vendredi 6 mars 2015

Maurice Lemaitre "La danse et le mime ciselants" : réflexions pour danseurs et mimes "illettrés", lettristes, pas tristes!


" La Danse et le Mime ciselants" de Maurice Lemaître.
Lettristes et hypergraphiques suivi de "Manifeste pour une pantomime à anecdote surréaliste" et précédé de "La danse et la pantomime de l'antiquité aux lettristes" par Isidore Isou
Chez Grassin lettrisme 2, 1960

 Après avoir retrouvé ce petit fascicule oublié, j’ai eu envie de m’aventurer plus loin dans l’exploration de ce qui s’est révélé être une véritable mine d’écrits théoriques, d’œuvres « à achever ou à inventer ». Et tout d’abord dans le domaine de la danse, qu’ils abordent avec le sérieux des vrais amateurs. Ce Manifeste de la danse ciselante m’est apparu comme une sorte de catalogue prémonitoire des enjeux qui animent la danse contemporaine et le mime. Quels sont les fondements de ce mouvement ? C’est d’abord son créateur, Isidore Isou, qui est le “messie” de son propre mouvement et qui l’incarne totalement. Son parcours d’artiste, dans son obsession compulsive à inventer des dispositifs créatifs sans jamais les exploiter, est l’aboutissement même de ses principes. Il suffit de s’en référer au Manifeste lettriste dont je vous livre ici un extrait :« Il ne s’agit pas de : Détruire des mots pour d’autres mots Ni de forger des notions pour préciser leurs nuances Ni de mélanger des termes pour leur faire tenir plus de signification Il s’agit de … ressusciter le confus dans un ordre plus dense Rendre compréhensible et palpable l’incompréhensible et le vague ; concrétiser le silence ; écrire les riens Ce n’est pas une école poétique, mais une attitude solitaire À ce moment : le Lettrisme = Isou » Pourquoi vouloir le donner à entendre aujourd’hui ? Peut-on parler d’une actualité du lettrisme ? Danse de l’amorphe et de l’arythmie, de la lenteur et de l’immobilité, danse de la disparition : comment ne pas faire le lien entre ces propositions lettristes et certaines des œuvres les plus radicales de ces dernières années ! De même en ce qui concerne l’idée qui fonde leur rapport à la danse, à savoir diviser le corps en sections mobiles et sections inertes afin de dénombrer toutes les particules possibles de l’anatomie humaine, jusque dans ses éléments muqueux ou liquides ! Si l’on peut se questionner sur le caractère « scientifique » de la proposition (le lettrisme se voulait une science !), elle n’est pourtant pas sans rappeler les pratiques somatiques en vogue dans le monde chorégraphique actuel. Comme la plupart des mouvements d’avant-garde, ce sont des œuvres avant tout théoriques, des dispositifs créatifs. À ce titre, chacun est libre de les revisiter ? De plus, le lettrisme, qualifié d’« ultime avant-garde » par Bernard Girard, dans sa théorisation de la mort systématique et cyclique des formes, en confirme la nécessité, tout en réhabilitant la question de la beauté, mais une beauté élargie, sans cesse à réinventer. Quant aux textes plus spécifiquement chorégraphiques, ils sont carrément visionnaires pour certains, tout en étant extrêmement datés : c’est ce contraste qui en fait justement tout le sel. Par ailleurs, le lettrisme est un mouvement toujours actif puisqu’un groupe d’artistes s’en réclame, ce qui le rend unique en son genre.C’est avec Maurice Lemaître et ses deux spectacles: Fugue Mimique No. 1 et Sonnet Gesticulaire, que le mouvement lettriste a fait son entrée dans les arts du geste, et après son passage, ni les mimes, ni les chorégraphes ou danseurs ne peuvent ignorer que le bouleversement qu'il a apporté à leur art est aussi profond et contraignant qu'en leur temps, ceux de Noverre ou Petipa.

En plus des partitions exactement notées de son mime et de son ballet, Maurice Lemaitre nous offre les réflexions d'un chorégraphe qui se pose des problèmes constamment neufs.
Au passage, il comble une lacune de l'histoire du mime, et dans son Manifeste pour une pantomime à anecdote surréaliste, accompagné de Trois Arguments, nous démontre qu'un inventeur peut non seulement ouvrir les voies de l'avenir, mais aussi revivifier les étapes négligées d'un passé proche. 
Une important préface d'Isidore Isou situe exactement le volume dans la perspective d'une refonte totale des formes artistiques de notre temps.

Rappel
Le lettrisme se veut un processus de création permanent régit par un système d’écriture intégrale que son créateur, Isidore Isou, baptise « hypergraphie » ou « créatique ». Il applique ce système à quasiment tous les domaines du savoir.
En 1953, il publie dans la revue Musicale «Manifeste pour une danse ciselante » proposant de rénover entièrement l’art chorégraphique. « Contre le nombre ou le rythme » il préconise « l’amorphe et l’arythmie, contre l’essor et la saltation, la progressive immobilité ».
Quelques années plus tard, Maurice Lemaître, compagnon de la première heure, présentera au Théâtre Récamier ses propres chorégraphies dont il publie les partitions dans La Danse et le Mime ciselants.
Au delà de l’intérêt de faire découvrir ces textes, les théories qu’ils déploient témoignent d’une formidable inventivité visionnaire, en même temps qu’elles dessinent une sorte d’empreinte historique de la danse en France au tournant des années 1950.
En s’attaquant aux fondements du Ballet, Isidore Isou et Maurice Lemaître pulvérisent littéralement l’art chorégraphique de leur temps et posent avec un humour ravageur les bases d’une réflexion qui continue d’agiter la danse contemporaine d’aujourd’hui.
Durant ce stage, le travail va s’élaborer à partir de textes lettristes, historiquement situés mais en résonance avec les questions qui animent aujourd’hui le champ de l’art contemporain. Textes dont les intitulés sont à eux seuls tout un programme : Le quasi anti-balletEsquisse pour réactions chorégraphiquesDéclaration sur la personne humaine…

Suggestions
Une lecture et écoute des textes dans leur dimension musicale, théâtrale et théorique s'impose ainsi qu'un débat sur ce qu’ils recèlent de novateur et d’obsolète, ce qu’ils questionnent de nos pratiques actuelles ; apprentissage de certaines partitions gestuelles dont (Premier Sonnet gesticulaire et de La Fugue mimique de Maurice Lemaître ; exploration chorégraphique des propositions ciselantes d’Isou ; constitution de groupes de travail, afin de choisir un sujet à s’approprier et à développer ; déchiffrage de poésies lettristes et écoute des compositions musicales lettristes ; mise en jeu publique permettant d’aborder une dimension importante du système lettriste : le public considéré comme acteur et catalyseur de l’énergie provocatrice indispensable à la mise en oeuvre de certaines propositions ; projection de films tels que Traité de bave et d’éternité (Isidore Isou), Le Film a déjà commencé(Maurice Lemaître), Tambours du jugement premier (François Dufrêne)…


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