dimanche 30 septembre 2012

"Lecture on nothing" à MUSICA: Cage et Bob Wilson, couple idéal pour "ne rien dire"!

"La conférence sur rien", c'est le silence commenté, la rythmique, le son cagien par execellence:
MUSICA en propose la version, mise en scène par Bob WILSON.
Mais, petite piqure de rappel: Joanne Leighton en proposait déjà une adaptation  raffinée de cette "Lecture on nothing" à Pôle Sud lors de sa résidence.
Outre le fait que le texte apporte une libération du mouvement dans l'espace scénique, Lecture on Nothing, dans sa structure intime, accompagne de manière organique la danse, accomplissant un des vœux les plus chers à la chorégraphe, la réflexivité, la volonté de commenter le spectacle au moment même de sa représentation, la danse qui nous est donnée à voir portant de cette manière en elle même les conditions de sa fabrication.

Cette pièce, qui décline la notion de fin — que ce soit « les dernières notes d'un morceau de musique, le dernier mouvement dansé, la fin d'une histoire, la sortie du plateau, la fin de la pièce, la perte de la conscience, la fin d'un état ou le passage d'un état à un autre » — utilise un procédé apparenté au montage cinématographique. La chorégraphie est rythmée par la ritournelle — composition, défaite, mais surtout superposition — de tableaux vivants mettant en jeu des images fortes, aux accents fantasmagoriques, telle la maternité pieuse, la reine et le roi, l'esprit du printemps tout juste descendu d'une toile réalisée pour le spectacle par les élèves de l'école du Théâtre national de Strasbourg. L'espace de la scène devient ainsi un espace de flottement dont la contiguïté est assurée par une danse à la fois complexe, sophistiquée et très charnelle.
Conversation courante, cette lecture sur rien est un morceau de bravoure, un pire de nez, une boutade, un clin d'oeil à l'institution musicale et chorégraphique.
Défiant la notion d'écriture au profit du rythme, du geste, en mesure, vers une démesure totale et jubilatoire! De l'authentique John Cage dans ses moments à la fois de recherche et d'expérimentation sur l'aléatoire et le hasard.On n'a "rien sans rien" et tout est écrit dans cet artéfact d'aléatoire où tout semble surgir de nulle part pour aller ailleurs, très loin dans le paysage sonore.

samedi 29 septembre 2012

"Danza Preparata": clin d'oeil au hasard très "préparé"!

A Musica, de la danse, toujours pour cette édition, clin d'oeil à John Cage.
De la "danse préparée"!John Cage n'y aurait pas pensé!
Lui qui pourtant en complice et compagnon de Merce Cunningham, inventa tant de sons, de silences, d'espace pour le génial chorégraphe!
Chose faite donc grâce aux talents réunis de chorégraphe Rui Horta et de la danseuse Silvia Bertoncelli sur les "sonates et interludes pour piano préparé" de John Cage.
Les rencontres sont percutantes.
Sur un fond de scène carré blanc sur fond noir, le piano lui-même posé sur un triangle noir et blanc. Une géométrie pertinente avec scénographie lumière en adéquation avec cet univers pictural strict et directionnel.
La danse s'y dévoile tranchée, tétanique aux petits mouvements, petits bougés tectoniques, fragmentés. Le sourire aux lèvres, la danseuse est tantôt carlsonienne, tantôt inspirée par la gestuelle du grand Merce.Directions multiples, changements rapides, fluidité des traces de volutes au sol, tout concourt à la surprise par une danse saccadée, interonpue, brisée.
Elle virevolte, gracile,comme un électron libre, volatile, électrisée par la musique. Ils sont complices en grande connivence et la volubilité des deux interprète dans cette virtuosité frétillante est de toute beauté.Versatile, indécise ou bien décidée dans ses intentions de franchir l'espace, Silvia Bertoncelli est exquise, souriante: le rire de Cunningham ou de Cage aux lèvres? Peut-être, eux qui aimaient tant rire ensemble!
Un jeu de mikado vient renforcer les souvenirs de cette danse aléatoire: jamais pourtant "un coup de mikado n'abolira le hasard". C'est juste et précis, futile aussi, jubilatoire surtout!
Le rendu des images est fort, ce "chat " qui n'est pas là, juste pour nous rappeler que Magritte aussi aurait bien aimé: ceci n'est pas de la musique, cela n'est pas de la danse!
Ce n'est que bonheur et jouissance de la création!

