Emiliano Gavito y fait son apparition en longue jupe après un prélude poétique silencieux affiché sur l'écran-cadre des futures images projetées. Crachins, éclaboussures sonores qui sourdent de sa flûte, borborygmes, éclats de voix, brisures et cassures de sons inaugurent le fil sonore d'une narration parallèle diffusée en bande son.Le souffle et la respiration y sont convoqués comme filtre, la bouche de l'interprète considérée comme un goulot sonore éruptif. Le visage éclairé, seul surface de peau et d'expression, gueuloir sculpté par la lumière: un masque facial résonant impressionnant. Alors que des images floutées de femmes défilent en désordre sur l'écran, comme défenestrées. La chair est présente comme au coeur des mots, doux érotisme en filigrane. Des femmes lascives et très présentes. Ses doigts sur le micro-écran tapotent et percutent comme un grillon musical qui aiguise ses élytres. Pour attirer qui? Un partenaire invisible à qui est confié sa voix dans le confessionnal païen, cadre penché, moucharabieh scénographique La voix suave, percussive de l'autrice pour bercer nos imaginaires et nous projeter dans des espaces sonore, paysages inouïs. La diction est parfaite et les histoires s'écoutent, se regardent. Comme une correspondance épistolaire entre la musique, le phrasé des mots, la syntaxe des nouvelles littéraires qui s'enchainent. Un grimoire secret et confidentiel rehaussé par le son des différentes flûtes utilisées. Les percussions buccales comme des épreuves de force de sources sonores organiques, animales. Signes, signaux sonores pour noce de séduction, parade nuptiale d'oiseau, d'insecte aguicheur. Les images déferlent, colorées, floues comme un ludion qui n'a de cesse de se mouvoir.Des ombre chinoises se profilent, le musicien-acteur se tisse une étole de racines fluorescentes qu'il colle sur soi. Une lampe de chevet vient adoucir ce climat cosy et protecteur. Des répercussions toujours en vibrations éclectiques et surprenantes,formes rondes ou allongées. Comme un officiant, un prêcheur, chamane prédicateur, il opère devant nous assis en tailleur. La proximité est charnelle et jour sur les sens de l'auditeur complice de cette messe cérémonie du son. Chamane et grand orchestrateur de ce rituel inattendu pour nous, avec nous. Pythie qui filtre paroles et sonorité pour de bonne augures; des aveux, des parole, de la poésie sonore pour cette flute traversière augmentée,vagabonde en échappée belle pour mieux franchir les frontières des genres .musicaux. Du sexe au final bien trempé, orgueilleux, insatiable pratique naturelle et sensible pour embrasser les corps en tous sens dessus dessous. Les cadres des fenêtres détourné pour aiguiser nos imaginations spatiales sur un monde à la renverse, en ruine ou planté différemment!
Des moments de communion intenses et recherchés pour satisfaire une curiosité salutaire et salvatrice!
 
 
Lovemusic
Emiliano Gavito - flute, performance
Finbar Hosie - composition, mise en scène
Gipsy Vazquez - scénographie
📗Ce spectacle s’inscrit également dans le cadre du programme Lire Notre Monde pour l’année de labélisation de Strasbourg comme Capitale Mondiale du Livre.

vendredi 28 juin 2024

"oh !" : soirée maxi/ mini du collectif OH: oh, surprise chez Apollonia!

