Fanny de Chaillé : "Avignon,une école" de bonne conduite.
Fanny de Chaillé est une "pédagogue" chercheuse hors pair qui sait extraire et tirer d'un interprète les profondeurs de ses potentialité de jeu, d'incarnation. Tout en demeurant dans les sphères de l''identité, de l'intégrité. Son "Ecole", "une école" en Avignon en compagnonnage avec La Manufacture de Lausanne en serait un bel exemple. De jeunes interprètes s'adonnent en groupe à l'expérience théâtrale de A à Z. Construire un spectacle, trouver un argument, une histoire qui tient la route, en édifier un texte, une mise en espace et in fine le donner à voir....dans le mythique Cloitre des Célestins. Il est 21H au crépuscule du soir les corneilles se rassemblent dans les branches des platanes et dialoguent avec les comédiens. Donnent la réplique sonore au festival d'Avignon qui ce soir est à l'honneur. On lui fait la cour et on refait son histoire avec une grande H hache pour en faire un mas de la Saint Jean Vilar. Voir et entendre ces jeunes professionnels évoquer, incarner les grands de cette histoire du théâtre est troublant et attachant. Pierre Henry et sa Messe du Temps présent, Jean Vilar, Gérard Philippe et tous ceux qui ont traversé des époques, des directions artistiques différentes s ' y succèdent dans un rythme joyeux, énergique et tectonique. Le Masque et la Plume: un moment désopilant sur les critiques du temps passé qui nous parlent encore sur les ondes...Souvenirs, souvenirs quand vous nous tenez! Des numéros inénarrables parsèment la pièce dans une diction générale impeccable. Des questionnements sur le métier viennent sur le tapis, le féminisme, la société...Le Living Theatre y est passé à la moulinette aussi et la Suisse, ce pays, danger public après les arabes et les juifs s'en prend plein pot dans la figure.Tous ces événements, petits et grands, choisis pour leurs possibilités d'être ré-incarnés, restitués non moulés à la louche comme autrefois, mais dépecés de complexes et hypocrisie. Une réussite totale et enthousiasmante.La mise en scène, sobre, opérationnelle est bien de la veine d'une chorégraphe qui sait faire bouger les corps dans l'espace: danser, se mouvoir en s'exprimant verbalement, naturellement sans entrave.
Tiago Rodrigues: "Hécube, pas Hécube": une légende d'aujourd'hui fait carrière.
La Carrière Boulbon fait miracle et magnifie toute mise en espace digne de ses volumes surprenants, de son acoustique, de ses failles murales impressionnantes. Elle ne pardonne rien comme la Cour d'Honneur et voici Tiago Rodrigues qui s'empare du lieu en compagnie des comédiens du Français.Réussite totale tant le mariage d'un texte inspiré de la mythologie et de ses facéties épouse les entrailles du lieu et fait se mouvoir. Entre le tribunal où Hécube -celle d'Euripide-et la première de la pièce de théâtre répétée, tout se construit autour de ses personnages de légende devenus de veine contemporaine. L'histoire personnelle de la comédienne phare, Nadia, mère d'un fils autiste malmené dans son institution d'acueil est sidérante. Hécube, pas Hécune" est de la pure syntaxe d'autisme où la répétition fait figure d'acte d'existence, de réussite. Les comédiens, une bande d'acteurs en répétition sont au diapason de ce récit cruel et sensible. Faite de répliques qui n'appartiennent qu'à eux et à Tiago Rodrigues, la narration va bon train et file deux heures durant dans cette carrière où tout résonne juste. En écho avec ce drame personnel, cette joyeuse assemblée d'acteurs, meilleurs les uns que les autres. Sept d'entre les sociétaires de la Comédie Française animent le jeu, se déplacent aisément sur ce plateau naturel où la poussière de sable laisse les empreintes de bien des pas. Costumes sobres, jeu à la perfection de ceux qui exercent un métier où la communication avec le public est chose évidente et respectée. Un moment de grâce dans un écrin où la vie semble irréelle alors que sur la scène se joue les destins politiques, sociaux de toute urgence et qui n"ont rien de fictifs.
