lundi 17 avril 2023

"Comment les fleurs sèment" et s'aiment , atout para-vent!

 

"Comment les fleurs sèment"

40 minutes, pour 40 personnes, autour de 40 plantes : une session intimiste et poétique. 
On est accueilli et cueilli au sein du Vaisseau par les jeunes pousses de l'organisation de ce "curieux-festival" qui ne cesse de surprendre et de nous ravir...Jusqu'au fond du jardin du Vaisseau, un jardin botanique de charme où nous conduise un couple de musiciens: elle, chanteuse à la longue chevelure et la belle carrure, lui, guitariste complice, accompagnateur. 
Ensemble ils proposent avec « Comment les fleurs sèment » une déambulation botanique en chansons, un bouquet d’émotions et de connaissances : une intime anthologie pour cultiver l’art de cueillir des mots, des notes et des fleurs bien plus que cela car attablé à une table de jardin, le public se laisse conter fleurette par les deux protagonistes. L'amour est aussi une histoire de plantes qui se relient entre elles et se racontent peut-être "des histoires d'amour" ou en vivent tout simplement. Car le "fruit" de l'amour entre les végétaux existe bel et bien: pomme ou autre fruit défendu par la légende ou la religion...Les fleurs qui seront l'essentiel du répertoire abordé par ce musicien-mathématicien et cette chanteuse-botaniste, au coeur de leurs échanges et discussions. Une fleur aime-t-elle, une fleur attend-elle le retour de celle que vous avez cueillie pour en faire une déclaration d'amour en un "je t'aime, un peu, beaucoup" en arrachant les pétales? De belles découvertes de chants en espagnol, en français composent ce "récital" insolite: une "jeune fille en fleur", un chant d'Aragon, une salade de fruits, "jolie, jolie" ponctuent ce moment partagé, intime et convivial . La voix de Emma Daumas, veloutée, lactée et savoureuse, murmure, susurre à l'oreille la poésie des mots et des mélodies. Une très belle diction et sensibilité musicale, infimes aveux en secrets pour flèche séductrice et enjôleuse.Tendresse, amour et passion pour évoquer le monde végétal, vivant, communicant. Une jolie ressemblance avec Barbara Hannigan... 
Si l'on veut bien rapprocher la science et les mathématiques de cette poésie sonore et musicale comme le suggère Laurent Derobert c'est pour mieux déguster et inventer des rhizomes qui parcourent ce monde et marcottent leur territoire. Et au final, comme une petite cérémonie rituelle chantée,les graines seront plantées par le public dans un bac de terre fraichement battue aux plessis hors sol: graine de chaque plante évoquée durant cette balade joviale et tendre à propos du végétal. Un jardin extraordinaire, fabuleux, inédit....Qui peut-être aura la mémoire de cet événement car les graines enregistrent le vécu et pourront en faire part à nos successeurs! Un duo de charme où l'on frissonne comme des tiges au vent, balancé par les mesures, cadences et autres souffles bienveillants sur la "considération" et le "respect" des plantes. Plantes des pieds bien ancrés et enracinés pour ne pas "se planter" dans cette verdure poétique étonnante.

Emma Daumas est une chanteuse, auteure, compositrice et romancière française. Si elle s’est faite connaître du grand public par les voies d’un télé-crochet populaire sur TF1, la Star Ac, elle se déploie aujourd’hui dans diverses formes créatives et narratives, de la Chanson française à la performance contemporaine.

Laurent Derobert est chercheur en mathématiques existentielles (CNRS-GREQAM).
Son travail mêlant algèbre et poétique est régulièrement présenté dans les centres d’art (Palais de Tokyo, MoMA, Villa Médicis). 


Au Vaisseaux à Strasbourg le 17 AVRIL dans le cadre du "Curieux festival"

samedi 15 avril 2023

Concert pour le 60 ème anniversaire du Traité de l'Elysée: que la joie demeure....A Strasbourg et partout ailleurs....

 


Concert pour le 60e anniversaire du Traité de l'Elysée

par le  Choeur philharmonique de Strasbourg

 Première collaboration entre le Choeur philharmonique de Strasbourg et l’Orchesterverein de Stuttgart à l’occasion du 60ème anniversaire du traité de l’Elysée le vendredi 14 avril à 20h à l'Église Saint-Paul à Strasbourg. 

 Programme : Ludwig van Beethoven, Symphonie n°9 

Peteris Vasks, Dona Nobis Pacem 

Alexander Adiarte et Catherine Bolzinger, Direction, Andreea Soare, soprano Belinda Kunz, alto Glen Cunningham, ténor Damien Gastl, basse 

"Le 22 janvier 1963, le président français Charles de Gaulle et le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer signaient à l’Élysée le traité du même nom qui devait sceller la réconciliation entre les deux voisins."
Dans l'esprit de ce traité, le Choeur philharmonique de Strasbourg construit un jumelage avec l'OrchesterVerein de Stuttgart - cette première collaboration propose la 9ème symphonie de Beethoven et le Dona Nobis Pacem de Peteris Vasks, en 2023, à Strasbourg et à Stuttgart, pour marquer les 60 ans du traité de l'Elysée.Les artistes interpréteront la Neuvième symphonie de Ludwig van Beethoven ainsi que Dona Nobis Pacem de Peteris Vasks, compositeur letton né en 1945 – une oeuvre à l’opposé stylistique des prouesses beethoveniennes, toute en nappes immobiles et mélodies imperceptibles – deux façons de porter un même message : un appel à la concorde fraternelle, en résonance particulière dans le contexte international troublé que nous connaissons.

Alexander Adiarte et Catherine Bolzinger se partageront la baguette pour ce concert exceptionnel. Un quatuor de solistes européens issus des meilleures formations lyriques compléte le plateau musical.

 

"Dona nobis pacem" de Peter Vasks
 
"Première plongée immersive dans les eaux baltiques de Peteris Vasks, avec Orchesterverein Stuttgart e.V. - première prise de contact, les sons s'irisent doucement, l'écrin se prépare, il ne reste qu'à y joindre les voix du Chœur Philharmonique de Strasbourg
Diriger un choeur ou un orchestre, c'est comme faire un puzzle - petit à petit, l'image apparait - c'est magique et j'adore ça !"
Paroles de Catherine Bolzinger qui ce soir là s'illustre par la maitrise musicale d'un choeur galvanisé par les circonstances et le lieu magnétique de l'église ST Paul. Un nombre impressionnant de choristes pour soutenir, porter cette oeuvre courte à l'ambiance recueillie et solennelle, préfigurant l'écoute de la symphonie de Beethoven qui va suivre: comme un échauffement, une mise en bouche, en "oreille" pour l'auditeur déjà plongé, immergé dans un univers pacifique Que des cordes pour l'occasion pour mieux glisser dans l'ambiance, laisser couler et faire fondre l’élixir d'une musique feutrée, méditative et parfois lente, passive. Du bel ouvrage pour le choeur dirigé ici par une cheffe au zénith de sa carrière ou à l'aube de toujours nouvelles expériences. Des chanteurs convaincus, alertes, vivants comme une masse sonore où se fondent les pupitres à loisir.
 
