mardi 12 décembre 2023

"13 Tongues": Cloud Gate Theater: la couleur fluoreste de la danse partagée.

 


Fermez les yeux… et rouvrez-les dans l’une des artères grouillantes de vie de Bangka/Wanhua, le plus vieux district de Taipei. Là où grandit le jeune Cheng Tsung-lung, bercé par les récits de sa mère sur une figure populaire locale, l’artiste Thirteen Tongues. Dans les années soixante, ce conteur légendaire avait pris pour scène la rue, avec ses activités humaines nobles ou triviales, ses rites sacrés, ses fêtes profanes, et fait des habitants de son quartier les personnages de ses narrations inventives. Trente ans après, le chorégraphe puise à la source de ses souvenirs pour recréer la clameur palpitante et les légendes envoûtantes qui ont marqué son enfance. Des chansons folkloriques au chant taoïste, en passant par l’électronique et par le son immémorial d’une cloche rituelle à une seule main, la musique immerge le spectateur dans un espace-temps fusionnel. L’héritage religieux de l’ancien Bangka/Wanhua, celui du royaume des esprits, se fond avec le visage contemporain des passions humaines. Rompus à tous les styles, les treize – décidément ! – danseurs de la troupe évoluent dans un décor immersif, qui se recompose au gré d’éblouissantes projections de lumières et d’images. En lien spirituel avec les divinités surgit un monde fantastique, porteur de la mémoire de tout un peuple. 
 
Véloces, volubiles figurines tout de noir vêtues aux déplacements singuliers d'électrons libres. Premières visions de cette compagnie hors norme qui nous vient tout droit de Taiwan. Technique irréprochable pour ces interprètes aguerris à un style vif argent, précipité allégorique d'un mouvement urgent et necessaire, vital et contagieux. Quelle maitrise de l'espace, du groupe où la "danse chorale" se chante et se meut dans une respiration commune. Ronds de sorcières magnétiques et ballet de corps communs dans des transports à l'unisson. La danse griffée de Tchen Tsung-lung comme une traversée compulsive de l'espace et du temps. En fond de scène comme un rideau traditionnel, des images et couleurs géométriques passent sur un écran géant et propulse les corps hors champs à l'envi. Alors que parfois des poissons gigantesques traversent ce vaste bocal aquatique en diable. Les costumes eux aussi se métamorphosent en tuniques fluo archi colorées, pleine d'un charme bigarré éblouissant. Les portés, les traversées venant produire des effets rapides de rémanence visuelle où tout passe et repasse , fulgurantes apparitions fugaces de ces petits pions magnétiques propulsés dans l'espace de l'immense plateau du Palais des Festivals. A la fois comique et plein de charme ce spectacle enthousiasme et séduit par son chorus, sa cérémonie païenne et enjouée, autant que par la gravité de la densité vécue par la troupe animée d'une énergie fébrile et véloce. Treize "langues" pour treize interprètes galvanisés par la joie de danser, de se mouvoir de façon fluide ou tectonique. Une aventure, la centième représentation ce soir là de clôture du Festival de danse de Cannes. A saute frontières dans ces pays de cocagne inconnus ou imaginés, en danger ou menacés de tout ostracisme ou discrimination. Une fête partagée dans la solidarité et l'empathie. Et de toute beauté plastique et esthétisante, united colors of humanity, dance floor magnétique pour personnages fugitifs à ratrapper dans le temps fugitif et éphémère du spectacle vivant!
Au Palais du Festival dans le cadre du festrival de Danse de Cannes
le 10 Décembre

 

Cheng Tsung-lung, Cloud Gate Dance Theater of Taïwan

Fondé en 1973 par Lin Hwai-min, le Cloud Gate est reconnu comme « l’une des meilleures compagnies internationales ». Ses créations, nourries de techniques traditionnelles comme de danse classique et contemporaine, sont représentées dans le monde entier. Depuis 2020, elle est dirigée par le danseur et chorégraphe Cheng Tsung-lung, qui a d’abord rejoint la troupe en 2002 comme danseur puis pris en 2014 la tête du Cloud Gate 2. Sa dernière pièce, Send In A Cloud (2022) présente en couleurs changeantes les parcours de vie des danseurs.

