Etrange histoire que celle du Tutu. Un livre publié sous le manteau en 1891, et très rapidement introuvable ; un incunable qui, jusqu'à sa première réédition, un siècle plus tard, faisait la joie des bibliophiles et des amateurs de textes licencieux. Encore que, dans le cas du Tutu, ce n'est pas tant la lubricité que l'irrespect et la plus parfaite amoralité qui prévalent. L'histoire de Mauri de Noirof, jeune rentier qui dilapide la fortune familiale en de vaines entreprises et en soirées de débauche dans le Paris de Maupassant, n'est qu'un prétexte. Sur ce canevas classique, l'auteur anonyme, cette Princesse Sapho dont on ignore la véritable identité, laisse libre cours à sa plume, ou, plus exactement, ouvre grand les vannes.
Difficile de décrire cette vague de saynètes cocasses et répugnantes, d'images folles, de personnages sortis d'une toile de Jérôme Bosch... Plus étonnante encore, la modernité du style. L'auteur, qui pourrait être Léon Genonceaux - le premier éditeur de Rimbaud et le « découvreur » de Lautréamont -, croise les points de vue, joue sur les formes, passe du récit au théâtre, distribue les formules assassines. Le tout dans une langue ciselée et précieuse. Si ses charges anticléricales apparaissent un brin datées, pour le reste, Le Tutu demeure un ovni - ou, comme le dit plaisamment le Rabelais espagnol Julián Ríos, « un aérolite littéraire », le chaînon retrouvé entre littérature fin de siècle et surréalisme, entre Huysmans et Antonin Artaud.
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