Morceau de bravoure pour la suite du concert tant attendue.. Voici donc le "best seller", l'oeuvre phare de la réconciliation, de l'union et de la fraternité entre les peuples. L'orchestre s'enrichit des vents et petite percussion.Quatre mouvements célèbres pour ajuster l'orchestre, le chef aux aguets et très volubile, Alexander G.Adiarte le choeur qui attend son tour au final et les solistes, présents, attentifs au déroulé de l'oeuvre, attendant leur heure avec attention et partage.
Du bel ouvrage pour le berceau acoustique de l'église qui résonne de ces aveux musicaux de liaison, de lien entre les hommes par des mouvements de vagues musicales, amples, toniques, très contrastés et fulgurants. La chair de poule se fait hérissante pour l'auditeur, séduit et malmené aussi par tant de tempête, de mouvements et oscillations de cette partition symphonique sans faute ni piège à priori. Et les solistes de s'introduire dans cette ambiance de fête votive ou païenne, cette cérémonie de couronnement de l'homme réconcilié avec le monde. Voix de baryton de Damien Gastl, chaleureuse, habitée, à la diction de rêve, la langue allemande maitrisée dans sa musicalité et dans le sens donné aux paroles. Glen Cunningham, ténor pour le soutenir, l'accompagner et les deux voix féminines de la superbe soprano Andreea Soare, bordée de la mezzo-soprano Belinda Kunz, chaleureuse et profonde. Le choeur entonnant le leitmotiv tant connu qui sourd peu à peu de l'orchestration, comme un retour éternel qui tend et surprend toujours la tension de ce chef d'oeuvre que l'on redécouvre à chaque écoute. Un moment musical de haute tenue où la puissance de cette symphonie s'impose et balaie toutes nos hésitations à s'engager dans la fraternité et la beauté d'une architecture tectonique sonore d'une ampleur inouïe. Un choeur à la grande envergure, un orchestre au diapason et deux chefs généreux et engagés dans un processus séduisant et convaincant de restitution d'une oeuvre magistrale.
Une soiré hommage mémorable.

Le 14 avril 2023 à ST Paul 

vendredi 14 avril 2023

"Print" : Sylvain Cathala en quintet de charme et de surprises musicales imprimées d'un cachet singulier.


 En quelque 25 ans d’existence, le groupe Print du saxophoniste Sylvain Cathala aura passé par d’innombrables métamorphoses (jusqu’à se gonfler parfois aux dimensions d’un mini big band !) en conservant toujours au cœur de son dispositif le quartet originel composé de Stéphane Payen au saxophone, Jean-Philippe Morel à la contrebasse et Franck Vaillant à la batterie.

C’est dans une formule en quintet, augmenté pour l’occasion des sonorités mutantes du piano modulaire de Benjamin Moussay, qu’il se présente aujourd’hui pour une musique toujours plus organique et expérimentale. Conjuguant la densité d’une écriture hautement sophistiquée avec l’intensité et l’énergie d’improvisations follement débridées, Print continue de faire de sa musique un petit laboratoire raffiné et poétique où le jazz bouscule ses certitudes.

En première partie on assiste à la restitution de la master class de Sylvain Cathala par les élèves du Djemi. Et c'est un trio qui fait ce beau lever de rideau devant une salle comble. Beau challenge pour ces artistes en herbe, très concentrés, piano, saxophone et batterie, très "jazz" dans deux pièces courtes où le saxo dialogue avec la batterie pour un rythme relevé, enflammé, résonant à l'envi. Pour la seconde formation de circonstance, un invité parmi eux: le pianiste Benjamin Moussay qui leur fait l'honneur et la sympathie de se joindre à leur formation: belle surprise pour le public conquis. Trois saxophones, une contrebasse, une guitare et batterie pour cette équipe de charme.

Puis voici la formation de Sylvain Cathala qui s'empare du plateau avec aisance et bonhomie, décontraction et flegme en apparence. Une bonne dizaine de morceaux choisis parmi leur répertoire commun où chacun s'ingénie à faire place à l'autre sans "solo"virtuose à bon escient. Musique lumineuse, enjouée malgré son caractère savant et très élaboré. Le percussionniste Frank Vaillant allant réajuster la sonorité de son instrument, accorder sa peau à chaque pause brève! Du rarement vu aux dires de Sylvain Cathala, admiratif devant tant de"professionnalisme maison". Et "la nave va" plus d'une heure durant, flamboyante et généreuse prestation, musique déferlante d'où émergent des paysages changeants.  Où l'on se met sur son "31", belle pièce en soi, troublante composition versatile.Le piano électronique modulaire de Benjamin Moussay, curieuse protubérance accolée au pupitre laissant filtrer des sons aiguisés, malmenés et très étonnants. La vélocité de l'interprète faisant le reste, gazouillant à l'envi avec le saxophone, en bonne compagnie et de concert bien chambré. Contrebasse-Jean Philippe Morel- aux petits soins pour son instrument percussif, et Stéphane Payen au saxophone pour couronner ce groupe aguerri à la performance complice et débridée.Cette formation inédite pour le plaisir de l'écoute, dérangée, déstabilisée par des morceaux courts, brefs, "studies", études,sorte de petites nouvelles musicales sorties d'un grimoire inédit. Pour le plus grand plaisir du public et des interprètes chargés ce soir là d'une mission enchanteresse de décliner et répandre les effets bienfaisants de ce jazz-laboratoire expérimental de bon aloi! Merci aux organisateurs et fédérateurs Philippe Ochem et Michael Alizon de nous avoir laissé être "témoins" de cette généreuse prestation inédite." Impressionnante" formation que ce "print" qui imprime son sceau , son cachet singulier, empreinte insolite sur la musique jazz d'aujourd'hui.


 Stéphane Payen saxophone alto Jean-Phillippe Morel contrebasse Franck Vaillant batterie Benjamin Moussay piano

Jeudi 13 avril 2023 20h CMD - auditorium dans le cadre de "JAZZLAB" N° 5 du 11 Au 15 AVRIL


 

jeudi 13 avril 2023

"Botanica" : et si les plantes avaient des é-motions...Lovemusic se "plante verte" dans le terreau fertile de la botanique...

 



"Botanica" Collectif lovemusic  "Theories for living things"

Huit musiciens interprètent des créations du compositeur contemporain Daniel D’Adamo et nous invitent dans un jardin botanique et musical où les plantes surgissent au détour d’une mesure, d’une note. Au gré des tableaux, le vivant nous dévoile ses secrets et ses mystères. Nous sommes alors assemblés dans un paysage qui ne cesse d’évoluer pour nous révéler les richesses et les fragilités des plantes.

 Le décor est "planté"pour une introduction des "Prima lista botanica", sortes de ponctuations, d'entremets ou d'intervalles entre les quatre pièces maitresses du programme. C'est murmures et images à l'appui, ça respire, rythmé, inspiré, aspiré comme des parfums, des fragrances sonores multiples: cela augure des meilleures intentions d'interprétation et de composition! A la manière du "Catalogue de fleurs" de Darius Milhaud, ces accumulations, inventaire à la Prévert sont jouisseuses, bruissantes, évocatrices des sons , accordéon, violon, violoncelle, percussions, clarinette, guitare, voix-soprano et flûte au rendez-vous.

