mardi 12 novembre 2019

Hiroaki Umeda, "Median et Accumulated Layout" : danse cinétique !


Hiroaki Umeda / Cie S20
Japon / 2 soli / 75'
Depuis les débuts de sa compagnie S20 fondée en l’an 2000, Hiroaki Umeda œuvre entre danse et technologie. Concepteur d’images vidéo, de lumières et de sons, il aime à se jouer des limites corporelles et des phénomènes de la perception créant ainsi de fascinants univers. Les deux pièces courtes de ce programme invitent à s’aventurer dans la démarche singulière du chorégraphe japonais.   Median Imaginer une danse au plus près de l’échelle des atomes, c’est ce qui a motivé Hiroaki Umeda dans Median. Convaincu que l’humain fait partie de la nature au même titre que toute autre matière, le chorégraphe immerge sa danse dans le graphisme des images et fait « danser la chair » à la façon dont bougent les cellules lorsqu’on les observe au microscope. Point de convergence artistique entre la biologie, la technologie et la créativité humaine, ce solo, proche de la performance, s’intéresse aux mondes de l’invisible.   Accumulated Layout Fidèle à son univers qui allie danse et créations visuelles interactives, Hiroaki Umeda délaisse pour une fois la vidéo. Un éblouissant jeu de lumière sculpte l’espace de sa pièce Accumulated Layout. Une façon pour le chorégraphe de jouer avec la perception du spectateur. Mutations, glissements, ruptures et rythmes syncopés animent ses gestes travaillés comme une série d’instantanés photographiques.

C'est dans un carrée de lumière blanche, rivé au sol, tout de noir vêtu, strict et angulaire, qu'il opère un savant jeu de mains, très graphique, jonglage des avants-bras comme un prestidigitateur fébrile. Animé par un jeu tétanique, tectonique, dans une agitation fébrile, il se meut, seul, frontal: la contagion houleuse de gestes fluides s'empare de tout son corps gracile qui ondule, chaloupe, se dérobe à la métrique de son style .Fascinante interprétation sur un montage sonore fait de déchirements, de grattages et craquements étonnants. Serpent ondoyant, reptile désarticulé, dans des lumières rasantes ses mouvements circulaires s'amplifient, s'épanouissent: puis comme électrocuté, il disparaît absorbé par le noir et les derniers reliefs visuels de sa prestation, heurtée, hachurée, raturée.

Changement de cap dans l'oeuvre qui enchaîne ce solo; dans des crash musicaux, sur fond de salves, le revoici, au coeur de lumières, graphismes vidéo, lignes et défilés de verticalité sidérante: mouvante, toujours se transformant à l'envi: pas de répis pour cette danse virtuelle qu'il accompagne, mimétisant avec ce décor mouvant.  Comme des codes barres, des alignements en trame et chaine, tissu de pluie, traces au sol qui se dérobe sous ses pas.Comme un insecte sur sa toile, une abeille dans ses alvéoles gigantesques. Silhouette noire se mouvant sur fond échappant à toute emprise. Danse cinétique à souhait, en forme de visions kaléidoscopiques, ou au microscope pour mieux relier effets spéciaux et gestuelles bien charnelle, en osmose avec ce "décor lumineux" qui l'emprisonne, le cerne et l'enferme dans un espace qui le submerge.

