Quel impact les murs et les frontières — leur mouvement, leur érection, leur destruction et leur franchissement — ont-ils sur les personnes ?
Les terrains de conflits contemporains, en Ukraine, en Palestine et ailleurs, sont le point de départ de la dernière création de François Sarhan, une enquête théâtrale, musicale et documentaire menée à partir de témoignages et de matériaux d’actualité, au contact d’identités façonnées par la violence. On y découvre la gamme de produits anti-missiles MUSIC de la société israélienne Elbit Systems ou le sort tragique réservé au chamane iakoute Alexandre Gabychev, puni d’internement psychiatrique à perpétuité, après avoir tenté d’exorciser Vladimir Poutine.
Et si les images projetées sur grand écran, telles des témoins passeurs d'Histoire et de récits particuliers venaient ébranler nos conscience? Nos oreilles et nos yeux, assurément. Les cinq musiciens-conteurs vont performer sur le sujet brulant et d'actualité: la guerre, le pouvoir et l'insurrection, la résistance. Cordes-violons-batterie et piano vont servir ce récit bigarré entrecoupé de prises de paroles, de témoignages sur le vécu de chacun. Performance vocale et musicale sans filet. Des avions, un aéroport et une animatrice en chair et en os décryptent les situations géo-politiques et mercantiles de l'exercice du pouvoir. Et la musique de border, doubler, précéder les contes qui ne sont pas de fées mais de faits et gestes souvent criminels et prémédités. Les barrières de protection, les barbelés, les frontières et surtout les murs seront à l'honneur pour stigmatiser les prés carrés, la propriété et le pouvoir en général, mon Général! Car François Sarhan y va droit au but sans fioritures ni falbalas. Les murs ont des oreilles comme nous, une mémoire, une fonction d'obstacles infranchissables. Diviser, entraver, bloquer, réduire rencontres et échanges au néant au profit de la Haine. Un ballet de sorcières maléfiques à la solde du pouvoir en est une belle et fameuse séquence. En images, les sorcières voilées en incrustation y vont de leur balai, lac des signes des temps de soumission. Danse du mur de Berlin, également, petites danses russes esquissées à plusieurs reprise. La danse comme otage du pouvoir malin qui hante cette pièce et en fait un manifeste socio-politique de grand intérêt. La musique ici convoquée comme le geste et le théâtre pour une oeuvre totale et pas totalitaire. Deux sirènes à la coiffure de Gretchen, nattes folkloriques font leur show moqueur de pies voleuses.
Seconde section de musique plus glamour pour semer "les grains de balles biodégradables". Il y a du génie dans l'invention de ces armes féroces, transformées en fertilisant de sol! Une graine déguisée se balade sur scène et dans la salle, désopilante figure d'un instrument de guerre et paix masqué. Il fallait l'inventer, Sarhan l'a fait!Incarnée en pénis, prépuce et gland, l'arme devient glamour et perfide. Le mur de l'Nfer resurgit, haineux et métaphorique, murmure en musique percutante encore quelques récits poignants, celle de la femme allemande persécutée et emprisonnée à tort et de travers.Pour les quatre comédiens qui rejoignent le plateau, la tâche est ardue de faire corps et concurrence aux sons de l'Ensemble instrumental. Le jeu est décapant, drôle et pertinent dans une mise en scène loufoque et fouilli, désordonnée et indisciplinaire. Un dressing de sapes pour loge, pour changer de peaux, retourner sa veste ou comme vêtement de combat et mascarade.
La protection en poupe: contre qui? L'inconnu ou le politicien, le poli petit chien de surface. Et revient cette toile imprimée d'un mur de briques cuivrées traditionnelles; linge qui flotte, oripeau ou drapeau fer de lance, voile d'une Loie Fuller libérée. Plein feu peu à peu sur le rangement de la scène, histoire d'évacuer les personnages, les accessoires , le récit et le public, à coup d'aspirateur et de balai. On quitte la salle conquis et jamais désabusé. On a déboulonné les statues du pouvoir musical académique, des harmonies et autres recettes de composition magistrales. Pour le meilleur d'une fable emplie d'images hallucinantes des anti héros du contre-pouvoir. Debout les fils rouges d'Ariane qui jonchent le sol comme une carte géographique, courbes de niveaux et enchevêtrements à délier de toute urgence.Et de trouver cette nécessité de quitter sa tribu musicale pour réinventer la musique!Et l'art brut de devenir musique originelle, théâtrale et accessible.Et ainsi faire partie d'une nouvelle tribu...Des "situations" autant cocasses que tragiques...
Au TAPS Scala le 21 Septembre dans le cadre du festival MUSICA
en anglais, allemand, arabe, français, russe et ukrainien
composition | François Sarhan
dramaturgie, traduction et sous-titrage | Maria Buzhor
costumes | Lea Søvsø
son | Camille Lézer
direction technique et lumières | Eric Slunecko
performance | Daniel Agi, Janina Ahh, Marie Buzhor, Julia Lwowski
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United Instruments of Lucilin
violon | Winnie Cheng
alto | Danielle Hennicot
guitare électrique | Srđan Berdović
clavier | Pascal Meyer
percussions | Guy Frisch
commande Musica, United Instruments of Lucilin
production United Instruments of Lucilin
coproduction Musica, La Muse en Circuit - CNCM, TVL
avec le soutien de la Ernst von Siemens Musikstiftung
crédit photo United instruments of Lucilin © Alfonso Salgueiro
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