Etay Axelroad: "Led": quand la "gaga" danse se métamorphose, un talent éclot, danse "serpentine" envoutante.

 


LED (The SOLO) – FIRST GARDEN SUIVI DE ITALIAN CONCERTO 

Performance présentée avant le spectacle de la CIE AMALA DIANOR – DUB – Théâtre Debussy – Palais des Festivals – 19h45 le 9 Décembre

Il faut découvrir l’art subtil d’Etay Axelroad, danseur virtuose de la Batsheva Dance Company, avec ses étonnantes performances, dans les halls des théâtres tout au long de la manifestation tel un feuilleton chorégraphique ! Le dernier sur une estrade dans le hall du Palais des Festival se donne comme une danse solo, offerte au public rassemblé autour du danseur "surélevé". Vision en légère contre plongée comme celle d'une caméra où d'une déambulation possible en ronde bosse. Telle une sculpture sur son large socle, le corps du danseur, charpenté, solide se déploie peu à peu, sorti d'une pause fixe, enchevêtrée, nouée, les membres reliés par une sorte d'empêchement. Délivrance grâce au flux qui parcourt ce chemin organique comme un insecte se délivrant de sa chrysalide, matrice fondatrice de son corps larvé Etat de grâce pour ce danseur, mobile, surprenant, gracile dont la stature parait immense, colossale. Métamorphose idéale pour un interprète pétri de "gaga" danse qui se délivre de ses "chaines" nourricières. C'est beau, fragile et hypnotique, la proximité invitant à la curiosité à l'empathie à la surprise: si proche et pourtant le regard lointain et absent. Présent bien sur de tout son ancrage, de toute sa peau revêtue d'un costume de tissus large, flottant. Les jambes dévoilées, puissantes, ancrées. Faire "le serpent", s'ouvrir, plexus et poitrine ouverte, offerte au public, à l'espace, aux ondes qu'il émet. Un danseur hors pair, soliste de haute volée, de haute voltige tenant le haut du pavé avec ravissement et grâce.Une vision singulière, une chaleur partagée et enthousiasmante pour ce début de soirée au coeur du Palais.Dernier épisode, épilogue d'une série-feulleton chorégraphique atypique.Figure de faune évanescente, attitudes et postures sauvages et sensuelles, voluptueuses agitations tendres ou violentes dans une énergie pleine de fougue et de jeunesse maitrisée. Du bel ouvrage sensible et percutant pour mieux découvrir un talent émergeant à suivre assurément.Danse vive, tectonique, fragmentée, virulente comme toute l'énergie versatile qui l'anime. A partager aussi lors des cursus "gaga danse" dont celui de Cannes fut un succès public-plus de 150 participants- au Palais des Festivals: le danseur sur une estrade, micro au poing, une heure durant faisant partager sa "snake dance" avec joie et enthousiasme contagieux.

Dans le cadre du Festival de danse de Cannes le 9 Décembre. 

"gaga danse" le 10 Décembre en matinée au Palais des Festival

"Monstre magique": ciné danse Amala Dianor : à saute frontières...Danse à capella. Jeter son corps dans le cadre-caméra non obscura!

 


MONSTRE MAGIQUE Avant-première – Film documentaire de Grégoire Korganow

Avec Amala Dianor et la troupe du spectacle SIGUIFIN

Ils sont neuf, neuf danseurs venus de différents pays d’Afrique. À Saint-Louis, sous la morsure du soleil sénégalais, ils vont apprendre à se connaître, à travailler et à imaginer ensemble une pièce de danse contemporaine qui leur ressemble. À partir de cette matière mouvante, le chorégraphe Amala Dianor, l’œil attentif et exigeant, modèle jour après jour les contours d’un spectacle intitulé « Siguifin », qui en langue bambara signifie monstre magique.