 La première pièce "Le cactus" est introduite par la maitresse de Cérémonie, Manon Corbin et agrémentée des informations savantes de Audrey Muratet, botaniste, écologue émérite. Prologue édifiant sur les caractéristiques de la plante cactée , savoureuse, qui transpire la nuit, épineuse qui stocke l'eau en dessiccation nocturne et qui demeure permanente dans le temps, semblant échapper à toute transformation visible, perceptible...Erreur car le cactus évolue lui aussi, plante succulente et changeante malgré les apparences invisibles..Le compositeur fait écho à cet état de fait et transcrit, prolonge et adapte ses compositions aux données scientifiques. C'est la partie narrative et magique de l'oeuvre qui nous est contée par les musiciens à tour de rôle et contraste avec la version savante de la botaniste. Bienvenue donc à la fantaisie de ces sons au départ figés, ténus, ces mouvements dans la lenteur qui illustrent la longévité de la plante épineuse qui retient l'eau et le temps. Glissando des hauteurs, stoïcisme et magie du cactus empli de pouvoirs étranges et divinatoires. Du surnaturel dans le mode de jeu: des trémolos pour les cordes en accord avec les images découpées sur l'écran, projetées, figures d'algues, lumières de photosynthèse dues à l' inspiration de la graphiste plasticienne Elsa Saunier .La flûte respire, clarinette et violon se répondent dans une conversation débridée.




La seconde pièce "Le moabi" évoque cet arbre mythique, gigantesque, poirier d'Afrique dont les fruits sont mangés par les éléphants, porteurs des graines, dispensateur et fécondateur à son insu. Cette pièce est un laboratoire sonore de correspondances multiples à la Beaudelaire: le son des fruits qui tombent évoqué par des vibrations telluriques des pas de l'éléphant Les vitesses rapides avec gammes descendantes évoquent la chute des fruits odorants, mous Des tempi plus lents façonnent l’icône calme, reposante de cet arbre majestueux qui règne en prince. L'air vibre entre la voix et la clarinette pour cette légende poétique à souhait.Des glissades, glissements sourdent de la musique en dégringolade. La largeur de l'arbre se fait présente, son écorce qui rend invisible se fait image diffractée sur l'écran en phases de kaléidoscope.

Encore quelques entremets sonores de mots scandés, énumérations de noms de plantes en intermède , interlude collectif chaleureux et humoristique.

Et voici la troisième pièce "Le Desmodium Girans" ou plante télégraphe! Ce légumineux, sainfoin oscillant est source d'inspiration versatile, mobile, volubile. Avec ses feuilles à trois folioles voici des mouvements intempestifs imperceptibles, à l'horizontale puis qui s'abaissent de haut en bas. Plante électrique en diable, le jour elle danse, la nuit elle dort... Une pièce parlée pour cette plante serpent qui hypnotise les musiciens comme envoutés par ses charmes. Beaucoup de notes à jouer pour évoquer la fébrilité des limbes en correspondance avec la vie de la plante. Musique de gestes, paroles de conteuses, conversation, vibrations et figures de danseur stabile, en déséquilibre et mouvance intrigante.


Pour la dernière pièce "Le nénuphar géant", cette plante aquatique de nymphéa mythique, seront évoquées les feuilles larges en circonférence, qui flottent dans l'éther, comme une chambre florale qui s'épanouit sur l'eau. Les percussions "tam-tam" insolite bassin incurvé circulaire, se font légères et multiples agent de communication entre air et eau. Les accessoires nombreux pour percuter cet état de corps végétal dénoncent les insectes voyageurs pollinisateurs qui fréquentent les fleurs. Un code en morse pour mieux faire voyager les sons et déverser un message magique à décrypter. Des silences pour signifier le calme et la durée infinie de vie de ces feuilles , plateaux support de l'histoire de ce nénuphar dans sa vie agitée des eaux dormantes.Des noms de nénuphars sont psalmodiés dans de multiples langues comme éventail déployés de sons signifiants. Du statisme aussi, des glissés dans de lents passages évoqués par les "vents".

Daniel d'Adamo signe ici un bréviaire magique de l'histoire fantasmée des plantes, herbier sonore, petit carnet secret de botanique que l'on feuillette à l'envi avec compagnie de Lovemusic, toujours à l'affut des expériences et rencontres musicales insolites et décalées!



Lovemusic  au Point d'Eau à Oswald le 12 avril (18h)  . Le Curieux Festival fait rencontrer les arts et les sciences et on y  joue la nouvelle pièce de Daniel D'Adamo - Theories for living things - une oeuvre qui mets en musique la vie des plantes ! L'oeuvre est ponctuée par une discussion entre Daniel D'Adamo, hélas absent, la Botaniste Audrey Muratet et Manon Corbin. 

Emiliano Gavito, flûte
Adam Starkie, clarinette
Emily Yabe, violon
Lola Malique, violoncelle
Nuno Pinto, guitare
Nejc Grm, accordéon
Rémi Schwartz, percussion
Léa Trommenschlager, voix

 

"Poufs aux sentiments": ça décoiffe et ça décapite: Marie Antoinette aux anges! Chasse à cour, à jardin.....


Comme ils l’avaient fait en 2021 avec leurs Merveilles, Clédat & Petitpierre puisent dans l’Histoire pour cette nouvelle création

Les poufs, ce sont ces perruques surdimensionnées et extravagantes apparues à la cour de Marie-Antoinette, décorées d’ornements les plus farfelus. Les « poufs aux sentiments », auxquels étaient accrochés portraits et objets rappelant les êtres aimés, reflétaient plus particulièrement les liens affectifs de ceux et celles qui les portaient. S’emparant de ces étranges constructions, les deux artistes font naître un monde insolite : dans un jardin à la française taillé au cordeau, les danseurs Ruth Childs et Sylvain Prunenec, dont le costume prend la forme duveteuse de ces coiffes d’antan, déploient une chorégraphie subtile qui renvoie aussi à l’univers de la danse baroque. Deux arbustes anthropomorphes habitent également ce décor de verdure, lui-même doué de vie. Chez Clédat & Petitpierre, qui interviennent tant dans les théâtres que dans les centres d’art et l’espace public, le travestissement constitue à la fois le point de départ et la matrice d’une rêverie hors du temps.

Je vous "haie" d'honneur...
 