 


Apollonia Échanges Artistiques Européens
Dernière soirée OH! de la saison. Grandes largeurs et petites longueurs, cette dernière soirée OH! de la saison joue avec les échelles et les musiciens du Collectif OH! : Kalevi Uibo, Jean-René Mourot, Francesco Rees, Pascal Beck, Michael Alizon, Christophe Imbs, Christophe Rieger, Phillip Klawitter et Philippe Rieger
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Mini ? Maxi ? On s‘invente une règle du jeu avec ses propres projets et enchaîne les formules, avec un minimum de retenue et un maximum de bonheur. Du solo jusqu‘à ce grand ensemble très joueur qu‘est le Dream Weapon Orchestra. On passe ainsi en revue tout ce qui fait notre musique. Dans les diagonales comme en travers, pour petits et grands, pour oreilles mini et maxi gosiers. Pas de limite à la taille du plaisir.
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📅 Jeudi 27 juin, à partir de 17h30
📍 Espace Apollonia, 23 rue Boecklin

Oh, que ça fait du bien de voir, rassemblés au coeur de l'extra-ordinaire exposition de Philippe Jacq "En découdre, un collectif, amoureux de musique, facteur de bruits et de sons au diapason de cette initiative colorée, chamarrée, participative et émancipatrice. Dans le ton donc de l'environnement fertile de l'art de "tapissiers" du réel, passementiers de l'art immersif, voici nos auteurs-compositeurs et interprètes, réunis pour un "work in progress", un bord de plateau inédit où vont se succéder de courtes pièces, sortes de "nouvelles", abouties ou en chantier! A coup de crécelle, cet instrument de charivarieur de carnaval, trublion de la fête, les morceaux se succèdent, animés de bonhommie, de sérieux, de convivialité.
 
Ce ne sera pas une "parenthèse" dans le concert, voici l'ensemble du même nom qui ouvre le bal: le ton est donné: musique inventive, libre, "free" sans concession aux canons de la conformité musicale.C'est au tour de Jean René Mourot d'ouvrir la rubrique "soliste" avec deux solos de "piano", tendre ambiance ou fulgurance du touché pianistique. Les titres des morceaux à inventer: on choisira pour le troisième très ludique; "ludions"ou "manèges" ou "la foire st jean n'aura pas lieu"....Du bon, du beau qui augure de la suite de cet événement insolite. Partageux et en intimité avec le public, autour du plateau. "Frankenstein concerto" en rajoute, du bien pimenté, sauce électro-acoustique et à l'unisson, à l'écoute les uns des autres pour faire monter la mayonnaise. Les instruments exultent, le plaisir de jouer sourd des corps des musiciens, de leurs instruments sous les doigts et dans le souffle de chacun des interprètes galvanisés par cette ambiance de proximité. Notons la fausse modestie de Christophe Imbs qui se cherche au clavier alors qu'il joue savamment des "mélodies" impromptues qui se chevauchent; de l'humour et de la distanciation, pour une inspiration de blagues: celle de la girafe entre autre et la pièce au sujet du "dormeur au volant": des anecdotes piquantes et drôles pour alimenter son inspiration et son imagination fertile.
La soirée va bon train avec un entracte au jardin convivial, bordé de fragrances de menthe et mélisse citronnée: un "endroit" où il fait bon vivre et être "ensemble". Les tartes flambées en nourriture terrestres de bon aloi. On remet le couvert avec une belle prestation très "musicienne" des deux frères Rieger et leurs complices: musique chatoyante, électroacoustique pleine de bidouillages savants en compagnie du guitariste Kalevi Uibo, également maitre de cérémonie de ce "cabaret" free jazz décapant. On est ailleurs sur la planète de la création collective et ça fait résonance et contrecarre la morosité ou monotonie de certaines formations. Du cousu main ou sur mesure dans une jolie démesure pour cette soirée qui "pour en découdre" fait de la haute couture pour essayer et revêtir les plus beaux atours incongrus de la création free jazz et autres détours musicaux: laboratoire autant que marmite magique où chacun s'affaire à faire de son mieux dans des échappées belles: "étonnez- moi, Benoit", ils ont du souffle, du doigté et ce "piano" de cuisiniers à l'ouvrage est une belle plate forme de recettes de maitres queux: un bon moment, plus de trois heures de concert sans "relâche", tendu ou relax, à l'image d'une bonne surprise. "0h" les beaux jours qui n'a de cesse d'interroger la création sous "covid" ou non, fertile bassin de réception d'une tectonique musicale éruptive. Du "cratère", du caractère pour scories déferlantes autant que poétiques. Ce sera au "Dream Weapon Orchestra" de terminer ce festin en beauté après avoir chipé la place à "La Strizza" et à "Plaine", formations du cru à géométrie variable.

