A bâtons rompus !
Dans une faible lueur, une silhouette tâtonne sans bruit. Elle tente simplement de mettre en place une table et une chaise afin de s’installer face au public. Mais chaque geste se désagrège en petits accidents. Peu à peu le silence s’effiloche. Les objets s’ébouriffent, résistent et grincent. Le but limpide des gestes se recroqueville et s’atténue. Le sens et les objets tombent en ruine. Les nombreux débris de tentatives s’accumulent et s’entassent démesurément, accidentant tout. Il ne reste que ce corps en miettes qui tombe à plat. Dans L’homme de Hus, Camille Boitel construit un dispositif unique, obsédé par l’effondrement, la catastrophe et tous les moyens possibles d’y survivre au gré d’un dialogue et d’un corps-à-corps avec les objets. Camille Boitel est un acrobate, danseur, musicien et jongleur.Il provoque un rapport politique au théâtre, avec un goût pour la catastrophe et la cacophonie visuelle. Près de 15 ans après sa création, il reprend son premier spectacle, L’homme de Hus, qui fut lauréat du prix Jeunes Talents Cirque.
Des palissades en sapin, des planches, des tréteaux pour cet "homme des bois", sauvage tout droit sorti d'un univers fantastique, absurde, invraisemblable!
Il y a du Ionesco chez cet artiste inclassable qui se débat, encastré dans un amas de tréteaux, prisonnier, enfermé dans une mécanique de répétition, comique à engrenage sans fin, cocasse et surtout très bruyant!
Car le bois, ça vibre, ça craque, ça frappe des trois coups comme un brigadier, comme un cheval d'arçon qui s'affole!
Des visions dantesques surgissent de cet univers architectonique, grand mikado géant où tout est déséquilibre: comme un naufrage en mer, ce personnage se retrouve oscillant, titubant dans un jeu de tectonique des plaques hallucinant.
Tantôt niche ou terrier, refuge de ses élucubrations multiples dans un tohu-bohu, vacarme de musique de machinerie qui s'emballe.Un trombone hurlant, des sirènes au lointain, pour ce personnage allumé, proche de la folie, c'est aussi un chemin de croix christique qui se dessine: en slip blanc avec ses acolytes pour le transporter, le soutenir l'accompagner vers son calvaire! Les tréteaux se font barricade de chantier, objets de révolte et de soulèvement: il semble souffrir cet être étrange, manipulé, terrassé, en proie à un gentil délire obsessionnel: bâtir et reconstruire, défaire, démolir sans cesse.Camisole blanche pour un corps empêché, handicapé qui se joue des obstacles; un vrai bâtisseur d'empire dans une menuiserie vrombissante, un atelier délirant avec savant fou, dépassé par les événements! Dans cet empilement, tuilage de tréteaux, c'est le bazar, la tempête: tout se transforme et vit: les objets y ont une âme et bougent au gré des secousses, des tremblements de terre.Lui aussi se transforme en bibendum d'astrakan noir pour se jouer des métamorphoses de son corps en autant de béquilles et autres transformations bizarres et pleines d'effets surprenants. les tréteaux se font rangées de soldats en marche, roue qui tourne dans un feu d'artifices et bouquet final tonitruant.
Une véritable construction plastique, sculpture en évolution se forge au fur et à mesure et donne à voir d'étranges formes démontables qui ne cessent de se transformer: plasticienne danse aussi que ces évolutions au sol, le corps en proie à une mobilité singulière, inquiétante.
Articules !
Pas de langue de bois pour Camille Boitel, artisan en diable qui dompte, maîtrise et domine objets et fantasmes pour un impact visuel, sonore tectonique et les rouages de l'intrigue de ces"temps modernes" ravissent et enchantent. Les bruits, sons, tapages hors champs dans le noir en disent long sur les machines infernales qui déterminent cet "homme de Hus", sauvage, si "home sweet home" que tout s'y articule savamment sans dérailler une once.
Du grand art sur la corde raide du risque et du danger qui tient en haleine, réjouit et interroge sans cesse
En "clap" de fin, le bois se tord de rire et s'agite : de quel bois il se chauffe, celui qui brûle les planches une heure durant, sans jamais lasser.
Jusqu'au 20 Décembre au TJP Strasbourg
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire