mercredi 29 mars 2023

"Echo" Simon Feltz: la muse s'amuse et ravit la danse comme un diamant de gramophone patine et achoppe sur le sillon rayé.

 


Simon Feltz  France 4 interprètes création 2022

Écho

Attaché aux phénomènes du langage, Simon Feltz développe sa démarche artistique entre corps et parole. Dans Écho, un quatuor d’interprètes se déploie en volutes colorées dans la blancheur de l’espace. Un tourbillon de gestes, de mises en relation et d’échanges, s’empare du plateau.

 

Que se passe-t-il entre les corps et les mots au cours d’une conversation, en présence ou à travers les écrans ? Convaincu que « le langage, cette aptitude qui nous permet de communiquer les uns avec les autres, est essentiel à notre ancrage social et physique dans le tissu du monde », Simon Feltz est entré en recherche. Ses précédentes pièces, Entre deux rives et Abymes, se consacraient déjà à ce vaste et délicat sujet sous d’autres aspects. Écho creuse à même ce sillon.
Matière première de cette nouvelle création, un corpus vidéo comprenant extraits de films, débats, discours politique, télé-réalité etc… De cet objet d’étude, chorégraphe, interprètes et autres collaborateurs artistiques ont fait spectacle. Entrelaçant interactions et synchronisation, la composition musicale et la chorégraphie se répondent en écho. Il émane de ce surprenant quatuor, des danses singulières aux accents parfois drôles, aux tonalités variées comme nimbées de bains de couleurs différentes. Propulsées par un mouvement continu, elles sont minutieusement serties par l’environnement sonore et lumineux. Parti de la gestualité de la relation, Simon Feltz engage son travail dans une poétique de l’échange qui retient l’attention.

 

 Quatre bien charpentés, bâtis, solides interprètes sur le plateau nu, blanc albâtre, shorts et legging, pieds nus. Frugalité et sobriété dans les mouvements légers de tête, de regard sur une musique sourde qui gronde... Des voix off métissées pour ornement. Comme pour un disque rayé où le diamant saute et revient en arrière, leurs gestes vont et viennent dans un flux et reflux dynamique. En ricochet qui déraille, en rebond qui achoppe, tranché, abrupte.Quelques belles unissons rythmiques dans ce tissus débridé plein d’accrocs et de rapiècements.Comme une danse rituelle chamanique, poésie sonore gestuelle, les corps s'animent, se répondent, s'épousent. Secouée, empêchée, entravée,la danse est mouvements disséqués faite de multiples propositions, formations qui s'activent. La musique entêtante fuse omniprésente comme osmose et symbiose parfaite.Multidirectionnels, amples, les gestes façonnent l'espace en creux, imperturbable côté lisse des fluctuations d'énergie. Les mains frôlent et dessinent l'espace, des bribes de conversations émergent, et dans une quasi unisson frontale, les quatre interprètes se retrouvent. Danse heurtée, saccadée aux gestes veloutés, onctueux, gracieuses évolutions en spirales dénouées. Un métronome, des chuchotements pour glissades rythmiques et déboussole constante. La lumière se fait verte et découpe au sol des ombres portées. Un adage, duo ou pas de deux illumine la scène de saveurs délicieuses au regard.Ils creusent l'espace, s'y lovent à l'envi et l'empathie gagne celui qui regarde en phase contagieuse de ravissement. Les corps arcboutés, compactés, figures et attitudes de frises architecturales. Le groupe comme une sculpture de Rodin en mouvement. Ou écriture calligraphique élaborée d'arabesques dans un espace de failles et interstices de moucharabieh. 

Dans des lumières rougeoyantes, la ballade continue sur des battements de coeur ou d'horloge. Aube mythologique où Chronos bat la mesure. Petite mythologie animée et vivante où Echo tient les feux de la rampe où le fil d'Ariane se fait et se défait sans cesse sur le métier à tisser la danse.Trame et chaine mécanique qui métisse le tout  L'ambiance, l'univers sonore cavernicole ou très organique pour un bruitage originel fait de cassures, ruptures tectoniques quasi géologiques. Un air de studio de photo pour portrait de groupe comme clin d'oeil au cadre et hors champs. Les visages simulent le fou rire contagieux et leur métamorphose ou transfiguration est sidérante. Dans de beaux ralentis ou fondus enchainés où l'on respire en chorale avec les danseurs très habités. Carrure et présence forte, corps solides, gabarits rassurants, sympathiques , ces créatures dansantes nous  entrainent au final dans un long ravissement, état d'enivrement collectif très imprégnant. Et Echo de disparaitre, de s'effacer, désincarnée, absente, perdue dans l'espace résonnant encore de son passage...Simon Feltz comme maitre d'oeuvre d'un moment rare de danse partagée de part et d'autre du plateau .

