mardi 20 septembre 2022

"Only the sound remains": ombres japonaises.... Kajia Saariaho, au pays du soleil levant....

 


Les deux pièces dramatiques à l’origine de l’ouvrage, Tsunemasa et Hagoromo, sont issues d’une adaptation réalisée par Ezra Pound durant la Première Guerre mondiale. Le poète américain ne maîtrisait pas la langue japonaise ancienne, mais la fascination grandissante en Occident pour le pays du Soleil-Levant et sa découverte des travaux du japonologue Ernest Fenollosa disparu en 1908 le conduisit à adapter et publier quinze pièces du théâtre nô traditionnel à partir des traductions anglaises de ce dernier. Cet acte d’interprétation littéraire fondé sur la croyance d’Ezra Pound en l’importance fondamentale de la traduction pour le renouveau de l’art et de la société influencera le théâtre occidental durant plus d’un siècle. Sous l’influence d’Aleksi Barrière, la notion de « traduction », aussi bien comme pratique, comme méthode et comme éthos apparaît ainsi mise en abyme dans Only the sound remains, comme elle transparaît également dans le dernier opéra de Kaija Saariaho, Innocence, créé au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 2021, à travers l’utilisation de neuf langues différentes.

Un opéra contemporain se salue toujours et voici une autre oeuvre de la compositrice saluée cette édition par le festival Musica. À propos des deux récits qu’elle a choisi de mettre en musique, et qui prennent ici les titres Always Strong (Toujours fort) et Feather Mantle (Manteau de plumes), la compositrice dit : « D’une certaine façon, toutes les pièces du théâtre nô racontent la même histoire : la rencontre de l’humain et du surnaturel. Mais il n’en demeure pas moins que ces deux pièces sont très contrastées. La première est sombre et angoissante, elle finit dans les ténèbres et dans les flammes, alors que la seconde tend vers la lumière, vers la disparition de l’Ange dans les nuages. »

L'intrigue du livret se résume ainsi:Tsunemasa est un guerrier qui après une mort violente au combat réapparaît dans un temple où il retrouve son luth. Le temps d’une nuit, il se remémore avec nostalgie les plaisirs terrestres et fait résonner une dernière fois son instrument. Hagoromo est quant à lui un pêcheur qui s’approprie un vêtement qu’il trouve suspendu à une branche. Une jeune nymphe lui demande alors sa restitution afin de regagner les cieux. Elle promet en échange l’offrande d’une danse.

Saisissante scénographie de circonstance: un immense paravent style papier japonais sur trois perspectives de profondeur se dresse à la verticale pour mieux dessiner les contours physiques de l'action. Les personnages y semblent apparaitre, disparaitre à l'envi, théâtre d'ombres mêles à l'insertion d'images vidéo surdimensionnées.C'est une plongée vertigineuse dans l'univers du Japon, ici évoqué par sa rigueur architecturale.Un orchestre et quatre interprètes chanteurs, au bord de scène enveloppent cette aire de jeu singulière.Les ombres portées y dessinent des silhouettes spectrales, alors que les protagonistes du jeu s'adonnent au chant et à la danse avec bonheur.Le danseur et chorégraphe Kaiji Moriyama s'il immisce dans la narration avec grâce, fluidité, densité. Son énergie, douce et mesurée se fait plus tranchante et évoque la gestuelle du combat, tranchée, vive, saturée de directions affirmées.Dans des gestes lents, extatiques, thorax offert à l'ouverture, il trace son sillon chorégraphique dans ces murailles dressées, verticales, pourtant légères et stabiles.Ses mouvements recueillis, sorte de prière en salutations et révérences souples semblent virtuels, issus déjà d'un univers céleste: ange ou oiseau qui survole l'action, la commente, la souligne sans jamais la paraphraser. Compagnon de cet univers japonisant, sa volupté fait signe et module l'atmosphère engendrant calme autant que radicalité de ses propos gestuels évocateurs.Spectre ou être réel, à vous de trancher ou de rêver à ses apparitions fugaces...De blanc vêtu, désincarné, fantôme ou ectoplasme évanescent.Les deux ténors jouant de leur timbre de voix, de leur corps avec également beaucoup d'aisance Notons la splendeur de la voix de contre-ténor |de Michał Sławecki, haute voltige vocale et clarté à l'appui pour incarner un personnage menacé, poursuivi.Alors que sur la toile des signes calligraphiques se tracent comme des volutes instantanées qui épousent le phrasé musical de l'orchestre, discret personnage, l'intrigue nous mène au dénouement.Encre jetée par un geste pictural direct ou enlacé, ces enluminures sobres toutes japonaises s'unissent à la danse qui les double.Figures, postures et allures proches du théâtre kabuki, la danse est fulgurante, rapide, efficace, tracée d'un seul jet.Chanteur et danseur vêtus de noir, de blanc, s'unissent en contraste pour de très belles images.