Un film c'est l'art du montage, du cadrage de la lumière, de l'espace: toutes les denrées de l'art chorégraphique en somme.Sans oublier le mouvement, bien sur ! Celui ci est un bijou du genre, entre documentaire de création et film d'auteur appartenant autant au chorégraphe qu'au réalisateur Geégoire Korganow qui s'est puissamment inspiré de la pensée en mouvement d'Amala Dianor. Tout démarre par un plan fixe où les portraits-visages des interprètes chantent à capella sans filet et donnent le ton du "chorus", de la communauté inspirée par une solide culture d'Afrique et d'autres continents. Mélodie lancinante et émouvante qui va droit au coeur de chacun. Sobriété, simplicité et profondeur de ce chant venu du corps. On se lance justement à bras le corps dans une répétition de la pièce Siguifin, ce "monstre magique": Amala en maitre à danser direct et autoritaire passe son flux joyeux et fausement débonaire aux danseurs réunis pour vivre ensemble la danse. Et s'y retrouver, s'y construire, s'y reperer comme chacun prenant la parole en voix off s'y adone devant la caméra en plan fixe. Témoignages vibrants et vivants de leurs expériences humaines et artistique au coeur de la compagnie. Les univers et espaces changent: d'une terrasse au studio, les corps et les langues se délient. Avec peu de commentaire, au vif des improvisations, au plus près du mouvement initié par chacun. "Se jeer" dans la danse, se propulser, oser faire faux, sale ou "mal" selon quels critères. Amala est sincère, direct, exigeant mais pétri de bienveillance. Ici l'image revoie à la sobriété; pas de "caméra qui danse" ni d'immersion parmi l'espace des danseurs. Une présence discrète et efficace pour embrasser le mouvement, le suivre, le développer en longeant les déplacements en plan séquence. On en immobilisant un geste suspendu par un cadrage fixe où le regard prend le temps de déguster le tempo de la danse. Chacun magnifié dans sa gestuelle propre, considéré et reconnu par le chorégraphe. Grégoire Korganov n'instrumentalise jamais la gestuelle, la rapproche, la sens, l'anticipe et se jette lui aussi à l'eau comme le visuel du Festival de danse de Cannes: un plongeon arrière, un crawl coulé, glissé dans l"écume de la vitesse-mouvement-image. Vêtu, trempé, immergé dans un bain de jouvence tempétueux, les yeux fermés, clos par le plaisir de nager. Belle icône qui résumerait l'esprit de la manifestation autant que du film. La "danse au travail" comme chez André S.Labarthe, la danse qui s'expose et livre quelques secrets de fabrication. Tous unis par le son, unisson et partage à la clef de sol. Un compagnonnage inhérent à la pensée chorégraphique d'Amala Dianor, "labannienne" où le poids, l'encrage, les directions font lois: les appuis comme fondamentaux, les décisions et intentions franches et décisives. Pas de "meublé" même "sommairement" pour cette bande à Laban où s'inscrit l'histoire et la passation du mouvement dans toute son intuition. Sans frontière ni barrières de compréhension dans un échange constant danseur-chorégraphe. Une séquence magnifique du film où les danseurs sont comme des joueurs de voley, se passant les gestes dans un esprit d'équipe et de fraternité. Sans mimétisme ni mime comme dans ce solo où un interprète use et abuse de son espace pour le sculpter, le rendre perceptible et poreur. Le film ce n'st pas du "cinéma" c'est une réalité augmentée, vivante, réceptive d'un esprit de fabrication autant que d'entrainement comme pour des passe-murailles franchissant obstacles, barrière ou murs protecteurs pour accéder au "vivre ensemble". Au final, un chant pour s'évader de l'écran, du cadrage pour accéder à un hors champs hors sol défiant les lois de la pesanteur, du sol pour une apesanteur lyrique et onirique de bon aloi. Un "monstre magique" qui se livre et se "montre" à l''écran: Terpsichore kinématographique comme muse et scénario-image de toute intelligence. Lier, relier, inter-ligerer corps, graphie, sons et unisson en toute tranquillité.Un bonheur absolu en jaillit pour cette équipe soudée qui gagne notre empathie et sympathie et apprend l'altérité, la considération et creuse l'identité au coeur de chacun. Danser sa vie à tout prix...En bonne compagnie!