"Thanks to my Eyes": opéra contemporain à Musica.On n'en croit pas ses oreilles!

Soirée opéra contemporain à la Filature à Mulhouse: un genre que chérit le festival et son directeur Jean-Dominique Marco.Oscar Bianchi pour la création musicale, Joel Pommerat pour la mise en scène: voici qui augure du plus détonnant avec l'Ensemble moderne pour l'interprétation musicale dirigé par Léo Warynski.Et curieusement, le chanteur Hagen Matzeit souffrant, au pied levé, c'est Guilhem Terrail qui reprend son chapitre de Haute contre, doublé par un comédien, donnant l'effet d'un jeu et chant en playback La scène penche, dangereusement et préfigure le drame. Le décor est planté, sobre, sombre comme des roches d'ardoise, délimitant l'univers en huis clos de cet opéra
L'histoire est simple: un fils d'acteur  comique se croit en charge de transmettre l'art de son père et sa mère, couturière cultive en lui un caractère nostalgique. Une femme dans sa vie l'attire et leurs rencontres nocturnes tissent une étrange relation.
Joel Pommerat en propose une mise en scène digne de sa carrière déjà prolixe, sobre, bien équilibrée, laissant libre cours aux chanteurs. De l'ampleur, de l'amplitude dans la gestuelle et le curieux couple, binôme chanteur-acteur pour cette occasion unique de remplacement, fait office de jeu double, étrange reflet-miroir, comme une marionnette téléguidée.L'opéra contemporain est chose rare et ici la musique et le chant avec des voix prenantes sur une partition virtuose, touchent, émeuvent bouleversent par instant. A ne pas en croire ses yeux, ses oreilles!

vendredi 28 septembre 2012

SVANKMAJER : magicien de l'icône animée : beaucoup de bruit pour un impertinent charivari

"Les champs magnétiques" de Jan Svankmajer
MUSICA fait la part belle au "ciné-concert" et fait un hommage au magicien, prestidigitateur de l'image animée, le tchèque Jan Svankmajer.
Le concert est concocté par François Sarhan, concepteur de musique, pour une sélection de films de référence.Déjà sonorisés ou muets, peu importe, ca qui compte c'est la créativité que suggèrent les images, les formes, les situations des personnages, des objets.
En live, musiciens et bruiteurs épousent narration et surréalisme, pour renforcer l'étrangeté de ce petit monde absurde en continuelle mutation: transformation des corps, des objets,  métamorphoses multiples des îcones pour un monde hybride qui défit les lois de la réalité.
On se plait à observer en direct la dextérité des interprètes, surtout ceux qui manipulent tout un petit bazar sonore qui , détourné de ses fonctions premières, concourt à crééer une atmosphère au plus près de l'univers insolite de Svankmager.
Une intelligence, une adéquation remarquable avec ce qui se passe donne naissance à une des plus belle lecture adaptée du génie de l'image animée et de la modélisation!
Quand des pionniers de l'image et du son se rencontrent, on est pas loin des sons de Cage et de son amour du monde au quotidien de l'imaginaire!
L'esthétique de Jan Švankmajer a pu être qualifiée autant de baroque ou de maniériste que de surréaliste[2]. Dans son film Possibilités de dialogues, il rend hommage à la figure emblématique du maniérisme, le peintre Guiseppe Arcimboldo connu pour ses œuvres comme Été, Automne, Hiver et Printemps où des éléments organiques sont assemblés pour composer un portrait. De même, l’œuvre de Jan Švankmajer est caractérisée par les collages, les assemblages, et donne de l'importance aux corps (dans Jeux de pierres notamment). De plus, l'une des particularités de Jan Švankmajer est d'associer prise de vue direct et cinéma d'animation qui se fondent dans une même image, pour créer un univers fictif unique. 
A propos du cinéma d'animation, Jan Švankmajer explique (dans une interview au Festival d'Annecy en 2002) : « Je suis arrivé vers le cinéma par le théâtre et les arts graphiques. C’est pourquoi les impulsions dans ma création viennent surtout de ces deux domaines. Au milieu des années soixante, quand j’ai commencé à m’occuper de films, la fameuse École tchèque d’animation était à son apogée. » Il arrive à l'animation par la marionnette, pratique traditionnelle en Tchécoslovaquie.
Son esthétique est caractérisée par le mélange d'animation et de prise de vue directe (dans Alice notamment), le stop motion (dans Jeux de pierres par exemple), un montage fractionné très rapide et beaucoup de mouvements de caméra.
L'animation est aussi caractéristique de l'absurdité surréaliste, avec des personnages qui agissent comme des machines et un environnement qui n'obéit pas aux règles du réel.