A Pole Sud les 12 et 13 Novembre


Artiste visuel, plus que chorégraphe, performer plus que danseur, Hiroaki Umeda, né en 1977 au Japon où il vit et travaille, y développe une approche artistique qui relève autant des arts visuels que des arts de la scène.
Hiroaki Umeda S20 :« En voir de toutes les couleurs » Cinétique danse, Sources lumineuses Corps-écran total
par Geneviève Charras Chroniques en mouvements
De formation tardive à la danse classique et au hip hop, il se lance dans les arts de la scène de façon fulgurante et est rapidement repéré par les structures de diffusion et production en France qui flairent l’innovation. Ses pièces chorégraphiques, principalement des solos, peuvent être perçues comme de véritables installations, à la fois visuelles et sonores, dans lesquelles l’artiste déploie une gestuelle très personnelle. Si les propositions esthétiques placent la danse au cœur de la matière électronique et des mutations technologiques numériques, Hiroaki Umeda entend y révéler les traces persistantes d’une  humanité. Sa pièce Adapting For Distorsion, s’inspirait déjà de l’art cinétique et s’appuyait sur ses développements informatiques les plus récents. Distorsion du temps, altération du mouvement et de l’immobilité étaient au cœur de cette pièce, usant des effets d’optique visuels pour « élargir le champ de représentation de la danse et interroger le rôle de la perception visuelle ». Haptig est un solo qui délaisse l’informatique et la vidéoprojection pour privilégier la lumière et plus particulièrement la couleur. Au plus loin des associations qui lient communément le prisme chromatique et les stimuli physiologiques - rouge/colère, bleu/apaisement - Umeda se concentre sur « l’aspect physique de la perception de la couleur, non pour la montrer en elle-même, mais pour donner corps aux relations qu’elle entretient avec la danse ». Cet artiste pluridisciplinaire, à la fois auteur et interprète, compositeur et vidéaste est tout à fait singulier dans l’espace chorégraphique de la scène actuelle. Son univers est unique, sa signature plastique sans égal, son imagination sans référence avouée mais teintée d’influences esthétique propre de l’art cinétique dans une appellation très contemporaine. À la fois minimal et radical, épuré, où la danse demeure au centre, dans le noyau de la matière électronique et numérique. La lumière est pour lui une partenaire à part entière et fait de notre artiste une interface qui dialogue avec les différents médias, avec grâce et singularité. En expert des nouvelles technologies, il métamorphose son espace de représentation et nous convie à une cérémonie très élogieuse des différentes capacités d’investigation de ces nouveaux outils. La technique est brillante et se fait vite oublier au profit d’une incroyable intensité, une densité remarquable des espaces ainsi créés. Faisceaux lumineux, zébrures, rayures, autant de tensions lumineuses sur le plateau, qui révèlent ou font disparaître les corps. De là naît un graphisme abstrait, fragile, éphémère, qui tend à brouiller les pistes de la  perception visuelle. Aucune tranquillité dans ces paysages ou compositions lumineuses qui apparaissent et disparaissent, laissant leur traces de rémanences opérer sur notre rétine parfois malmenée par tant de flux et de reflux éblouissants, vifs, rapides, cinglants. Les corps émergent de ces effets spéciaux multiples, en cascade, comme autant de radeaux, voguant dans une marée lumineuse tumultueuse, sauvage. Un art du mouvement jaillit de cette osmose entre surface mobiles et réfléchissantes que deviennent les danseurs et le plateau de scène offert à la déferlante des couleurs et des signes géométriques. Les gestes sont tétaniques, rapides, saccadés et obéissent à une plastique des corps sèche et virulente. Proche de l’esthétique du hip-hop, froide et distancée, violente, électrique. La seconde pièce présentée, Répulsion, est une chorégraphie pour trois danseurs hip hop, créée lors du festival « Suresnes Cités Danse » deuxième volet d’un vaste projet chorégraphique de dix pièces. La danse, et sa singulière énergie très tonique, s’y révèle à son apogée et rayonne de dynamisme et d’audace. L’écriture est sobre et forte révélant l’incroyable inventivité de l’artiste quant à la richesse du vocabulaire gestuel et la complexité de la syntaxe née de la combinaison de son alphabet corporel. La répulsion n’en est que plus attractive et l’adhésion cathartique opère avec bonheur pour une communion de corps entre danseurs et spectateurs. Partage d’intenses instants de danse, de mouvements infimes parcourant la surface des corps animés par l’énergie de la peau, des muscles convoqués pour faire apparaitre une chorégraphie de surface venue du fond de la matière corporelle. Umeda cherche à révéler ce qui reste d’humain quand on est plongé au cœur des mutations technologiques. À l’origine de son travail, « l’impulsion » et « la couleur lumineuse ». « Je n’ai pas de mots pour les décrire: la création telle que je la conçois résulte d’une tentative d’incarner des choses qui ne peuvent être verbalisées. C’est, et cela devrait rester, un facteur déterminant dans mon désir de continuer à faire des pièces ». Car « Mes chorégraphies reposent presque entièrement sur l’improvisation. Le processus créatif démarre avec l’élaboration de l’environnement-son, lumière, vidéo dans lequel la chorégraphie proprement dite va s’inscrire. C’est à partir de là que je discerne la direction que je dois effectuer. La pièce peut alors exister. Elle est terminée au moment où elle est présentée pour la première fois devant un public ».