Un décor comme un labyrinthe, jardin à la Le Nôtre, tracé au cordeau, un petit bosquet de buis qui va donner naissance en accouchant comme la montagne, de souris, velues: des moutons de jardin qui copulent sauvagement comme une bête à deux dos dans des ébats jouissifs, petits culs de puttini à l’appui. Cela s'annonce charmant et désuet: culs blancs de lapinoux et pom-pom girls au chapitre. Au menu, menuet et  rigaudon car c'est bien la danse baroque qui est convoquée ici.On songe à:
"C´est nous les petits puttini
Fesses à l´air et joues rebondies
En peinture, en lavis,
En marbre d´Italie,
Fanfarons, fripons, trublions,
Tétons mignons, bedons trognons,
Chantons le gai rigaudon,
La chanson des gros cupidons
Fesses à l´air et joues rebondies
C´est nous les petits puttini " (juliette le congrès des chérubins)
 
Précieuse et galantes évolutions, les bras et mains très  maniérés, façonnés par le style relevé juste ce qu'il faut; sauf que, en collants chair moulants et cul-nus nos deux escogriffes font obstacle au bon comportement. Dress-code aux oubliettes.Le maitre (mètre) à danser fait défaut pour ces figures anachroniques qui se baladent nonchalamment aux jardin des délices. De la haie surgissent deux arbrisseaux malins qui ne cessent de se métamorphoser, de se transformer en animaux dans ce parterre de feuilles vertes artificielles. Kitsch et drôle à la fois, ce tableau ravit: les étreintes se font électriques et lumineuses pour ce couple de charme, enjôleur à souhait. Les sculptures de plantes, buis,  en art topiaire se font vivantes et mobiles, s'adonnent à un jeu de mimétisme troublant et la haie d'honneur est endroit et place de révérences distinguées, de piqués en contrepoints, de sautillés savants, dosés à point. Quelques mouvements d'escrime , fondus en tierce pour orner le tout. Les perruques dissimulent deux visages charmants: celui de Sylvain Prunenec, petit faune désopilant au sourire naïf, serein et malicieux, le "ravi de la crèche" face à Ruth Childs, femme offerte et maline, calculatrice et séduisante. Cette danse très "plasticienne" obéit aux lois d'une mise en scène qui évoque la "carte du tendre", géographie du désir, de la reconnaissance, de l'estime: les codes de bonne conduite et de bienséance de l'époque. Danses tracées, éloquence du verbe et des paroles murmurées par la femme-mouton affublée de ce tutu de laine façonné comme les organes et membres reproducteurs... Une étreinte phosphorescente de barbe à papa glamour, savoureuse, succulente, un amour sur petit nuage duveteux, ouaté, et le tour est joué au pays de la douceur, de la tendresse.Billet doux, danse candide, retenue pour ébats érotiques de toute beauté amusante et frivole. Sans Lully, ni Rameaux sur fond de petites percussions ou de musique pop, se déroule les intrigues On se fait la chasse, la courre à cour, à jardin sans cesse et les bosquets de jouer à l'apparition-disparition comme autant de tableaux-pièges ou de décor de circonstances. Joli tableau où nos amoureux transits paradent sur la haie, bordée d'un treillis de verdure mouvante...Un cadre idyllique pour amours distinguées. On se laque à l'envi en poudre de perlimpinpin bombée sur les perruques , on se renvoie la balle au bond, ping-pong avec arbustes mouvants et les inventions fusent à l'envi. La chanson des amants de Moustaki vient au finale, couronner le tout, douce et suave comme cette odyssée précieuse, gâteau "merveilleux" saupoudré de meringue et autres douceurs sucrées. Haie d'honneur taillée dans le vif du sujet pour cartomancienne éclairée. C'est réjouissant et volage
  • Conception, chorégraphie, scénographie, costumes : Clédat & Petitpierre

  • Avec : Ruth Childs, Sylvain Prunenec, Max Ricat, Coco Petitpierre
  • Lumière : Yan Godat
  • Son : Stéphane Vecchione
Au Maillon Wacken jusqu'au 14 AVRIL
 
Couple d’artistes fusionnel, Yvan Clédat et Coco Petitpierre se sont rencontrés en 1986. Sculpteurs, performeurs, metteurs en scène, ils interrogent tour à tour l’espace d’exposition et celui de la scène à travers une œuvre protéiforme et amusée, dans laquelle les corps des deux artistes sont régulièrement mis en jeu. Leurs œuvres sont indifféremment présentées dans des centres d’arts, des musées, des festivals ou des théâtres, en France et dans une quinzaine de pays. Au Maillon, ils sont accueillis avec Helvet Underground en 2019 et Les Merveilles en juin 2021 dans le cadre du temps fort Les Narrations du futur avec le TJP CDN.

 
charlie le mindu


 

mercredi 12 avril 2023

"Tout mon amour" : une tragédie épique contemporaine. L'oubli, le déni, la perte des êtres "chers", façonne la hantise de la vérité.


 Tout mon amour est une pièce du romancier Laurent Mauvignier. Un couple, le père et la mère, est obligé de revenir dans la maison du grand-père pour assister à son enterrement. Cet endroit est celui de la tragédie familiale, celui où leur fille de six ans a disparu, dix ans auparavant. Une mystérieuse adolescente va venir sonner à leur porte : qui est-elle ? Une imposture ou l’être tant espéré ? Et qu’en dire au fils, l’enfant devenu unique après la disparition de sa sœur ? Arnaud Meunier met en scène ce « thriller métaphysique » qui interroge ce qu’est un deuil impossible, un retour autour duquel une famille va s’unir ou se déchirer : faut-il y croire ou non ? Peut-on accepter que le passé change de visage ?

Deux personnages, un couple, une grande pièce accessible par un couloir, une seconde antichambre et le décor est planté. Ce qu'il s'y passera en unité de lieu déborde les frontières du temps et de l'espace. Car l'intrigue, la pièce qui commence en dialogue, véritable théâtre" se révèle au départ thriller, suspense et rebondissements. On y "hurle" la douleur ou l'incompréhension, et la souffrance de ces deux êtres affolés et perturbés par le passé et ses "secrets" de famille devient envahissante. Le deuil, motif récurent ces derniers temps au théâtre, se révèle détonateur, bombe à retardement ou grenade qui empoisonne les esprits. Le retour de ce père défunt quasiment "en chair et en os" vient perturber le fils et le hanter au point de le rendre agressif, impatient, incontrôlable dans sa colère. Sa femme s'y frotte et tente d'exister encore en mettant en avant ses caprices de départ, son refus d'accepter les souvenirs enfouis qui resurgissent. Une étrange figure, la fille, fait son apparition dans ce décor triste et remuant. Elle surgit, personnage blessé, malmené, aux cicatrices corporelles évidentes. La douleur a sculpté son corps, déformé ses jambes et mains qui s’agitent en vain et sans contrôle. Sa démarche est déséquilibrée, oscillante, empêchée, paralysée par les stigmates de la souffrance psychique. Une famille en miettes, en morceaux qui ne veut pas recoller les pièces du puzzle...Ambre Febvre incarne cette jeune fille oubliée, resurgie des mémoires avec un tac, une sensibilité et un mimétisme incroyable d'un corps animé par la folie, la démence psychique d'un être renié, abandonné ou disparu de la scène. Anne Brochet en mère impatiente, abusive et accaparante est belle et quasi innocente dans son comportement de déni, d'oubli . Philippe Torreton, le père surfe sur la colère, la révolte, la désespérance avec fougue et sans retenue. La violence de ses propos et de son comportement en font un personnage ingrat, virulent, "hurleur" et vociférant à longueur de dialogue. Le fils, lui,  rejoint ce tableau de famille pour éclaircir, tamiser,l'ambiance, tenter de mettre à plat des situations cruelles. Des écorchés vifs au seuil de la dispute, de la chute,de la hargne et de la claque aux conventions de bienséance et de bienveillance: c'est le jeune Romain Fauroux qui s'y colle, longue silhouette apaisante dans cette univers plombé, ramassé, compact à en étouffer et perdre haleine. Quant au grand-père, Jean François Lapalus, il excelle de manipulation et manigances dans une attitude quasi quasi bon-enfant, décalée. Tout l'amour de ces cinq protagoniste, déborde sans cadre, s'affole incontrôlé et néfaste. Trop de sentiments, nuit et la guerre est proche dans un état de siège constant. Pas de répit, ni de pause dans ce déferlement de haine, parfois ponctué de tendresse entre le frère et la soeur qui évoque des souvenirs...Et la boite de Pandore qui contient vêtements et collier de l'enfant disparue, hante et provoque déni, distanciation ou renoncement.Chacun usurpateur face à l'autre pour se faire sa place, son nid, et tenter d'être considéré, reconnu, apprécié. La mise en scène de cette tragédie de l'urgence, de l'impatience, fébrile et débridée, souligne les émois et revirements des corps aux abois. Arnaud Meunier au service d'un texte de Laurent Mauvignier qui n'a de cesse de remuer et exhumer la mort de ceux qui ne le sont pas...Dans les esprits et les corps condamnés par la souffrance non libérée, même par la parole....