"Qui som" de Baro d'evel: failles et fractures terrestres
D'emblée le chemin qui mène à la cour du Lycée Saint Joseph est un couloir où nous reçoivent des personnages en frac d’hôtellerie, gardiens du temple ou personnel au service d'un établissement de renom. Des céramiques, sculptures contemporaines dignes d'un musée d'art moderne jalonnent le parcours, éclairées comme dans une salle d'exposition. C'est dire si la partie scénographique du spectacle sera "plasticienne" et scénographique. Les éléments du décor le prouvent au premier clin d'oeil: immense monticule de franges en muraille à la Polux le chien, bouteilles de plastique à la mer jonchant le sol. Une introduction désopilante avec une diatribe sur la terre et la boue qui façonne les pots alignés le long de la scène et le tour est joué. On plonge en empathie avec cette tribu un peu folle, cette horde sympathique de personnages ubuesques plongée dans un décor à la Miquel Barcelo. La matière première de ce show atypique est bien la terre comme dans la performance de Josef Nadj et Miquel Barcelo "Paso doble" en 2013... Chant, cirque et petit chien qui traverse la scène inopinément, tout se mêle et s'enchaine pour le plus grand plaisir absurde de cette condition humaine farfelue et déroutante. Le bruit de la mer en furie, le flux et le reflux des divagations des êtres sur terre mouvante. La polution aussi avec ses amas de bouteilles plastiques qui résonnent comme une ode à l'injustice faite à la nature. Le final en fanfare débridée nous conduit ailleurs pour terminer la soirée en toute convivialité. Le jingle même du festival légendaire revisité pour faire écho à cet esprit de bande délurée très attachante.
"Vive le sujet! Tentatives Série 2"
La SACD continue son travail d'expérimentations scéniques et textuelles avec cette deuxième série de l'édition 2024 du "Sujet à vif"!
"Méditation" de Stephanie Aflalo: la mort leur va si bien.
L'humour caustique et décalé de l'autrice française est une fois de plus source de trouvailles, de surprises. En compagnie de Jérôme Chaudière et Grégoire Schaller la voici attablée pour un festin de jeux de mots, de situations ubuesques, de positions absurdes. Quand la chaudière donne de la chaleur, tout le monde se rit de soi et le sarcasme tendre va bon train. C'est frustre, drôle, décalé et enjoué, mis en scène sobrement sur le plateau nu du Jardin de la Vierge. Intempestif, décalé, inaccoutumé, tout se renverse, bascule joyeusement. Des transports en commun dans l'au-delà terrestre qui enchantent les cranes et autres vanités liés au culte désuet de la mort. Ce trio infernal pour braver la camarde, éradiquer les méfaits de la faucheuse et réjouir le théâtre de si étranges productions.
"Baara" de TidianiN'Diaye
Un duo inspiré des gestes du travail trivial quotidien se révèle emblématique d'une recherche sur la répétition, l'ancrage des gestes domestiques ou laborieux. Comme un rituel en blanc, la pièce démarre, solennelle, la musique live bordant les pauses d'un personnage mythique. Un second le rejoint pour entamer une danse duo, fragile, inspirée de postures du travail. "Les raboteurs de parquet" de Caillebotte ne sont pas éloignés tant la précision et richesse des détails suggèrent les emplois.En compagnie de Adonis Nebié Tauwindsida, le chorégraphe malien touche et les us et coutumes du labeur sont évoquées sans honte ni déni sur des corps soumis à l'effort, à la rudesse. A l'indifférence aussi...
Un programme insolent et tendre à la fois réunissant des artistes courageux, frondeurs ou pacifistes qui oeuvrent à la singularité des écritures et inspirations. La SACD en fer de lance de ces recherches inédites.
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