Último helecho est un spectacle né de recherches de terrain sur des répertoires populaires et baroques en Amérique du Sud, notamment en Argentine. En compagnie de Nadia Larcher, figure des musiques folkloriques contemporaines argentines, et de six musicien·nes traditionnel·les, Nina Laisné et François Chaignaud poursuivent leur quête d’une performance dans laquelle les expressions vocales et chorégraphiques se tressent sans que jamais l’une ne domine l’autre. À travers des danses traditionnelles telles la zamba, la chacarera ou le huaynos, à travers les corps, les rythmes et des chants aux timbres androgynes transparaissent la culture et la mémoire des peuples opprimés par la colonisation. Un geste de reconnaissance et une célébration souterraine à la croisée des mythologies sud-américaines.
François Chaignaud surprend, dérange, se plait à décadrer, décaler les genres et les disciplines pour mieux cibler son propos:avec la complicité de Nina Laisné il navigue en eaux claires et donne à voir et à entendre une œuvre inouïe. Seul sur le plateau une créature de rêve se love, se meut délicieusement dans des atours fantastiques: faune ou héros d'un Shéhérazade revisité, le danseur fabuleux visite toutes les possibilités de jeu avec un bâton qu'il s"amuse à expérimenté le point de gravité ou d'ancrage au sol. Lente progression ludique d'une danse envoutante, hypnotique, alors que juchés sur un dispositif fascinant, grotte ou caverne étrange et diabolique,trois musiciens ne retiennent pas leur souffle dans des sacqueboutes longilignes. Torsions, grâce et vélocité remarquable émeuvent la danse de François Chaignaud, alors que près de lui, Nadia Larcher chante et nous berce dans des mélodies puisant aux racines lointaines, leur chant nostalgique ou enjoué. Du haut de cette vasque, sorte de fontaine de jouvence agrémentée d'une montée d'escalier en colimaçon, les musiciens, officiants tout de noir vêtus respirent des sonorités vibrantes , oscillantes accompagnant bandonéon et percussions à l'envi.
Les courbes du corps de Chaignaud virevoltent, se cabrent se délectent sensuellement de plaisir et d'audace. On songe à Nijinsky, androgyne créateur de mouvements rétractés, en dedans ou étirés gracieusement à l'extrême. Tous les deux chantent, martèlent le sol et font communion avec les interprètes de ces chants venus d'ailleurs. Les costumes sont ceux d'une galerie de l'Evolution, exosquelettes chatoyants, colonnes vertébrales tissées sur le flan, très seyants: quasi fantastiques, voisins de peau animale colorée, brillante.Les voix se fondent de concert, le décor magnifie une atmosphère sereine, martiale, magistrale icône enluminée chère à l'univers baroque de François Chaignaud. Et c'est flamenco détourné et claquettes fantaisistes qui animent le corps faunesque et félin du danseur: on songe à "Mirlitons" son duo rageur et ravageur où il expérimente bonds, sauts frappes des pieds et pointes flamenco dans une savante chorégraphie. Un peu de tauromachie dans un jeu d'esquive esquissé avec une bribe de foulard flambant et le tour est joué.
Des tuniques orangées, votives et sacrées leur sont offertes, chasubles de cérémonie, de messe pour ces chansons de gestes savantes et l'office se continue précieux, savant, aux gestes millimétrés.
Avec brio il arpente la scène, gainé de cuissardes ou guêtres dorées en porte jarretelles, coiffé de pouf ou de couronnes évoquant crêtes d'oiseau ou parures d’iroquois. Et chante de sa voix de contre ténor, épousant la voix chaleureuse et bariolée de Nadia Larcher. Le spectacle est onirique, flamboyant, remarquable bréviaire et codex dansé de toute beauté. La mise en scène et scénographie portent la signature d'une complice de presque toujours, Nina Laisné. "Ultimo helecho", "dernière fougère" serait-ce une ode à l'énergie fossile, à un herbier poussant en terre fertile dans le creuset d'alluvions, de tourbe salvatrice? Et cet humus se fait terre d'élection d"une danse fertile:« Si homme vient d'humus, détruire l'humus revient à perdre notre humanité. » Cette conviction, déjà défendue dans son roman Humus, Gaspard Kœnig pourrait s'y reconnaitre...
Último helecho (2025)
conception, scénographie, mise en scène Nina Laisné
chorégraphie, collaboration artistique François Chaignaud
conseil musical, collaboration artistique Nadia Larcher
chorégraphe associé Néstor « Pola » Pastorive
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