Au Festival de Danse de Cannes le 9 Décembre.


lundi 11 décembre 2023

"Salle des fêtes": Philippe Saire voyage en ballon...

 


Au départ, il y a le souhait de renouveler l’espace scénique avec une proposition scénographique forte. De cette démarche sont nées depuis 2011 quatre pièces au format original, Black Out, Néons, Vacuum et Ether. Salle des Fêtes
, structuré en trois actes, est le cinquième volet de ces « Dispositifs ». Assis en cercle sur le plateau, le public est invité au plus près de l’action. Au centre, un disque-couvercle libère des ballons multicolores, gonflées à l’hélium, avec lesquels dansent deux clowns blancs au visage masqué. Leur aspect étrange tranche avec un univers qui évoque irrésistiblement la joie de l’enfance, les divertissements populaires et les factices royaumes enchantés de Walt Disney. Tandis que, reliés à leur structure circulaire, les ballons passent successivement du ras du sol au haut des airs, avant de se poser à nouveau à terre, on s’interroge : ces clones ont-ils pour mission de nous distraire ? Ou bien sont-ils chargés d’incarner, à la façon d’une catharsis, notre inévitable pesanteur humaine alliée à notre besoin inné de légèreté et d’élévation… Se gardant de trancher, Philippe Saire laisse chacun goûter la magie consolatrice d’une chorégraphie teintée de nostalgie et d’humour tendre. En souvenir de l’enfant ravi, tenant la ficelle d’un ballon, qui sommeille en chacun de nous.  
 
Le public encercle l'arène comme au cirque et deux clowns blancs font leur apparition autour d'une sorte de sculpture, couvercle, toile montagneuse mystérieuse; recelant quel secret, quelle surprise? Ils sont masqués, blancs, le latex couvrant le visage et laissant place à tout le langage du corps. Surprise, le "rideau" se lève dévoilant un plafonnier de ballons de fête, de foire, d'anniversaire! C'est donc dans cette atmosphère ludique et salutaire que ces deux escogriffes vont se rencontrer, se poursuivre, se taquiner, se chamailler. Les ballons comme prétexte à entre en contact et ne pas "se lâcher la grappe"! Moment crucial du spectacle: la séquence venteuse et ventilée où l'un s'empare d'une grappe de ballons pour mieux se jouer de l'espace de l'autre et le déstabiliser.Audace de la proximité des corps, de ces faux jumeaux qui se partage la scène. Belle réussite qui enchante petits et grands pour le meilleur de cet opus signé Philippe Saire dans une scénographie originale qui donne le ton à cette "salle des fêtes" fort réjouissante!
 
A la Scène 55 à Mougins dans le cadre du Festival de Danse de Cannes le 9 Décembre

Philippe Saire

Féru d’arts visuels, de théâtre et de cinéma, le chorégraphe Philippe Saire est l’une de personnalités majeures de la scène suisse contemporaine. Avec sa compagnie fondée en 1986, il a créé une trentaine de pièces à la réalisation ciselée, parmi lesquelles Vie et Moeurs du Caméléon Nocturne ou encore Hocus Pocus. Basé à Lausanne, il a reçu en 2004 le « Prix suisse de danse et de chorégraphie » décerné par ProTanz, Zürich, et pour son lieu de travail et de création, le Théâtre Sévelin 36, le Prix spécial de danse 2013 de l’Office fédéral de la culture.

Amala Dianor "Dub" : united colors of Amala : "Voyages!"....