jeudi 27 septembre 2012

MUSICA 2012: une soirée contrastée, éblouissante.

Musica, le festival incontournable des musiques d'aujourd'hui, après la mémorable soirée endiablée dance-floor dédiée à John Cage et la danse, offrait hier soir une soirée de choix.
NEUE VOCALSOLISTEN
Les chanteurs du célèbre groupe de Stuttgart dressent au coeur du Temple Neuf, un panorama de l'art vocal italien.
C'est avec Luigi Nono et "? Donde estas hermano? de 1982 que démarre le concert: œuvre sobre avec ses quatre chanteuses, aux vocalises a capella, limpides, cristallines.Le temple résonne de ces sonorités à la limite de l'audible, infimes, aux dissonances qui frottent et où l'on aime à "savoir écouter, même le silence".
Sylvano Bussoti donne l'occasion à l'ensemble, ici renforcé par la présence de voix masculines d'incarner "Ancora odono", pièce de 1967. Très proche de la musique et de la philosophie de Cage, l'auteur y insère textes variés qui fondent un exercice d'interprétation quasi théâtrale pour les chanteurs: encore des dissonances multiples se frayent un chemin dans l'acoustique du temple. L'ambiance ainsi créée concoure à une grande attention concentrée de la part du public, conquis.
Lucia Ronchetti fait mouche  avec en création française "Anatra al sal", "comedia harmonica", sorte de théâtre chanté inspiré de la tradition italienne du XVI ème siècle, le "madrigale rappresentativo".
Jeu d'acteurs merveilleux pour interpréter une recette de cuisine commentée par les cuisiniers!
Bel exercice de style, de jeu, de malice en diable où une mise en scène minimale donne corps et sensualité à cette batterie de cuisine au piano, maître- queux de la musique vocale pour distiller et mijoter un mets de choix. Bien dans leur "assiette" les voilà, polémiquant sur l'art d'apprêter un canard, sans fausse note Jeux de mots, de voyelles, comme un oulipo, on se joue ici de la difficulté pour atteindre un comique léger, empreint de malices . A déguster sans modération!
C'est au tour d'Oscar Bianchi avec "Ante Litteram", création, sur le mal, la morale et le salut, inspiré des textes de Nietzsche, "L'Antéchrist" de nous ravir l'âme et les sens.Les sons s'y égrènent, dramatiques et profonds, l'atmosphère s'assombrit.
Pour clore ce concert, "Herzstuck" de 2012, inspiré de textes d'Heiner Muller, Luca Francesconi offre en création française une pièce magnifique où les couches de sons et de phrasés s'additionnent à l'envi, donnant l'occasion aux interprètes de donner une théâtralité aux sons bigarrés étonnante. On se prend au jeu, on les dévore des yeux en empathie totale."La musique est une danse profonde entre l'instinct et la raison, continuellement à la recherche d'un équilibre". On est proche d'Aperghis, séduits par le jeu des visages, des corps des chanteurs impliqués dans les résonnances et la virtuosité de la partition collectve!Enchantement garanti à l'occasion de ce programme éblouissant!

