vendredi 30 septembre 2022

"Sonic Temple":Musica, super tonique, supersonique!

 


Prologue
Le temps fort de l’expérimentation sonore pose à nouveaux ses baffles à l’église Saint-Paul et Saint-Pierre-le-Vieux et continue de tracer le panorama d’une création musicale plurielle et alternative.
 
Ce quatrième volume se déploie en quatre temps, avec en before Shin Young Lee, artiste coréenne, qui s'empare de l'orgue de l'église Saint-Pierre-le-Vieux, pour interpréter notamment Volumina de György Ligeti.
La soirée s'enchaîne à l'église Saint-Paul avec la présence exceptionnelle d’Ellen Fullman. La compositrice, performeuse et factrice d’instruments américaine, installe son Long String Instrument dans la nef de l’église. Un instrument démesuré construit in situ avec des cordes vibrantes de plus de vingt mètres de long — pour une expérience d’écoute inouïe.Et c'est le cas pour cette déambulation très physique de la compositrice aux commandes de son curieux dispositif: une longe allée parsemées de cailloux, comme le sentier marqueur du Petit Poucet. De longs fils pincés pour faire frissonner ces cordes magiques surdimensionnées. Allées et venues incessantes, marche chorégraphiée pour un corps musical immergé dans la fabrication du son en direct. La nef de l'église Saint Paul comme écrin, caisse de résonance inouïe.Une fois de plus "regarder" la musique s'impose aux oreilles!

Après Infinity Gradient et Drift Multiply en 2021,Tristan Perich est de retour à Strasbourg. Il présente une autre facette de sa pratique, cette fois purement électronique, avec Tone Patterns et Noise Patterns, deux projets miroirs qui s’appuient sur les dispositifs 1-BIT dont il a le secret.C'est folie de l'espace sonore investi, gonflé, gorgé de tonalités et sons vrombissants, ou salves projetées comme des sonorités de lâchés de feu d’artifice à toute volée. Sur le tarmac de sa console, l'artiste suit son chemin , le volume s'amplifie, les lumières sortent l'ambiance de sa semi-obscurité.Des sons très "organiques" comme issus des tuyaux du monstre à vent, résonnent et font leurre et mystère.Les sens en éveil, en ondes et tremblements pour appui au sol et dans l'éther malmené par ces vibrations tonitruantes...Une ambiance quasi Steve Reich électronique, expérience sensorielle extrême et jouissive !

La soirée se conclut avec La Tène dans un effectif élargi, avec un folklore du futur antérieur.

La Tène est un animal à trois têtes d’où émane une seule et même énergie. Si l’on entend ici la résonance de musiques traditionnelles, la répétition saturée, les harmoniques éthérées ou une danse imaginée… c’est qu’ils coexistent dans la musique de La Tène comme une unique trame arrachée à ses racines.
Le trio franco-suisse produit une musique où chaque influence, aussi profonde soit-elle, se découpe en motifs devenus thèmes, il ne s’agit pas là de briser les modèles mais de les faire exister taillés dans la roche comme autant de fragments à reconstruire.
Il n’existe pas de ligne de départ ni d’arrivée, point d’habituels couplets, ceux-ci sont perdus dès les premiers chocs que le corps reçoit… On y trouve des obstacles dressés en statues, des inconnus familiers, des bribes entendues ailleurs, ou encore des angles multipliés, et autant de gestes répétés.
La volonté de La Tène n’est pas d’arranger ou réinventer une musique toujours vivante mais bien de tisser chaque fil dans un nouveau sillon encore et encore jusqu’à son épuisement.

Le public nombreux et captif pour ce temps fort du festival Musica, toujours à la recherche de musiques inédites s'enfonce dans la nuit de la cité et veille aux vibrations du monde, adhérant à la nouveauté, l'incongru...

jeu 29 sept | 19h - Église Saint-Pierre-le-Vieux
Shin Young Lee


jeu 29 sept | 20h30 - Église Saint-Paul
Ellen Fullman
Tristan Perich
La Tène :Alexis Degrenier : vielle-à-roue
D’incise : harmonium, électroniques
Cyril Bondi : percussions
 et invités !