Chorégraphie : Simon Feltz
Interprètes : Pauline Colemard, Adrien Martins, Anthony Roques et Chloé Zamboni
Création musicale : Arthur Vonfelt
Lumière : Thibaut Fack

 

A Pole Sud jusqu'au 29 MARS

dimanche 26 mars 2023

"Le couronnement de Poppée": Monteverdi pygmalion-piège pour opéra- miracle ..."Tendance" mode destroy!

 


Bien loin du forum et des agitations du sénat, la politique romaine se fait et se défait au fil des passions amoureuses, des intrigues de palais et des ambitions intimes. Follement épris de l'irrésistible Poppée, l'empereur Néron envisage de répudier sa femme Octavie pour faire monter sa maîtresse sur le trône, malgré les avertissements du philosophe Sénèque et les menaces de complots ou chantages fomentés par leurs rivaux et d'anciens amants éconduits. Ni le droit, ni la morale ne sont en mesure de réfréner cette union décriée que semblent favoriser les dieux eux-mêmes. Mais une telle furie amoureuse ne peut appeler à elle que la mort et le sang.
Aux héros sublimes et triomphants de la mythologie, Monteverdi préfère pour son dernier opéra des personnages complexes et cruellement humains, rompant ainsi avec une (jeune) tradition qu'il avait lui-même contribué à établir avec ses premiers ouvrages lyriques. Dans une atmosphère toute shakespearienne, le trivial s'allie au sublime tandis que la musique se fait désir et sensualité. Jamais l'expression des passions n'avait atteint un tel degré de réalisme psychologique avant cette partition où le chant est magnifié par un petit orchestre tout en nuance et subtilité. Un chef-d'œuvre des plus enivrants, confié pour la première fois au chef Raphaël Pichon et à l'ensemble Pygmalion, dans une mise en scène d'Evgeny Titov servie par la fine fleur du chant baroque.

 


Le décor s'impose sur la scène de l'Opéra: une sorte d'immense gazomètre, ample tour grisée flanquée d'une montée d'escaliers dans un troisième lieu sans âme, désert. Trois femmes costumées de façon très originale, baroque au sens de "perle rare disgracieuse, difforme", très marquée, accentuée se partagent cette introduction qui augure de la suite.Ce sont les déesses si charnelles, vêtues d'atours burlesques, emplumées, accessibles, bienveillantes personnes lumineuses.Chaque apparition d'un nouveau personnage se traduit par une présence forte, un chant déclamé bordé d'une musique subtile et discrète qui prend et subjugue par sa force et sa composition somptueuse..Poppée, Giulia Semenzato est une héroïne sensuelle, vivante, désirable et face à Néron c'est un ouragan de séduction manipulatrice. Néron en motard contemporain, sexy, attirant voir irrésistible dandy incarné par le fabuleux Kangmin Justin Kim, à la voix androgyne, quasi féminine, silhouette de rêve, attitude et port de tête altier, jeune et belle allure.

Entouré de son "staff" d'acolytes burlesques, de sbires désopilants et de tout un panel de personnages haut en couleurs qui vont soutenir l'action plus de trois heures durant. L'ambiance est cosy, feutrée au sein d'une alcôve rouge vermeil, capitonnée et sorte de salle de théâtre protectrice où les fauteuils de velours sont empilés.Les personnages y évoluent amoureusement, "coquinement" et les scènes érotiques se succèdent allègrement sans détour.Le décor tournant révèle à chaque détour, chaque phase de transformation, des "endroits" où se jouent jusqu'à des séquences de camps de SDF, no man's land de périphérique très réussi.Transposition du drame dans notre société cupide, marchande de sexe, de pouvoir mais aussi plateforme d'amours impériaux, de détournement, de pouvoir abusif...Une ambiance relevée par les voix de chacun qui honorent la partition de Monteverdi et l'interprétation de cet "orchestre de chambre" efficace dirigé par Raphael Pichon du splendide Ensemble Pygmalion.. 