L’écrivain Laurent Mauvignier a reçu de nombreux prix, ses oeuvres − romans, récits, théâtre − sont publiées aux Éditions de Minuit. Il écrit aussi pour la télévision et le cinéma. En 2015, dans le cadre de L’autre saison, Denis Podalydès a interprété son texte Ce que j’appelle oubli. Le metteur en scène Arnaud Meunier dirige la MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale depuis 2021. En 2018, il a présenté au TNS Je crois en un seul dieu de Stefano Massini. 

En chorégraphie,il y a eu la rencontre avec Laurent Mauvignier dont Angelin Preljocaj met en geste le récit "Ce que j’appelle oubli" en 2012. Sa création, "Retour à Berratham", les réunit à nouveau par le biais d’une commande pour la danse. "Une tragédie épique contemporaine, telle était ma demande à Laurent Mauvignier".

 

https://genevieve-charras.blogspot.com/2015/07/avignon-invente-le-texte-danse-le-corps.html

https://genevieve-charras.blogspot.com/2012/09/ce-que-jappelle-oubli-le-corps-du-texte.html

 

 

Au TNS jusqu'au 5 Avril


dimanche 9 avril 2023

"Pergola si, Pergola la" : performance dans l'atelier et au jardin chez Pascale Duanyer


 Le Dimanche 14 MAI 17H dans le cadre des "Ateliers ouverts"

Au fond du jardin, dans la "Pergola" de Pascale, Geneviève Charras "charivarieuse" interprète quelques bons morceaux d'opéra, de chansons légères comme cette petite surface ouverte au vent!

Dans l'atelier c'est au travail de gravure et de peinture, que la danse, le chant, la voix, le geste répondent en résonance: les "compositions" de l'artiste inspirent une prolongation, une interprétation en écho ou ricochet à l'oeuvre de Pascale Duanyer...."Finalement je ne montre pas de grand formats.  .c'est vraiment voyage en terre sainte. Petits croquis, dessins.  Petites gouache....  "



Le dimanche 14 Mai à 17H à Geispolsheim 15 rue du presbytère dans le cadre des ateliers ouverts.

jeudi 6 avril 2023

"Single Room": bien chambré! Un duo charmeur , enjoleur, émulsion de poésie musicale "fait maison". Sing-room...

 


Single room (jazz)

Quelques touchers de harpe électrique, quelques éclats chantés : Rafaëlle Rinaudo et Émilie Lesbros ouvrent les portes de leur chambre musicale où se télescopent violence et berceuse, poésie et bruitisme, jazz et pop. « Maison de poupée ou vaste château, la chambre de Single Room est pareille à celle des contes : elle communique vers d’autres mondes et d’autres temps ».

Un concert intimiste et convivial qui démarre avec une harpe frottée avec une brosse et une mailloche feutrée! Une voix qui sifflote et le tour est joué. Vêtues de rose, noir et jaune citron, voici nos deux artistes musiciennes qui s'adonnent à la poésie musicale "maison", à un bruitisme jovial et réjouissant, bien dosé, fin et distingué. Beaucoup de singularité, de noblesse dans cette prestation unique faite de deux entités qui se complètent à l'envi.Conteuse, diseuse de bonnes histoires Emilie Lesbros nous régale d'une belle diction pondérée, d'une voix au timbre très contrasté, au flux souple, au souffle léger et vaporeux. Infimes variations périlleuses dans la finesse de l'émission vocale, sa technique au service d'une interprétation toujours enjouée, radieuse et discrète.  Beaucoup de subtilité dans le jeu de harpe de celle qui l'accompagne de ses "palettes" manuelles pour faire naitre des tonalités diversifiées. Rafaelle Rinaudo caresse ou triture sa harpe, grattée, chatouillée ou frappée, bousculant les codes dans de belles bascules.Comme pour cette berceuse enjôleuse ou pour cette "Liberté", chantée en chœur et reprise plus tard avec le public. Un petit air de Jean Baptiste Clément dans une belle lumière bleue tamisée, un Arthur H et sa "Boxeuse amoureuse" pour traverser d'autres univers ne se refusent pas. Musique "fusion" aux fragrances d'ailleurs, au bel accent américain, musique savante et abordable, improvisée à point nommé, ce concert fut un petit bijou d'inventivité, de sobriété frugale sur canapé en "single room" ou "sing room"de fortune.Chambre simple mais pleine de surprises et de générosité, de fraicheur et de candeur, de malice et de sincérité.Les deux artistes, félin(es) pour l'autre...

Avec Émilie Lesbros (France) / chant, composition et Raphaëlle Rinaudo (France) / harpe, composition

Danse le cadre de l'opération de diffusion "Ah les femmes" de"Sturm production"

jeu. 06.04 | 20:30 | Concert | Auditorium | BNU

"Carcass" : draps de peaux, banières et corps tension, enveloppes plastiques rebelles et champs de bataille.Casse coup dur pour la danse!

 

Marco da Silva Ferreira Portugal 12 danseurs création 2022

C A R C A S S


Des corps en surchauffe, des danses d’hier et d’aujourd’hui, des flux et des échanges électriques, C A R C A S S se joue des confrontations. Une sorte de fièvre s’empare du collectif de danseurs urbains réunis au plateau par Marco da Silva Ferreira. Dans cette nouvelle pièce, le chorégraphe portugais questionne rondement le passé à l’aune du présent.