"Until the Lions": Thierry Pécou en mudras musicaux....

 


Création mondiale. Nouvelle production de l’OnR. Dans le cadre des 50 ans de l’OnR.


Opéra en un prologue et trois actes.
Livret de Karthika Naïr.
Adaptation partielle de son livre Until the Lions: Echoes from the Mahabharata.

En préambule"....Au jeu des trônes, les gagnants d'hier sont souvent les perdants de demain. Alors que le roi de Kasi s'apprête à célébrer la cérémonie du svayamvara au cours de laquelle ses trois filles devront choisir un mari à l'issue d'un tournoi, il néglige d'inviter la famille royale de Hastinapura. L'affront déclenche la colère de la reine-mère Satyavati qui cherche à marier son fils Vichitravirya. Elle envoie en représailles son beau-fils, le chaste guerrier Bhishma, vaincre tous les prétendants et enlever les trois princesses. Seule Amba, réputée pour son esprit de liberté et d'indépendance, refuse de se soumettre. Humiliée par Bhishma, elle jure de provoquer sa perte, dans cette vie ou dans une autre, quitte à devenir un homme et prendre les armes à son tour.
Le Mahabharata est une immense épopée sanscrite consacrée aux aventures guerrières de deux branches d'une même famille royale descendante de l'empereur Bharata, fondateur légendaire de la nation indienne. La poétesse Karthika Naïr en propose une vision inédite et renouvelée, en donnant la parole à ses personnages féminins dont les voix sont habituellement passées sous silence. Le compositeur français Thierry Pécou signe la partition de cette fresque mythique et spirituelle donnée en création mondiale dans une mise en scène de la chorégraphe indienne Shobana Jeyasingh."

La danse s'y taille la part belle d'emblée.: guerriers aux gestes tranchés, écarts du bassin à la Béjart, attitudes bien campées, solidement sur leurs jambes. Sauts et virevoltes pour les hommes à l'unisson, gestes plus "maniérés" pour les six femmes. Les costumes donnent le ton; un soupçon d'exotisme à l'indienne, mais pas d'outrance populaire bigarrée!Très puissante musique au diapason de cette démonstration de forces et de puissance chorégraphique. Le décor comme support à la présence des chanteuses et de la narratrice, vue du haut de sa fenêtre. Décor lisse et métallique, froid et vertigineux.Deux carcasses de chevaux collées à la paroi: Berlinde de Bruyckere ou Morizio Cattelan en référence évidente..

morizio cattelan

berlinde de bruyckere

Des combats de corps en duo, duels de prises quasi de qi qong ou karate, des roulés au sol, de la capoeira en référence d'énergie, de poses, d'attitudes dansées.Un chef au centre d'un cercle chamanique ou chacun se déplace, menaçant, englobant l'espace qui se ferme, se rétrécit à l'envi.De belles ombres portées magnifient la danse, la transcende en images virtuelles inaccessibles iconographie mouvante. Les chanteuses, la musique portent la dramaturgie. Les costumes des femmes,rouges vermeil, incarnat, aux plissés comme des éventails, soulignent l'amplitude des mouvements s'identifiant à la statuaire indienne ou aux arts martiaux.Grâce et fluidité mais également inspiration des mouvements tranchés et saccadés des mudras. Un style parfois "Béjart", extatique et inspiré, spirituel et très habité par les interprètes du Ballet du Rhin.Coiffes et couleurs des costumes entre mordoré, métallique et or, très structurés dans leurs contours, plissés à la Fortuny.Des attitudes à la Ida Rubinstein, coudes croisés sur la poitrine, attitudes langoureuses, rêveuses au sol...

