Fermez les yeux… et rouvrez-les dans l’une des artères grouillantes de vie de Bangka/Wanhua, le plus vieux district de Taipei. Là où grandit le jeune Cheng Tsung-lung, bercé par les récits de sa mère sur une figure populaire locale, l’artiste Thirteen Tongues. Dans les années soixante, ce conteur légendaire avait pris pour scène la rue, avec ses activités humaines nobles ou triviales, ses rites sacrés, ses fêtes profanes, et fait des habitants de son quartier les personnages de ses narrations inventives. Trente ans après, le chorégraphe puise à la source de ses souvenirs pour recréer la clameur palpitante et les légendes envoûtantes qui ont marqué son enfance. Des chansons folkloriques au chant taoïste, en passant par l’électronique et par le son immémorial d’une cloche rituelle à une seule main, la musique immerge le spectateur dans un espace-temps fusionnel. L’héritage religieux de l’ancien Bangka/Wanhua, celui du royaume des esprits, se fond avec le visage contemporain des passions humaines. Rompus à tous les styles, les treize – décidément ! – danseurs de la troupe évoluent dans un décor immersif, qui se recompose au gré d’éblouissantes projections de lumières et d’images. En lien spirituel avec les divinités surgit un monde fantastique, porteur de la mémoire de tout un peuple.
Véloces, volubiles figurines tout de noir vêtues aux déplacements singuliers d'électrons libres. Premières visions de cette compagnie hors norme qui nous vient tout droit de Taiwan. Technique irréprochable pour ces interprètes aguerris à un style vif argent, précipité allégorique d'un mouvement urgent et necessaire, vital et contagieux. Quelle maitrise de l'espace, du groupe où la "danse chorale" se chante et se meut dans une respiration commune. Ronds de sorcières magnétiques et ballet de corps communs dans des transports à l'unisson. La danse griffée de Tchen Tsung-lung comme une traversée compulsive de l'espace et du temps. En fond de scène comme un rideau traditionnel, des images et couleurs géométriques passent sur un écran géant et propulse les corps hors champs à l'envi. Alors que parfois des poissons gigantesques traversent ce vaste bocal aquatique en diable. Les costumes eux aussi se métamorphosent en tuniques fluo archi colorées, pleine d'un charme bigarré éblouissant. Les portés, les traversées venant produire des effets rapides de rémanence visuelle où tout passe et repasse , fulgurantes apparitions fugaces de ces petits pions magnétiques propulsés dans l'espace de l'immense plateau du Palais des Festivals. A la fois comique et plein de charme ce spectacle enthousiasme et séduit par son chorus, sa cérémonie païenne et enjouée, autant que par la gravité de la densité vécue par la troupe animée d'une énergie fébrile et véloce. Treize "langues" pour treize interprètes galvanisés par la joie de danser, de se mouvoir de façon fluide ou tectonique. Une aventure, la centième représentation ce soir là de clôture du Festival de danse de Cannes. A saute frontières dans ces pays de cocagne inconnus ou imaginés, en danger ou menacés de tout ostracisme ou discrimination. Une fête partagée dans la solidarité et l'empathie. Et de toute beauté plastique et esthétisante, united colors of humanity, dance floor magnétique pour personnages fugitifs à ratrapper dans le temps fugitif et éphémère du spectacle vivant!
Au Palais du Festival dans le cadre du festrival de Danse de Cannes
le 10 Décembre
Cheng Tsung-lung, Cloud Gate Dance Theater of Taïwan
Fondé en 1973 par Lin Hwai-min, le Cloud Gate est reconnu comme « l’une des meilleures compagnies internationales ». Ses créations, nourries de techniques traditionnelles comme de danse classique et contemporaine, sont représentées dans le monde entier. Depuis 2020, elle est dirigée par le danseur et chorégraphe Cheng Tsung-lung, qui a d’abord rejoint la troupe en 2002 comme danseur puis pris en 2014 la tête du Cloud Gate 2. Sa dernière pièce, Send In A Cloud (2022) présente en couleurs changeantes les parcours de vie des danseurs.
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