mardi 20 septembre 2016

"La belle et la bête" de Thierry Malandain: un conte qui fait l'ange!


Le Malandain Ballet Biarritz fait son "qui fait l'ange fait la bête" avec une très belle version d'un conte légendaire ou d'un film mythique de référence: celui de Jean Cocteau. Mais loin aussi de ces univers, Malandain se fait la belle et joue des écueils du déjà vu pour accéder à un véritable univers fantastique. Sur les pointes, dans une écriture cataloguée de "néo classique" à défaut de savoir ce que ce terme signifie véritablement. Une histoire, une narration, des personnages et une musique riche de son fougueux romantisme: Tchaikovski et sa "Symphonie Pathétique". De quoi justement éviter l'illustration, le mime ou de copier une narration de ballet classique à thème et à livret traditionnel!
Pari gagné pour un enchantement, tantôt lyrique, tantôt baroque avec quelques références au baroque et à la belle et basse danse. Des costumes couleur "soleil" d'or et de scintillement, des ornements de dentelles, des robes longues, des pourpoints savants. Du graphisme comme des dessins de tatouages sur les peaux, anatomie animale, discrète mais efficace, évoquant le filtre des visions du fantastique où tout est possible.Un régal pour l’œil et pour la pensée, une fable où se côtoient tragédie, fantaisie, suspens et romantisme.


Les danseurs, aguerris à une écriture savante, délicate, s'emparent très justement de ces héros légers, plaisants, séduisants. Les rideaux de scène jouent à cache cache avec les protagonistes, dévoilent, enroulent ou dissimulent les corps, modifient les séquences et au final inondent de leur or le décor rutilant, scintillant
Orpailleur du ballet, Malandain propose ici un divertissement magnifique, un temps où la rêverie prend le relais sur le réflexif pour mieux naviguer dans un univers très cinématographique où s’enchaînent les plans et les fondus au noir. L'immense scène de l'auditorium de la Cité Internationale comme un écrin pour accueillir l'ampleur et l'envergure d'un monde féerique, large, ouvert vers les cieux de l'imaginaire fécond du chorégraphe.
La Biennale de la Danse de Lyon s'offre un bal de dorures et de merveilleux, temps de pause et de songes salvateur

Le Ballet de l'Opéra de Lyon: découvertes singulières: danse virtuose, danse vulnérable!


Le choix d'inviter l'espagnole Marina Mascarell et l'italien Alessandro Sciarroni appartient à Yorgos Lokos et Dominique Hervieu, tous deux confiants et découvreurs, fidèles soutiens de chorégraphes émergeants talentueux. Pour les danseurs du ballet, c'est encore une occasion de se frotter à de nouvelles écritures, à de singuliers univers.
Pour "Le diable bat sa femme et maris sa fille", huit danseurs seront les inspirateurs de la chorégraphe: sur le thème de la féminité, des discriminations, la voici, militante, imaginant un manifeste à la Valentine  Saint Point et sa métachorie, manifeste de la femme futuriste.
Se livrer, nu et cru.Il pleut alors que le soleil brille! Avoue le dicton italien, source d'inspiration de la chorégraphe.