La mise en scène d' Evgeny Titov est ingénieuse dans ce décor signé Gideon Darvey aux multiples usages spatiaux. Audace et astuces dans ce dispositif d'ensemble où les chanteurs évoluent à l'envi, se fondent dans des images vivantes, poignantes et versatiles.Cet opéra est magnifié par les costumes très marqués design-mode à la Jean-Paul Gaultier revisités par Emma Riott: aisance, drôlerie, érotisme des parures s'y mêlent allègrement pour définir chacun. La nourrice en star de music-hall, Néron en vedette pailletée, Sénèque en va-nu-pied ascète....Du très bel ouvrage servi par une distribution hors pair où chacun excelle de finesse ou de trivialité, les tonalités et tessitures de voix en osmose avec le soutien de la musique qui porte en elle la narration et tous ses déroulements-avancements.


La scène finale, duo de Poppée et Néron est une pure réussite, musicale, finement contrastée, portée par les états de corps très émouvants des deux chanteurs, pétris de sensibilité et d'intuition. Une "version" très contemporaine d'un lointain opéra baroque qui tourne "rond" comme ce décor fascinant, sobre sans faille qui absorbe l'intrigue et renferme la beauté autant que la cruauté de cette société détraquée, avide et sans "toit ni loi". Une cellule à barreaux pour prostituée comme cage aux lions d'où seul certain pourrons se glisser à travers les barreaux... Le valet, Kacper Szelazek n'y parviendra pas usant de son charme autant que de sa naïveté feinte.

photos klara beck

A L'Opéra du Rhin jusqu'au 30 MARS

 Avec le soutien de Fidelio.
En partenariat avec France 3 Grand Est.

Distribution

Direction musicale Raphaël Pichon Mise en scène Evgeny Titov Décors Gideon Davey Costumes Emma Ryott Lumières Sebastian Alphons Dramaturgie Ulrich Lenz Ensemble Pygmalion

Les Artistes

Poppée Giulia Semenzato Néron Kangmin Justin Kim Octavie Katarina Bradić Othon Carlo Vistoli Sénèque Nahuel Di Pierro Arnalta Emiliano Gonzalez Toro Drusilla Lauranne Oliva Fortune Rachel Redmond Amour Julie Roset Vertu Marielou Jacquard Lucain Rupert Charlesworth Le Valet Kacper Szelążek Premier Sbire Patrick Kilbride Deuxième Sbire Antonin Rondepierre 
 

 

samedi 25 mars 2023

"Des fleurs pour Algernon" : lecture musicale "conte-rendu" à Stimultania sur les "interstices" de Frédéric Stucin: sans faille ni anicroche.

 


Lecture musicale "Des fleurs pour Algernon" 🎷
📖
Après un prélude au texte poignant de Daniel Keyes, en écho à l’exposition" Les interstices" de Frédéric Stucin, le comédien Luc Schillinger accompagné d’Arsenio Quichotte au saxophone l'ont présenté samedi  dans toute son étendue dramaturgique. 
 
Dans le cadre de l'exposition photographique"Les interstices" de Fred Stucin à la Galerie Stimultania voici un duo percutant, une rencontre de choc entre une "nouvelle littéraire" et deux artistes complices d'une lecture judicieuse. Le choix du texte s'imposait:
Algernon est une souris de laboratoire. Après une opération du cerveau, elle devient très « intelligente »…  Alors la même opération est tentée sur Charlie Gordon, un humain simple d’esprit. Guidé par Miss Kinian, son professeur dont il est secrètement amoureux, il s’approche du génie…
Mais un jour, le processus commence à s’inverser chez Algernon. Et Charlie Gordon prend conscience de ce qui va lui arriver… 

