« ORPHEE »: L’enfance de l’art
José Montalvo et Dominique Hervieu, ex codirecteurs du Théâtre de Chaillot à Paris reprennent leur pièce de 2010 « Orphée ». Aux enfers ou au «paradis»? Ce « Paradis », titre d’un spectacle fétiche qu’ils avaient joyeusement exploré pour créer une œuvre ludique, très vidéographique, serait-il comme les prémices de cet « Orphée », sorte d’opéra singulier, prolongement de ce séjour au septième ciel ?
On peut s’interroger si l’on connait le talent de ces deux chorégraphes longtemps associés, aujourd’hui « séparés » par des fonctions institutionnelles importantes: elle est nommée à la direction de la Biennale de la Danse de Lyon, ainsi qu’à sa Maison de la Danse, lui est en standby et aspire à la direction d’un centre national de danse en France…
De ce « Paradis » créé en 1997 que reste-il sinon l’envie de visiter un mythe, celui d’Orphée à travers les partitions baroques de Monteverdi, Gluck et Phil Glass. Cette pièce semble clore un cycle de trente ans de création commune, après « Le rire de la lyre », entre autres, qui rendait un splendide hommage à l’instrument. La musique comme unificatrice, adoucissant les mœurs, réconciliant ce « babel » des hommes et des arts. Orphée c’est aussi un mythe, un personnage qui outrepasse ses limites et va chercher au-delà, le savoir, l’amour quitte à pécher, désobéir et transgresser les lois. On y retrouve l’alliance singulière des images virtuelles de corps dansant et d’animaux surdimensionnés qui viennent se catapulter aux danseurs et chanteurs bien vivants sur le plateau. Un délice qui brouille les pistes, déstabilise la lecture et l’appréciation de l’espace-temps. Hommage à la gloire et à la puissance du poète, autant qu’à ses limites. Loufoque et décalée, cette version enchante comme un conte de fées dans une narration entre théâtralité, roman-collage, séquences racontées et contribue à forger des petites réalités venues d’horizons donc très différents. C’est très punchy et pimenté, plein de rebondissements autant dans le geste dansé, précis et saccadé que dans le rythme et le timing de la pièce. Une petite bombe sans retardement qui explose joyeusement quand on met le feu aux poudres. La musique y contribue largement dans un « fatras » digne d’un Prévert ou d’un Queneau. Bigarrée aussi, la mise en scène agrémentée de la présence de chanteurs en live qui mettent du piquant dans la réalité tangible du spectacle. Orphée est bien un contemporain qui charme les animaux, un Orphée amoureux d’une Eurydice légendaire. La descente aux enfers, la réussite et l’échec fatal, la deuxième mort d’Eurydice : tout s’enchaîne dans un déroulement narratif accessible et bien illustré. La séquence où Orphée est littéralement déchiré par les bacchantes atteint le sommet du drame. Orphée est une interrogation, celle d’un jeune artiste à la quête du succès qui s’incarne alors et confère au mythe une puissance très contemporaine. On y retrouve la verve et l’imagination débordante du couple créateur, leur amour des différentes disciplines de la danse: baroque, hip-hop, flamenca, contemporain, capoeira…Cette « maison de tolérances » où tous se rencontrent et se côtoient pour livrer le meilleur d’eux-mêmes. Métissages en grandes pompes pour ces noces de la musique et de la danse, pour cet humour déflagrateur et cette disponibilité à tous les possibles.
Marquant une époque où la danse « danse » encore et pour toujours, sans se heurter à un discours intellectuel réducteur, l’œuvre de Montalvo-Hervieu enchante et transporte vers la jubilation, le divertissement et l’exploration d’un monde architecturé aux fondements mythiques ou légendaires. La gestuelle à quelque chose de mécanique ou de fluide selon les genres empruntés au vaste vocabulaire et glossaire de la Danse. Pas d’ostracisme ni de racolage disgracieux ou accrocheur. Leur langage est simple, dépouillé, et l’on devient friand de cette inventivité radicale. Un monde de légèreté et de plaisirs, une fresque baroque faite d’influences dada ou surréalistes dans un dialogue exubérant entres des corps vivants électriques et des images virevoltantes qui se coursent sans fin. « L’air. L’air libre. Libre comme l’air » serait leur credo ! L’enfance de l’art en quelque sorte. Comme ces « rainures de parquet de leur chambre d’enfant où ils pouvaient voir surgir des forêts, des pampas, des hordes d’animaux, des paires de fesses euphorisantes »
Geneviève Charras
« Orphée » au Grand Théâtre à Luxembourg les 29 et 30 Juin à 20H
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