"Une pièce de Tchekhov à découvrir de toute urgence... au coeur des bois dans un lieu magique... qui parle de cette terre que l'homme ne cesse de détruire, d'un monde qui peut basculer, des humains en quête d'eux mêmes... "
Avec une équipe de 11 comédiens, mise en scène Serge Lipszyc
On y parvient par une route forestière escarpée, sinueuse à travers taillis et futaie: en bout de course s'ouvre la vallée de la Faveur, bien méritée, étape finale de ce voyage sylvestre à l'heure de l'apéritif: une joyeuse assemblée, nombreuse, bruisse et s'installe après une première étape apéritive, sur des chaises alignées en bord de propriété terrienne. On y serait déjà chez Tchekhov, question de territoire et de territorialité, de racines et d'héritage familial.
Peu à peu les personnages apparaissent et l'on familiarise à petit pas avec leur univers, leurs positions respectives dans une famille faite de liens, d'histoire, de relations qui se tissent, se bonifient, s'enveniment. Car il sera question de filiation, d'amour, de quête de l'absolu pour les une et les autres, hommes et femmes bien nés, ou rescapés d'autre origines sociales. Champêtre en diable, l'atmosphère, au sein de la propriété des Siptrott, artistes, peintre paysan ou sculptrice atypique et généreuse. C'est aussi la filiation ici qui se joue pour de vrai, sans fil à la patte, avec toute l'intelligence et l'esprit de partage des "parents". La verte vallée sera le réceptacle idéal de ce conte bucolique où la foret est évoquée, contemporaine de nos soucis actuels, comme un joyau à préserver, comme un "hêtre" à considérer et ne pas maltraiter C'est Yann Siptrott qui joue le rôle du "bon sauvage", militant sylvestre, docteur, soignant les plaies de la nature et de l'homme. Il deviendra lui-même l'incarnation du bien être, ou du mal hêtre, bien né dans le bien naître originel.
Tchekhov au cœur de la nature, en famille dans un huis-clos ouvert à tous les possibles,sur le paysage magnétique qui s'offre au spectateur. Du "tout terrain" sans "caillasse" pour ces "matamores" de la comédie, du théâtre "forestier",vivant ,trois troupes, compagnies réunies sur ce projet hallucinant.La garden party inaugurale, en prologue positionnant chacun des protagonistes comme des individus remarquables, solidement campés par chacun des interprètes.
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photo robert becker |
On passe au second acte en migrant, nomade avec sa chaise pour s'offrir une place de choix, face a l'atelier des deux sculpteurs "maison": un décor en grandeur réelle, les sculpture faisant office de personnages pétrifiés, immobiles, pris dans la tourmente de l'énigme, de l'action qui va naître et se profiler. Personnages plein de grace et de charme, aux couleurs pastel, figés dans des instants chorégraphiques saisissant de mouvance tétanisée. Pompéi ou mannequin à la Kantor? Le décor est campé, tous sont présents, assis, alignés sur le plateau, belle estrade de bois brut en plein air.Très beau tableau de composition picturale structurée, distribuée selon les tons beiges des costumes, associés aux sculptures, sous le cèdre. Dans les verts tendres aussi, sous sa couverture et dans son fauteuil club, vert pastel, le patriarche Alexandre se plaint du mal de la goutte et pollue l'atmosphère de sa mauvaise humeur; c'est Serge Lipsyck qui s'y colle à ce personnage odieux, mal léché à l'humeur dictatoriale et condescendante. Il fait face à chacun, son docteur, sa fille, ses "vassaux" obéissants qui ne tarderont pas à se "soulever", révolte légitime devant tant d'autorité infondée de vieux teigneux acariâtre.
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photo robert becker |
Sa femme, toute jeune est rebelle dans l'âme et se frotte à lui pour l'amadouer: c'est l'actrice longiligne créature de rêve, cheveux longs et allure noble et gracile, Amélie Belohrasky tient ce rôle subtil et plein de nuances. Les intrigues se nouent peu à peu entre les personnages: Georges, l'impétueux, Bruno Journée tonitruant qui dénote dans cette famille constituée de tant de membres disparates et précieux pour faire avancer la machine cruelle du destin en marche.L'orage menace et gronde, la pluie peut s'abattre sur ce petit monde, telle la météo capricieuse de ce soir là! Les conjonctions et constellations s'alignent, prometteuses pour le déroulement de la pièce en pleine nature, "sauvage" certes mais bien "domptée" par la main de l'homme des bois ou des vallées!
La violence des relations est physique, on s'empoigne, on s'étreint avec passion, dans la tourmente des sensations. Le médecin est amoureux de sa petite "lumière", Sofia, luciole parmi les vautours présents; c'est l'arbre qui cache la foret et avance, le bon ou le mauvais sauvage dans cette nature à la J.J. Rousseau!