 
18h00 Parenthèses
18h15 Jean-René Mourot solo
18h30 Frankenstein’s Concerto
18h45 Christophe Imbs solo
19h00 Plaine
19h15 La Strizza
19h 30 - pause de 30 minutes
20h00 Parenthèses
20h15 Jean-René Mourot solo
20h30 Frankenstein’s Concerto
20h45 Christophe Imbs solo
21h00 Plaine
21h15 La Strizza
21h30 Dream Weapon Orchestra

dimanche 23 juin 2024

(L) Autre: je n'est pas un autre....Les jeux sont faits, carte sur table...

 


MAMCS - Musée d'Art Moderne et Contemporain le 23 JUIN 15H

Après sa création au festival Music Current à Dublin et avant de débarquer au Sound Festival en Écosse, lovemusic présente (L) AUTRE au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg.
Puisant ses inspirations de diverses sources telles que la télévision, le trolling en ligne, la théorie académique et la littérature, (L) AUTRE juxtapose des éclats de colère intenses avec des prédictions mystérieuses d'un voyant incompétent. Pendant ce temps, David Patrick Kelley manie un jeu de cartes tandis qu'une flûte basse est accompagnée de deux voix mystérieuses en arrière-plan.
Dans ce nouveau projet, lovemusic explore le concept de l'altérité - l'état d'être différent et étranger à son identité, étiquetant les individus comme subordonnés et les excluant des normes sociales. Le point de départ de ce projet a été une collaboration avec Sasha Blondeau sur une nouvelle œuvre Autres inapproprié•es, qui fait partie de leur nouveau cycle de travaux "Devenir|s mutant es". En référence à la théorie de Trinh Minh-ha et au concept du Cyborg de Donna Haraway, cette nouvelle œuvre questionne l'identité et la différence. Les œuvres de Neil Luck, Ann Cleare et Bára Gísladóttir explorent des thèmes allant de la représentation aux méditations sur soi et le pouvoir de l'anonymat, tandis que The Hyacinth Garden de Finbar Hosie, à travers des vignettes de The Waste Land de T.S. Eliot, explore la désillusion dans la société dans laquelle nous vivons. 
 

Dans l'Auditorium du MAMCS, c'est la rencontre avec lovemusic que l'on attend: toujours innovante, surprenante, inédite. Un éclairage sur "la transition"et ses processus humains et sonores en introduction de Adam Starke pour éclairer notre lecture de ce programme riche en "différences" et autres formes d'identité et altérité tant menacées de nos jours...
 
Plein feu sur le sujet avec l'apparition de bruits de pas, de crissements joyeux de grillons nocturnes...C'est avec la pièce citée que tout démarre:
de Finbar Hosie • The Hyacinth Garden* • performer, clarinet, viola, e-guitar, electronics and lights (2023)
Quatre petites lampes de chevet comme éclairage intimiste, des sons en ratures, stridences, pincements des cordes, chuchotements de voix: du vrai gribouillage, crayonnage ou coloriage sonore, esquisse à la patte picturale des traits de Cy Twombly . Ca grince, ça s’essouffle, alors qu'un officiant, templier ou devin en chasuble, cartomancier ou voyant, murmure et fait ses plans. Fracas, puis silence pour ce prédicateur de l'apocalypse, espoir ou fin du monde pour celui qui ne resterait pas vigilant face aux remous du monde. De la musique savante sachant mettre le doigt là où ça impacte.