 

Quels sont ces corps qui traversent le monde ? Depuis ses débuts, Marco da Silva utilise la danse comme outil de recherche sur la communauté. Ce que l’on a pu découvrir dans deux de ses créations déjà présentées à POLE-SUD : Brother et ses danses tribales oscillant entre sentiment d’appartenance et formes de rivalité ; Siri et son univers post-humain, mystérieuse forêt de sensations entre images et mouvements.
Dans C A R C A S S, le chorégraphe portugais renouvelle son questionnement : quel est le moteur d’une identité collective, de quelle façon passé et présent agissent-ils sur les corps, de l’individu à la communauté, comment décide-t-on d’oublier ou de créer de la mémoire ?
Sur le plateau, une dizaine d’interprètes. Emportés par des jeux de jambes effrénés, les corps sont en ébullition. Intense physicalité, échanges d’énergies propulsent des danses multiples issues des cultures considérées comme minoritaires telles que la communauté LGBTQIA+ ou les groupes originaires d’anciennes colonies. En contrepoint, surgissent d’autres danses, folkloriques, standardisées, immuables. Se jouant de ces confrontations, Marco da Silva Ferreira en explore les ressorts à travers la communauté vibrante des danseurs sur scène, chorégraphiant leurs pas complexes et sonorisés qui participent de cet environnement musical créé en direct. Où l’on retrouve la démarche du chorégraphe qui, autour des pratiques urbaines, développe une réflexion continue sur le sens des danses émergentes de nos jours, à travers une forme singulière d’expressionnisme abstrait aux accents autobiographiques.

 

Seule avec un  punchingball virtuel, animée de mouvements de boxe, une sorte de femme araignée divague sur le bord du plateau, bientôt rejointe par une horde, une meute en ébullition: collant noir ajourés, troués, baskets emblématiques aux pieds. En body building noir! Ou legging troués.Ils bordent la scène en tribu déjantée, en bataillon militaire ou batterie comme les instruments de percussions live qui sonnent le rassemblement.Animés de mouvements similaires, décalés, allure sportive d'un quatuor désaccordé. Un petit groupe frontal, compact, virulent. Les épaules s'agitent et les dix danseurs franchissent des pourtours,la barre du tapis de sol, carré tout blanc sur fond noir. Ils se fondent entre les interstices de l'espace, s'imbriquent en décalage dans des rythmes binaires entêtant. Dans une dissymétrie et un éparpillement des corps dans l'espace. Image d'une chenille, maillon, chainon qui roule au sol dans un déroulé modulé. Un solo alterne, un faune de profil sur demi-pointes,  sorte de Nijinski sautillant en costume seyant.Des notes de folklore surgissent pour animer le groupe, jeux de jambes en échos,en costumes colorés, plissés comme des kilts aux pendrillons lamés. De belles unissons répétitives évoquent le "Dance" de Lucinda Childs sur fond musical proche d'un Philip Glass...Des lignes diagonales pour trancher l'espace et le silence s'impose pour le battement au sol des pieds musicaux en diable.Duo à la Kandinsky pour faire danser les couleurs comme dans ses "compositions".


La plasticité de la chorégraphie, se fait graphisme et graffiti comme des arts urbains. Un autre solo comme un tourbillon-moulinet, comique, dansé à quasi reculons, provoque le sourire. Dévoreur d'espace, le danseur éclate, éclabousse l'éther alors que le groupe l'encourage, le booste et l'accompagne en empathie.Le plissé des kilts rappellent l'évocation des ethnies et les plis de la danse s’entrouvrent pour dévoiler corps et âmes épris d'énergie communicative. Quelques duos comme des joutes corporelles viennent se greffer à cette cérémonie tribale sur fond de clavecin électronique.Et les t-shirts rouges de devenir drapeaux, bannières, oriflammes étirées par les bras comme des étendards sanglants, des draps-peaux du monde tendus comme des enveloppes charnelles. Dans un champ de bataille évident, les "carcasses" des danseurs  se fracassent au sol et gisent.Un pantin sans visage, évoque un tableau, une toile de Fontana, relief saillant du visage au travers. Des êtres bizarres prolifèrent, protéiformes, hybrides comme des kachina de la mythologie Hopi, des figures énigmatiques, des bestioles non identifiées se font graphisme mouvant, lettres et syntaxe visuelle. 


C'est plastiquement très réussi et le voyage continue accompagné de cette petite foule à la foulée gymnique toujours très saccadée.Puis sur fond de toile blanche des sortes de chauve-souris s'animent, déstabilisant la lecture des corps inversés à la Xavier Leroy, petits êtres diaboliques : haut les mains qui s'agitent et font signe pour cette révolution des œillets où le chant se fait revendication politique. Très animale, la danse de Marco da Silva Ferreira séduit, étonne, déstabilise, déplace les codes de lecture pour un bal masqué opérateur.Une grande bouche rouge, encore clin d'oeil plastique à la Man Ray, se fait marionnette qui balbutie. Ce "Carcass" est sidérant tant la perte, la dépense et dissipation de l'énergie est constante et la performance des dix personnages est à souligner comme une potion magique dont ils se seraient emparé pour mieux diffracter l'espace, décomposer le rythme et former un groupe colossal uni et resplendissant. Des salves éclatent et le départ de la troupe en vision de dos clôture le spectacle d'un monde catastrophe joyeux enivré de tonus."Le mur est tombé".....

jusqu'au 6 AVRIL au Maillon Wacken en collaboration avec Pole Sud

mercredi 5 avril 2023

Carmen : une version "concertante" déconcertante ! Une mise à nu éloquente , un orchestre sublimant les "tubes" d'un inconscient collectif musical de bon aloi!

 

GEORGES BIZET

Carmen, version concertante

Une femme fatale, un déserteur jaloux, les brûlants remparts de Séville : voici venir Carmen, l’opéra des opéras, celui qui transforme une habanera en coup de poignard. À l’affiche, une distribution comme on ne peut qu’en rêver, avec notamment Elena Maximova et Michael Spyres. Et au pupitre, Aziz Shokhakimov en personne, qui, particulièrement féru du répertoire français, a dirigé Carmen pour la première fois alors qu’il n’avait que 14 ans ! Avec la fine fleur du chant français, c’est une Carmen de luxe qui nous est offerte ici.