© Geneviève Charras Turbulences Vidéo #70

dimanche 10 novembre 2019

"Si jeunes et si audacieux" ! A cordes tendues !

Programme
SCHÖNBERG
Verklärte Nacht
MENDELSSOHN
Octuor à cordes en mi bémol majeur
Distribution
Jean-Guihen QUEYRAS violoncelle, Charlotte JUILLARD violon, Samika HONDA violon, Thomas GAUTIER violon, Guillaume ROGER violon, Angèle PATEAU alto, Agnès MAISON alto, Nicolas HUGON violoncelle, Marie VIARD violoncelle

L'OPS nous livre en cette matinée brumeuse et glaciale, un "ciel rempli de poussières d'étoiles" au dire de son artiste en résidence, le fameux et sympathique Jean Guihen Queyras. 
C'est "La nuit transfigurée" "matinale" qui entame le concert dans une lente introduction, pénombre angoissante et tourmentée d'un univers où la douceur du son calme cet univers, binaire et riche en sonorités , portées par les corps et cordes des interprètes, tous mus par des ondes et mouvements physiques très engagés.La ligne musicale s'enflamme, rapidement, grandit, se développe en épanouissant le thème.
Contrastes, vibrations accélérées, large plate forme, moment tenu, ténu, triste, mélancolique, romantique à souhait. Le velouté suspendu des cordes, fluide volupté, précieuse et légère, grave aussi emmène l'auditeur très loin dans l'espace.Une grande délicatesse , finesse de l'interprétation de chacun, sourd de cette musique alanguie: comme une valse lente, bonheur perdu: les émulsions diaphanes des sons si précis et vaporeux sont passées au tamis de l'infime volume et tension qui en ressort.
La hardiesse de l'interprétation devient évidence musicale pour cet univers à la Schonberg, inclassable auteur de musique tourmentée.

Mendelssohn succède à cette ode à la beauté, naissance de toute humanité et c'est ici, verve et joie de vivre communicatives qui se profilent d'emblée; les huit musiciens "accordés" à une chaine précieuse, maillage de sonorités, de mesures enjouées et ravissantes. On est d'emblée en empathie avec les musiciens, eux-même complices et galvanisés par l'attitude généreuse et ouverte de leur "chef", révélateur de talent, trublion aussi de la scène "classique" qui voudrait que l'on soit retenu et infaillible ! Aiguillon, titillant ses interprètes auprès desquels il semble si à l'aise!
 Rapidité des piqués, des envolées féeriques et prometteuses de cette musique pleine d'espoir et de limpidité!
L'allégresse, le brio, l'enthousiasme contagieux les poussent à encore plus d'aisance dans l'interprétation virtuose de cette oeuvre de jeunesse; c'est l'enthousiasme qui les transporte dans la complicité et le bonheur de jouer!
Après une période de précipitation fébrile, retour à une autre atmosphère: on sort du rêve pour parcourir l'espace champêtre, fleuri, inondé de lumière.
 Superbe Premier violon en la personne de Charlotte Juillard au doigté précis, enchanteur, au jeu exacerbé, jovial et sans faille. De l'audace, beaucoup de virtuosité pour le plus grand plaisir d'un public nombreux, friand de cette "nuit transfigurée" en pleine matinée!