La seconde partie, plus radicale encore dans la scénographie à la verticalité omniprésente, fait la part belle à l'Ange, annonciateur, toujours paré de blancs atours vaporeux, évoquant plumes, ailes et autres ornements, pour mieux prolonger la source d'énergie de chaque mouvement.Choeur de flûtes en soutient, récitants-chanteurs en bordure , le danseur traverse l'espace, gracieux, danse de plaisir et d'épanouissement, offrande et extase liées au corps dansant de ce bel interprète, auteur de sa gestuelle: sur mesure assurément.

"Seul le son reste" mais la danse y est fondement et architecture, autant musicale que corporelle....


première française de la nouvelle production

direction musicale | Ernest Martínez Izquierdo
mise en scène et vidéo | Aleksi Barrière
scénographie et costumes |
Aleksi Barrière, Étienne Exbrayat
lumières | Étienne Exbrayat
assistanat à la mise en scène | Yasuhiro Miura
design sonore | Christophe Lebreton

contre-ténor | Michał Sławecki
baryton | Bryan Murray
danse | Kaiji Moriyama

flûtes | Camilla Hoitenga
kantele | Eija Kankaanranta
percussions | Mitsunori Kambe

Solistes du chœur de chambre du Palau de la Música
soprano | Linnéa Sundfær Casserly
mezzo-soprano | Mariona Llobera
ténor | Matthew Thomson
baryton | Joan Miquel Muñoz

Quatuor Ardeo
violons | Carole Petitdemange, Mi-Sa Yang
alto | Yuko Hara
violoncelle | Matthijs Broersma

Au Maillon dans le cadre du Festival MUSICA

"Bestiarium musicale" :Noriko Baba, Ensemble Cairn :Fatras et autres trouvailles...

 


En préambule d'écoute (extrait du programme Musica, Stéphane Roth)

Noriko Baba transfigure la banalité du détail. La moindre inflexion, le moindre souffle sont finement élaborés, et parfois marqués par une certaine  nostalgie lorsqu’on trouve dissimulés entre les notes des évocations musicales du passé, mais aussi par la familiarité des sons de notre environnement. Ses pièces font souvent référence à sa culture japonaise d’origine, autant à l’intimité d’un clair-obscur éclairé à la lanterne de papier (Bonbori) qu’au tumulte du tsunami de 2012 (Shiosai). Bestiarium musicale, œuvre donnée en création, est quant à elle l’ode aux sonorités animales d’une artiste qui ne veut pas distinguer les espèces sonores — la musique et les bruits. Le concert est complété par Talea de Gérard Grisey et Pêle-mêle de son ancien élève Thierry Blondeau.

Libre interprétation rédactionnelle du concert par ordre d'écoute.

L'ensemble Cairn à l'oeuvre pour s'emparer de ce répertoire original et encore peu connu.
Thierry Blondeau Pêle-mêle (1998) pour clarinette, clavier, guitare, violon, alto, violoncelle.

Comme un prélude à ce concert, cordes, piano et guitares se concertent pour donner le ton: décapant, visuel, humoristique et savant! Pour se faire, trois guitares deviennent pendules d'horloges manipulées par les trois interprètes, très détachés de leur acte, distanciation oblige et provoquent ainsi un glissement entre sons et images assez réussi.Balanciers de circonstance qui rythment le temps et le matérialisent, sons de carillons d'église pour un joyeux tintamarre dominical alors que les cordes grincent, stridentes....La clarinette en sus dans des harmoniques curieuses, des dissonances osées.Le temps s'écoule, en mesures, tic-tac aux piqués savants, sorte de danse scandée: relevés, sautillés bordés de sons électroniques du quotidien.Jouer le silence aussi, en apnée musicale, sans le son, en suspension dans l'espace.

