samedi 12 avril 2025

"Quelque chose rouge" : faut pas que ça saigne...Eleonore Barrault et le groupe 49 accouchent d'un heureux événement!

 


Soyez les premier·es à découvrir l’univers des deux élèves metteur·ses en scène du Groupe 49 : Éléonore Barrault et Juan Bescós. Pour leur première création collective en demi-groupe, iels ont choisi leurs équipes artistiques, conçu et suivi toutes les étapes de leur projet qui s’ouvrira au public en avril 2025 dans les salles de l’École du TnS.
  Ce spectacle ne cherchera pas à représenter une bonne fois pour toute ce que des millions de femmes ont déjà vécu. Et d’ailleurs, disons-le tout de suite, personne ici n’a accouché.

C’est une histoire qui vient des grottes. Histoire de douleurs, histoire des femmes, histoire de l’art. 


Lorsqu’on s’y intéresse, les récits et les représentations d’accouchement se révèlent souvent tronqués, impossibles à dire, occultant les questions de violence et d’appropriation. L’accouchement est surtout l’occasion d’un discours sur la joie d’une transformation, d’une nouvelle vie, etc. Mais de quelle joie s’agit-il ? On a caché le rouge, on a caché la douleur. On a sorti du cadre le corps des femmes en train d’accoucher. Les peintures qui nous restent sont celles des naissances. Vierges à l’enfant. Décevantes.

Alors, qu’adviendrait-il si nous racontions l’histoire du point de vue de ce corps disparu ? Avec quelles couleurs pourrait-on peindre cette expérience singulière ?

Le spectacle cherchera à dessiner ce quelque chose rouge au bout de la grotte, sans détourner le regard.


L'école du TNS: une mine d'or, de talents, d'expérimentations: cinq spectacles à la clef de ce mini festival riche de découvertes. Au sein de l'établissement dans la salle de travail des comédiens, c'est à un autre "travail" que l'on va consacrer notre temps: celui des sages femmes, ces mater dolorosa qui calment et délivrent les corps des parturientes. Beau sujet jamais abordé excepté sous forme de métaphore ou de suggestion: sortir de la cuisse de Jupiter ou des côtes d'Adam: qu'est ce qu'on nous cache, qu'est-ce qu'on ignore, quel est le déni sur cette expérience humaine à priori si naturelle, si évidente? Les tabous sociaux, ceux de la religion, du pouvoir, du machisme sans doute. C'est à toutes ces histoires, ces récits de vie que l'on va assister en bonne compagnie: celle de quatre comédiennes et un jeune homme, sage-femme qui se livrent à l’exécution de leur métier devant nous, devant ou derrière de longs pendrions opaques, comme ceux d'un hôpital. Une table de travail, des blouses bleues de travail, des chaussons en caoutchouc et le tour est joué Verve et enthousiasme à la clef pour cette communauté, cette tribu joyeuse qui s'interroge sur les origines de la vie, les traces quelles gardent sur les parois de nos grottes rupestres: le sang des empreintes des doigts des accoucheuses.. 
 

Beau travail de recherches, d'iconographies sur le sujet des femmes et de leur ventre rond, de leur sexe à découvert sur la table d'accouchement. Sans pudeur ni omission, l'origine du monde se délivre, cette "délivrance" salvatrice, secret de famille ou simple acte chirurgical en cas de panique...Les textes virevoltent dans une cadence, un rythme effréné, habités par les interprètes, longues litanies précipitées sur le travail ou ronde folle comme un inventaire des fantasme sur le trou, la béance chez Rabelais avec son banquet de héros sortis de partout sauf de l'utérus, de son col qui se dilate! Col à franchir, voie de passage qui se déchire ou pas: tout est évoqué cliniquement sans heurt, avec tact et doigté dans une mise en scène factuelle: tentures rougeoyantes pour évoquer le sang, les menstrues, l'expulsion du nourrisson. La douleur avec ses cris et chuchotements, la fascination ses corps donnant la vie. Les artistes sur le plateau s'en donnent à coeur joie, dévorent sans cesse fruits et autres grappillages pour  nourrir  leurs angoisses, calmer la faim et la soif de survie. Le rythme est incessant, les femmes galvanisées par ce sujet si rarement évoqué. On chasse le détail, l'anecdote ou l'aveu sur le sujet dissimulé par des siècles de silence et de contraintes. Ici on délivre le vrai et l'authentique sans fausse couche ni embryon de pudeur. Le plasma, les eaux sont chose rouges ou transparentes, évoquées crument, organiquement, sobrement. Jusqu'à devenir décor en vidéo aqueuse sur le mur de fond de scène. Pas de pleurs ici mais une réalité animée, joyeuse face au destin incontournable des femmes enceintes. 
 

Eléonore Barrault se joue des obstacles et tissus et corps s'enveloppent jusqu'à devenir toiles de maitre peintes, ou voiles plissés de Vierge Marie et son déni de grossesse! La dramaturgie de Beaudoin Woehl joue le jeu de la montée en puissance des textes choisis et jetés sur le plateau avec force et engagement. 
 

La scénographie de Inga Adeline Eshuis répond en écho aux allées et venues de ces femmes au travail, pressées, enjouées, toniques. Et les costumes de Nais Theriot s'adaptent au sujet dans les plis et replis de drames ou de réjouissances: les tissus se font robes, tabliers, voiles ou vêtements de sacrifice sur l'autel de la gynécologie d'urgence! C'est beau et vivant, rouge comme le sang de la vie, ou pastel comme la toile évoquée de Paula Modersohn-Becker qui comme une toile de Rutault ne dévoilera jamais sa face cachée...Tout ici est "féminin" pluriel, bien genré, tempétueux et généreux. Les comédiennes Louise Coq, Emma Da Cunha, Zélie Hollande, Mina Totkova y jouissent du plaisir du jeu et dévorent ce festin de fruits et grignotages défendus, The-vinh Tran fait un numéro d'inventaire des Dieux des monstres nouveaux nés de légende et odyssée de toute beauté!
 

La ronde finale sur du Sclavis, musique à danser, clôture l'opus sur des notes d'espoir et de fraternité, de sororité et autres liens en phase avec le cordon ombilical à couper absolument pour délivrer l'identité et l'être ensemble. Poussez, tout va bien! Sans forceps ni césarienne!

[Mise en scène] Eléonore Barrault
[Dramaturgie] Baudouin Woehl
[Scénographie] Inga Adeline-Eshuis
[Costumes] Naïs Thériot
[Création et régie lumière] Syrielle Bordy
[Création et régie sonore et vidéo] Félicie Cantraine
[Régie générale et plateau] Lucas Loyez
Avec Louise Coq, Emma Da Cunha, Zélie Hollande, Mina Totkova, Thê-vinh Tran.

Au TNS jusqu'au 12 AVRIL

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