A la Cité de la Musique et de la danse le dimanche 10 Novembre

"Rains" les percussions de Strasbourg dansent avec la pluie

Trois ans après le lancement du label Percussions de Strasbourg, l’album Rains revient au format traditionnel de récital en sextuor tant apprécié du groupe, en s’appuyant sur l’emblématique rituel Hiérophonie V de Yoshihisa Taïra, mis en miroir avec enchantement par Malika Kishino (Sange). La danse incantatoire de la pluie de Toshio Hosokawa (Regentanz) dévoile cette cérémonie, que Tōru Takemitsu clôt, avec les gouttes métamorphosées en bijoux par son « arbre à pluie intelligent » (Rain Tree). « Danser avec la pluie pour faire résonner, le temps d’un moment, ce que nous pensions invisible. Portées par une curiosité, une envie, une passion, une exigence et une tradition, les Percussions de Strasbourg se risquent à incarner l’énergie singulière d’un programme mettant à l’honneur quatre compositeurs japonais aux univers admirables. Pluie de pétales, pluie de cris, pluie de silences… Autant de pluies que Franck Rossi, Jean Geoffroy et les Percussions de Strasbourg œuvrent à harmoniser et garder en mouvement.» Minh-Tâm Nguyen Musicien et directeur artistique des Percussions de Strasbourg

PROGRAMME
 Les Percussions de Strasbourg Minh-Tâm Nguyen*- Galdric Subirana* - François Papirer* Hsin-Hsuan Wu -Thibaut Weber - Enrico Pedicone (* interprètes du trio Rain Tree de Tōru Takemitsu) Direction artistique des Percussions de Strasbourg : Minh-Tâm Nguyen Direction artistique de l’enregistrement : Jean Geoffroy Enregistré les 24 et 25 janvier 2019 au Théâtre de Hautepierre, Strasbourg
 1. Toshio Hosokawa - Regentanz
2. Malika Kishino - Sange
3. Yoshihisa Taïra - Hiérophonie V
 4. Tōru Takemitsu - Rain Tree   

"Rains": il pleut des Percussions à Strasbourg ! Avis de tempête de force six !



Les passagers de la pluie !

A l’occasion de la sortie de l’album et du vinyle « RAINS », les Percussions de Strasbourg organisent une release party à domicile !
Assister à un récital envoûtant et tribal dans une soirée placée sous le thème du Japon...Voici le programme!

Après une rencontre avec Malika Kishino / 岸野 末利加, compositrice, animée par Pierre Durr, journaliste musical , le concert démarre par:
"Volcano Mouth", de Joe Kondo, en partenariat avec la HEAR - Académie supérieure de musique de Strasbourg
Trois musiciens, trois xylophones pour une oeuvre intime, douce et légère, frôlée du bouts des mailloches, comme autant d'impacts légers sur les touches de ses instruments magnétiques. De beaux éclairages en douche de pluie pour magnifier la présence très concentrée des trois interprètes.

Place à la danse avec "Regentanz" (2018), de Toshio Hosokawa
Des sons comme des gouttes de pluie qui tombent dans des réceptacles, récolecteur d'eau distillée; les précipitations s'accélèrent , venteuses , puis en trombes d'eau déferlent après quelques ondées éparses et des perturbations météorologiques voisines d'avis de tempête! Dans un verre d'eau, même d'où sont issus des sonorités fluides et aqueuses. Averses et giboulées se succèdent, vers une accalmie où chacun donne doigté, précision et allégresse. Un opus saisissant où l'évocation des fluides est conséquente et pertinente. Une scénographie originale illumine les six établis des artisans du son, à l'oeuvre: on les observe, travailleurs assidus et pugnaces, sur ses accessoires et instruments générants tonnerre, éclairs , grêle et autre événements liés à la présence de matériaux aquatiques. Il pleut des hallebardes pour cet orage tectonique en diable !

"Sange" (2016), de Malika Kishino succède, toujours dans les plates bandes d'une musique percusive, pleine de tonus, interprétée par des musiciens hors pair, aguerris à la pratique de la frappe dans tous ses états.Triangles, frottements des peaux tendues, tapotements, claquettes, la pluie est là bordée de sirènes, de vrombissements, de sons qui tournent et prennent leur envol, rebondissant sur les appuis des frappes des artistes. Investis comme des danseurs par des corps conducteurs de rythmes, habités par tempi et cadences d'enfer!Mugissements caverneux, ténébreux sourdent , explosions de sons à l'appui. Les vibraphones explosent d'autres accessoires conduisent à des implosions inquiétantes. C'est un régal de regarder se fabriquer la musique en live, les corps se ployer, se plier aux exigences de l'accouchement de tous ses sons incongrus, inédits.