Noriko Baba
Bonbori (2008) pour flûte, clarinette, guitare, alto et violoncelle: un univers peuplé d'oiseaux, de sifflets joyeux de volatiles éparpillés...Détournements de sons de leur origine instrumentale, à voir absolument pour mieux saisir les sources d'inspiration du compositeur: voir et regarder la musique serait-il son crédo, sa signature et marque de fabrique? Une addition de sonorités singulière en découle, déroutante reproduction de petits modules pour mieux suggérer un panel de musique reconnaissable, identifiable.En ricochet, en canon ou tuilage, selon.
Shiosai, tumulte des flots (2012) pour piano, violon et violoncelle:ici, c'est le piano qui est titillé, frappé, effleuré au profit d'une atmosphère toujours singulière et inattendue.Les cordes glissent en contrepoint, le temps semble compté, le piano en référence de métronome insolite...
Bestiarium musicale (2022) pour clarinette, clavier, guitare, violon, alto, violoncelle - création mondiale :voici le pilier du concert, une création atypique , innovante, boutique fantasque telle un magasin de jouets animés de fantaisie et autres fioritures, ornements ludiques.Vitrine animée pour instruments fabriqués, alignés sur un petit établi à peine dissimulé parmi les "nobles" instruments de l'ensemble. C'est drôle et insolite et source de sons incongrus, inédits.De petits leitmotivs d'extraits de morceaux de musique connus, à peine esquissés pour le plaisir nostalgique de la référence apaisante au savoir acquis. Des grincements de "marche funèbre", des flutiaux, appeaux joyeux pour couronner le tout dans ce joli fatras de volière ou Papageno se retrouve à l'envi !Des bruits nocturnes où l'on fend, tranche l'air à coup de baguettes s'y ajoutent, sirènes et froissements de tôle, tuyaux en collier autour du cou des interprètes qui se livrent à ces exercices avec bonhomie et consentement !Tumulte et accélérations virulentes pour clore cette pièce fort séduisante au regard de la création contemporaine.

Et pour clore cette matinée musicale,Gérard Grisey avec son Talea (1987) pour flûte, clarinette, piano, violon et violoncelle nous projette dans ses univers complexes et déroutants.


Ensemble Cairn
direction artistique | Jérôme Combier
direction musicale | Guillaume Bourgogne

flûte | Cédric Jullion
clarinette | Ayumi Mori
violon | Constance Ronzatti
alto | Cécile Brossard
violoncelle | Alexa Ciciretti
guitare | Christelle Séry
piano | Caroline Cren
percussions | Hsiao-Yun Tseng

Au TJP le dimanche 18 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

lundi 19 septembre 2022

"Personnel et confidentiel": Daniel, un chanteur....d'opérette !Un charlatan de pacotille, un polichinelle de foire...

 


Les spectateurs pénètrent dans la salle Jeanne Laurent du TNS qui fera office de coulisses de théâtre et accèdent ainsi de façon fictive à la loge de la star de la soirée. En toute simplicité, une coupe de champagne à la main, le contre-ténor Daniel Gloger les accueille dans son univers feutré et relate sa journée, ses petits tracas, ses rêves et ambitions. Un homme qui va nous livrer les secrets de fabrication de son art: le chant. Du plus classique, vocalises, au plus farfelu, exercices savants de yoga et autres tactiques douces de réveil des cordes vocales et autres organes majeurs....Il occupe les lieux, cosy et accueillants, souhaite nous faire partager les aléas du métier mais demeure très préoccupé par son propre égo.Au dévoilement de l’intimité succède pourtant une certaine confusion : les confidences sur les difficultés du métier et de la vie en général s’enchaînent, le récit s’accélère, se fragmente… Est-on réellement maître de son destin ou n’est-ce qu’une illusion ? Telle est la question posée par le compositeur Kaj Duncan David et le metteur en scène Troels Primdahl dans cette étonnante opérette contemporaine.Et la réponse tombe à plat tant la mayonnaise ne prend pas et l'artiste tombe dans les écueils de l'autosatisfaction et de la complaisance...L'ennui surgit et les saynètes qui se succèdent restent creuses et vides de sens.Il agace et titille notre patience au point de s'en détacher et de songer à ce que d'autres auraient fait de ce beau sujet.L'empathie impossible malgré une volonté de séduire grandiloquente inutile et déplacée Donner de la voix n'est pas chose aisée, se raconter est un art périlleux auquel s’adonner est un "don de soi" réel et non simulé....


création française

performance | Daniel Gloger
composition | Kaj Duncan David
mise en scène | Troels Primdahl
technique | Michael Kunitsch
costumes | Radu Baias

Au TNS dans le cadre du festival MUSICA le 18 Septembre 

"Concerto pour clavier en ut mineur": panique à l'orchestre!