 


Elles s’appellent le whacking, le dancehall, le hell, le jookin, la pantsula. Diffusées via les réseaux sociaux, ces danses urbaines 2.0 sont issues de communautés spécifiques implantées en Corée, Europe, aux États-Unis ou en Afrique du Sud et de l’Ouest. Leurs interprètes, aussi connectés que virtuoses, puisent leur énergie rythmique dans les beats de DJ remixant des musiques traditionnelles ou populaires. Tout en empruntant aux références chorégraphiques de leurs aînés de la génération hip-hop, ils inventent une gestuelle libre et hybride qui inspire Amala Dianor. Le chorégraphe est allé à leur rencontre physique dans leurs différents lieux de vie, accompagné du photographe Grégoire Korganow. Selon le processus d’appropriation de la Dub music, qui distord le reggae acoustique en le mêlant à des sons électroniques, il les a ensuite invités à déplacer et prolonger leurs techniques de danse respectives autour d’un champ commun d’expérimentation, « territoire éphémère conçu comme un espace de rencontre ». Dans le même esprit, le dispositif visuel de la pièce s’inspire des espaces vus sur place, du ballroom collectif à l’appartement privé, tandis que la composition musicale d’Awir Léon se nourrit des influences propres à chaque pratique. De la citation à la (re)-création, un tableau vivant, créatif, jouissif, des danses d’aujourd’hui. 
 
D'amblé le ton est donné: un solo emprunt de bharatanatyam aux esquisses fortes et affirmées. Le danseur livré à son art métamorphosé par toutes les passerelles chorégraphiques de la signature de Amala Dianor. Expression vite rattrapée par celle de ses compères qui viennent envahir le plateau et se saisir de l'espace; son espace propre et celui des autres, partagé, vécu, reçu et écouté à l'unisson. Unis par le son, transportés d'une estrade à l'autre en vagues successives. Ici pas de "meublé" dans les déplacements et gestes mais une écoute et un déploiement d'énergie incroyable, juste et ressentie. Le groupe est soudé, au diapason de la musique live: chacun se "jette", se projette dans sa danse, intègre et singulier. Les horizons de chacun s'ouvrent, se mêlent, se disputent l'espace dans un esprit partageux, fraternel et ludique: ouvert, toujours. Une porte d'entrée auréolée de néons comme entrée et sortie des artistes. Puis c'est le revirement spatial avec l'apparition scénographique d'un véritable immeuble, tranche architecturale qui rend visible simultanément cinq facettes d'une danse scénographiée pleine d'audace, de risque de danger aussi. Tranche de vie, tranche de cake ou pièces détachées d'un immeuble où chaque pièce recèle son histoire de corps, de horde, de meure bigarrée. Une partie de bonheur partagé où chacun excelle en mouvement ondulatoire, en course poursuite, en déroulé haletant et ludique. On se traque, on se chamaille on s'écoute et se répond franchement au delà des différences, des origines, des styles de danse. Amala Dianor réussit à fédérer des hommes et femmes de tous horizons et ce voyage-paysage est esquisse éphémère et joyeuse de rencontres fertiles. Les couleurs du temps s'y fondent allègrement et l'énergie surgie de toute part fait mouche. Dans cette habitation architecture offerte au regard, la vie va bon train en bonne compagnie. On y partage autant que l'on y donne et reçoit et l'écriture de cet opus est forte et puissante. Pas de concession dans la grammaire, la syntaxe de cette tour de Babel jubilatoire, offerte au regard comme une devanture de boutique fantasque de l'humanité, recomposée, famille d'adoption au creux de la vraie filiation. La danse sans nul doute, à tout prix et de toute urgence pour vivre.Les néons, les couleurs pour magnifier l'union qui fait la force de cette pièce du déjà très beau et bon répertoire du chorégraphe. Amala Dianor comme un berger, un guide, un meneur de jeu, un arbitre des différences d'une grande maturité.
Le dub tire ses rythmes et mélodies du reggae, mais modifie le son en utilisant des trucages électroniques et de l'écho. Ce "DUB", c'est un genre musical de la culture underground, des free party et du clubbing.Dans ces antres on y retrouve des ambiances colorés et festives, des pièces gorgées de rouge et de bleu, qui débordent d'énergie.Nicolas Tallec s'inspire de ces lieux qu'Amala Dianor, chorégrahe de DUB, a visité pour nourrir cette création. Avec en prime une séquence voguing fort prisée...
 