"Hierophonie" V (1975), de Yoshihisa Taïra: avec des cris de sumos démarre cet opus étrange qui séduit, intrigue et nous fait voyager au pays du kong- fu et des arts martiaux. Force, puissance des voix et des percussions, qui comme dans un jeu de ping pong se renvoient la balle.Combat, lutte acharnée, rivalité, se rencontrent et toniques et envahissantes s'imposent. Submergeant les espaces, envahissant les volumes sonores comme autant des cris de ralliement guerrier, frondeur, efficaces. Puis dans une atmosphère douce et calme, tout s'arrange et rentre dans l'ordre, planant, reposant après ce tsunami tonique et éruptif.

"Rain Tree" (1981), de Toru takemitsu . c'est comme dans le théâtre No, une avalanche de sons, un moteur régulier qui frappe et régule les rythmes avoisinants. On songe ici à des avalanches, des éboulements, une géologie métamorphique, phénomène minéral débordant les frontières des cadres convenus. Déferlante, la musique conquit le public, ovationnant nos "percussions de strasbourg" pour leur jeunesse, leur talent et leur volonté de faite trembler, secouer le monde musical!

Pour ces raisons, le directeur artistique Minh-Täm Nguyen, reçoit des mains de son président Jean Yves Bainier et du DRAC Grand Est, la médaille des chevaliers des arts et lettres! La valeur n'attend pas le nombre des années et tout cet investissement donne aussi lieu à un partage convivial post concert officiel:
Un after musical dans le hall du Théâtre - en collaboration avec La Laiterie Artefact
Echo d’une complicité qui se tisse au long cours, Les Percussions des Strasbourg invitent la Laiterie pour partager un moment d’improvisation musicale. Pour cette première collaboration, Les Chapeaux Noirs, groupe résident de la Plateforme Artefact, se livre à cette séance de décloisonnement des genres et de partage d’influences entre les musiques d'aujourd'hui.

Au Théâtre de Hautepierre le 14 Novembre

"L'oeil musique" de Patrick Lambin: reflets dans un oeil d'or ! "Imagine" Jazzd'or ....argentique !


"Le regard de Patrick Lambin creuse le quotidien familier, révèle l’âme des choses et des êtres.Il capte les petits riens, la saveur du banal. Il décrit la vie des humains dans leur fragile passage. À Cuba, dans un déclic, la musique se révèle à lui, témoin de l’alchimie du concert qui distille l’émotion. Ses images témoignent de l’intense communion entre les interprètes, la musique, les instruments, le public, ces instants fugaces. Depuis 3 ans, au rythme des concerts et des festivals de Jazzdor, il capture l’intériorité de ces moments inoubliables et incongrus avec lesquels il fait corps." 
Robert Becker

Il est discret, modeste mais culotté et inquisiteur...Talentueux chercheur, démineur de situations insolites, de scènes croquantes, craquantes où les gens s'éclatent, témoin et perturbateur de logique de points de vue, de positionnements anti-conformistes. Photo-graphe des instants à révéler, des clichés à gommer, des instants à immortaliser sur le papier photo. Reporter, chasseur d'images, glaneur de cadrages. Sourcier de la prise de vue, alchimiste des instants volés au présent immédiat, dans l'instant dérobé au temps et à l'intimité de ses proches sujets qui vibrent et vivent encore sous nos yeux: du petit au grand format, les photographies se lisent, se regardent, s'interrogent: qui est qui ? Peu importe. On surprend un artisan au travail, facteur de corde ou de trombone. On sourit en voyant le directeur du festival, rêveur ou inquisiteur. On se plait à parcourir un bon bout de chemin et d'histoire du festival Jazzdor. On bivouaque avec Archie Shepp, Daniel Humair et bien d'autres, surpris dans des poses, attitudes de travail ou de scène. Les coulisses inspirent notre artiste, capteur, d'images, virtuose de l'anti cliché, passionné de rencontres insolites avec un monde bruissant, généreux, radical ou enjoué, partageux et solidaire...Le "Degas" du jazz, photographe et graphiste des lumières et des ombres révèle une scène musicale riche en corporalités diverses, jeux d'instruments beaux et plastiquement remarquables, faisant corps avec ce métier de musiciens parallèles, amoureux du son, de la vie et du rythme.

