« RIFT est un texte sur la disparition. Celle de mon père, ancien mineur aux ardoisières de Trélazé, qui est parti dans les limbes de la maladie d’Alzheimer. Celle de Mon Amour qui a disparu. Qui veut disparaître. Qui résiste à disparaître. La mienne dans les souvenirs de mon père et dans le trou laissé par l’être aimé.J’y mêle mes souvenirs, mes bribes, mes failles et donc ma fissure (« rift » en anglais) pour faire surgir une forme de ce marasme que peut être la vie parfois. »
De Virginie Vaillant
Directrice de lecture Anne Somot
Musicien.n.es duo Thomas Billey (machines et traitement) et Céline Péran (harpe)
Comédien.ne.s Gabriel Micheletti, Anne Somot
C'est une roche métamorphique qui sous les effets de chaleur, temps et pression, se fait cassante, millefeuille ou palimpseste, strates de souvenirs de minéral. L'ardoise n'est pas redevable de monnaie, ni n'inscrit les dettes : elle est au coeur de ce récit, de cette narration subtile d'une autobiographie de Virginie Vaillant. Ce sera "elle" qui nous livrera durant cette performance de lecture, les "souvenirs" très présents d'une femme. "Je ne sais pas" murmure -t-elle en écho à son "père", figure centrale de sa mémoire, celui qui assis en fond de scène, lui donnera la réplique, l'esprit lointain, mais la voix chaude et rassurante, éthérée comme un spectre vaillant de sa vie.Témoin discret de ses aveux de mère, de compagne, de fille irradiée par les tréfonds de la mine d'ardoise où travaillait son référent de vie.La disparition, ce "trou" béant, cette perte vertigineuse comme la chute dans un puits, où cette montagne de déchets minéraux, cette "butte" à escalader pour mieux plonger dans les eaux de ces lacs artificiels d'extraction de minerai..La "comédienne-conteuse" incarnant l'autrice se glisse lentement de son pupitre au sol blanchi de farine, long chemin de table, sentier direct où ses empreintes de semelles tracent des schémas et figures d'idéogramme, de hiéroglyphes, écriture ancestrale et fondamentale. Signes de la mémoire qui s'inscrit et ne quitte plus nos pas, nos évolutions On croit au départ à des traces de noir sur tapis blanc...Le leurre opère à merveille. On ne nous roule pas dans la farine, mais entre les couches ou nappes de schiste :Un schiste est une roche qui a pour particularité d'avoir un aspect feuilleté, et de se débiter en plaques fines ou « feuillet rocheux ». On dit qu'elle présente une schistosité. Il peut s'agir d'une roche sédimentaire argileuse, ou bien d'une roche métamorphique.Et c'est à un insecte bizarre que l'on doit la métaphore du léger, de l'éphémère, du temps qui passe: le notonecte, équilibriste entre deux eaux, deux airs.Belle description, comme tant d'autres d'ailleurs, précises, sorte d'inventaire, d'accumulation de qualités, de curiosités animales organiques et anatomiques.Comme un écho de la mémoire qui résonne, circule, prolonge le sens des mots, en résonance.En correspondance aussi au récit qui va bon train:un glossaire sur la terminologie du jargon de la mine, et toujours cette ardoise qui brûle la plante des pieds quand sa porosité est exposée au soleil. Ce seront les paroles du père qui se cache au bout du chemin de vie...Comme un chant, un sprechgesang rapide et rythmé, Virginie, blonde et frêle personnage incarnée par Anne Somot remplaçant au pied levé Nancy Guyon pressentie, toute de nuances, de questionnement, de rage ou de tendresse..."Ca s'est passé", "ça va être dur", scandé à toute vitesse fait mouche et touche, atteint le spectateur qui face aux autres comme dans un miroir reconnait peut-être son propre sort...On s'identifie à cette mémoire fouillée, brisée, en mille feuilletage gourmand plein de charme.Les traces comme une calligraphie à l'encre outre noire sur tapis de farine, chantent ces évolutions frontales dont nous sommes témoins.Et quand quatre longs manches à balais mus par les scénographes effacent cette pluie de poudre blanche, talc, farine ou poussière d'ange, on songe à la légèreté fugace et futile des songes ou à l'extrême "lourdeur" des souvenirs qui pèsent, qui encombrent...La musique, tendre harpe jouée du bout des doigts ou console électroacoustique dirigée en live, accompagne le récit, l'histoire tremblante, chavirante, qui rompt, casse, se brise comme l'ardoise que l'on doit fendre à coup de karcher pour qu'elle ne s'émiette pas...La traversée introspective va se terminer, du "vécu" pour tout un chacun, traversée minimaliste d'une chambre blanche de la mémoire vive.En boucle dans le tamis de la matière minérale vaporeuse.L'ambiance de toutes ces "nappes", couches est douce et forte comme la voix du père, berceuse, bagage d'adulte qui transmet l'oubli, la perte au pied du mur.Père ou amant, les rôles se mêlent, entrelacs sensuels et amoureux de deux corps écartés par la distance, face à face mais distants. Comme un geste d'écriture qu'on déroule, le sentier de cristaux de neige blanche demeure maculé par les pas qui vont et viennent, avancent dans la recherche du temps.Faire "forme"et dessin, esquisse ou calligraphie, cette intimité fait office d'obscénité, derrière la scène, en coulisse de la mémoire, poésie de l'instant!Oui, "j'aime beaucoup ce que vous faites" ce soir là aux TAPS et l'on déguste pour se "rassurer" une mousse chocolat-fraise aux oeufs concoctée par le chef Olivier Meyer: les ingrédients de la mémoire!
Scénographes (HEAR) Anaïs Levieil, Agathe Vilain, Elias Haddad, Lucie Billaud
Ce texte est présenté dans le cadre de la 24ème édition du festival Actuelles. le 18 MARS
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