Debussy
avait ouvert une voie nouvelle, libérant le quatuor à cordes de la
structure rigide héritée du xıxe siècle. Projeté à notre époque, dans
une antichambre où histoire, environnement et esthétique semblent
fusionner en une même préoccupation, le genre se réinventera-t-il une
fois encore ? Les réponses s’entrechoquent, à l’image des pièces de Lisa
Streich et Mikel Urquiza : sonorités fragiles et volatiles, en écho à
la nature, pour l’une, inventaire de références et conscience
historique, pour l’autre. Que le désir de synthèse donne lieu, au bout
du compte, à un « divertissement raté » est peut-être un risque à
courir, comme le suggère ironiquement Clara Iannotta en empruntant son
titre à David Foster Wallace.
Quatuor Diotima
violon |
Yun-Peng Zhao, Constance Ronzatti
alto |
Franck Chevalier
violoncelle |
Pierre Morlet
Mikel Urquiza "Index"
(2021)
création mondiale Un rythme alerte pour entamer le concert, animé truffé d'audaces et d'harmoniques changeants.Surprises dans les mesures aux accents ou accidents curieux...Des archets glissants, grinçants, puis cordes en piqués alternés comme des gouttes d'eau.Un mugissement ascendant du violoncelle dans une verve et une efficacité sidérante.Le son serpente dans ce deuxième mouvement, s'amuse, se glisse entre les brèches provocant des sons incongrus en crescendo colériques.Et dissonants, puis plus soutenus et discrets.Le troisième mouvement est quasi mélodique, référencée classique à coup de collages et dessine des voltes déstructurées, tectonique en fracture sur fond linéaire. Un métissage inventif pour créer des univers qui se brassent à l'envi dans des vibrations subtiles.Puis comme dans un concerto de musique de chambre se glissent des inserts dans le flux sonore, références citations musicales en interstices.Des ces fractures, failles, l'écoute est vertige et déséquilibre en va et vient, aller et retour, comme autant de fausses fins, répétitives, interminables épilogue pour une accumulations d'emprunts "sans intérêt pécuniaire" pour la banque de sonorités et influences diverses.En plein "vol", captures ou rapt musicaux de toute beauté!
Clara Iannotta "A Failed Entertainment"
(2013)
De beaux mouvements mécaniques des archets d'où émanent des sons rotatifs, en crissements grinçants réguliers, à peine perturbés parfois par une désorganisation volontaire de l'ensemble.D'infimes sonorités imperceptibles en sourdent, retenues, discrètes.La minutie du contact avec les archets sur les cordes est virtuose et vibratile, agile et souple.Une longue traine de sons étirés, très respirés dans l'endurance de l'interprétation remarquable du Quatuor!Un grand silence suspendu dans l'espace pour retenir suspens et attention.
Lisa StreichVogel. Mehr Vogel (Als Engel)
(2015, nouvelle version 2021) création mondiale. De petites plaintes des cordes comme des enluminures sonores, délicates et surprenantes.Grattage, frôlement, chatouilles sonores très tactiles pour une minutie très adroite et périlleuse sur les cordes raides.Son de clochettes ou sifflets comme une heure qui sonne et passe sur l'horloge ou la pendule. L'ambiance est secrète, intime comme un cabinet de curiosités musicales à découvrir avec respect.La précision des touches multicolores, polyphoniques, les jeux de masse sonore brève et impactées, les sautillés des notes piquées font de la pièce du bel ouvrage ciselé, stylé.La composition est complexe et radicale , la syntaxe, brisée? le phrasé, en ricochet Sur les cordes on arrache, dépèce le son en détachements progressifs des sons de leur enveloppe.Comme des joints de porte, des gonds qui s’entrebâillent et laissent filtrer de petites doses de souffle.Des touches impressionnistes remarquables pour brosser une toile sonore pointilliste et lumineuse.
Claude Debussy
"Quatuor op.10"
(1893) :c'est comme des réminiscences d'autres morceaux de Debussy, musique fluide et vaporeuse danse du Faune ou de la Mer...L'audace de l'écriture parait une évidence, comme ces vagues successives, ce tuilage de sons et rythmes de hauteur vertigineuse en crescendo voluptueux.Le deuxième mouvement se parant d'accents hispanisants, fandango ibérique en suggestion: des changements de mesures constants donnent force et légèreté à la pièce de Monsieur Croche! Les registres émotionnels se succèdent dans une narration dramatique calculée.Un adage langoureux et sentimental suit, très sensuel, enveloppante musique profonde.Très élégante et précieuse interprétation du Quatuor, délicates intentions de jeu d'archets pour des étirements de sonorités portés à leur apogée.Un final flamboyant et lumineux pour clore ce récital dominical aux teintes de l'automne.
Dimanche 26 Septembre Stadthalle Kehl dans le cadre du Festival MUSICA
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