Lambin ne lambine pas et opère ici sur un paysage sonore singulier où l'oeil musique s'entrouvre pour filtrer et capturer, révéler l'insolite d'une planète jazz bigarrée. Orfèvre, orpailleur de l'image baignant dans une atmosphère argentique toute dorée, ceinturée par une pointure pour aller au bal faire danser les nuances sonores et colorées d'un univers paré de sons et de matières sonores surprenantes
Les petits formats de poche  à emporter comme pour constituer rébus ou jeu de cartes sur table: un bon atout pour notre artiste encore trop méconnu mais magnifié ici dans le cadre d'une manifestation prestigieuse, scène de la culture jazz dans tous ses états!
Dans le cadre du festival jazzdor
Du samedi 9 novembre au dimanche 17 novembre (samedi-dimanche de 14h à 18h ; mardi-mercredi-jeudi-vendredi de 17h à 19h) ENTRÉE LIBRE
 ceaac 7 rue de l'Abreuvoir 67000 Strasbourg, France

Jazzdor : Aki Takase ,Daniel Erdmann et Unbroken: "félin pour l'autre" et chambre électro acoustique !



AKI TAKASE – DANIEL ERDMANN
PREMIÈRE FRANÇAISE
Allemagne | France – Aki Takase, piano / Daniel Erdmann, saxophones
C’est une première et pas des moindres. Si nous accompagnons le travail de Daniel Erdmann depuis quelques années et accueillons régulièrement Aki Takase, cette rencontre inédite sonne comme inespérée à nos oreilles. L’un était l’élève de l’autre à une époque et c’est désormais ensemble qu’ils se retrouvent suivant le fil rouge du grand standard « Isn’t it Romantic » qui alimentera un répertoire mêlant chansons populaires, standards de jazz et compositions. Ce sera romantique et accidenté, c’est sûr !

La voir arriver sur scène, c'est déjà deviner la fantaisie, l'élégance et les pieds de nez fait aux convenances: petite femme japonaise, longue robe noire faussement stricte et petit chapeau sur la tête avec une huppe qui dodeline et un collier blanc de grosses perles...plates!....C'est Aki Takase qui entame un des morceaux composé par son acolyte, Daniel Erdmann: deux "berlinois" : pour les 30 ans de la chute du mur, voici une belle avancée!
Cheveux en épis, saxophone teinté de patine dorée, cuivrée, le voici qui chemine avec la pianiste, ensemble dans une balade romantique, mélodique qui conduit à le reverie mélancolique. Fluide et savoureuse composition que ce "Voodoo girl".
Un hommage à Frida Kalo, la battante, écrit par Aki, "Foster Magdalena", belle composition qui révèle le doigté, la vélocité, la fulgurance du jeu et l'élégance de l'interprète, rivée à son piano, concentrée, recueillie. Une lente introduction, fluide, harmonieuse, relevée par le saxophone, relayée par des sonorités cristallines, denses et chaleureuses envolées du saxo. En alternance, mouvements vifs, ou tendres, délectables sons comme pour un appel commun, une invitation à l'écoute, au respect .
On poursuit cette invitation avec un jazz un peu "cabaret", signé de Daniel Erdmann,"The Cat",léger, primesautier, comique , gai et malin, alerte et loufoque: de la belle époque pour dandy égaré dans ce climat nonchalant et nostalgique. Ils font la paire, félin pour l'autre dans cet hommage au chat du saxophoniste, un animal bizarre, chat miroir du monde. Un caf'conc virtuose en diable changements de mesures, de tons et de durée à foison pour une exécution hors pair!
Et vient le temps des cerises avec "Cherry", une composition de Aki, pour honorer le printemps japonais et ses fleurs mythiques du cerisier, l'arbre vénéré! Un beau solo de saxo en prélude, prologue d'un opus, court et pertinent, efficace climat où chacun s'écoute, se répond, se respecte: elle s'emballe, chavire, les doigts droits sur le piano, change de cap et se dirige vers son territoire natal avec envie, passion, détermination: bout de femme affranchie, volontaire, une Kusama de la musique qui fait son chemin à la force des doigts!
 D'autres morceaux s’enchaînent, courtes bonnes nouvelles, brèves de comptoir musical où s'expriment douceur, beauté, ivresse et mesures... Quelles précipitations dantesques dans le jeu, vif et relevé, des deux complices, en cavalcade, dans l'urgence du temps qui passe et s'écoule, trop vite à notre gré!
C'était "Théma prima" une composition de Aki, taillée sur mesure dans l'étoffe de ses deux héros de la scène singulière d'un jazz très classe, posé et révolutionnaire en même temps. "Elévation" célèbre cet accord-désaccord entre les deux interprètes, puis succède un morceau plutôt à la Bojan Z , hispanisant, arabisant où le saxophone est brillant, étincelant de notes mineures et rêveuses. Pour finir, on prendra le "Berlin Express" pour accoster au port, sur le quai de la gare qui ne sera pas ni voie de garage, ni bivouac salvateur, mais détonateur de vie et d'espoir: une musique d'aujourd'hui, conduite par deux locomotives pertinentes: au centre de tri, à la plaque tournante, on choisit sa direction et son conducteur!