Ann Cleare • eyam iii (if it’s living somewhere outside of you) • bass flute & shadow instruments (2015) :la pièce suivante voit apparaitre Emiliano Gavito, en noir et pantalon doré, silhouette se découpant sur le fond d'images vidéo de nuages passagers sur le ciel bleu. Ils défilent comme les sons de son instrument, soliste, sirène prolongée, amplifiée, entre voix et émission de souffle, interrompu, rallongé en extension spatiales: comme un bourdonnement, une plainte.Crachin et postillon, vols d'insectes en bouche, en boucles obsédantes. Danse et volutes, le son tourne, percute l'espace, se fraye un chemin discret jusqu'à nos oreilles.

Suit, de Bára Gísladóttir • Rage against reply guy, • bass clarinet, violin, cello, e-guitar and electronics (2021)
Des flashs lumineux, une ambiance de fond aquatique et tous sont habillés de noir et tissus mordorés, scintillants:les images vidéo passagères, floues sèment l'atmosphère de furtif, d'éphémère. L'ambiance est lascive en longues phrases musicales. La brutalité, dureté de la guitare, blesse et tranche. Irruption inopinée pour une prochaine cacophonie organisée au flux agressif continu.Les cordes apaisent un instant puis c'est la reprise du chaos déchirant: déflagrations, bouleversements tectoniques à l'appui.
 
L'oeuvre de Sasha Blondeau • Autres inapproprié•es* • flute, clarinet, viola, cello, e-guitar and electronics (2024) s’enchevêtre sans interruption, un appel du saxophone désespéré au diapason de cette évocation de "distinction de soi et de l'autre", position à tenir pour instaurer l'écoute des différences. La bande son très riche défile et cloches et prairies surgissent de ce paysage sonore hors norme
 
Au final, de Neil Luck • Deepy Kaye • performer, viola, cello and video (2018) prend la forme d'un discours, prêche tonique de Emiliano Gavito: conteur qui pose carte sur table, en accord avec les gestes des images vidéo projetées simultanément. Du beau travail synchrone, en cadence, bordant les mains directionnelles à l'écran qui semblent désigner, monter. L'accélération des propos, le jeu de pile ou face de pièces lancées au hasard sur l'écran, fait mouche et touche. Les jeux sont faits? La virulence de l'attitude du porteur de mégaphone en fait un "happy end" percutant, chargé de réflexions sur l'audace d'être soi en ces temps de ségrégation et de "distanciation sociale"...
 
Ce concert éclairant, magistralement interprété par le collectif lovemusic est déterminant et grave, plein de lisibilité poétique autant que politique: celle qui se niche en filigrane entre les portées et notations musicales. Pas de "bécarre" ici mais beaucoup de dièse et d'énergie, de tectonique, d'icônes fugaces, de cartomancie et de hasard qui comme un coup de dés jamais n'abolira la vie.
 
* commissioned by lovemusic, premiere
lovemusic
Emiliano Gavito, flute/performer
Adam Starke, clarinet
Emily Yabe, violin/viola
Lola Malique, cello
Christian Lozano Sedano, e-guitar
Finbar Hosie, electronics

mercredi 19 juin 2024

"Médée poème enragé": engagé....Orpailleuse de toison, médusante Médée, monstre ou femme adulée....

 


Médée Poème Enragé :

Médée aime Jason et ira jusqu’à tuer sa propre famille pour lui permettre de s’emparer de la toison d’or. La radicalité de son amour pour lui – lui qui finira par la trahir – l’amènera à commettre un acte tout aussi radical : tuer ses propres enfants. Jean-René Lemoine nous livre ici une version contemporaine éminemment puissante du mythe de Médée. Il y est question de Médée la « barbare », Médée l’« étrangère » ; de celle qui se fera esclave de Jason, qui se révoltera contre son joug, qui se délivrera de la soumission où elle se tenait prisonnière. Ce mythe ne nous parle-t-il pas fondamentalement de ce que sont les féminismes ?