Profils et déplacements vifs et chorégraphiés de main de maitre par Shobana Jeyasingh à l’égyptienne parfois comme pour des frises romaines aussi.Un beau panel de références qui touche par la beauté des alliages et alliances qui se fondent, se confondent.
Au final un roulé au sol à l'unisson, alors que cendres et flèches rappellent que la lutte, le combat, le corps à corps font aussi rythme et musique, narration chorégraphique et soutien de l'action de cet opéra très contemporain de Thierry Pécou.

 

Direction musicale Marie Jacquot Mise en scène, chorégraphie Shobana Jeyasingh Décors et costumes Merle Hensel Lumières Floriaan Ganzevoort CCN • Ballet de l'Opéra national du Rhin, Chœur de l'Opéra national du Rhin, Shobana Jeyasingh Dance, Orchestre symphonique de Mulhouse

Satyavati Fiona Tong Bhishma Cody Quattlebaum Amba Noa Frenkel Femmes témoins de la guerre, Suivantes royales Mirella Hagen, Anaïs Yvoz

 


jeudi 29 septembre 2022

"Music in the belly": ventriloque, tripal et démiurge Simon Steen-Andersen! Les contes d'Andersen sont fabuleux...


Simon Steen-Andersen rend hommage à Karlheinz Stockhausen en mettant en scène son rêve d’une musique dans le ventre...

En 1975, Karlheinz Stockhausen composait une œuvre énigmatique à l’attention des Percussions de Strasbourg. Sa partition contenait davantage d’indications scéniques et de didascalies que de musique à proprement parler — et cette musique consistait en douze mélodies liées aux signes du zodiaque, le cycle Tierkreis, et matérialisées par des boîtes à musique que le compositeur fit lui-même fabriquer. L’idée de la pièce comme son titre lui étaient venus de la surprise de sa fille Julika découvrant à l’âge de deux ans de petits bruits à l’intérieur d’elle-même, des gargouillements d’estomac : « tu as de la musique dans le ventre », lui avait-il répondu. Quelques années plus tard, il se réveilla subitement un matin après avoir rêvé la pièce et la coucha sur le papier.

Des voix et cris d'enfants sur font de silhouettes , ombres chinoises qui ondulent sous des lumières rougeoyantes, et courent à toute vitesse dans ce vermeil lumineux...Bruits de vagues...Six personnages féminins en quête d'auteur arrivent sur planches à roulettes fluorescentes dans la semi-obscurité: le ton est donné dans cet univers rouge, interne, organique.Très bel instrumentarium, de plaques de fer suspendues, de trapèze musical, animé par les manipulatrices; sur trois établis, en fond de scène, trois interprètes s'adonnent à faire résonner des calices renversés grâce à des micro qui scannent le son. Un univers médical, chirurgical s'invente peu à peu et l'on voit et regarde la musique avec attention. Théâtre visuel de fantasmes, de rêves ou de cauchemars quand un mannequin descend des cintres, tel un oiseau pris au piège dans des filets malins.Des reflets magnifiques au sol trempé d'eau, liquide salvateur de cette opération à coeur, à ventre ouvert.Un téléphone rouge comme commanditaire de ces actions médicales, en direct, opération curieuse qui révèle trois boites à musique, sorties du ventre du pantin muselé, corbeau maléfique qui accouche de musique enfantine, simpliste.Des xylophones de couleur pour enfants soulignant cet aspect sobre, enchanteur de devin, de magicien du plateau...Les micros sondent les sons des calices comme autant d'instrument d’échographie sonore.Le laboratoire s'anime, se fait antre magique, fantastique ambiance de science fiction délirante.Deux toupies pour perdre les repères, de belles envolées fluorescentes comme les ailes d'éoliennes tranchant l'éther, manipulées en rythme. Un tableau pictural éphémère de toute beauté. Des balanciers dans des carrés de lumière pour recueillir les organes des boites à musique extraites par ces chirurgiennes diaboliques et le ventre de Stockhausen se vide de ses tripes virtuelles avec dextérité. Les roues des planches toujours fluorescentes comme des signaux navigant sur les ondes circulaires de l'eau qu'elles déplacent au sol.Six femme en noir et blanc, cravates comme officiantes de cette messe solennelle. Les percussions de Strasbourg toujours à la pointe de la création et de l'audace!