UNBROKEN
PREMIÈRE FRANÇAISE
France | Italie | Norvège – Régis Huby, violon / Guillaume Roy, violon alto / Vincent Courtois, violoncelle / Jan Bang, électronique / Eivind Aarset, guitare / Michele Rabbia, percussions & électronique
"C’est l’histoire d’un trio à cordes qui compose dans l’instant avec une érudition et une musicalité inouïe. L’autre trio -ils sont six- participe, capte, restitue en direct, organise en temps réel lui aussi une musique décidément d’aujourd’hui et l’ensemble sonne comme un. Jan Bang fascine par son remix-live, Eivindt Aarset travaille comme Un sous-marin scrutateur d’espèces inconnues et Michele Rabbia déroule sa science de la percussion aussi bien acoustique qu’électronique. Sans blague : c’est dingue !"

Alors en route pour un voyage au long cours, entre acoustique, musique de chambre de cordes et électronique: aux consoles trois opérateurs, guitariste et percussionniste de surcroît, pour border les sons en direct émis par violons et violoncelle: une fabrique devant nous qui se trame et se déchaîne une heure durant sans interruption. "Ininterrompues" divagations de musique fleuve pour aspirer les sons, les distiller comme dans un alambic électro acoustique qui filtrerait ou magnifierait les sons et les couleurs musicales. Insérer dans l''improvisation, le matériel musical: sons en doublure, pour border ou transformer la matière sonore, dans une atmosphère spatio- temporelle singulière, entre monde fantastique, cosmique ou de science fiction, frictions de sons étranges, bruitages en direct, mixage virtuose de l'instantané !
Du bel ouvrage virtuel, unique et source d'hypnose garantie: Bon voyage sans arrêt ni gare où l'on fraie son parcours sans halte, ni pause dans un infernal et déchirant rythme in interrompu !

A la Cité de la Musique et de la danse samedi 9 Novembre dans le cadre du festival Jazzdor

samedi 9 novembre 2019

"James Brandon Lewis, Aruan Ortiz, et Dunston, Ribot, Rodriguez, Taylor quartet ! Jazzdor en majesté !


Soirée d’ouverture du 34ème festival : James Brandon Lewis & Aruan Ortiz + Marc Ribot Quartet
JAMES BRANDON LEWIS – ARUAN ORTIZ
Cuba / États-Unis – James Brandon Lewis, saxophone ténor / Aruan Ortiz, piano & percussions
C’est un duo qui dit de la liberté, du lâcher prise. Si on entend de loin en loin chez eux l’héritage d’un Rollins – qui vient d’adouber le jeune prodige -, d’un Cage, d’un Paul Bley…
On songe davantage à un édifice en constant mouvement qui voit s’entrechoquer racines cubano-haïtiennes et architecture contemporaine. Ils chantent à tue-tête et nous racontent leurs vies.