photo robert becker

Allongé au sol, il-elle gît couverte de son manteau, enveloppe de toile, dos à nous, le crane rasé ou tondu...Une longue robe comme vêtement, soyeuse, brillante, des chaussures à talons ouvertes. Femme, homme, hybride ou androgyne. C'est sans doute à une autre Médée que l'on va se heurter, se confronter ou faire communion. Les paroles sourdent de ses lèvres par le truchement d'un micro amplificateur de son vibrant. Sa voix se fait naturelle à travers un texte d'une grande richesse linguistique, au phrasé recherché, au vocabulaire déferlant. 

photo robert becker

D'emblée l'empathie se déclenche, un processus de complicité étrange se met en place grâce à la proximité que le public entretient de fait avec le comédien. .A l'intérieur d'une cave, sous la voute, rassemblé en U, il vibre dans la tension qui s'installe. Tension des propos et de leur crudité, leur cruauté ou au contraire de leur tendresse.Le personnage est évoqué par toutes ses facette, ses relations avec Jason, son frère, ses enfants qui jalonnent le récit, précis, fébrile, envoutant. Parfois médusée, figée, tantôt alanguie dans des postures suggérant les propos érotiques ou orgiaques , Médée pétrifie, asphyxie, déconcerte mais passionne l'auditoire. Longue silhouette enveloppée de satin de soie plissé, sculpture vivante et mouvante, les yeux animés, vifs, virulents, interrogateurs...


Grâce au jeu très subtil et dosé de Simon Vincent, parfait être androgyne, lisse ou plein de plis et replis de sa robe fanée ou en plissés d'amour. Car c'est d'amour fou et passionné dont il s'agit en ces temps et lieux inondés par un texte proféré pudiquement ou rageusement selon les épisodes de la pièce. Monologue rempli de paysages, d'images très cinématographiques qui lancent et propulsent le spectateur dans des sphères sensibles.On "rembobine", on "accélère" le temps et la course des séquences comme un projectionniste en cabine.Paysages sonores d'ambiance, plage, oiseaux, cris d'enfant comme écrin d'évasion et d'espace mental. Loin des clichés picturaux de Méduse ou autre Gorgones mythiques aux vertus pétrifiantes, notre Médée, humaine, féministe, cruelle et maternelle se livre comme une sacrifiée du destin mais résistante et vindicative. Elle fait "cuire l'oncle, tue sa rivalise, sorcière maléfique mais terrassée par les vendanges tardives de l'amour-fou. Sexe cru et scènes de copulations fort bien évoquées par la plume de l'auteur, lui-même "enragé", épris du personnage.Dans "des nuits de satin blanc" ou des intrusions musicales d'opéras dramatiques, emprunts discrets à Tosca et Tristan et Isolde, le comédien navigue et part à l'assaut de cette furie hors norme qui tient autant de la tendre mère que de la criminelle acharnée.

Un personnage à redécouvrir dans la syntaxe de Jean -René Lemoine qui s'attelle à la tache de ressusciter celle qu'on ne connait que par tranche de vie. Par Corneille entre autre auteur. Dans ce décor nu de cave, mur blanc, escalier en marche comme des reposoirs pour notre anti-héros, objet de cet opus singulier dont la mise en espace d'Hélène Schwaller affirme l'existence charnelle. Attractive, envoutante interprétation d'un comédien taillé pour le rôle, sur le fil, dans le déséquilibre permanent, monté sur ses chaussures à talons, échasses vers le ciel. Un moment de théâtre de chambre, d’alcôve qui fait éclater bien des préjugés et autres considérations au sujet de cette mythologie qui ne cesse de nourrir notre appréhension du présent, de l'actualité. Une pièce souterraine autant que sous-marine au pays des dieux qui nous hantent encore.

photo robert becker

de Jean-René Lemoine, mise en scène Hélène Schwaller, avec Simon Vincent. 