Orchestre Philarmonique de Strasbourg
Marko Letonja, directeur musical de l'orchestre fait une performance en dirigeant de main de maître, la formation, à l'occasion d'un concert consacré au double portrait de Charles Ives et John Adams.
Ces deux compositeurs qui ouvrent et bouclent le XXème siècle musical aux USA, illustrent tradition et modernité avec brio et équilibre. "The Unanswered Question" et "Central Park in the Dark" en sont les fleurons concernant l'œuvre de Charles Ives: puissante, polymorphe, étourdissante, la musique d'ensemble est magistrale et touchante, très contrastée et empreinte d'une grande profondeur émouvante.
Quant à John Adams on découvre "My Father Knew Charles Ives"Harmonielehre", hommage à ses pairs, révolutionnaires du siècle passé.L'instrument orchestral y est magnifié, éclairé par une tempête dev sons, d'harmonies étranges à l'oreille pourtant rompue à bien des surprises!
Ce concert fait date et enchante, harmonieux autant que décapant, ilsitue les auteurs dans le vaste champs de l'ère de la musique emblématique du minimalisme américain, en "grandes pompes"! uNAN

mardi 25 septembre 2012

Pierre Boileau: emballant phénomène à MUSICA


« Em-ballez-vous, en bal et vous ? », entrez « libres »,Circulez !
Pierre Boileau : la curée du paon d’or ,le paon thé on….
« Body » is perfect!!!  

Il orchestre le BAL de MUSICA CABARET CONTEMPORAIN
Au Palais Universitaire ce mardi 25 Septembre 20H

Ce serait Quasimodo où l’art de démasquer les corps pensants en corps dansant. Pointer, désigner là où ça fait….du bien ! Montrer sans démontrer. Monstres, je vous aime !
Pierre Boileau, danseur, performeur, chorégraphe de l’impossible, du politiquement incorrect, anime les ateliers « open public » intitulés « body installation performance » à Pôle Sud à Strasbourg depuis leur création : un lieu de partage de l’espace, inventé pour d’autres danses, d’autres corps, des pensées multiples et fertiles Trois fois par an, à l’issu de périodes de travail intense, les lundis soir aux studio, une bande d’amateurs éclairés s’affairent  à traiter et maltraiter l’art de se montrer, l’art des sensations : la danse revisitée comme une nouvelle école de savoir-être. Cette saison, il orchestre un laboratoire sur le hors champ, le jeu sur le corps, la présence du corps comme un surgissement de la pensée comme résistance active !

Formé à l’école des Beaux Arts de Mulhouse et rapidement fondateur du groupe légendaire « Adèle Rriton Production », Pierre fréquente la compagnie de Dominique Boivin, échafaude moult projets avec LASdada, l’équipe d’artistes autour du travail de Christine R.Graz ,rencontre le parcours de la compagnie « toujours après minuit » et voyage avec leur comédie musicale, cabaret disjoncté….Et le voilà cheminant, aventurier, chargé de cours à la faculté de Strasbourg, en arts du spectacle vivant. Le corps, bien charnel et vivant justement, ce corps longiligne et gracieux, cheveux longs déployés, brun, yeux immenses et rêveurs, notre homme est indéfinissable ; Incontournable aussi dans le monde de la performance où il invente de nouveaux territoires d’investigation. Son dada : le tissu, la matière, les plis, les strass, les perruques, tout ce qui voile et dévoile les attraits du corps. Salomé de la scène, le fondateur de la formation à géométrie variable,« l’un des paons danse » vient d’intervenir récemment dans un colloque sur la Monstruosité…. à sa façon :Un maitre de cérémonie, cabaretiste du corps troublant, androgyne, comme un hybride, un tissu de vérités : le corps ne ment pas, même perruqué en diable : vêtements et corps sont la peau du monde et l’enveloppe de ses désirs les plus fous auxquels il donne forme et fantaisie, gaité et tragédie.
Dissimulé en tout cas par une accumulation de vêtements cachés sous des apparences de sobriété vestimentaire. Où est le monstre ? Dedans, dehors ou dans l’effeuillement, le déshabillé, le dévêtu ? Une dé-monstration d’un savoir faire de la scène, du paraitre où excelle Pierre Bouleau, performeur hoirs pair…Il ne renierait ni Leigh Bowery, ni David Bowie comme source d’inspiration et cependant c’est à la pureté de Simone Forti, chantre de la performance américaine si « naturelle » qu’il relie sa danse, son bougé…Allez, on ira plutôt du coté de chez Anna Halprin, si vous voulez bien !
Et pourtant la singularité de son écriture chorégraphique, de ses costumes en font un être à part. Un créateur, un couturier, artisan d’une danse étoffée, sur mesure. Un costumier du corps, dans les plis de la nuit. Dépliée, déployée. Tissus de grâce et de sensualité, récupération de pièces détachées pour patchwork corporel incarné. Brodé de dentelles, de sous-vêtements accumulés qui se dévoilent, se déconstruisent dans des strip tease simultanés. Lui, androgyne en diable, quasi égyptien, doré, masqué par un savant maquillage allumé de couleurs et de paillettes, de strass et de faux cils rutilants…Transversales travesties ou travestis transversaux…