 C'est ce ce roman ou nouvelle réadapté pour l'occasion par Monique Seemann que partent nos deux artistes. L'un, conteur, lecteur et comédien, l'autre, musicien avec ses deux saxophones en écho. Le personnage prend corps au fur et à mesure de la lecture: de naïf, simplet ou handicapé mental attirant empathie, bienveillance mais aussi moquerie, le voici à la recherche de l'intelligence qu'il convoite tant. Des tests lui sont proposés: celui de "la tache d'encre de
Rorschach", tarte à la crème de la psychiatrie. Il faudrait y voir des formes paréidolies, mais notre homme n'en voit pas! Ravi, béat, Charly rêve et se confronte à la médecine expérimentale avec ravissement et joie.Les autres l'entourent, le considèrent, le choient. Mais tout va s'inverser avec l'opération et sa petite souris qu'il poursuit en vain dans son labyrinthe le tarabuste. Va-t-il réussir à la doubler ? Chose faite avec succès et notre homme devient hyper intelligent, asperger et du coup les autres le renient...L'innocence, la franchise se dessinent si bien sur le visage de Luc Schillinger, sa naïveté, se fraicheur le poursuivent à travers la salle d'exposition dont il côtoyé les visages affichés, photographiés tendrement avec respect et dans une belle proximité intuitive. Le dialogue avec ces œuvres résonne de concert avec les sons et mélodies du saxophone de Arsène Ott, au diapason du jeu, de la lecture, des accents du comédien. Vibrant aussi en résonance avec le contenu, le sens de ce monologue aux multiples aspects, visages. En entremets ou en couverture bordeuse des mots du récitant. Improvisations et sons frappés sur l'instrument comme de petites touches de suspense, d'inquiétude, de question. Le binôme fonctionne à merveille, à l'unisson ou en alternance et l'on suit ce voyage dans le mental et l'univers psychiatrique avec émotion, intérêt, empathie.
Une belle rencontre unique, inédite, inouïe entre texte et photographies, menée de main de maitre par deux interprètes complices.
 
 

Autour et avec les photos de l'exposition:pendant un an, le photographe Frédéric Stucin s’est installé dans la cafétéria accolée au service psychiatrique de l’hôpital de Niort pour y observer les « interstices », photographiant patients et soignants : en résulte un doux ensemble de quatre-vingt-deux photographies sur ces lieux de soin souvent stigmatisés.
 

 
 
A la Galerie Stimultania le samedi 25 MARS
 
 

vendredi 24 mars 2023

"Le bateau ivre": Christophe Feltz "illuminé".....Rimbaud restitué, ivresse d'un flacon navigateur et zutiste !

 


Pour cette nouvelle création, la compagnie Théâtre Lumière s'est immergée dans l'œuvre de l'immense poète Arthur Rimbaud. 
 
« Le Bateau Ivre » offre une soirée en toute intimité avec l'essence même de  l'écrivain : son talent brut, sa profondeur et ses fulgurances poétiques avec les Illuminations, la Saison en Enfer et le Bateau Ivre entre autres.Christophe Feltz au diapason de l'esprit rimbaldien: ivre de poésie, d'amour, de vin et d'autres fragrances intuitives, légères ou sombres. Au creux de cette légendaire salle mystique du Munsterhof que voici un bien bel hommage fougueux au poète révolté, apatride, amoureux, insoumis, volage ou éperdument égaré, passionné. Le ton, le timbre de la voix de notre comédien-conteur, lecteur semblent taillés sur mesure pour correspondre à l'intimité, la sensualité ou la voracité des textes.Habité par le dévouement qu'il voue et offre au poète disparu mais si présent ce soir là, Christophe Feltz jouit et jubile. On se replonge dans "Le dormeur du Val", dans "Ophélie"ou "Voyelles" avec un gout de nostalgie, de mélancolie ou de délicatesse. De délices savoureux de cette langue si corsée, si incisive, si loquasse et belle. Le tout bordé par la musique de Grégory Ott, fidèle compagnon de jeu de Christophe Feltz : en "bonne compagnie", rythmant , épousant la prosodie autant que la rythmique des vers ou de la prose de Rimbaud: exercice de style et d'accompagnement judicieux, juste. Chalenge que de suivre pas à pas les paroles que distille notre lecteur fougueux, lui aussi dans l'état d'ivresse et de don de l'auteur. Les "Gymnopédies" de Satie venant se glisser audacieusement dans cet univers de rêve autant que de trivialité crue et nue.Chopin s'infiltre et trouve sa place dans ce monde si riche, si chromatique, parfumé, aux senteurs si sensibles.Un bel hommage, ode de toutes les couleurs-rose, bleu- de la poésie de ce voyou, voyant, homme de sollicitude, de révérence autant que de rébellion. Un duo" Ott-Feltz" comme un adage, un pas de deux illuminé, alerte et volubile sur la corde tendue du flux poétique, charmeur de l'oeuvre de Rimbaud.Une respiration, un souffle salvateur musical pour une atmosphère nimbée de tendresse autant que de drame et de folie.