Festival de caves – Théâtre Souterrain à strasbourg le 19 JUIN

 

vendredi 14 juin 2024

"Unruhe", Nolwenn Peterschmitt / Groupe Crisis: le bal des gueux, déboussolé, désorienté, déséquilibré, aliéné...

 


En 1518, une étrange fièvre s’empara de la ville de Strasbourg. Plusieurs centaines d’habitant·e·s furent, en un instant, saisi·e·s d’une maladie qui les poussa pendant plusieurs jours à des mouvements incontrôlés, à une frénésie gestuelle incohérente. Ce que l’on a appelé par la suite la danse de Saint-Guy est au cœur du projet de Nolwenn Peterschmitt, elle-même alsacienne. Que dit l’existence d’une telle manifestation de notre rapport au corps et à l’espace ? Peut-être que, si doué de raison que soit l’humain, il restera une part irréductible de lui-même qui échappera toujours à son contrôle.
 

Au Moyen Âge, chants, danses, rites collectifs, païens et sauvages, ponctuaient l’existence individuelle et collective et contribuaient à souder la communauté. Quelque sept siècles après cette énigme, qu’en est-il de notre besoin de faire groupe, de notre volonté de réinvestir, par la fête et le dérèglement, les espaces publics ? Avec dix interprètes, sur une bande-son où se rejoignent la musique modale médiévale et les tonalités électroniques d’aujourd’hui, la chorégraphe explore tant notre besoin de rites que notre capacité à accepter l’étrange, à dépasser la norme.

Le public est invité au rendez-vous déjà insolite: le terreplein du Hall Rhénus! A quel sport de haut niveau allons-nous assister, tous rangés en ligne sur les marches du parking extérieur...Une jeune femme nous somme de quitter les lieux pour l'écouter conter l'histoire fameuse et fumeuse de la danse des fous de Strasbourg.On l"écoute, en cercle puis elle nous invite à déambuler en toute liberté sur le tarmac d'où l'on va surement décoller. Puis déjà animée de symptômes divergents de dérangement, la voilà qui nous guide en hurlant et courant vers le bâtiment officiel du Maillon. On y pénètre avec curiosité. La grande salle est transformée: plus de gradinage mais une aire de jeu vide, immense, toute noire. A nous de l'investir, marche, démarche collective, participative, incitée par des "barons", meneurs de jeu qui se détachent du public: danse tout azimut comme des Belzebuth de circonstance. 


Le diable va bientôt s'emparer de ces danseurs qui s'improvisent acteurs de cette grande messe, sabbat de sorcière dans des rondes, courses folles, tunnels et autres chenilles, figures collectives et participatives. On se prend au jeu de ces danses folles, histoire de revivre le phénomène d'emprise collective de l'époque évoquée. Ça marche, ça fonctionne grâce au talent de la troupe qui sans forcer la main, provoque la participation de beaucoup d'entre les spectateurs. On peut aussi s'extraire sagement pour adopter un poste d'observation, tant cette foule en délire est fascinante dans son ébranlement spontané. Jouer le jeu sans contrainte et avec plaisir: bouger jusqu'à la transe, hypnotisé par une musique répétitive et omniprésente, envoutante. Le jeu se calme pour laisser place aux artistes au sein du rond de sorcière, arène rêvée pour être observé. Danse de fous qui peu à peu se transforme en hypnose, possession incontrôlée. Assujettis au dérangement, à l'aliénation. Simulation de gestes incontrôlés, de démence, compulsions, soubresauts,les danseurs se vêtissent d'oripeaux dans cette cour des miracles. 