 


Tout commence par l'irruption d'un escogriffe qui harangue le public à propos de la musique, de la place de l'interprète au sein d'une formation et plein de petits détails du métier qui semblent n'être rien mais prennent des dimensions énormes! Jusqu'au rideau de scène devenu partition..C'est drôle, décapant, clownesque et plein de charme et Thibault Perriard excelle dans un jeu d'acteur comique très fin et malin qui donne le ton à la soirée! Puis là la manière d’un concert classique. la pianiste Eve Risser et l’orchestre La Sourde tentent d’interpréter un morceau de choix, le Concerto pour clavier en ut mineur de Carl Philip Emmanuel Bach. Mais les choses ne semblent pas aussi simples et prennent une tournure inattendue. Une micro société se constitue et chacun y cherche sa place: le percussionniste tente de dessous le rideau d'installer son dispositif par une savante gymnastique acrobatique de bon aloi et le comique-burlesque l'emporte sur le sérieux de la chose.En s’enchaînant, les mouvements musicaux laissent place à une tribu en pleine concertation : les musiciens se rassemblent et s’éclatent en groupes dispersés, l’improvisation prend le dessus et l’orchestre finit par devenir son propre chef. La musique se façonne, orthodoxe puis désordonnée, quasi anarchique pour mieux retomber sur ses pieds...La boutade est de mise et la formation disloquée, décomposée de ses musiciens en costume de gendarmes uniforme...Encore une marque de fabrique supplémentaire de la Sourde qui ose et nous étonne à chaque prestation!Au bout du compte, peut-être ne restera-t-il plus grand-chose de l’œuvre de C.P.E. Bach, tant elle aura été réduite, gonflée, multipliée, accélérée, ralentie… Un concerto au sens premier du terme — une dispute — dans lequel la musique s’écoute autant qu’elle se regarde.On ne se lasse pas d'observer toutes les péripéties de cette assemblée du désastre qui s’agite devant nous avec bonhomie et humour sans relâche.Tout est dit et "passe ton Bach" d'abord pour ne plus faire la Sourde oreille à la musique et ses secrets de fabrication collective!


musique et conception | Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Eve Risser
d’après le Concerto pour clavier en ut mineur Wq. 43/4 de Carl Philipp Emanuel Bach

Orchestre La Sourde
piano | Eve Risser
batterie, percussions | Thibault Perriard
flûte | Anne Emmanuelle Davy
clarinettes et saxophones | Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert
trompettes | Olivier Laisney, Samuel Achache
cor | Nicolas Chedmail
violons | Marie Salvat, Boris Lamerand
violes de gambe | Étienne Floutier, Pauline Chiama
violoncelles | Gulrim Choi, Myrtille Hetzel
théorbe | Thibaut Roussel
contrebasses | Matthieu Bloch, Youen Cadiou
lumière | César Godefroy/Maël Fabre
costumes | Pauline Kieffer
peinture | Benoit Bonnemaison-Fitte



présenté avec l’Opéra national du Rhin et Jazzdor

coréalisation Musica, Opéra national du Rhin, Jazzdor
production déléguée Association R(e)V(e)R – Eve Risser
coproduction La Sourde – Samuel Achache, La Soufflerie à Rezé

Au conservatoire à Strasbourg le 18 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

dimanche 18 septembre 2022

"Kaija dans le miroir": dans le rétroviseur des écritures intimes de Kaija Saariaho !

 


Kaija Saariaho est l’invitée d’honneur de cette 40e édition du festival. En partenariat avec ARTE, une grande soirée lui est consacrée dans l’écrin historique du Palais des fêtes de Strasbourg.