lundi 24 septembre 2012

John Cage, un homme sans "cage"

John Cage

John Cage
John Cage
Compositeur américain (Los Angeles 1912-New York 1992).
Doué pour tous les arts, il songea d'abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l'université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l'orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s'établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d'étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
   À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d'été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s'être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l'avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu'il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire ­ terme que lui-même ne devait jamais faire sien ­ inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l'Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
   Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l'Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l'université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
   Cage est un de ceux à qui l'on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l'art des sons, selon une démarche tout à fait à l'opposé de celle d'un Pierre Boulez, la notion d'indétermination, l'idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d'œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d'un substitut à la tonalité défaillante ne l'ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s'attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s'interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d'où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d'une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l'art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu'alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d'un verre d'eau.
   L'invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé ­ consistant à loger entre les cordes de l'instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l'imprévisibilité du résultat sonore ­, date de 1938 (Cage pallia ainsi l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé d'utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l'indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l'étendit à l'acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu'à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d'oracles de la Chine ancienne permettant d'effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d'éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l'exécution.
   Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l'exécution) d'autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l'espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d'une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4'33'' pour n'importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n'y a pas non-œuvre : c'est l'ambiance qui crée l'œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu'à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l'ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l'université de l'Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d'anarchisme, de provocation et même d'entreprise de dégradation, alors que s'il nous propose d'oublier les relations que nous trouvions dans l'art auparavant, c'est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l'œuvre est présentée comme une action ­ il parle d'acteur (performer) plus que de musicien ou d'interprète ­ et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d'électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d'une source sonore à l'autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l'autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
   Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l'hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s'attacher au contraire à la créativité de l'interprète, à l'indépendance et à la dignité de chacun (qu'il soit auditeur ou exécutant), ou à l'obligation d'une écoute réciproque avant toute intervention, c'est l'ordre social qu'il remettait en question.
1
Cet article est extrait de l'ouvrage ci-dessous:
Dictionnaire de la musique Dictionnaire de la musique Voir sa fiche
À voir aussi dans Larousse
Médias
  • John Cage