Et c'est un régal de se laisser aller une heure durant par ce duo de choc, investi d' une énergie singulière dans une endurance remarquable:avec une lente et sensuelle introduction, mélodique et chaleureuse, avec de longues tenues sensibles et vertigineuses de saxophone, comme un funambule sur le fil ténu du souffle retenu, expiré...Puis dans des envolées, échappées belles, accélérés des deux musiciens, en écho, en osmose: les halètements du saxophone comme des vocalises , hoquètements en "cocotte", le piano, pincé, le corps de l'instrumentiste plongé dans ses entrailles , bricoleur savant de piano préparé. L'écho des résonances, entre frappements et expulsions du souffle du saxo pour mieux se fondre dans une musique ardue, tendue, inspirée. Hululeur de vent, James Brandon Lewis, debout devant nous, se tend, soutient de ses genoux flexibles, le rythme, la densité de la composition instantanée. L'évolution des styles de ce long morceau de bravoure qui n'en finit pas de rebondir par de "fausses sorties" remarquables feintes, esquives, entre silences à venir sous les doigts agiles de Aruan Ortiz et reprise du souffle au saxophone ténor.L'opus se métamorphose au fur et à mesure, se sophistique, prend de l'ampleur, de l'amplitude dans volume, timbre et sonorités. Des leitmotiv qui se répètent , envahissant le plateau, dans une ambiance cosy, orangée et bleutée: des accélérés dantesques pour "ornements" surprenants, virtuoses envolées . A l'apogée, au zénith de cette signature musicale, l'ivresse et la transe pour les interprètes, galvanisés par ses sons singuliers er recherchés, laboratoire expérimental d'un jazz teinté d'exotisme, de couleurs chatoyantes. Retour au calme, notes de piano égrenées de plus en plus lentement, perte et disparition sonore dans l'extrême délicatesse d'une grammaire savante. Les reprises toujours soutenues par le maintient constant du souffle du saxophoniste , poumons en soufflet, instrument à vent corporel de première facture ! Dans une cacophonie vertueuse, des volutes en spirales s'élèvent, ascendantes montées en force, suspensions tendues et autres manipulations divines, pour un morceau de choix qui n'attendait que des applaudissements conquis des spectateurs réunis pour ce premier "set" de Jazzdor !



MARC RIBOT QUARTET
États-Unis – Nick Dunston, contrebasse / Marc Ribot, guitare / Jay Rodriguez, saxophone ténor, flûte / Chad Taylor, batterie
Né du projet « Songs of Resistance » ce quartet est devenu le nouveau groupe régulier de Marc Ribot. L’exploration entamée avec le Spiritual Unity déjà aux côtés de Chad Taylor trouve ici sa continuité avec Jay Rodriguez et Nick Duston. Nouvelles compositions, nouvelle dynamique pour Marc Ribot qui n’est jamais là où on l’attend.

Après une pause apéritive de bienvenue, verre de l'amitié partagé c'est au tour du quartet de Marc Ribot, de causer de musique, de parler le langage chamarré d'une inspiration plurielle: à chaque fois introduit par un solo de guitare, cinq compositions et deux rappels pour nous convaincre que cette musique de chambre jazzée est remarquable, insolite, indisciplinaire et culottée! De l'audace donc aux résonances brésiliennes chaloupées, ou tangotée, à très grande vitesse, en train d'enfer:  un  tango flamboyant, polyphonie multiculturelle et chatoyante, quasi cha cha cha, fait danser les oreilles et résonner les fragrances d'étrangeté! A toute vitesse, lancée sur les rails, brûlant les étapes et fonçant dans ce vide foisonnant, la musique se déroule, forte et puissante, les musiciens jouant chacun comme il se doit, un solo pour magnifier inspiration, technique et bravoure!

A la cité de la musique et de la danse vendredi 8 Novembre