l’œil, l’oreille et le lieu
Création 2022Pièce de danse-cinéma pour 2 interprètes
Conception et chorégraphie : Michèle Noiret
Créée avec et interprétée par : David Drouard et Sara Tan
Création vidéo : Vincent Pinckaers, Aliocha Van der Avoort
Images 3D : Romain Lalire
« Quelque chose s’est perdu, on n’y voit rien, on n’y entend rien… » annonce Michèle Noiret. Ce quelque chose disparu, ce sont les insectes. L’artiste imagine un futur où la plupart de ces minuscules mais indispensables créatures n’ont pas survécu aux dérèglements environnementaux provoqués par l’homme. Seuls quelques lieux dédiés, permettant de convoquer la mémoire et l’inconscient collectif, offrent la possibilité de sensibiliser au monde d’avant ceux qui ne l’ont pas connu. Et d’espérer, peut-être, le voir renaître un jour… Sur cette trame dystopique, la chorégraphe déploie une écriture scénique nourrie de toutes les ressources technologiques de la danse-cinéma, art dans lequel elle est passée maître. Effets visuels, jeux de lumière et musique futuriste de Todor Todoroff transforment le plateau en un laboratoire d’anticipation. Se filmant en direct à l’aide de smartphones, les interprètes, Sara Tan et David Drouard, se prêtent à diverses expériences sensorielles. Sur l’écran, leurs vidéos alternent avec celles d’insectes démesurément agrandis, dont les mouvements et les postures inspirent à ces deux représentants de notre humanité un nouveau dialogue charnel. Comme une invitation à changer d’échelle et à re-considérer un écosystème incroyablement complexe, qu’il importe de préserver.
C'est une image façon tache de Rorschach qui s'affiche sur un écran: en symétrie le corps d'un danseur en perspective s'allonge, brouillant les pistes de perception directe. A la Francis Bacon, fugitive, déformée, porteuse de rêve: le ton est donné, le vertige assuré pour notre perception immédiate des images. Abimes et profondeurs des icônes qui nous plongent dans le chaos, le trouble graphique du kinématographe, écriture si chère à Michèle Noiret. Un tunnel sur scène devient habitacle d'une mante religieuse prête à dévorer l'espace pour survivre. Filmée de l'intérieur comme une créature inconnue de l'espèce vivante. La danseuse y incarne un être vivant étrange qui se love dans cet espace, lieu éco-chorégraphié de main de maitre par la magicienne, prestidigitatrice des nouvelles technologies liées à l'art visuel. Mutation et métamorphoses des corps des insectes présents à l'écran en mue et transformation perpétuelle. Les séquences de cet étrange opus rayonnent de secrets, de magie comme un manifeste plasticien sur la nature des insectes, leurs formes invraisemblables, sophistiquées, monstrueuses. Quasi baroques tant leurs singularités éclosent aussi dans la danse, duos qui les accompagnent, les soulignent, les magnifient. Loin d'un discours démagogique ou didactique, pédagogique ou illustratif, cette ode au vivant est chrysalide perpétuelle. Telle une "sylphide" qui se développe, se transforme et laisse pousser ses ailes pour mieux voler, la libellule nait d'un habitacle, cocon qui la dévêtit et la jete dans le vivant. La danse explore en mimétisme fragile et discret cette cérémonie visuelle de la transformation. Par les médias qui subtilement se prêtent au jeu du leurre, du vertige, du déséquilibre, de l'apesanteur. Un bijou d'une orpailleuse, artisane d'une écriture mêlée de danse fluide, multidirectionnelle. David Drouard et Sara Tan mis en lumière par Todor Todoroff leur proposant des variations musicales de haute voltige.Orfèvre sur son établi, ne cessant d'en découdre avec les discours, l'oeil, l'oreille de la chorégraphe n'a de cesse d'exercer sur l'espace des images, des tréfonds d'une bande dessinée de science fiction. Rêve, abysses et autres descente au paradis de l'irréel. De l'or en ces "lieux"multiples que l'art cinématographique magnifie et crée de toutes pièces. Alchimiste et porteuse d'une lecture sur le monde animal en voie de disparition, les insectes, mais aussi l'être humain et son rôle dans le désastre annoncé par l'inversion climatique et l'anxiété qui en découle. L'"endroit" de la danse, ce "milieu" responsable que l'on intègre en quittant le support de la barre et du miroir, est ici ce "troisième lieu" d'une réflexion-miroir d'une grande intelligence. Celle des médias qui se croisent, s'entremêlent pour signifier que ce qui bouge est en danger. Tel le travail d'Hubert Duprat, plasticien de l'or et des larves, Michèle Noiret tisse par les effets de média multiples les contours d'un univers unique de sculptures dansées en ronde bosse magnétique sidérante. Une pièce, bijou insectoïde de toute beauté.
hubert duprat |
Dans le cadre du Festival de danse de Cannes au Théâtre de Grasse le 8 Décembre
Michèle NoiretFormée à l’école Mudra de Maurice Béjart, elle fonde en 1986 sa compagnie à Bruxelles. Auteure de près de 40 chorégraphies, elle introduit dans ses créations, dès les années 90, les technologies interactives du son et de l’image et questionne par ces langages multiples le chaos du monde, ainsi que nos perceptions de l’espace et du temps. Sa danse révèle une écriture inventive soutenue par une recherche rigoureuse, portée par des interprètes considérés comme de véritables « personnages chorégraphiques ».
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