John Cage

John Cage
John Cage
Compositeur américain (Los Angeles 1912-New York 1992).
Doué pour tous les arts, il songea d'abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l'université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l'orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s'établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d'étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
   À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d'été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s'être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l'avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu'il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire ­ terme que lui-même ne devait jamais faire sien ­ inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l'Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
   Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l'Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l'université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
   Cage est un de ceux à qui l'on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l'art des sons, selon une démarche tout à fait à l'opposé de celle d'un Pierre Boulez, la notion d'indétermination, l'idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d'œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d'un substitut à la tonalité défaillante ne l'ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s'attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s'interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d'où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d'une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l'art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu'alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d'un verre d'eau.
   L'invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé ­ consistant à loger entre les cordes de l'instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l'imprévisibilité du résultat sonore ­, date de 1938 (Cage pallia ainsi l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé d'utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l'indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l'étendit à l'acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu'à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d'oracles de la Chine ancienne permettant d'effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d'éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l'exécution.
   Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l'exécution) d'autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l'espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d'une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4'33'' pour n'importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n'y a pas non-œuvre : c'est l'ambiance qui crée l'œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu'à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l'ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l'université de l'Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d'anarchisme, de provocation et même d'entreprise de dégradation, alors que s'il nous propose d'oublier les relations que nous trouvions dans l'art auparavant, c'est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l'œuvre est présentée comme une action ­ il parle d'acteur (performer) plus que de musicien ou d'interprète ­ et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d'électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d'une source sonore à l'autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l'autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
   Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l'hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s'attacher au contraire à la créativité de l'interprète, à l'indépendance et à la dignité de chacun (qu'il soit auditeur ou exécutant), ou à l'obligation d'une écoute réciproque avant toute intervention, c'est l'ordre social qu'il remettait en question.
1
Cet article est extrait de l'ouvrage ci-dessous:
Dictionnaire de la musique Dictionnaire de la musique Voir sa fiche
À voir aussi dans Larousse
Médias
  • John Cage

John Cage

John Cage
John Cage
Compositeur américain (Los Angeles 1912-New York 1992).
Doué pour tous les arts, il songea d'abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l'université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l'orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s'établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d'étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
   À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d'été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s'être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l'avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu'il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire ­ terme que lui-même ne devait jamais faire sien ­ inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l'Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
   Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l'Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l'université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
   Cage est un de ceux à qui l'on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l'art des sons, selon une démarche tout à fait à l'opposé de celle d'un Pierre Boulez, la notion d'indétermination, l'idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d'œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d'un substitut à la tonalité défaillante ne l'ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s'attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s'interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d'où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d'une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l'art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu'alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d'un verre d'eau.
   L'invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé ­ consistant à loger entre les cordes de l'instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l'imprévisibilité du résultat sonore ­, date de 1938 (Cage pallia ainsi l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé d'utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l'indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l'étendit à l'acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu'à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d'oracles de la Chine ancienne permettant d'effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d'éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l'exécution.
   Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l'exécution) d'autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l'espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d'une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4'33'' pour n'importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n'y a pas non-œuvre : c'est l'ambiance qui crée l'œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu'à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l'ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l'université de l'Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d'anarchisme, de provocation et même d'entreprise de dégradation, alors que s'il nous propose d'oublier les relations que nous trouvions dans l'art auparavant, c'est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l'œuvre est présentée comme une action ­ il parle d'acteur (performer) plus que de musicien ou d'interprète ­ et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d'électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d'une source sonore à l'autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l'autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
   Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l'hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s'attacher au contraire à la créativité de l'interprète, à l'indépendance et à la dignité de chacun (qu'il soit auditeur ou exécutant), ou à l'obligation d'une écoute réciproque avant toute intervention, c'est l'ordre social qu'il remettait en question.
1
Cet article est extrait de l'ouvrage ci-dessous:
Dictionnaire de la musique Dictionnaire de la musique Voir sa fiche
À voir aussi dans Larousse
Médias
  • John Cage