Jerôme Bosch et Brueghel veillent au grain et l'ergot de seigle fait son travail. Jardin des délices ou enfer ou jugement dernier? Une idole se façonne par ses adeptes, affublée de tissus et autres pelures bigarrées.Sur des chaussures-échasses, cette créature chemine au ralenti et semble marotte, totem ou égérie adorée, adulée par la tribu en émoi. Du Charles Fréger, assurément !
 
charles freger

 Petit peuple pasolinien, apollinien, déséquilibré qui bientôt opère une transformation, transmute en horde sauvage, meute animale mal léchée, débridée, animée de désordre mental. Irrespectueuse des lois de la bienséance.On roule, se bouscule, se chevauche sur ce plateau immense. Aux contours délimités de cendres comme pour un futur bucher où brûler les mauvais esprits de sorcellerie. On est bien au pays des fous qui dans une orgie simulée se dévêtissent à l'envi et ruent de plaisir, hurle "ferme ta gueule" pour que tout cela cesse. Charivari, cavalcade et autre carnaval pour rendre vivant ce pan de l'histoire de la Danse de Saint Guy: maladie, ou fantasme, pas de réponse ici. Seule une interprétation singulière et originale, mise en espace et en forme par un collectif de choc, animé d'une énergie compulsive, boulimique, contagieuse en diable. Lucifer aux commandes. L'une d'entre eux s'écroule épuisée, affolée après un solo débridé puis est transportée en cortège funèbre: émotion et rituel sidérant plein de recueillement.On copule,culbute, se renifle comme des bêtes en rut.Sans autre forme de convention ni pudeur.Tout se  calme dans de belles lumières et des faisceaux bordent une sculpture vivante qui se fond peu à peu dans l'obscurité. Le bal est terminé. Les corps épuisés se rendent et se soumettent à la loi de la perte des sens et à l'absurdité de cet épisode encore énigmatique et inquiétant. Des "intranquilles", unruhig" et indisciplinés pour mieux perdre ses repères et vivre une expérience de spectateurs-acteurs, insolite...

"Dansez, dansez" disait Pina Bausch..."sinon nous sommes perdus"...On songe au roman de Marie Frering "Les souliers rouges": guerre des paysans et folie collective de cette autrice proche du Bastberg, colline aux sorcières mythique en Alsace....

danse France COPRODUCTION MAILLON

  Au Maillon  13 juin 2024  14 juin 2024 21:00

  • On se souvient aussi de la "danse des fous, fous de danse" initiée par Mark Tompkins et Degadézo lors de l'exposition: "1518: la fièvre de la danse"en 2018 à Strasbourg au musée de l'oeuvre notre dame

  • pour l'histoie...

https://www.rue89strasbourg.com/strasbourg-epidemie-de-danse-de-1518-143726

 

 

mercredi 12 juin 2024

"Norma" : divine idole lunaire, hors Norme. Plaque tournante des mélodies d'opéras les plus lyriques..

 


Norma
Vincenzo Bellini Nouvelle production de l’OnR.


Opéra en deux actes.
Livret de Felice Romani.
Créé le 26 décembre 1831 à Teatro alla Scala de Milan.


Alors que la lune est déjà haute dans le ciel, une foule d’adorateurs bruisse de mille rumeurs. Celle qu’ils attendent avec tant d’impatience viendra-t-elle exercer devant eux son art mystérieux ? Certains en doutent, d’autres guettent fébrilement son apparition. Enfin, le silence se fait et leur idole s’avance à leur rencontre pour se prêter au culte ancestral, les yeux fermés et les bras croisés sur une parure sublime. Le temps semble suspendu à ses lèvres qui forment sur son visage impénétrable un sourire énigmatique. Le miracle tant désiré se produit : sa voix d’or s’élève dans le plus grand des recueillements pour entonner son hymne éternel, « Casta Diva », dédié à la déesse lunaire. Derrière cette assurance sans faille se dissimulent pourtant les blessures d’une femme trahie dans son amour et lasse de son sacerdoce.