Au Théâtre Debussy Palais des Festivals de Cannes dans le cadre du Festival de Danse de Cannes
 le 9 Décembre

 

COMPAGNIE AMALA DIANOR
Après un brillant parcours d’interprète, Amala Dianor a créé en 2012 sa compagnie Kaplan. Depuis son solo Man Rec en 2014, où il explorait ses origines africaines, à The Falling Stardust (2019) pour neuf danseurs contemporains et classiques, ou Emaphakathini (2022) pour les Via Katlehong, il hybride avec bonheur formes et styles entre le hip-hop, sa terre artistique d’origine, et le contemporain – il a été formé au Cndc d’Angers. En 2021, il a également réalisé les courts-métrages CinéDanse avec Grégoire Korganow.

"Sous les fleurs" Thomas Lebrun : comme un bouquet, florilège du genre. Millepertuis aux fragrances de lenteur porteuse de quiétude.

 


Au sud du Mexique dans la région d’Oaxaca, on les appelle les Muxes. Nées hommes et pourtant féminines, ni transgenres, ni travesties, elles sont élevées comme des filles et peuvent s’habiller comme telles. Lors des fêtes locales, elles portent la tenue traditionnelle zapotèque, longue jupe chatoyante tissée de motifs floraux et fleurs piquées dans la chevelure. Le chorégraphe Thomas Lebrun est parti l’an passé à la rencontre de ce troisième genre, reconnu mais pour qui la sexualité est cadrée, et le mariage impensable. Dans son exploration de la féminité au masculin, une notion si difficile à appréhender qu’il n’existe pas de terme précis pour la nommer, il met en regard leur société avec celles de la plupart des pays du globe. Là où sévissent violences et discriminations à l’égard des « hommes féminins », même lorsque ces derniers ont conquis le droit de se marier entre eux. Son documentaire chorégraphique oscille du réalisme à l’onirisme, questionnant « sous les fleurs » l’identité et les représentations du corps. Avec le concours d’un anthropologue mexicain, cinq interprètes dont un comédien chanteur, tous conscients de leur féminité intérieure, se livrent à une quête en perpétuelle transformation. Quant à la bande son, elle unit des musiques locales à une partition délicieusement non genrée, Le Spectre de la rose de Berlioz. 
 