Pour conter et mettre en scène les secrets, les aveux, les récits d'êtres humains souffrant de leur différences ou tout simplement de leur existence au regard des autres. Tenues flottantes, collants couleur chair, dans un décor de ballons démultipliés, flottants aux murs, leurs évolutions, solos, duos ou collectifs touchent par leur déterminations à être ou ne pas être , soulignant grâce, fluidité et décontraction des corps en mouvement. Des images vidéo viennent se greffer sur leur corps, comme des icônes d'anatomie qui dissèquent la mémoire. Et la rend lisible.La danse, porteuse de message est loin d'être didactique et l'on songe à la violence quotidienne faite à tous ceux qui ne seraient pas dans le moule social, celui du genre aussi, questionné en filigrane. La musique de Nick Wales pour témoin et rampe de lancement pour cette écriture sobre, tenue, discrète de Marina Mascarell. Beaucoup de sensibilité, d'émotions dans ces témoignages dansées de personnes, évoquant par le geste, désespoir, tristesse et peut être aussi fatalisme.Sujet sur le vulnérable, la fragilité et l'intimité, altérité des genres d'aujourd'hui qui se cherchent, s'affichent, se racontent pas toujours au creux des oreilles les plus bienveillantes!
Après un court entracte pour respirer et engranger cet univers dérangeant, retour dans la salle du bel Opéra de Lyon: pour la pièce de Alessandro Sciarroni, "Turning", motion sickness version
Vertige de la volte
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Danse virtuose à la clef, celle d'une réflexion sur le tour, la pirouette, la giration: tous à l'épreuve de la perte, du don, de la dépense dans cette performance de 30 minutes. Tour de piste, manèges, déboulés puis exercice périlleux du giratoire tels des derviches au service du vertige maîtrisé, de la "routine" ancestrale. De ce qui fascine: pourquoi les danseurs "tournent"? Pari gagné pour cette oeuvre singulière, répétitive où chacun va de son tournoiement, en chorus, seul, dans le sens ou pas des aiguilles d'une montre... C'est affolant, enivrant, hypnotique à souhait, jamais lassant . dans un décor vierge, bleu clair d'un cyclo, costumes pastels, simples vêtements de travail, chaussettes pour mieux glisser et se jouer du sol fuyant, se dérobant sous les pas circulaires des corps, toupies remontées comme des petites mécaniques de musée d'automates.La musique de Yes Soeur pour soutien, pour accompagner et galvaniser un rythme déferlant et continu qui s'achève sur un point d'orgue rassurant: ils n'ont pas perdu l'équilibre ni la raison: dévotion, prière ou simple exercice de méditation, le tour fascine, émeut et fait mouche!La musique répétitive à la Steve Reich, impacte!

lundi 19 septembre 2016

"Fla. Co. Men" : El Is Ra Van Gal : danse savante?


Israel Galvan se joue des mots, des gestes, des légendes et des traditions: toujours avec un immense respect, un dévouement, et une moralité exemplaire. Le voici à la Maison de la Danse de Lyon, dans une forme de "solo" toujours accompagné par "les autres", musiciens, chanteurs: sa sagrada familia indispensable, irremplaçable. En toute modestie bien calculée, savamment orchestrée bien sur. Stratège, que ce grand monsieur, phénomène inclassable d'un flamenco contemporain, chargé d'histoire, de références et d'amour total et fatal pour sa fratrie? Certes car à le découvrir rentrant sur l'immense scène, occupée par percussions et instruments, on sait d'entrée de jeu qu'il y aura fraude, leurre, falsification et beaux mensonges: il est revêtu d'un tablier blanc de cuisinier et semble déchiffrer devant lui une partition sur un pupitre! Se laissera-t-on prendre au piège? Galvan lisant une partition chorégraphique? Au diable l’honnêteté! Supercherie!Il frappe du pied, des mains et à son habitude montre son meilleur profil dans des attitudes iconoclastes, ravageuses, déflagrations intempestives de son tempérament de feu, de terre. Le sol est son port d'attache et rien n'y changera, sauf son immense imagination qui l'emporte vers des rivages toujours nouveaux, en conquérant inlassable pour de nouveaux territoires d'écriture pour sa danse, la danse: celle d'ici et d'ailleurs, savante et populaire, patrimoine et inconscient collectif au poing.


Une guêpière comme accessoire, le voilà transformé, contraint et entravé. Le sol percusif reprend ses droits et accentue son travail rythmique: compas et autres figures virtuoses Sur des sols variables en pièces de monnaie, biscottes ou autre denrées extravagantes, il frappe, ébouriffe, surprend, interroge gestes et matières résonantes. Révolte, voltes, volte-faces, tout est réuni ici pour plus d'une heure durant nous conduire sur les pentes de la virtuosité, sur les traces du risque et du danger dans d'infinies figures et attitudes, postures emblématiques de son inlassable travail sur le flamenco. Danse humoristique aussi où il prend du recul, insatiable recherche pour laisser aussi aux autres interprètes, chanteurs et musiciens, des espaces de liberté et d'expression. Quel maître en la matière, noble et fier de son escorte, de ses amis et partenaires fidèles qui l'accompagnent, le porte et le soutiennent. Jamais seul mais solitaire ce danseur des solitudes dont DidI Huberman vante le talent, la richesse et la férocité désormais légendaire.
Au final, c'est en robe de flamenco, blanche et rouge qu'il vient saluer après les battles de ses compères. Échancrée, épaule à demi dénudée à la Pina Bausch, ouverte dans le dos. Belle image finale, touchante, simple, dépouillée. A vif, à cran.