Préambule introductif:Les plus fidèles compagnons de création de Kaija Saariaho se réunissent pour saluer la carrière de la compositrice. Ce concert exceptionnel retrace le parcours de l’artiste à travers quelques-unes de ses pièces marquantes. De Nuits, adieux (1991) à Light still and moving (2016) se dessine l’éventail de métaphores visuelles de celle qui enfant déjà avait essayé de noter sur une feuille « des sons jaunes et nerveux ». Sonores et virtuelles, ces images sont ici mises en perspective de celles filmées par son amie et réalisatrice Anne Grange qui l’a suivie au cours des dernières années. Entre visions rêvées et témoignages, le public est invité à pénétrer dans l’intimité de l’atelier de la compositrice. Un concert, un documentaire vivant, un hommage à la créativité.

Très belle initiative que cet "hommage" à la compositrice "protéiforme" que de présenter en regard son environnement musical, ses lieux de vie et de création filmés et ces pièces courtes pour duo, solo ou petite formation, dessinant l'ampleur de son parcours et de sa créativité autant  que la singularité de son oeuvre déployée ici.

La soirée démarre par l'enregistrement des brouhahas de tous ses amis-partenaires comme une sorte d'inventaire sonore idéal: en quelques minutes une panoplie joyeuse et diffuse de voix, de relations, de rencontres...C'est "Love from afar" signé Nuria Gimenez-Comas  

 
 Light still and moving (2016) pour flûte et kantele démarre avec brio ce concert unique.Avec des pincements de cordes dans des gestes gracieux et délicats la musicienne manipule un instrument très "plastique", le "kantele" aux sonorité avoisinant clavecin et harpe...Une ambiance sylvestre se profile à l'écoute de la flûte sous toutes ses formes qui donne un ton sensible et joyeux à ce duo étincelant,frétillant, émouvant. Frissonnant et charmeur de serpent dans son aspect quasi exotique, ensorceleur à la Douanier Rousseau....Balade bucolique enjouée, frêle et légère promenade, calme et voluptueuse, savoureuse interprétation à déguster sans modération.

Die Aussicht (1996/2019) pour soprano et quatuor à cordes succède comme un écrin de cordes pour voix puissante dans des harmoniques hallucinantes.
Sept papillons (2000) pour violoncelle opère comme un solo intime lié au corps de son interprète dans cette solitude de sons vibrants, froissés, plissés et vibratiles.Quasi valse tourbillonnante ébauchée, les glissements de l'archet fourmillent de sonorités sombres et profondes.Comme une éclosion possible d'autres leitmotivs, empêchés par une composition serrée, soudée Parfois simulacre de habanera traçant des univers sonores multiples, au long court.Des doigts experts maniant les cordes vibratiles comme des fibres de musique magnétique et magique. Très beau duo entre instrument et interprète.

Changing Light (2002) pour soprano et violon se profile comme une déclamation "classique", la voix puissante de la chanteuse aux timbres colorés rentre en dialogue avec l'instrument à corde vibrantes comme celles nichées au creux de son être vivant.Très lyrique, l'écriture de ce duo se termine en une longue tenue suspendue dans le temps.

NoaNoa (1992) pour flûte et électronique est une sorte de mise en abime d'échos renforcée par l'électroacoustique qui prolonge le son de l'instrument à vent en réverbérations: comme autant de voix lointaines en tuilage.L'ambiance est spectrale, spatiale, aérienne, claire, à peine perturbée par l'émission de mots susurrés en fond d'espace. Autant de simulacres d'apparition-disparition d'ectoplasmes invisibles, de sons souterrains cavernicoles, les clochettes ajustant à cette atmosphère leurs tintinnabulement féérique...
  Et pour clore ce "récital" musical, Nuits, adieux (1991) pour quatuor vocal et électronique transporte au creux d'un choeur architectural où les sons tourbillonnent à l'envi.Des susurrements s'élèvent, se projettent, s'élancent dans une dynamique ascensionnelle remarquable.De beaux crescendos aigus dans des hauteurs sensibles et célestes pour des voix fantomatiques, présentes mais semblant désincarnées tant cette sorte de messe mystique prend au corps et élève les esprits à l'écoute.Des halètements au micro, des souffles en évanouissement, des montées en vocalise surprennent, enchantent.Une atmosphère sidérale et cosmique s'en détache, ténor et basse pour nous ramener à terre dans de beaux arrondis vocaux.Les effets de nombre électroacoustique démultiplié pour créer un choeur fictif impressionnant d'une vaste ampleur sous une voute minérale.