Le regard rusé et soupçonneux de Sofia, incarnée par Pauline Leurent,.personnage magnétique, arbitre Eléna, terne et épisodique femme surprenante,
Ils sont ivres aussi ces gens là, devant une petite planche remplie de verres d'alcool, face à nous, trio plein de verve dans la déconfiture de leur sort qu'ils semblent fuir et ne pas maîtriser: on se noie dans un verre, comme Fiodor, beau parleur, incarné par Jerôme Lang;les harcèlements des arguments frappent fort et on s'étripe violemment dans ce microcosme sociétal bourgeois fait aussi de pièces étrangères rapportées! On est "touché" par le jeu des acteurs, fragiles et émouvants comme Eléna, frêle silhouette touchante et émouvante. Quand il faut vendre in fine le domaine, c'est le drame qui se profile: les histoires et les aveux se délivrent, ceux de Georges et de sa mère, sacrifié à la tache ingrate pour sauver et bâtir le patrimoine. Un vassal à genoux devant le parrain: la cruauté des relations humaines est irrévocable, frappe et tue!
Abattre des arbres aussi;métaphore de la vie est le credo de Sauvage, propriétaire terrien, aux idées novatrices, prémisses d'une écologie savante et tripale. Prémonitoire !
Entracte après toutes ces péripéties introductives, avec une délicieuse assiette sauvage, partagée à la buvette, fromages et charcuterie de proximité, circuit court et assiette écolo pour réceptacle! Du bon, du simple mais gouaillent et généreux !
Un théâtre sylvestre, pastoral, qui cache la forêt shakespearienne...
Retour au spectacle, près de l'étang au crépuscule du soir, dans une douce fraîcheur ambiante. Chants d'oiseaux, lumière du couchant sous le cerisier plein de fruits défendus! Sophie Thomann , rayonnante Ioulia, slave, généreuse apparaît en lavandière au bord de l'étang bordé d'iris sauvages!
Délicatesse des lumières de quelques projecteurs magnifiant la blancheur des costumes...
Apparition des personnages, au loin dans le décor naturel qui offre de longues perspectives au regard, au sein de la vallée qui s'endort.Mieux que Bussang ou digne d'un film de Joseph Losey ? Très cinématographie, plein champ, plein cadre en grand angle pour rehausser les perspectives pastorales et champêtres du lieu: et ouvrir l'univers de cette famille, épilée du terroir, chassée de chez elle volontairement,chez Diadine. A la lisière de la foret, au son de l'accordéon de Olivier Fuchs, l'ami de toujours, naif et incongru personnage, bouc émissaire jovial ! Il y a de la tension dans l'air dans cette oasis de verdure où l'on vaque aux travaux domestiques: linge, dressage d'une table nappée de blanc, fantomatique, parmi les autres êtres eux aussi, couverts de peaux de mouton blanchie, bestiaire judicieusement éclairé comme un espoir de candeur retrouvée D'humanité reconquise.Par la grâce et la présence du lieu magnétique qui ensorcelle l'intrigue.
La brume se lève, borde l'espace, couvre se ses cotonnades la cruelle réalité. On irait vers une réconciliation, on se rabiboche, on répare dans cet atelier de la vie sans concession.
Autour du samovar, on se rassemble même si ce n'est pas sa tasse de thé. "Rendre les armes, fumer le calumet de la paix, pardonner, s'excuser, se retourner comme le parrain, blessé que sa femme, jeune, a quitté.
"Je suis un sauvage dans la foret obscure que nous abîmons" , mesquin et sans talent ,entonne le Sauvage médecin...Célèbre, ou héros, canari empli de bonheur en cage pour Sonia.. Mieux vaut boire et s'enivrer ! L'écho des voix des comédiens opère comme par magie et le "commandeur" surgit, figure emblématique, déchue! Un incendie au loin effraye le monde, des amoureux retrouvés font des roulades sur la pente: une fin débonnaire, très commedia dell'arte ou vaudevillesque, à la Molière ou Feydeau pour clore en épilogue cette épopée joyeuse et meurtrière !
Le tempérament russe resurgit en musique et chant, loufoque, drôle, rebondissant en réparation d'intrigues amoureuses!
C'est une farce à la Tchekhov, parfois légère ou tragique, pleine de tonus dans ce bal de nymphes, ou guitares, accordéon et voix, s'emballent gaiement.