première représentation de la nouvelle version

musique Karlheinz Stockhausen
concept, mise en scène, électronique Simon Steen Andersen

Les Percussions de Strasbourg
Lou Renaud-Bailly, Olivia Martin, Vanessa Porter, Léa Koster, Hsin-Hsuan Wu, Yi-Ping Yang

construction des décors | Albane Aubin
régie générale | Claude Mathia, Étienne Démoulin, Raffaele Renne

mercredi 28 septembre 2022

"La femme au marteau".... sans maitre au Mobilier National...Literie, lutherie fantastique...Musique de chambre à coucher...


Silvia Costa met en scène un récital théâtral autour de la figure de Galina Ustvolskaya (1919-2006).

La compositrice russe, élève de Dmitri Chostakovitch, mena une recherche esthétique radicale et personnelle, en rupture tant avec le style de son maître qu’avec les attendus soviétiques. Elle fut alors surnommée, en raison de son écriture brute et percussive, « la femme au marteau ». Ses Six Sonates pour piano composées entre 1947 et 1988, ici interprétées par Marino Formenti, en sont l’expression emblématique.

Dans un brouhaha obscur, se dessine sur le plateau occupé par un immense piano, une silhouette de vampire, sorte de Loi Fuller affublée d'un tissu noir...Le monstre surgit, danse, écarte les ailes, se fait oiseau de malheur et augure d'une ambiance et atmosphère bien singulières...Alors que le piano impose sa présence, forte ou ténue pour inventer des images sonores saisissante Une iconographie qui va soutenir la pièce tout du long comme ces gravures de Kollwitz, Boeklin, Klinger ou Topor ,mouvantes, chancelantes.


Un lit pour couche et espace à se mouvoir pour une créature dévêtue, osseuse, décharnée,maigre corpulence fragile et inquiétante, à demi-nue...Lit d'un mort qui claudique, éructe, un talon haut chevillé à la jambe.Étrange image mouvante...Le surréalisme est proche et envoutant à l'écoute des sonates qui martèlent un univers inouï..Les oreilles n'ont pas de paupières pour dissimuler ces sons outrageux, virulents, envoutants."Je danse"murmure la bestiole diabolique qui rampe sous le piano et y opère sa métamorphose sous nos yeux.Sonate dégingandée, désarticulée, en miettes époustouflantes intonations parfois insupportables...Tombeau ou stèle funéraire, le couchage de cette créature intrigue, interroge l'imaginaire.Les chambres se succèdent, magasin de lits chacun à la mesure de son occupant: le second sera la couche d'une femme insolite, à la valise, en robe de chambre, souliers escarpins à la Goya, qui vient engrosser une houppelande de ses vêtements, puis les châtient en coups et blessures virulents. Frappes, coups et blessures de chacun des êtres qui viendront peupler ce décor énigmatique. Fantaisie ou fantastique appréhension du monde sonore de la pianiste en référence.Un lit à baldaquin fait suite, plus cosy pour un récit sonore apaisé.Les marteaux du piano travaillent, percutent pour ce corps scénique anatomique, cette leçon d'autopsie musicale, chirurgicale impressionnante...Un jeu de scrabble comme alphabet, virelangue original pour tromper le sens des mots, gravés sur le lit ou assemblés en direct par la quatrième protagoniste de cette cérémonie insensée

Magie et pharmacopée, fantastique univers, iconographie scénique et plastique pour un voyage onirique sans pareil, une navigation dans le temps, martelé par les accents virulents du piano malmené par Marino Formenti de main et coudes de maitre...Une grande oreille, objet de curiosité pour amplifier le son de cette mer ravageuse, envahissante, au flux et reflux entêtant, obsédant...