C'est un tableau qui s'anime doucement, dans la lenteur, sorte de portrait de famille de "Menines" à la Velasquez ou du "Balcon" de Manet : attitude de groupe posée, immobile posant pour la postérité. Secret de famille ébranlé par les postures stables et équilibrées de cette oeuvre picturale, incarnée par les cinq "êtres vivants" coiffés et costumés à la mexicaine: costumes traditionnels chinés sur les marchés de ces "Muxes" parias ou adoptés par la population locale. Etre Muxe, être né "muxe" et s'exposer ici en plein soleil sous les lumières chaleureuses des murs qui les abritent, les accueillent, les acceptent dans leur diversité, leur identité; ni masculin, ni féminin, ni "neutre" mais vivantes ..Françoise Michel au registre plein de talentueuses inventions de lumières pour magnifier les corps, l'environnement, créer espaces et volumes dédiés à la danse. La lenteur est le temps, la temporalité de la pièce qui égrène voluptueusement ce phénomène de ralentissement des gestes en imperceptibles mouvements. Dignité, majesté de ces alignements graciles et complices de corps à corps.Les costumes ourlés par la lumière, la dentelle des jupes longues et blanches comme des millepertuis , fleurs et feuilles percées d'infimes trouées pour filtrer la lumière.Et respirer lentement le déroulement d'un sablier docile, d'une clepsydre écoulant la durée de la vie. Le passage, la transformation opérant ici comme un passage rituel initiatique et floral, fête des morts ou fête des fleurs de l'âge. Tradition augmentée par la dramaturgie de la pièce qui soulève bien des tabous ou autres idées reçues sur l'identité, l'altérité. Cinq danseurs se passent ce relais comme une flamme et la séquence portée par "Le spectre de la rose" de Berlioz en est le summum. Danse ondulante des torses qui se ploient, puisent une volupté et sensualité au creux de chaque épaule ou bras épris de lenteur. La lumière une fois de plus au zénith pour magnifier la beauté de ce déplacement subtil, comme les nymphes du Faune de Nijinsky...Une métamorphose singulière qui au final compose un second tableau de famille, plus contemporain, les danseurs vêtus de noir, assis dans des fauteuils tissés noir anthracite. Les fleurs questionnent cette considération, cette reconnaissance intuitive à présent de l'identité vécue et avouée de chacun. ;"Sous les fleurs", la quiétude désormais plus que l'homophobie ou autre agression malveillante et mortelle.La danse une fois de plus chez Thomas Lebrun comme ouvrage esthétique et perturbateur, agitateur tranquille et réconcilié avec la férocité de la vie. Un opus aux couleurs chaleureuses du pays de Frida Kalho: un voyage au long court, silencieusement savoureux , tremblant d'émotion et de gravité. Et fleurs et couronnes pour ce "spectre" plein de pétales de rose à effeuiller comme au cabaret avec émotion et modération respectueuse: Grandeur et noblesse, dignité au poing.

Au Theatre Stephanie dans le cadre du Festival de Danse de Cannes le 10 Décembre

Thomas Lebrun

Après avoir fondé en 2000 sa compagnie Illico, il est d’abord artiste associé au Vivat d’Armentières (2002-2004) puis auprès de Danse à Lille / CDC (2005-2011), où il crée notamment en 2009 Itinéraire d’un danseur grassouillet. Depuis sa nomination en 2012 à la direction du Centre chorégraphique national de Tours, il a chorégraphié une quinzaine de créations, à la danse précise et à la théâtralité assumée. En 2021, il a fêté les deux décennies de sa compagnie avec une pièce anniversaire, Mille et une danses (pour 2021)

Michèle Noiret : "l’œil, l’oreille et le lieu ": l'orpailleuse et l'insecte : un manifeste éco-chorégraphique plasticien de toute intelligence

 


l’œil, l’oreille et le lieu

Création 2022
Pièce de danse-cinéma pour 2 interprètes
Conception et chorégraphie : Michèle Noiret
Créée avec et interprétée par : David Drouard et Sara Tan
Création vidéo : Vincent Pinckaers, Aliocha Van der Avoort
Images 3D : Romain Lalire

« Quelque chose s’est perdu, on n’y voit rien, on n’y entend rien… » annonce Michèle Noiret. Ce quelque chose disparu, ce sont les insectes. L’artiste imagine un futur où la plupart de ces minuscules mais indispensables créatures n’ont pas survécu aux dérèglements environnementaux provoqués par l’homme. Seuls quelques lieux dédiés, permettant de convoquer la mémoire et l’inconscient collectif, offrent la possibilité de sensibiliser au monde d’avant ceux qui ne l’ont pas connu. Et d’espérer, peut-être, le voir renaître un jour… Sur cette trame dystopique, la chorégraphe déploie une écriture scénique nourrie de toutes les ressources technologiques de la danse-cinéma, art dans lequel elle est passée maître. Effets visuels, jeux de lumière et musique futuriste de Todor Todoroff transforment le plateau en un laboratoire d’anticipation. Se filmant en direct à l’aide de smartphones, les interprètes, Sara Tan et David Drouard, se prêtent à diverses expériences sensorielles. Sur l’écran, leurs vidéos alternent avec celles d’insectes démesurément agrandis, dont les mouvements et les postures inspirent à ces deux représentants de notre humanité un nouveau dialogue charnel. Comme une invitation à changer d’échelle et à re-considérer un écosystème incroyablement complexe, qu’il importe de préserver. 

