mercredi 19 juin 2024

"Médée poème enragé": engagé....Orpailleuse de toison, médusante Médée, monstre ou femme adulée....

 


Médée Poème Enragé :

Médée aime Jason et ira jusqu’à tuer sa propre famille pour lui permettre de s’emparer de la toison d’or. La radicalité de son amour pour lui – lui qui finira par la trahir – l’amènera à commettre un acte tout aussi radical : tuer ses propres enfants. Jean-René Lemoine nous livre ici une version contemporaine éminemment puissante du mythe de Médée. Il y est question de Médée la « barbare », Médée l’« étrangère » ; de celle qui se fera esclave de Jason, qui se révoltera contre son joug, qui se délivrera de la soumission où elle se tenait prisonnière. Ce mythe ne nous parle-t-il pas fondamentalement de ce que sont les féminismes ?

photo robert becker

Allongé au sol, il-elle gît couverte de son manteau, enveloppe de toile, dos à nous, le crane rasé ou tondu...Une longue robe comme vêtement, soyeuse, brillante, des chaussures à talons ouvertes. Femme, homme, hybride ou androgyne. C'est sans doute à une autre Médée que l'on va se heurter, se confronter ou faire communion. Les paroles sourdent de ses lèvres par le truchement d'un micro amplificateur de son vibrant. Sa voix se fait naturelle à travers un texte d'une grande richesse linguistique, au phrasé recherché, au vocabulaire déferlant. 

photo robert becker

D'emblée l'empathie se déclenche, un processus de complicité étrange se met en place grâce à la proximité que le public entretient de fait avec le comédien. .A l'intérieur d'une cave, sous la voute, rassemblé en U, il vibre dans la tension qui s'installe. Tension des propos et de leur crudité, leur cruauté ou au contraire de leur tendresse.Le personnage est évoqué par toutes ses facette, ses relations avec Jason, son frère, ses enfants qui jalonnent le récit, précis, fébrile, envoutant. Parfois médusée, figée, tantôt alanguie dans des postures suggérant les propos érotiques ou orgiaques , Médée pétrifie, asphyxie, déconcerte mais passionne l'auditoire. Longue silhouette enveloppée de satin de soie plissé, sculpture vivante et mouvante, les yeux animés, vifs, virulents, interrogateurs...


Grâce au jeu très subtil et dosé de Simon Vincent, parfait être androgyne, lisse ou plein de plis et replis de sa robe fanée ou en plissés d'amour. Car c'est d'amour fou et passionné dont il s'agit en ces temps et lieux inondés par un texte proféré pudiquement ou rageusement selon les épisodes de la pièce. Monologue rempli de paysages, d'images très cinématographiques qui lancent et propulsent le spectateur dans des sphères sensibles.On "rembobine", on "accélère" le temps et la course des séquences comme un projectionniste en cabine.Paysages sonores d'ambiance, plage, oiseaux, cris d'enfant comme écrin d'évasion et d'espace mental. Loin des clichés picturaux de Méduse ou autre Gorgones mythiques aux vertus pétrifiantes, notre Médée, humaine, féministe, cruelle et maternelle se livre comme une sacrifiée du destin mais résistante et vindicative. Elle fait "cuire l'oncle, tue sa rivalise, sorcière maléfique mais terrassée par les vendanges tardives de l'amour-fou. Sexe cru et scènes de copulations fort bien évoquées par la plume de l'auteur, lui-même "enragé", épris du personnage.Dans "des nuits de satin blanc" ou des intrusions musicales d'opéras dramatiques, emprunts discrets à Tosca et Tristan et Isolde, le comédien navigue et part à l'assaut de cette furie hors norme qui tient autant de la tendre mère que de la criminelle acharnée.

Un personnage à redécouvrir dans la syntaxe de Jean -René Lemoine qui s'attelle à la tache de ressusciter celle qu'on ne connait que par tranche de vie. Par Corneille entre autre auteur. Dans ce décor nu de cave, mur blanc, escalier en marche comme des reposoirs pour notre anti-héros, objet de cet opus singulier dont la mise en espace d'Hélène Schwaller affirme l'existence charnelle. Attractive, envoutante interprétation d'un comédien taillé pour le rôle, sur le fil, dans le déséquilibre permanent, monté sur ses chaussures à talons, échasses vers le ciel. Un moment de théâtre de chambre, d’alcôve qui fait éclater bien des préjugés et autres considérations au sujet de cette mythologie qui ne cesse de nourrir notre appréhension du présent, de l'actualité. Une pièce souterraine autant que sous-marine au pays des dieux qui nous hantent encore.

photo robert becker

de Jean-René Lemoine, mise en scène Hélène Schwaller, avec Simon Vincent. 

Festival de caves – Théâtre Souterrain à strasbourg le 19 JUIN

 

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