John Cage

John Cage
John Cage
Compositeur américain (Los Angeles 1912-New York 1992).
Doué pour tous les arts, il songea d'abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l'université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l'orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s'établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d'étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
   À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d'été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s'être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l'avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu'il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire ­ terme que lui-même ne devait jamais faire sien ­ inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l'Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
   Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l'Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l'université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
   Cage est un de ceux à qui l'on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l'art des sons, selon une démarche tout à fait à l'opposé de celle d'un Pierre Boulez, la notion d'indétermination, l'idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d'œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d'un substitut à la tonalité défaillante ne l'ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s'attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s'interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d'où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d'une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l'art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu'alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d'un verre d'eau.
   L'invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé ­ consistant à loger entre les cordes de l'instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l'imprévisibilité du résultat sonore ­, date de 1938 (Cage pallia ainsi l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé d'utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l'indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l'étendit à l'acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu'à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d'oracles de la Chine ancienne permettant d'effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d'éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l'exécution.
   Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l'exécution) d'autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l'espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d'une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4'33'' pour n'importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n'y a pas non-œuvre : c'est l'ambiance qui crée l'œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu'à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l'ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l'université de l'Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d'anarchisme, de provocation et même d'entreprise de dégradation, alors que s'il nous propose d'oublier les relations que nous trouvions dans l'art auparavant, c'est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l'œuvre est présentée comme une action ­ il parle d'acteur (performer) plus que de musicien ou d'interprète ­ et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d'électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d'une source sonore à l'autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l'autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
   Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l'hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s'attacher au contraire à la créativité de l'interprète, à l'indépendance et à la dignité de chacun (qu'il soit auditeur ou exécutant), ou à l'obligation d'une écoute réciproque avant toute intervention, c'est l'ordre social qu'il remettait en question.
1

Cage, Cunningham: par amour de la danse

C’est à la Cornish School à Seattle où il étudie le théâtre et la danse, que le chorégraphe en herbe rencontre le musicien John Cage qui accompagne au piano les cours de danse. De sept ans son aîné, ce compositeur d’avant-garde sera son compagnon de vie et de travail jusqu’à sa mort en 1992. S’ils travaillaient ensemble, les deux artistes composaient chacun de leur côté, musique et chorégraphie se rejoignant au moment de la première représentation.
En 1944, dans un minuscule théâtre de New York, Cunningham présentait ses premiers solos avec John Cage au piano. Ensemble, ils bâtissent une œuvre chorégraphique et musicale unique, concevant des pièces où la musique et la danse dialoguent, égales et indépendantes. C’est une véritable libération pour l'art chorégraphique qui se contentait à l'époque d’illustrer la musique. Leur méthode de travail est radicale : chacun élabore sa partition de son côté sur une même durée préalablement décidée. Lors de la première, c'est le choc de la rencontre.

"The Artist" : paroles, paroles....et musique live!!!!

"La voix de son maître": le film de Michel Hazanavicius, c'est l'histoire d'un petit chien, celui d'un grand artiste de film muet (Jean Dujardin en George Valentin) qui se perd dans le refus de jouer pour le cinéma parlant. Ce petit animal qui aboie en silence mais est le premier dans le film à émettre du son, à être la voix de son maître. C'est aussi celui qui lui sauvera la vie quand il pensera y mettre fin par désespoir. C'est aussi le rire muet, le sourire de Bérénice Bejo en Peppy Miller, star onctueuse de la comédie musicale  "sonore"
Le tout magnifier par cette version concertante inédite de la musique originale du film, celle du compositeur Ludovic Bource, en live, interprétée par le magnifique ensemble du Philarmonique de Strasbourg! Une version pour être en phase avec les images, soutenir l'intrigue, apaiser les temps de poésie, renforcer la violence de certaines scènes de désespoir.A la direction de l'orchestre, Ernst van Tiel, semble se régaler en direct de cette connivence musique-images et communique son enthousiasme, deux heures durant autant à ses interprètes, qu'au piublic!
Une belle démonstration de virtuosité délicate qui se répand tout au long du film et contribue à nous immerger dans un univers ou le muet à tout à gagner en le restant au profit d'une musique à la fois populaire et savante.Du bel ouvrage pour une expérience communautaire partagée: le public ne s'y trompait pas en ovation, debout dans la salle du PMC. Du jamais vu à Musica: Jean Dominique Marco, toujours aux commandes artistiques du festival, joue et gagne!
Pari tenu pour faire découvrir à un vaste public très varié les tonalités d'une musique brillante qui se fond dans les scintillements du gris lumineux des images en "noir et blanc", à la Fred Astaire.
Le talent des acteurs-danseurs du film se révèle d'autant plus dans la musicalité ainsi renforcée de leur magistrale interprétation!