C'est une image façon tache de Rorschach qui s'affiche sur un écran: en symétrie le corps d'un danseur en perspective s'allonge, brouillant les pistes de perception directe. A la Francis Bacon, fugitive, déformée, porteuse de rêve: le ton est donné, le vertige assuré pour notre perception immédiate des images. Abimes et profondeurs des icônes qui nous plongent dans le chaos, le trouble graphique du kinématographe, écriture si chère à Michèle Noiret. Un tunnel sur scène devient habitacle d'une mante religieuse prête à dévorer l'espace pour survivre. Filmée de l'intérieur comme une créature inconnue de l'espèce vivante. La danseuse y incarne un être vivant étrange qui se love dans cet espace, lieu éco-chorégraphié de main de maitre par la magicienne, prestidigitatrice des nouvelles technologies liées à l'art visuel. Mutation et métamorphoses des corps des insectes présents à l'écran en mue et transformation perpétuelle. Les séquences de cet étrange opus rayonnent de secrets, de magie comme un manifeste plasticien sur la nature des insectes, leurs formes invraisemblables, sophistiquées, monstrueuses. Quasi baroques tant leurs singularités éclosent aussi dans la danse, duos qui les accompagnent, les soulignent, les magnifient. Loin d'un discours démagogique ou didactique, pédagogique ou illustratif, cette ode au vivant est chrysalide perpétuelle. Telle une "sylphide" qui se développe, se transforme et laisse pousser ses ailes pour mieux voler, la libellule nait d'un habitacle, cocon qui la dévêtit et la jete dans le vivant. La danse explore en mimétisme fragile et discret cette cérémonie visuelle de la transformation. Par les médias qui subtilement se prêtent au jeu du leurre, du vertige, du déséquilibre, de l'apesanteur. Un bijou d'une orpailleuse, artisane d'une écriture mêlée de danse fluide, multidirectionnelle. David Drouard et Sara Tan mis en lumière par Todor Todoroff leur proposant des variations musicales de haute voltige.Orfèvre sur son établi, ne cessant d'en découdre avec les discours, l'oeil, l'oreille de la chorégraphe n'a de cesse d'exercer sur l'espace des images, des tréfonds d'une bande dessinée de science fiction. Rêve, abysses et autres descente au paradis de l'irréel. De l'or en ces "lieux"multiples que l'art cinématographique magnifie et crée de toutes pièces. Alchimiste et porteuse d'une lecture sur le monde animal en voie de disparition, les insectes, mais aussi l'être humain et son rôle dans le désastre annoncé par l'inversion climatique et l'anxiété qui en découle. L'"endroit" de la danse, ce "milieu" responsable que l'on intègre en quittant le support de la barre et du miroir, est ici ce "troisième lieu" d'une réflexion-miroir d'une grande intelligence. Celle des médias qui se croisent, s'entremêlent pour signifier que ce qui bouge est en danger. Tel le travail d'Hubert Duprat, plasticien de l'or et des larves, Michèle Noiret tisse par les effets de média multiples les contours d'un univers unique de sculptures dansées en ronde bosse magnétique sidérante. Une pièce, bijou insectoïde de toute beauté.

hubert duprat


Dans le cadre du Festival de danse de Cannes au Théâtre de Grasse le 8 Décembre

Michèle NoiretFormée à l’école Mudra de Maurice Béjart, elle fonde en 1986 sa compagnie à Bruxelles.  Auteure de près de 40 chorégraphies, elle introduit dans ses créations, dès les années 90, les technologies interactives du son et de l’image et questionne par ces langages multiples le chaos du monde, ainsi que nos perceptions de l’espace et du temps. Sa danse révèle une écriture inventive soutenue par une recherche rigoureuse, portée par des interprètes considérés comme de véritables « personnages chorégraphiques ».