"Nous désirons indiquer que toutes les dénominations qui ont eu cours jusqu’à ce jour à son sujet, nous n’en retiendrons, ni n’en rejetterons aucune (Rimbaud le Voyant, Rimbaud le Voyou...)

Simplement elles ne nous intéressent pas, exactes ou non, conformes ou non, puisqu’un être tel que Rimbaud les contient nécessairement toutes.
Rimbaud le Poète, cela suffit, cela est infini !" René Char

"Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme." Arthur Rimbaud
 

arthur rimbaud ernest pignon ernest

J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse
.

 

 

                                                             rue férou le bateau ivre 


 
Christophe Feltz (jeu) et Grégory Ott au piano (Chopin, Satie et compositions originales)

 le vendredi 24 mars 2023 à 20h à la salle Amadeus du Münsterhof au 9, rue des Juifs à Strasbourg.


 

"Horizons nouveaux"': pas de deux, trio , délicatesse, rafinement de l'interprétation de trois chefs d'oeuvre à l'élan juvénil.

 


Emmené par Renaud Capuçon, ce concert a permis à de jeunes instrumentistes d’interpréter des oeuvres faites de profondeur et de légèreté.

 

Faire briller les solistes

Wolfgang AMADEUS MOZART
Rondo en do majeur pour violon et orchestre
Symphonie concertante pour violon et alto

Le Rondo pour violon et orchestre est l’œuvre d’un Mozart de vingt-cinq ans et suit de quelques mois la poignante Symphonie concertante. Celle-ci marque une date car le compositeur, qui lui-même jouait de l’alto, permet pour la première fois à cet instrument de chanter à parts égales avec le violon, et de faire entendre son incomparable sonorité. Face à un orchestre, le violon n'est pas toujours soliste, loin de là! Les modalités de sa présence sont très diverses, comme en témoignent ces deux oeuvres, "classiques" dans leur tonalité. Certes, le violon peut briller seul comme dans le "Rondo", une pièce courte et convaincante. Mais il peut également jouer avec d'autres cordes de tessiture différente, ce qui intègre la dimension du timbre : ce choix de Mozart dans sa "symphonie concertante pour violon et alto" en est une belle illustration: il faut voir Renaud Capuçon jouer, bouger et faire vibrer tout son corps et son instrument si intimement reliés avec Paul Zientara, longue silhouette longiligne et interprétation sans faute d'une oeuvre complexe. Un duo, un adage digne d'un morceau de bravoure d'un ballet classique, un pas de deux en connivence et chorégraphie spontanée d'aller et retour, question-réponse, sidérant.Et Renaud Capuçon de surcroit de diriger simultanément l'orchestre en ne lâchant jamais son instrument, seconde baguette magnétique et magique du moment.

Ludwig VAN BEETHOVEN
Triple concerto

Après la Conférence d'avant-concert de ce Jeudi 23 mars 19h "La fraternité en acte" animée par Elisabeth Brisson, voici l'oeuvre tant attendue:

Conçu par Beethoven pour trois instrumentistes virtuoses, ce concerto repose sur une dimension avant tout « concertante » : présenté comme « Konzertant Konzert », genre à ne pas confondre avec celui de la symphonie pour orchestre, il confère la même importance à chacun des trois.
Pourquoi et comment Beethoven a-t-il relevé ce défi compositionnel ? Quant au Triple Concerto de Beethoven, il s’agit également, d’une certaine manière, d’une symphonie concertante pleine de bonne humeur, qui porte idéalement l’élan juvénile des musiciens qui s’en emparent.Et l'oeuvre d'être portée par l'orchestre et les soliste, comme un monument de contrastes, de subtilité, de doigté virtuose pour bâtir des sonorités douces ou tumultueuses. Cadences et structure amplifiées pour prolonger ces trois mouvements où s'intègrent les solistes: piano avec Nathalie Milstein, violon avec Raphaelle Moreau et violoncelle avec Stéphanie Huang. Des solistes déjà aguerris et doués d'une sensibilité, une écoute hors pair pour leurs jeunes années de pratique orchestrale.L'oeuvre est ample et se déploie à l'envi sous la direction efficace et sensible de Renaud Capuçon, présent, à l'affut de ses pairs relevant le défi de bien intégrer chacun dans le flux et reflux de cette musique savante.

