L'oeuvre de Pierre Gangloff a donné lieu le 29 juin dernier lors du vernissage de sa très belle rétrospective à la Case à Preuschdorf a une étonnante performance live de la plasticienne Andrée Weschler. Dans la cave aux marches descendantes, c'est dans un joyeux enfer que nous invite l'artiste.
La femme chancelante
Une niche calfeutrée, intime pour un one women show singulier. Inspiré de la Magdalena, Marie Madeleine sainte et intouchable, voici une femme à demi vêtue d'une combinaison à dentelles, froissée, au vécu assurément mouvementé.Chevelure blond cendré en coupe régulière autour du visage impassible.
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photo robert becker |
Son corps est robuste, tout proche de nous, son souffle exhale une rude présence, forte. Le regard au delà des étoiles du plafond, les yeux hagards, elle se déplace avec difficultés comme sur des jambes coupées du sol, sur des chaussures rouges à talons hauts.et elle oscille sans cesse, menace de chuter, ne tombe jamais malgré les obstacles faits à sa démarche hésitante. Risque, danger de s'exposer aussi au regard de l'autre dans l'instant présent dans une grande empathie avec nos empêchements physiques particuliers, personnels.
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photo robert becker |
Se mouvoir, émouvoir, se mettre en mouvement, en péril.S'émouvoir tout simplement.L'e-motion d'Alwin Nikolais pour le registre des danseurs.Ses mouvements essuient la sueur, transpirent l'eau des larmes. Elle marche comme sur des oeufs. A son bras, un petit panier en osier comme le petit chaperon rouge: que contient-il? Mystère...Bientôt dévoilé alors qu'elle étale au sol un grand tissu rouge en satin de soie près du puits de lumière.
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photo robert becker
Un oeuf se révèle au creux de ses mains, objet précieux, fragile, curieux endroit pour y expérimenter la dureté de la coquille, le solide de son enveloppe, carapace animale de volatile.Symbole de fécondité, de féminité, cet "objet" de convoitise voyage sur son corps, à la surface de sa peau, à la périphérie des lignes de sa silhouette.Les coquilles craquent crissent sous ses pieds, dans ses mains, crépitent et brûlent d'impatience.Les oeufs font la ronde à ses pieds sur le duvet du satin rouge. Telle une matrice féconde qui engendre la vie.Un oeil aussi dans son orbite comme un globe visqueux lui rend la vue limpide. Ou opaque. Le blanc, le jaune d'oeuf se répandent sur son corps, souillent et maculent sa nuisette, chemise blanche humidifiée, mouillée.
Femme, femelle, animale dans son terrier secret.Sa tanière discrète dévoilée à notre seul regard de privilégié.Dans un éclairage rougeoyant, chaleureux, bercé par un silence impressionnant de la part des spectateurs rassemblés autour d'elle. Tout près, tout contre. Coquilles qui vont se rompre sous la pression de ses genoux, de son ventre pour faire jaillir le nectar, l’élixir de jouvence et de jouissance de ce liquide opaque, gluant.Une forte pression érotique en jaillit, sensuelle, liquéfiée par les impacts de ces coquilles brisées au contact des murs, du plafond de pierres tout proche.La toile en fond de perspective semble répondre ou questionner cette présence humaine, charnelle qui s'échine à vivre des instants uniques, répondant à une pensée improvisée, tactile, organique au plus près des chaires de la performeuse. Liquide qu'elle absorbe voluptueusement devant nous, dont elle s'enduit comme un onguent religieux, une sainte extrême onction au baume parfumé
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photo robert becker |
Comme une petite mort très érotique sur les touches de ses cuisses, de ses bras,zones érogènes à fleur de peau. Femme chancelante comme celle de la toile de Max Ernst, devenue icône ou symbole de fertilité. C'est beau, sobre et très chargé de connotations multiples pour l'imagination de chacun.
Andrée Weschler signe ici au regard de l'esprit de l'oeuvre de Pierre Gangloff, une performance inédite, un geste artistique, cadeau d'artiste à un autre artiste. D'une plasticité à une autre, une peinture vivante, corporelle dont les traces originelles de peinture à l'oeuf ancestrale sont loin de s'effacer dans nos mémoires sensorielles...Et l'on songe à "Je suis sang" spectacle de Jan Fabre où tout est liquide et fluidité, obscénité (derrière la scène) et volupté. Beaudelaire n'en aurait fait qu'une bouchée dans son boudoir calfeutré d'interdits succulents.Un épisode désirable à déguster avec plaisir et délectation? de la langue au palais? au coeur de La Case et de ses trésors.Au final un reliquaire de vestiges cabossés comme une toile de Spoerri, un tableau "piège" à admirer contenant le récit ce que qui vient de se passer...
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photo robert becker |
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A la Case à Preuschdorf, lieu d'art et de convivialité de l'Outre Foret animé par Miriam Schwamm
la femme chancelante de max ernst
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