"Isadorables "en diables, les comédiens se lâchent et les personnages lâchent prise dans un beau charivari
Une mise en espace judicieuse et en "correspondance" avec le "lieu" si bien adapté à cette épopée bien relevée ou les talents des comédiens épousent la nature qui les entoure avec dévotion et respect, symbiose et osmose de bien des volontés et intentions de tous ces protagonistes du théâtre, "autrement" partagé!
On se quitte près des feux de camp, réchauffés par tant d'ivresse et de complicité partagée
Les "maitres" , esprits des lieux, présents, accueillants,gardiens et veilleurs de la vallée, à la "faveur" ce soir là de Tchekhov si bien revisité;
On chemine au retour, accompagnés de "lucioles" ces petites lumière sylvestres de bonne augure. Ces petits projecteurs discrets que l'on nomme aussi au théâtre en Italie et chez Pasolini!
"Sauvage" jusqu'au 30 Juin
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pour mémoire !
SAUVAGE
Anton Tchekhov
Mise en scène, adaptation : Serge Lipszyc
Avec : Amélie Belohradsky, Olivier Fuchs, Geoffrey Goudeau, Bruno Journée, Jérôme Lang, Pauline Leurent, Serge Lipszyc, Isabelle Ruiz, Yann Siptrott, Sophie Thomann, Patrice Verdeil
Musiques : Olivier Fuchs, Yann Siptrott
Lumières : Râ et Morphée
« Les forêts, il y en a de moins en moins, les rivières tarissent, le gibier a disparu, le climat est détraqué, et, chaque jour, la terre devient plus pauvre et laide. »
Anton Tchekhov
Ce projet, c'est l'an 1 d'un nouvel élan. Né de la rencontre de Yann Siptrott et Serge Lipszyc, autour de l'envie partagée de faire du théâtre autrement : de la production à la rencontre avec le public. Se retrouver, ensemble, au plus près des spectateurs dans cet espace magique en pleine forêt vosgienne, le Guensthal, (la vallée de la Faveur) chez les Siptrott's. Cette aventure a pour vocation de s'inscrire dans le temps. Créer "Sauvage" dans ce lieu et cet esprit est fondateur pour nous.
Petite note
J’ai eu la chance de mettre en scène et jouer Oncle Vania. J’ai dirigé des ateliers de réalisation sur L’Homme des bois. Ma conviction est faite. Sauvage, c'est le titre que je donne à mon adaptation, est une prodigieuse partition. Elle recèle comme Platonov tous les ingrédients du génie Tchékhovien.
Il faut l’entendre et la partager.
Pour jouer Tchekhov, il faut une équipe. La genèse de notre aventure porte en elle tous ces espoirs. C’est en travaillant en stage autour de ces oeuvres que l’équipe s’est formée. Le désir d’oeuvrer ensemble, la nécessité de faire entendre aujourd’hui cette parole pleine d’humanité, de lucidité et d’espoir, voilà ce qui nous a décidé à nous lancer dans ce projet audacieux. La beauté du lieu, planté au coeur de la forêt, comme un appel… « C’est ici le lieu des prodiges. On voit roder l’homme des bois et la sirène est dans les branches… » Pouchkine cité par l’un des personnages de la pièce… L’écriture tchekhovienne nous a happé.
Serge Lipszyc , metteur en scène
Ce projet collectif est porté par la compagnie du Matamore, la compagnie Caillasse et le Théâtre Tout Terrain.
Sauvage, c'est une pièce qui questionne le vivre ensemble, le rapport de l’homme à la nature, qui parle d’écologie très concrètement.
Sauvage, une pièce qui parle de nous dans notre rapport aux éléments, au climat.
Une pièce qui parle de la difficulté d’aimer, de la difficulté à dire, à exprimer.
Une pièce où l’on rit, on pleure, on se déchire, on boit ,on chante, on meurt, on vit.
Sauvage, c'est Tchekhov, notre contemporain !
Sauvage s'est imposé à nous comme une évidence, celui de bâtir autour d’un rêve artistique, une aventure humaine.
Réinventer une fabrication plutôt qu’une production. Cela veut dire, penser le projet dans sa globalité, et à qui nous souhaitons le partager et l'adresser. Penser au public, lui donner le plaisir de voyager dans l’intimité du processus créatif. Pour cela, nous souhaitons proposer des journées de théâtre lors de la création. Le public sera invité à participer à une journée complète au théâtre avec la possibilité de pratiquer (atelier de jeu, de lecture dans la forêt, sensibilisation à l’univers de l’auteur, rencontre avec l’équipe artistique…)
"Le spectacle naitra au coeur de la forêt. Il poursuivra sa route en extérieur mais une version en salle sera aussi disponible . Elle sera donnée dans une configuration scénique particulière. Nous jouerons au plus proche des spect-acteurs, en partageant repas et boissons."