Photo Robert Becker |
Dans un "décor" pour le mieux adapté, une exposition photo des travaux de Pierre Ferrenbach "Retour Argentique", clin d’œil architectural au format de la diapositive paradoxalement traité en noir et blanc, nous voici au pays des contrastes, du "noir" comme la couleur privilégiée de la culture lusophone !
Un concert en "noir et blanc", touches suggestives des vêtements noirs des musiciens, de la blancheur du "white cube", des œuvres accrochées, photo-graphies très dynamiques de compositions rythmées.
Eduardo Luis Patriarca (n. 1970)
Auat VI (Memento) (2017)
pour voix soprano, saxophone alto, accordéon, alto et violoncelle
L'oeuvre en hommage à l'écrivain poète bouddhiste Eduardo Lourenço démarre vivace, allègre, riche de beaux vibratos d'instruments alanguis. La voix parlée dialogue avec le saxophoniste: la chanteuse raconte, chuchote dans sa langue chuintante et douce à l'oreille. Allegro des cordes qui bordent voix et saxophone en dialogue.En résonance l'environnement plastique de l'accrochage photos, vibre et renvoie du rythme et de la sobriété lumineuse: noir, "ultra noir" frémissant, vibrant.Tremblant, oscillant.
Cândido Lima (n. 1939)
Salmodia da Noite e da Montanha (2018)
pour voix soprano, saxophone alto, accordéon, alto et violoncelle
Inspirée par la ville de Guarda, les montagnes et un poème de Pessoa,l'oeuvre démarre dans une ambiance languissante de sirène, la voix en écho chuchote et circule à travers les sons des instruments: en l'occurrence un accordéon résonnant, respirant.Présence sonore incongrue et bienvenue auprès des cordes du violon et violoncelle !Comme une prière qui pas à pas avance, la voix est vindicative, parlée comme un sprechgesang murmuré.Recueillement absolu devant un paysage urbain qui se dessine, se compose de touches musicales appuyées.Les secousses de l'accordéon remuent et touchent, ciblant un univers bigarré, tectonique.Les sons s'agitent dans de belles répercussions contagieuses. La voix s'impose, aiguë, percutante. Au final, la douceur ambiante s'allonge, se répand, s'étire, plane et se déploie en nappe de nuées volatiles.
Sara Carvalho (n. 1970)
... when I walked, I cried to dream again (création mondiale)
Pour saxophone alto solo
C'est la "Tempête" de Shakespeare qui inspire ce solo inédit: graves et aigus s'y confrontent, en alternance, comme des sirènes de bateau, des vibrations, longues tenues dans l'espace, animent le fil de la musique, du souffle.Quelques soubresauts, envolées dans les graves, sont autant de marches ascensionnelles, comme des précipitations joyeuses. Voyage onirique dans le temps, un souffle final clôt la pièce, accalmie après la tempête!
Nuno Côrte-Real (n. 1971)
Gacela del Niño Muerto (2018)
pour voix soprano, saxophone alto, accordéon, alto et violoncelle
La guerre en Syrie en est la source d'inspiration, les enfants disparus et sacrifiés, la quintessence. La gravité du propos, l'hommage en font une ambiance dramatique, puissante et recueillie. La lenteur, comme une marche solennelle progressive, chemine et conduit au respect et à la considération. L'accordéon en ressort puissant, dramatique et très présent. Comme dans un cortège, on chemine aux côtés des interprètes, dans les reprises, avancées en ascension: procession intuitive et sensible d'une communauté d'instruments au service d'une dramaturgie musicale intense et convaincante. Offrande juste et pertinente pour évoquer la douleur, la souffrance dans une belle amplitude.
Jorge Peixinho (1940-1995)
Sine Nomine (1987)
pour ensemble à géométrie variable
Dernière pièce du concert qui va réunir les deux ensemble, L'Imaginaire et Sintese: pour le meilleur d'une rencontre percutante, une écoute mutuelle intelligente et intuitive de deux "cultures" qui se rejoignent!
Après une attaque déferlante, le suspens s'installent entre les instruments: lutte, combat, osmose?
La voix s’immisce , instrument à part entière: dans cette savante composition, chacun s'installe, se répond, se succède l'un à l'autre. Très posée, l'oeuvre respire, se donne le temps de vibrer, de résonner: le violoncelle progresse, avance, note à note, tenu pour évoquer une belle rêverie.
Rêve dominical éveillé, ce concert riche de propositions multiples et variées, interroge l'écriture contemporaine, la renvoie à la plasticité de la scénographie très pertinente en noir et blanc, couleur lusophone!
Une "matinée" animée et conclue par un apéritif festif, plein de saveurs portugaises épicées, vivaces, cuisine "note à note" pour boucler une partition conviviale: un "imaginaire" tissé et bien réel, parcouru de découvertes et surprises
Les deux ensembles s'assemblent et se ressemblent dans toute leur altérité et singularité
Et si la musique contait de sa voix les plus belles histoires poétiques portugaises ?
C'est chose faite et prouvée, assumée par Sintese, un groupe idéal et unique, passeur de la création musicale contemporaine du Portugal.
Exposition galerie Jean François Kaiser (hors les murs), commissaire Karin Graff
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