Alors que des films ponctuent cette rétrospective éclairée, confiant à notre curiosité autant les lieux de création de l'artiste, que sa fascination pour les astres, les arbres inconnus ainsi que "sa manie de mesurer le temps" sur l'établi de sa quotidienne autant que sur la partition! Tous les talents et facettes de Kajia Saariaho se dévoilent durant cette soirée inédite dotée d'un ultime solo de violon en prime pour mieux affirmer la finesse, la délicatesse et la rareté des compositions de l'artiste ici célébrée par le public avec respect et considération....

soprano | Faustine de Monès
flûtes | Camilla Hoitenga
violon | Aliisa Neige Barrière
kantele | Eija Kankaanranta
violoncelle | Anssi Karttunen 

Quatuor Ardeo
violons | Carole Petitdemange, Mi-Sa Yang
alto | Yuko Hara
violoncelle | Matthijs Broersma

Solistes du chœur de chambre du Palau de la Música
soprano et direction | Júlia Sesé Lara
mezzo-soprano | Mariona Llobera
ténor | Matthew Thomson
baryton | Joan Miquel Muñoz

composition électroacoustique | Núria Giménez-Comas
réalisation documentaire | Anne Grange
électronique | Jean-Baptiste Barrière


En deuxième partie de soirée, place aux Tres Coyotes. Les amis de toujours de Kaija Saariaho, le compositeur Magnus Lindberg et le violoncelliste Anssi Karttunen, se réunissent aux côtés de la légende John Paul Jones, bassiste du groupe Led Zeppelin. Un trio extraordinaire né des intérêts communs de ses membres : improviser librement, être à l’écoute, apprendre et découvrir, faire disparaître les frontières et migrer au-delà des idées préconçues. Comme ils l’expriment eux-mêmes, « dans ce monde où l’on bâtit des murs, où l’on dit aux personnes où elles peuvent se rendre et où elles ne le peuvent pas, les Tres Coyotes défendent une musique synonyme d’ouverture ».

Tres Coyotes
piano | Magnus Lindberg
violoncelle | Anssi Karttunen
basse | John Paul Jones

 Au Palais des Fêtes le samedi 17 Septembre dans le cadre du festival MUSICA en partenariat avec ARTE

"Innocence" de Kaija Saariaho : un opéra filmé à la perfection.

 


ARTE et Musica présentaient la projection d’Innocence, l’opéra de Kaija Saariaho créé au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 2021.

En prologue et pour mieux saisir l'intrigue un petit livret didactique:

"Innocence est le dernier opéra de Kaija Saariaho, salué par la critique comme un chef-d’œuvre de l’histoire de l’opéra. Composé sur un livret de la romancière Sofi Oksanen, l’œuvre relate une tuerie de masse perpétrée dans un lycée international. L’action se situe dix ans plus tard, lors du mariage de Tuomas et Stela où officie une serveuse dont la fille fut une des dix victimes. Entre remémoration, culpabilité et innocence perdue, le drame devenu invisible est représenté par celles et ceux qui subsistent. Un opéra cosmopolite fondé sur un fait divers fictionnel mais ô combien actuel, dans une fabuleuse mise en scène de Simon Stone. "

Dans la salle du Palais des Fêtes, deux heures durant, c'est à la magie du tournage, du montage et de l'adaptation de Philippe Beziat que nous devons cette restitution singulière de l'Opéra de Kaija Saariaho. L'intrigue se dévoile peu à peu dans un décor déjà très cinématographique: tranches de vies sur deux niveaux révélant les situations spatiales phares de chacun des protagonistes: une salle de mariage, une cuisine, une salle de classe.... Et à l'intérieur on y distingue et écoute le sort de chacun et de chaque groupe qui s'y déploie.Les gros plans serrés, les travelings et autres astuces de tournage soulignent le jeu théâtral très fouillé des acteurs-chanteurs au plus près des corps animés par la lente révélation d'un drame annoncé.Les pistes se dessinent à travers l'intensité de la musique qui transporte littéralement déplacements, chorégraphie et intonation des voix. Rarement une telle symbiose opère pour sidérer le spectateur et le conduire sans encombre vers un dénouement dramatique qui interpelle, concerne et touche comme rarement dans une narration d'opéra.Les portraits de chacun soulignés par des prises de vues choisies qui semblent reconstituer le temps et le déroulement de l'histoire pour faciliter l'approche des caractères de chacun. Les yeux écarquillés de la servante, la moue de la mère, la candeur de la fille sacrifiée....Il faut avouer que tous les gestes savamment travaillés avec le soutien du chorégraphe se révèlent saisissants de naturel,d'intensité, fluidité ou rigidité de ces corps "sociaux"animés par leur condition et rôle dans cet univers démultiplié d'influences historiques. Un attentat et ses traces sur ceux dont la culpabilité de la survie revient sempiternellement les hanter, les habiter.Le rythme du montage et les choix des plans découpés au plus près du rythme de la narration: un exercice musical périlleux pour adapter un opéra si riche et intense. Le cinéma déjà encré dans l'écriture musicale et scénographique pour passer au delà des frontières de médium et porter cet opéra au zénith du genre!Un régal émotionnel rare et troublant: comme l'on y était et mieux encore.....Secret de fabrique magistrale démonstration de savoir faire et écouter du réalisateur!