Un concert "charmeur", distingué, raffiné aux accents "classiques" débordés par une petite révolution de palais: des solistes immergés dans l'orchestre et sous les feux de la rampe de la musique toujours en mutation de composition et d'écriture. Le Philharmonique toujours au plus haut de ses capacités.

 

Distribution Renaud CAPUÇON direction et violon, Raphaëlle MOREAU violon, Paul ZIENTARA alto, Stéphanie HUANG violoncelle, Nathalia MILSTEIN piano

Palais de la Musique et des Congrès le jeudi 23 Mars

 

mercredi 22 mars 2023

"The Passion of Andréa 2" : petits meurtres et arrangements entre amis....Le chant-contrechant de Simone Mousset

 


Simone Mousset Luxembourg trio création 2019

The Passion of Andrea 2

Que faisons-nous de la passion, quelle est-elle aujourd’hui ? Simone Mousset a retenu celle, incertaine, d’Andrea. La jeune artiste luxembourgeoise voit en cette quête existentielle, une métaphore de notre monde, de ses difficultés. Curieux chemin de croix laïque parcouru par un extravagant trio masculin.

 


Pour sa seconde création, Simone Mousset se veut détonante, voire même décapante. Sur scène, ils sont trois, comme la Trinité. Un chiffre qui, dédoublé, rejoint l’âge de la mort du Christ. Mais peu importe d’improbables références, dans La passion d’Andrea 2 nul besoin de distinguer entre fiction et réalité. Cette malicieuse épopée s’intéresse au malaise de nos civilisations. Climat d’urgence perpétuel, informations continues et contradictoires, pertes de repères sont ici prétexte à renouer avec l’imaginaire, avec ses mondes ludiques, parfois délirants ou surréalistes, ses accents drôles teintés d’humour british.
Dans cette performance inédite oscillant entre théâtre dansé et comédie de mœurs, mêlant chant et voix à la chute des corps et au burlesque des situations, Simone Mousset joue les fauteuses de trouble. Elle aiguille ses trois personnages en mal de définition vers l’improbable récit d’une série de science-fiction dont le premier épisode nous aurait échappé. Espiègle protocole qui embarque le public dans ses déroutes et suscite la réflexion autour de l’obscur malaise existentiel de nos sociétés.

 S'il fallait décerner une palme à la pièce comique dans la programmation de Pole Sud ce serait sans aucun doute à celle ci: un condensé léger, efficace, sensible de retenue, de drôlerie, de frôlement des genres avec des touches impressionnistes savoureuses de couleurs locales. Trois anti-héros s'emparent discrètement du plateau, le temps de convoquer des Andréas multiples façonnées par l’ingéniosité de la dramaturgie.Exemplaire jeu et présence des interprètes, escogriffes bienveillants dans un monde absurde, décalé.En "anglais" souvent pour une touche distinguée en plus, tout bascule pour ces trois lustigs désopilants, face à leur destin bouleversé. Leur identité c'est Andréa, convoquée comme Arlésienne, spectre hantant la scène, icône inconnue au bataillon mais toujours convoquée pour l'action!Nos trois Andrea rivalisent de malice, se traquent, se tuent, disparaissent et meurent pour l'une avec une grâce irremplaçable.Un art de la chute en vrille magnifique, des pauses désopilantes, des grands jetés incongrus à la Cunningham.....Un trio décapant, insolite, surprenant avec des ballons de baudruche suspendus au dessus de leurs têtes comma autant d'épées de Damoclès pas si menaçantes que cela.Le chant est performant, quasi évangélique ou grégorien, aux accents liturgiques à capella sans se la jouer avec des voix ambrées, de tête, de gorge ou de poitrine à l'envi.Jolie cérémonie entre amis ennemis qui se cherchent et se trouvent. Un cour de récré désinvolte et raffinée pleine de charme et de taquineries.Quels talents ainsi réunis que ces pantins plein de maladresse, de malaises qui se frappent, s'offusquent, se chamaillent, larrons en foire; gamins ou gavroches indisciplinés.Une petite comédie musicale aux accents chantés de West Side Story en diable!Petits arrangements entre amis et meurtres dans des jardins luxembourgeois en primesauterie!