 Un prologue, introduction ou prélude qui augure avec ses thèmes récurrents du plus bel opéra du genre dont les airs hantent les générations: ouverture rutilante, enlevée et menée de main de maitre par le chef. Une atmosphère volcanique, éruptive et entrainante où l'on retrouve les quatre thèmes principaux: le caractère brillant et militaire de l'oeuvre, l'espièglerie et la légèreté du deuxième: on y évoque les soldats, les toréros, les jeux des enfants et la liesse de la foule les jours de corrida. Le troisième thème joue sur la personnalité d'Escamillo, fier et altier, le quatrième thème, lugubre et tragique est celui du destin dont la fatalité menace les différents personnages. L'allégresse est de mise et l'orchestre est habité par ces "mélodies" entêtantes soutenues par une orchestration savante où les solis d'ouverture des morceaux font aussi office de "tube" tant leur fréquentation et écoute sonore les a rendus accessibles, familiers On s'est emparé de Carmen à l'envi et ici tout résonne dans les mémoires collectives musicales...Alors "L'amour est un oiseau rebelle" sonne précisément comme une référence "populaire" et la cantatrice Elena Maximova en fait une sérénade pas encore très convaincante dans sa reprise de rôle. Délicate, sensuelle et énigmatique, la chanteuse, de rouge vêtue, épaule dénudée et longue chevelure blonde ne réussit à séduire que peu à peu face à une Micaela interprétée par Elsa Dreisig, sublime voix émouvante et jeu subtil, retenu pour une prestation splendide et naturelle . Don José bien sur, personnage clef de l'intrigue, incarné par Michael Spyres est convaincant, la voix profonde et chaude, partenaire attentif et attentionné de Carmen. Soldat téméraire et fidèle, compagnon de l'armée irréprochable. Le choeur de l'Opéra National du Rhin  dirigé par Hendrik Haas enveloppant l'intrigue, les rebonds de narration du livret, avec densité, pondération et soutenu par l'introduction du choeur d'enfants Maitrise de l'Opéra National du Rhin dirigé par Luciano Bibiloni, insolite et généreux. Escamillo, brillant baryton interprété par Alexandre Duhamel en pleine possession vocale, riche de tonalités et tessiture forte et engagée. Florie Valiquette pour son personnage féminin de charme, soprano irréprochable et puissante joue les Frasquita, alors qu'à ses côtés Adèle Charvet en Mercedes lui donne la réplique et forme un duo réjouissant et très maitrisé vocalement. Citons encore Thomas Dolié, baryton en Morales et Nicolas Courjal , basse en Zuniga pour encore fleurir cette distribution intelligente et bien dosée de timbres et caractères rutilants. Philippe Estèphe, baryton en Dancaire et Cyrille Dubois, ténor en Remendado bordent cet opéra de leurs voix présentes, de leur jeu sobre et discret. Aziz Shokhakimov, lui, pétri de sensibilité et musicalité semble baigner dans son univers et dirige de façon tonique autant que douce ses interprètes aguerris à tant de style de musique! Les contrastes sont sublimes, l'intensité magistrale des reprises et mouvements de tous, est émouvante et suggère tant de subtils caractères, de tons et d'intrigues que l'on est  tenu en haleine trois heures durant. Alors cette version concertante de l'opéra se révèle riche et contrastée, habitée, jouée de façon infime autant que solide et les rôles s'introduisent peu à peu, pour incarner un récit tragique, joyeux et allègre, "déconcertant" par la richesse de la musique ainsi mise à nu. Sans costume ni mise en scène, sans ornement ni falbala, sans accessoire ou autre parasite venant édulcorer les "tubes" tant attendus que l'on redécouvre dans leur plus simple appareil: le talent des chanteurs et la qualité musicale de l'oeuvre phare de Bizet.


Un presque sans faute magistral où la vedette est dérobée à Carmen pour rehausser tous les autres personnages, Micaela en figure de proue! Elsa Dreisig remportant le trophée de la beauté et de la sensibilité de sa voix nuancée, prenante, ravissant l'écoute et emportant sur d'autres sphères le spectateur-auditeur conquis.Une ovation à l’issue du morceau où elle évoque la mort proche de la mère de Don José en fut la preuve évidente!

Distribution

Direction Aziz Shokhakimov
Carmen Elena Maximova
Don José Michael Spyres
Micaëla Elsa Dreisig
Escamillo Alexandre Duhamel
Frasquita Florie Valiquette
Mercedes Adèle Charvet
Moralès Thomas Dolié
Zuniga Nicolas Courjal
Le Dancaïre Philippe Estèphe
Le Remendado Cyrille Dubois


Chœur de l’Opéra national du Rhin

Chef de chœur Hendrik Haas
Maîtrise de l’Opéra national du Rhin
Chef de chœur Luciano Bibiloni

 

Conférence d'avant-concert

Mardi 4 et jeudi 6 avril 19h - Salle Marie Jaëll, entrée Érasme 
Accès libre et gratuit, dans la limite des places disponibles

CARMEN, UN OPÉRA À REDÉCOUVRIR
PIERRE-EMMANUEL LEPHAY

Opéra très populaire, gorgé de « tubes » repris à l’envi, du jazz à la chanson, Carmen doit cependant être réenvisagé pour ce qu’il est à l’origine : l’un des plus hauts chefs-d’œuvre de l’opéra-comique français de la fin du XIXe siècle, genre qu’il bouscule cependant par son finale tragique, son écriture très savante ou son orchestration rutilante.

Distribution Aziz SHOKHAKIMOV direction, Elena MAXIMOVA Carmen, Michael SPYRES Don José, Chœur de l’Opéra national du Rhin, Maîtrise de l’Opéra national du Rhin...
Lieu
Palais de la Musique et des Congrès

lundi 3 avril 2023

"Mon absente": si les morts avaient des dents, du mordant. Pascal Rambert croque- mort du verbe à la présence fragile.

 


L’auteur et metteur en scène Pascal Rambert écrit spécialement pour les six actrices et cinq acteurs qu’il réunit ici sur scène. Mon absente est une pièce chorale, où des personnages sont rassemblés par la perte d’un être cher. Dans un espace plongé dans le noir, aux limites indistinctes, surgissent des corps, des mots. Onze personnes sont là pour s’adresser à l’absente. Quels liens existent, à la fois entre elles et avec cette absente ? Au travers de leurs souvenirs, des paroles échangées, de l’évocation de moments poignants ou infimes, une vie se recompose. Dans ce travail de mémoire, où jaillissent des contradictions, des interprétations et réécritures, se dessinent aussi les portraits des êtres en présence. Le souvenir est vivant et agissant, force de projection.

250 m2 boulevard Haussmann 

Un appartement partagé par une "famille" hétéroclite, hétérogène autour de la figure de la mère: l'absente qui sommeille à l'intérieur du cercueil, sur la scène, monté sur une estrade, reflété dans une lumière noire. Reflets qui scintillent, glacés, glissants : des fleurs en hommage à la défunte et une image paréidolique: comme une bouche ouverte qui avalerait les paroles de ces onze personnages qui vont hanter cette chambre froide. Avant la crémation de cette femme, ivre d'alcool ou de vie qui fédère ce jour ou cette nuit là, les membres disloqués ou disparates d'une "collectivité" de circonstances. Vont se succéder à la "tribune" des coupables ou responsables, onze figures aux attitudes diversifiées autant par l'allure que le ton ou le verbe. Acerbe et vociférant pour certains dont l'existence doit tant à une mère, plus lointain et distancé pour d'autres qui font figure d'environnement choisi. Filles et fils se trouvent "unis" , réunis pour cette circonstance et vont fustiger les uns les autres dans des aveux, paroles et révélations qui s'adressent autant aux uns et aux autres qu'à la défunte. De cet appartement d'apparat, vide pour pauvres créatures, on se souvient comme un tombeau avec angoisse et émotion. Une surface de réparation audacieuse que Pascal Rambert, auteur de cette odyssée de l'espèce rend opérant pour les mémoires qui s'y frottent. Chacun y va de sa diatribe, seul ou s'adressant à un autre: monologues ou duo à l'appui.  Claude Duparfait en fils démembré, disloqué y fait un numéro singulier, vif, bougeant de toute part pour incarner son désarroi, sa colère tonale vivifiante dans cette ambiance plombée par les souvenirs et impressions de chacun.