 « Dans la musique de Galina Ustvolskaya, nous dit Silvia Costa, il y a un noyau essentiel, une simplicité militante, une pureté venue d’un autre monde. C’est le son d’un voyage sans halte, dans le cœur d’une vision intime, pulsante, construite avec obstination à chaque coup que les doigts et leurs articulations infligent au clavier, forgée et sculptée avec l’insistance d’un forgeron qui bat le fer pendant qu’il est chaud. La musique de Galina ne ressemble à aucune autre. Dans cet univers sonore, aux motifs inattendus, embrasé de fffff, j’ai entrevu des images de chambres à coucher, de grabats aperçus à travers des portes laissées entrouvertes. Dans ces atmosphères raréfiées et privées de mélodies, j’ai vu des fragments de récits, des tableaux vivants où trouvent place des désirs, des peurs, des visions, des figures saisies dans l’instant intime où elles se confrontent avec la noirceur et le nerf de l’âme. »

Galina Ustvolskaja Sonate no 1 à 6
interprétées par Marino Formenti

mise en scène et scénographie | Silvia Costa
avec Hélène Alexandridis, Marief Guittier, Anne-Lise Heimburger, Rosabel Huguet Dueñas, Pauline Moulène ainsi qu'une petite fille et un figurant choisis sur place

costumes | Laura Dondoli
création sonore | Nicola Ratti
lumière | Marco Giusti
textes | Umberto Sebastiano
assistanat | Rosabel Huguet Dueñas

"Il se trouve que les oreilles n'ont pas de paupières": fredons et autres sons -frissons de la pensée.


Il se trouve que les oreilles n’ont pas de paupières

« Ce qui est vu peut être aboli par les paupières, peut être arrêté par la cloison ou la tenture, peut être rendu aussitôt inaccessible par la muraille. Ce qui est entendu ne connaît ni paupières, ni cloisons, ni tentures, ni murailles. »

Dans son essai La Haine de la musique, Pascal Quignard sonde cette condition si particulière de notre écoute : elle traverse et transperce irrémédiablement le monde physique, notre corps et notre être. À partir d’extraits du texte de l’auteur, le compositeur Benjamin Dupé a voulu transposer cette réflexion en faisant osciller l’audition et l’entendement. Une forme originale, à mi-chemin entre le concert et le théâtre, avec le comédien Pierre Baux et l’altiste Garth Knox.

On se souvient de l'affiche du festival Musica: un coton tige dans la jaquette d'un violon...Et si le "non-bruit" n'existait pas? L'altiste en scène dans un son ténu, réverbéré qui circule en tourbillon le prouverait-il?L'acteur à ses côtés chantonne, fredonne...des "fredons surgissants"!, grésillements épars en micro-sons...Le duo devant nous va être le laboratoire des fameux écrits de Quignard sur la musique, qui n'est que sons empilés, accumulés.De belles ondes sonores enveloppent  l'atmosphère comme une canopée musicale incertaine: le philosophe écoute le musicien qui insiste, dérape, s'achemine vers une évidence biblique: les sons-frissons sont partout et l'on y échappe pas: pas de rideau, de volets, de persiennes ni de jalousie pour esquiver, étouffer, chasser le son..Dans une gestuelle très chorégraphiée, sur "mesure", au diapason de ses paroles, l'acteur-comédien Pierre Baux, feint d'ouvrir son thorax, d'accueillir les bruits du monde , de se "laver les oreilles" pour mieux gouter ce récit quasi mythologique, texte en soi très musical qui ouvre bien des perspectives d'écoute, de compréhension et d’intelligibilité.Un vrai danseur évolue, salue, se fait pantin, diable et philosophe docte et précis. L'intelligence du texte pour support graphique dans l'espace, éclairé de main de maitre.Un maitre à danser, ustensile indispensable pour mesurer l'espace-temps.