Et on refait la scène originelle: "the begining" en révérence désuète, baroque et coquine. Le public, en empathie totale avec ce trio infernal et tendre, burlesque en perruques, shorts et pieds nus, dégingandés, désarticulés et maladroits à l'envi.Les stalagmites ou cocons qui les menacent, qui sont "méchants",  s'effondrent un à un devant ces démonstrations de savoir danser et chanter sur fond de musique ambiante qui croule comme eux dans des univers absurdes et fantastiques....

A Pole Sud jusqu'au 22 MARS



lundi 20 mars 2023

Quatuor Diotima : Ligeti et Janacek en majesté. Accords à corps. Quatre quatuors pour un Quatuor de charme.


 Le quatuor à cordes Diotima a donné un concert lundi 20 mars à 19h en l’Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse de Strasbourg.Concert introduit judicieusement avec quelques pistes de lecture édifiantes par l'un des quatre interprètes.

Au programme : des œuvres de Ligeti et Janáček, oeuvres qui se croisent, se rejoignent malgré l'écart des époques, des origines géographiques des deux compositeurs, pourtant pas si éloignés l'un de l'autre..

Leoš Janáček
 
"Quatuor n°1, La Sonate à Kreutzer" 1917: un petit anti-opéra, concentré de surprises, de bribes de mélodies à peine naissantes, de reprises, toujours avec beaucoup de finesse dans la composition, de grâce, de délicatesse et de fougue dans l'interprétation. Des mélodies interrompues, des contrastes saisissants dans ces quatre mouvements encore inspirés par la littérature et l'ambiance de cette "Sonate à Kreutzer"si singulière. De l'électricité dans l'air tant la fusion des tonalités est éclatante, hérissante et acérée. Avec une "vélocité" surprenante et pleine de dextérité, de maitrise très pointue pour interpréter cet opus rayonnant.

"Quatuor n°2, Lettres intimes": des mélodies très dansantes, légères, vivaces envahissent l'atmosphère, l'univers "épistolaire" de ce morceau de bravoure, des balancements, oscillations vastes, larges et bascules même des corps des musiciens. La musique en est survoltée, saccadée, alerte, comme aiguisée sur les archets tendus. Des sautes d'humeur, de mesures, de tonalités, de hauteur: tout surprend, déroute, déphase et l'écoute de ce quatuor, entre accalmie et voracité, se fait délice et attention très concentrée.Des couches de sons comme autant de strates nuageuses, des danses de salon distinguées qui dérapent...Du Janacek, séduisant, décapant à l'envi, servi par quatre artistes au diapason, en complicité et osmose totale pour restituer l'âme de l'oeuvre en toute sincérité. Un "opéra" latent, autobiographique, enflammé, éruptif en diable.

György Ligeti
 
"Quatuor n°1, Métamorphoses nocturnes": une musique plus "abstraite", emplie de sons pincés, glissés, percutants.Le son tournoie, sourd des instruments, violent, rapide comme une volière loquasse. La tension est tenue, les sonorités s'échappent, filtrées, striées comme un insecte fragile se frottant les élytres. Froissements aigus singuliers, cordes pincése à répétition...Oeuvre de jeunesse, grotesque;, fantastique aux tonalités sacrées.
"Quatuor n°2": comme un feu d'artifice de toutes les possibilités imaginables par le maitre des instruments à corde se délectant de toutes les audaces, péripéties et "gymnastiques acrobatiques" d'un genre nouveau et décapant. La dramaturgie naissant de tous ces aspects versatiles, changeants, désorientent l'écoute. Pas de monotonie, d'assise dans ce monde musical riche et fluctuant que ce soit l'un ou l'autre des compositeurs se côtoyant cette soirée là, le temps d'apprécier leur proximité autant que leurs lointaines affinités pour la danse, le folklore, les contrastes de tons, de volume.
Une soirée exceptionnelle, généreuse, menée de main de maitre par des interprètes virtuoses, captifs et jouissant de talent et de sensibilité rares et poignants.Passeurs de musicalité et d'émotion, le Quatuor Diotima touche, émeut, ravit et se joue des chalenges: porter au zénith la musique, ses auteurs et leurs partitions de corps et de sonorités inouïes.
 
Yun-Peng Zhao, Léo Marillier, Franck Chevalier, Pierre Morlet