Au Palais des Fêtes le samedi 17 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

"Do-ré-mi-ka-do" de Stilte : ka-deau ! En cadence et surprises multiples, une pièce à l'image de l'enfance : enfant-phare....

 


"Silte": Dans son sens actuellement le plus courant, c'est l'absence de bruit, c'est-à-dire de sons indésirables. Le silence absolu serait l'absence, impossible, de tout son audible. 
C'est aussi le nom de cette compagnie de danse convoquée dans le cadre de "Mini Musica" pour initier les tous jeunes "spectateurs" à une écoute et une appréhension des musiques d'aujourd'hui: on passe donc d'abord par le son et le visuel, le mouvement et la perception de l'espace Celui du danseur et le sien! Dans une des salles du Centre Chorégraphique de Strasbourg, haut-lieu de la formation professionnelle et amateure concernant surtout le jeune public, gradins et parterre accueillant parsemé de poufs douillets....Deux personnages nous attendent, lovés au sol: c'est le démarrage qui intrigue et conquiert: l'une est prise de petits spasmes réguliers du thorax comme une respiration naturelle, haussant le buste au rythme du métronome électronique manipulé par la seconde. La musicienne impulse à distance et manipule les soubresauts de l'autre Ce qui provoquent chocs et ondes au son de cette percussion singulière. Le corps de la danseuse, ainsi animé, contrôlé, effectue les directives sonores avec grâce et consentement. Jolie démonstration du pouvoir de la résonance sur un corps accueillant, à l'écoute: comme autant de sources d'inspiration et d'e-motion pour les sens en éveil.Suivent moultes péripéties sonores et corporelles, visuelles pour établir du lien avec les enfants et faire sourdre curiosité, surprise et enchantement.Objets-corps-images et sons à l'appui. Comme une grande boutique d'accessoires sonores incongrus à manipuler sans modération pour faire jaillir toutes les sources de sonorités perceptibles. Puis au milieu de la scène, une grosse boite s'anime. Mais que trouve-t-on à l’intérieur ? Un cadeau ? Dans un espace délimité par des néons de couleur fluos affublés de petites clochettes chamarrées, la musicienne et la danseuse entrent en dialogue. Elles jouent avec nos yeux et nos oreilles, tout en poésie, en son et en mouvement. Une aventure rythmique au cours de laquelle les couleurs deviennent musique — et la musique devient danse. Do-ré-mi-ka-do, c’est comme un paquet surprise qu’on ouvrirait tout doucement et qui transformerait notre perception.C'est aussi une participation des enfants à l'invitation des deux artistes qui au final offrent la scène comme terrain de jeu collectif. Parents et enfants, artistes y partagent des temps de manipulation des objets hétéroclites pour satisfaire leurs sens de la découverte. Mouvements sonores et sonorités animées pour laisser libre cour à l'imaginaire et à l'existence de "bruits" capables de séduire et d'induire une autre sémantique sensorielle. Un des buts du "Mini Musica", terrain sonore adapté aux "petits", terreau idéal pour mieux saisir l'occasion de bouger, guidé, impulsé par les sons et percussions du quasi quotidien!


danse | Donna Scholten
musique | Helene Jank
mise en scène et costumes | Jenia Kasatkina
décors | Ellen Knops, Jenia Kasatkina

Au centre chorégraphique le 17 Septembre dans le cadre de mini musica