maitre à danser

Danse du balancier, tic-tac de l'horloge comme les trois métronomes qui se mettent à scander le temps comme une sculpture en ronde-bosse. Alors que le musicien fait de même avec son archet magique. L'alto a une présence prépondérante pour faire ressentir ce silence "mort" en réverbération qui ondule et envahit le plateau.Sons inouïs de l'alto pour une définition du son "violeur", cinglant, dérangeant qui déchire les tympans, coupent et tranchent l'espace comme un sabre, une épée, une toile de Fontana...Le réveil, instrument quotidien fait appel à l'oreille et à aucun autre sens...Le sonore est un pays qui ne se contemple pas, n'est pas un paysage, mais un bain constant de sensations auditives irréversible, irrévocable machinerie de vie:comme cette "obéissance", cette cadence à laquelle on n'échappe pas!. L’excitation des propos, la montée en puissances des dires et sons augmente la tension ambiante. Les deux partenaires, dans ce duo-duel sonore et verbal, sont complices, compères et responsables de notre indéfectible écoute. A l'affut d'une parole éclairante, limpide comme le son de l'alto, en phase constante avec la langue de Quignard. Le jeu d'acteur magnifique comme phare et fer de lance de la compréhension.Sons de guerre qui font autorité, incontournable obsession auditive, vibrations qui nous submergent en direct, qui déferlent, abusives, intrusives Cette pièce illumine le texte et fait résonner une pensée en mouvement, à suivre aux sons des bruits qui animent le vivant!Benjamin Dupé en chorégraphe averti et savant "mètre à danser" dans une partition très écrite et quadrillée, en cadence, en démesure dramatique soutenue par l'altiste minutieux Garth Knox...


conception, musique, dramaturgie et mise en scène | Benjamin Dupé
comédien | Pierre Baux
altiste | Garth Knox

éléments de scénographie | Olivier Thomas
collaboration informatique musicale IRCAM | Manuel Poletti
collaboration à la lumière | Christophe Forey
régie générale et son | Julien Frénois

mardi 27 septembre 2022

"La contrebasse m'est tombée dans les mains....": Joelle Léandre en autobiographie sonore! Dans le rétro, dans le viseur, ça fait mouche!


La contrebasse m’est tombée dans les mains à l’âge de neuf ans et depuis je tisse sans cesse des histoires, des liens, des aventures, en totale liberté, avec le feu qui est en moi...

"Son instrument, dit-elle, c’est sa base, son socle, sa colonne vertébrale, une immense boite (à souvenirs), une sorte de tonneau, un radeau… Quel titre pouvait assumer la charge de cette passion musicale vécue à 100 à l’heure, sinon celui, impossible, qui pointerait vers toutes les ramifications, toutes les résonances ? Les mots s’accumulent et s’affolent pour dire un parcours extraordinaire. Une vie qui déborde sur la musique qui déborde sur la vie. Voici donc « la performance » de Joëlle Léandre : un moment brûlant, le concert, mais toujours aussi une façon d’exister, de désirer, de voyager et d’habiter le monde. Avec la liberté qu’on lui connaît, la musicienne livre son autobiographie sur scène aux côtés de la chanteuse Lauren Newton, du guitariste Serge Teyssot-Gay et du batteur Edward Perraud."