 


Vincent Dissez en robe verte de satin de soie se dévêtit somptueusement pour danser chaque instant de vie dédié à sa mère: belle prestation érotique, sensuelle aux mouvements dansés fluides et élastiques très maitrisés. Nu et cru dans un corps plastiquement irréprochable, souple, ondulant à l'envi dans des reptations évocatrices , très faune désirable. Il fait sa Kate Bush à la Pina Bausch....Une danse chère à Pascal Rambert qui sait faire bouger les corps émouvants dans des e-motions recherchées. Se mouvoir, dire et phonier de concert n'est pas chose aisée. Stanislas Nordey méconnaissable en fils rangé, tout de noir vêtu, claudicant et attendant sa mort prochaine avec grâce et tac mesuré. 


Audrey Bonnet, au jeu sobre et discrète fille de cette famille nombreuse à rejoindre la défunte autour du souvenir, de la parole, du verbe cadencé de l'auteur. La mise en scène au creux d'un dispositif enveloppant, sécurisant malgré la froideur de la lumière braquée sur le cercueil. Juste le temps d'imaginer l'allure de cette défunte si convoitée, haïe ou dénoncée par son destin chaotique sans foi ni loi. Tous les autres comédiens au diapason de cet opus singulier et sidérant. Ces enfants du BD Haussmann, errant, défaits dans un univers fracassé, cabossé par la douleur ou l'amour.L'absente bien présente dans les corps et les esprits tracassés, castrés ou hantés par cette légende familiale omniprésente. Mère et mordenseur au poing.Un clin d'oeil à Jan Fabre et sa " Preparatio Mortis: chronique d'un dernier orgasme floral" ?


Pascal Rambert crée ou recrée ses pièces partout dans le monde, tant en Europe qu’en Asie, aux États-Unis et en Afrique. Il est auteur associé au TNS depuis 2015 et y a présenté Clôture de l’amour et Répétition en 2015, Actrice en 2018, Architecture en 2019, Deux amis en 2021 ainsi que Mont Vérité en 2022 – spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 44 de l’École du TNS.

 

Au TNS jusqu'au 6 AVRIL

"Suzanne" d' Emanuel Gat: un bain de jouvence...Et d'allégresse juvénile pour ce "tub" plein chant!

 


Au son des chansons de Nina Simone, le chorégraphe israélien Emanuel Gat met en scène la vitalité d’une jeune génération de danseurs et danseuses, dans un langage d’une grande clarté, à la fois neuf et riche d’un parcours de près de trente ans.
Création 2021
avec le soutien du service culturel de l’Ambassade d’Israël
dans le cadre du Festival Séquence Danse Paris
Suzanne, c’est la chanson de Leonard Cohen, interprétée avec ferveur par Nina Simone lors d’un concert au Philharmonic Hall de New York en 1969, dont des extraits forment la bande-son de la nouvelle création d’Emanuel Gat. Le chorégraphe y met en scène des jeunes danseurs israéliens du Inbal Dance Theater, dans une écriture précise où gestes et groupes se composent et recomposent en permanence en une myriade de propositions simultanées. Ce questionnement sur la perception du temps, intrinsèque à la danse, résonne comme un retour aux sources pour Emanuel Gat. 
 

Suzanne, c’est aussi le nom du centre de danse et de théâtre à Tel Aviv où le chorégraphe a fait ses débuts, travaillé pendant quinze ans et monté sa troupe. Et c’est sur la scène de ce centre Suzanne Dellal que s’est tenue en 2021 la première mondiale de cette pièce, se présentant à la fois comme un chant d’amour à une jeune génération et une appréhension d’un passé qui toujours nourrit le présent. Emanuel Gat poursuit ici un travail déjà engagé avec SACRE/GOLD, diptyque issu de la recréation de deux pièces antérieures, dans lequel danseurs et danseuses étaient emportés dans un tourbillon hypnotique. 
 

Plateau nu, silence des corps qui se meuvent à l'envi dans des déroulés magnétiques, sans fin: ode à la musicalité des corps, au souffle de vie de la danse d' Emanuel Gat. Il y a quelque chose de l'ordre de l'alchimie quand parait  le "son", après  ce prologue silencieux de toute beauté et recueillement. Bribes de paroles de Nina Simone qui va se confier à son public durant un enregistrement live de son concert. Alors qu'elle semble "broder" ses "black gold", improviser de sa voix chaude et éraillée, les danseurs bondissent, reculent, se frayent sans faillir des sentiers et chemins sur la scène, sans heurt, sans contact. Juste la précision des rencontres d'espaces, de regard, d'énergie. Leurs costumes les identifiant comme hommes, femmes ou androgynes à longues jupes flottante et torses nus. Dévoilant des musculatures actives, prospères en grands ou petits bougés.Les déplacements forgent des lignes et traces, les pieds flex ou au carré, arabesques fluides et éphémères, déroulés et envergure des bras comme des ailes du désir et du besoin de danser.Des courses à perdre haleine comme leitmotiv ! Car cette jeunesse hérissée de plaisir de se mouvoir est fertile en énergie, sauts et rebonds virtuoses, légers Des inflexions vers le sol, des réajustements infimes de gestes au cordeau.C'est tout simplement merveilleux et l'on se prend au ravissement et à l'empathie avec ces interprètes aguerris au style Gat dans leurs plus beaux atours dansants. La voix de Nina Simone galvanisant leur sens du détail, des pointés, des revers de direction, des clins d'oeil à Lucinda Childs dans leur parfois nonchalance et abandon corporel. Les applaudissements enregistrés en live couronnent cette empathie féroce avec les danseurs de la jeune compagnie israélienne!
La création lumière vient à juste point souligner les lignes et contours des corps, du groupe pour mieux souligner et faire surgir la densité du mouvement fugace et éphémère. Sculptures mouvantes à la Rodin, ou Carpeaux en ronde bosse singulière. 
 

Danses tracées et empreintes d'aplomb survolant le sol.
La création d' Emanuel Gat dans la continuité de l'écriture sobre et très sophistiquée à la fois. Vocabulaire et syntaxe qui respirent le phrasé léger, aérien d'une danse étoilée, cosmique qui ne cessent de tisser des constellations telluriques dans l'éther ou tracer une géographie tectonique dans l'espace. Sobriété et frugalité d'un festin allègre et très digeste d'où l'on revient avec entrain et contagion dans une démarche vive argent délectable...Un opus remarquable pour la précision des impromptus sur mesure face à Nina Simone et à sa générosité vocale et musicale.
 

Jusqu'au 3 AVRIL au CENTQUATRE