De tous les rôles du bel canto romantique, celui de Norma est réputé comme l’un des plus exigeants, nécessitant de la part de son interprète des qualités exceptionnelles. Délaissé au début du XXe siècle, c’est Maria Callas qui le sort de son oubli relatif et fait de sa cavatine un air signature, allant jusqu’à proclamer : « Bellini a composé
Norma pour moi. » Depuis, les plus grandes interprètes s’en sont emparées. C’est au tour de Karine Deshayes de perpétuer cet héritage dans un nouveau spectacle de Marie-Eve Signeyrole dirigé par Andrea Sanguineti.

De la Callas, il sera question tout au long de cette adaptation audacieuse du livret de Norma. Qui est le clone de qui? Callas faite Norma pour la postérité, la légende et l'éternité! La difficulté d'être soi-même pour une icône de la voix, du belcanto, de l'opéra.L'orchestre introduit l'action, les intrigues et autres rebonds d'une histoire singulière. Entre Gaulois et Romains, ce village d'Astérix redonde d'images de mise en scène qui glisse d'un espace à un autre grâce à cette mythique scène tournante, ici surexploitée. Quatre espaces où les personnages vont et viennent, se glissent à travers le miroir et nous guident dans les méandres physiques et psychologiques de Norma, figure et idole adulée. Mais oh combien humaine et troublante. Le morceau de bravoure, ce "Casta Diva" qui habite plus d'un mélomane, file sans heurt. Karine Deshayes incarne cette femme de légende avec aisance, noblesse et respect. Sa voix puissante autant que modulée en fait une passeuse d'émotions, de grandeur: entre pudeur et folie meurtrière et destructrice. Face à elle dans un duo extraordinaire, Adalgisa, Benedetta Torre rivalise de charme et de technicité vocale, prouesse et vertige des aigus, densité et rondeur des vocalises, fuite des mélodies savantes. Une caractéristique des opéras de Bellini, entre récitatifs et chant lyrique.Le destin fait traverser des lieux incongrus aux personnages qui passent d'un lieu à l'autre, la scène tournante, comme un livre dont on feuillette les pages en les tournant.


Des images vidéo au dessus des têtes pour troubler l'espace, les dimensions entre réalité, fantasme, mémoire et fiction. Callas nous livre des propos épistolaires scellés sur l'écran, alors que Norma se débat avec sa destinée.Décor et costumes plutôt sombres, contemporains ou échappés d'une époque révolue. Noir, c'est noir pour cette égérie de l'Opéra, cette oeuvre que l'on rencontre ici avec bonheur et intérêt. Les hommes de l'histoire, Pollione, Norman Reinhardt et Oroveso, Onay Kose comme de véritables partenaires de plateau pour ces deux divas de la tragédie. L'orchestre et le choeur en osmose avec la narration musicale, puissante et très présente, ornement de poids de cet opéra fétiche. Les histoires s'entremêlent, Callas et son environnement social et artistique se fondant avec les héros de l'opus. Une position, proposition originale de la metteure en scène, radicale, Marie Eve Signeyrole qui peut se défendre pour aboutir à une complexité étrange. Un spectacle qui tient de la prouesse vocale assumée, à la tourne inévitable de destins qui font "révolution", retour éternel et répétition des affres de la vie agitée de ces figures de proue de l'Opéra. Cap sur l'actualité de l'époque de la Callas, obnubilée et prisonnière de son image, fatal déclin et descente aux enfers en filigrane.

 


Distribution

Direction musicale Andrea Sanguineti Mise en scène et conception vidéo Marie-Eve Signeyrole Décors et costumes Fabien Teigné Dramaturgie Louis Geisler Lumières Philippe Berthomé Vidéo Artis Dzerve Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin Hendrik Haas Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse

Les Artistes

Norma Karine Deshayes Adalgisa Benedetta Torre Pollione Norman Reinhardt Oroveso Önay Köse Clotilde Camille Bauer Flavio Jean Miannay

 photos klara beck

 A' l'Opéra du Rhin jusqu'au 20 juin