Elle apparait en compagnie de deux toutes jeunes interprètes, comme elle vêtues en gamine, soquettes et couettes à l'appui! Image tendre et burlesque pleine de recul et d'humour: retour en arrière dans le rétro pour cette as de la contrebasse, unique personnage désormais légendaire de l'instrument "contemporain". Trois musiciennes, deux clones ou avatars, Ambre et Ode,très scolaires et laborieuses: "elle était difficile"....cette mélodie!Prologue avec le Marius de Marcel Pagnol pour évoquer ses racines de fille du sud, ex-provencale, fille de prolétaire, simple et non destinée à la noblesse de l'apprentissage de la musique....Joelle Léandre se penche sur sa carrière, son parcours à force de verbes, de verve, de rage et de passion! L'écouter, c'est baigner dans un manifeste légitime: la contrebasse, objet musical négligé, non "noble", "oubliée" comme un légume d'autrefois, topinambour ou autre panais,exécutante dissimulée dans l'orchestre, maudite figure de ce qui est "basse" danse de la musique: musique nécrophile en diable.Elle vise, tire là où ça fait mal, dénonce virulente les méfaits du sexisme, revendique la place des femmes, auteurs mais surtout "instrumentistes improvisatrices" pour mieux exprimer comme John Cage: "laissez les sons, ce qu'ils sont"!Nomade, gitane, gipsye du jazz plus tard à force de rencontres inouïes, côtoyant le silence autant que la musique si rare dédiée à la contrebasse solo.Contre les requins d'orchestre qui se taillent la part belle...Free jazz, libérée du jazz académique, liberté revendiquée vers l'improvisation.La musicienne se fait conteuse, actrice, drôle de personnage sympathique, radicale, évoquant ses maitres-Boulez et autres grands de ce siècle passé-. L’invention de soi comme credo, manifeste vivant, vécu d'une femme rebelle, iconoclaste en diable.En bousculant et provoquant les compositeurs négligeant cet instrument trop grand pour une petite fille déterminée à faire de la musique sa vie!Du corps et du geste à l'oeuvre comme pour la danse pour cette utopiste, subversive personne, seule sur scène à nous délivrer son parcours. Et pour l'entourer, l'accompagner, ses trois complices à la guitare et au chant,et aux percussions pour deux morceaux de choix, illustrant à merveille ses propos: surprise, invention, silence, les instruments triturés pour en faire sortir rythme, couleurs et sons inattendus. Hors norme, toujours...Indomptable, insoumise Joelle !

performance musicale
voix | Lauren Newton
guitare électrique | Serge Teyssot-Gay
batterie | Edward Perraud
contrebasse, voix | Joëlle Léandre

Au TJP dans le cadre du Festival MUSICA en coproduction avec JAZZDOR le lundi 26 Septembre 

Loin de Patrick Suskind avec son roman "La contrebasse"!

"La contrebasse est l'instrument le plus gros, le plus puissant et le plus indispensable de l'orchestre, le plus beau aussi, dit d'abord le contrebassiste.
Mais bientôt l'éloge pompeux laisse affleurer les frustrations et les rancœurs du musicien et de l'homme. Et peu à peu la haine d'abord refoulée de cette encombrante compagne s'exprime, se déchaîne et explose jusqu'à la folie..."

dimanche 25 septembre 2022

"Donnez moi une raison de vous croire": Mathieu Bauer et le Goupe 46 de l'école du TNS :crédules mais pas dupes!

 

Mis en scène par Mathieu Bauer, donnez-moi une raison de vous croire est le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 46 de l’École du TNS. Partant du dernier chapitre de L’Amérique de Franz Kafka, texte resté inachevé, Marion Stenton, dramaturge, situe sa pièce au Grand Théâtre de l’Oklahoma. On entre ici dans les coulisses du rêve américain, où les déclassé·e·s et les inclassables occupent les couloirs dans l’attente ou dans le refus des rôles qu’une bureaucratie absurde veut bien leur attribuer. La musique occupe une place essentielle dans ce spectacle, avec la présence sur le plateau du guitariste et compositeur Sylvain Cartigny et la création sonore de Jean-Philippe Gross.

C'est un accueil bien spécial, celui d'un hôtesse fort polie destinée à recevoir les postulants d'un casting ou d'un rendez-vous d'embauche du Théâtre d'Oklahoma...Ici on semble considérer tout le monde et chacun qui se présente dans cet univers de salle d'attente très design, reçoit considération et sympathie.Jusqu'à ce que l'on s’aperçoive que c'est dans une arène que l'on se trouve: sorte d'amphithéâtre, bureau d'accueil multi fonction ou couloir que l'on visite en compagnie de la cheffe-guide tenant ce rôle ingrat mais nécessaire.La troupe de postulants suit allègrement, petit groupe hétérogène en diable. Chacun ira de son "solo"parmi ses souffrants du recrutement implacable de participants à ce théâtre fantôme en apparence si exigeant en comédiens et autres fonctions inhérantes à la bonne marche d'une petite entreprise. Un portier, briffé comme un fonctionnaire des sorties et entrées des candidats, "celui qui savait tout jouer", "celui qui voulait rester debout"...Autant de personnages à multiples facettes. Ainsi va le définition des rôle de chacun dans le générique et les comédiens excellent dans ces qualités définies et jouées avec justesse et sincérité.La cheffe du personnel comme principal rôle articulant les séquences, les niveaux de jeu, maitre de cérémonie, Emilie Lehuraux, Pauline Vallé qui accueille et rêve d'être chanteuse...Sela Yeboah qui a perdu l'usage de ses mains et vit son personnage franchement émouvant et drôle, en pleurs artificielles désopilantes Et tous les autres composant un bouquet, florilège des situations et conditions de vie des gens du théâtre ou du monde du, travail. Dans cette antichambre de Pole Emploi, des Assedics ou de la Sécurité Sociale, chacun tente de se faire reconnaitre plus qu'un numéro Mais au baromètre et à l'horoscope du travail, le temps et les astres ne sont pas vraiment de la partie. Beau fixe pour les sept musiciens qui accompagnent texte et gestuelle, déplacements et autres pérégrinations de mise en scène. Des gestes, attitudes recherchées et élaborées sous l'oeil de Thierry Thieu Niang permettent à chacun de se démarquer, d'être soi et dans une altérité pertinente. L'empathie ressentie alors du spectateur à l'acteur se renforce et cette "jeunesse" devient maitrise et maturité: une richesse émotionnelle transmissible et contagieuse dans ce dispositif à la fois accueillant et repoussant de fausse bienveillance.L’hypocrisie ici vaincue par des destins qui gagneront la bataille, on l'espère pour trouver leur "place" et exister pour une utopie. Marion Stenton et Mathieu Bauer en poupe pour restituer cet univers, cette ambiance quasi jubilatoire des salles d'attente où tout semble se jouer entre les protagonistes.Le titre de la pièce  trahissant le doute, la méfiance, l'appréhension que font naitre ces situations sur la corde raide où il faudrait faire ses preuves dans un monde où les dés sont joués, où le sort s'acharne à nous faire douter de nos capacités et ternir nos rêves.

 

 


mise en scène | Mathieu Bauer
texte et dramaturgie |Marion Stenton
collaboration artistique et composition | Sylvain Cartigny
création sonore | Jean-Philippe Gross

avec l’ensemble des artistes du Groupe 46 de l’École du TNS

Jeu
Carla Audebaud, Yann Del Puppo, Quentin Ehret, Kadir Ersoy, Gulliver Hecq, Simon Jacquard, Émilie Lehuraux, Aurore Levy, Joséphine Linel-Delmas, Pauline Vallé, Cindy Vincent, Sefa Yeboah

Orchestre
guitare, claviers | Sylvain Cartigny
batterie et trompette | Mathieu Bauer
euphonium | Jessica Maneveau
claviers | Antoine Hespel
saxophone alto | Ninon Le Chevalier
trombone | Thomas Cany
thérémine et orgue | Antoine Pusch
basse | Foucault de Malet

lumière | Zoë Robert
regard chorégraphique | Thierry Thieû Niang
assistanat à la mise en scène | Antoine Hespel
scénographie, costumes | Clara Hubert, Ninon Le Chevalier, Dimitri Lenin
son | Foucault de Malet
régie lumière | Thomas Cany
régie son | Margault Willkomm
régie plateau | Antoine Pusch
régie générale | Jessica Maneveau