lundi 22 mai 2023

"Elisabeth gets her way": la reine en son royaume bien tempéré par un démiurge de l'écriture choré-graphique, Jan Martens: en toute "simplicité...

 


"Elisabeth gets her way" Présenté dans le cadre de la 39e édition du Festival Musique Action

  • Jan Martens- Grip [ Pays-Bas ] Le Théâtre de la Manufacture - Grande Salle, Nancy

  • Elisabeth Chojnacka portrait dansé

Le portrait dansé d’une grande musicienne. Rencontre inattendue et touchante entre un danseur-chorégraphe et le clavecin contemporain.

D’un projet à l’autre, Jan Martens aime changer du tout au tout et se situer là où on ne l’attend pas. Cette fois, il a choisi de se faire presque biographe et de rassembler la matière propre à dessiner une forme de portrait d’une musicienne remarquable. Il s’agit d’Elisabeth Chojnacka, claveciniste hors normes. Elle fut une sorte de muse iconoclaste pour des compositeurs tels que Görecki ou Xenakis. Beaucoup plus qu’une interprète, elle parvint par sa virtuosité et son intelligence à dissocier son instrument du répertoire baroque pour en faire un terrain d’exploration artistique.

Proposant un étonnant tissage d’extraits de documents d’archives et de séquences chorégraphiques, seul en scène, Jan Martens dessine progressivement le portrait d’Elisabeth Chojnacka, celui d’une femme et d’une artiste aussi libre que déterminée. Dans les reflets de l’image de la musicienne et par-delà l’hommage, chacun peut deviner un propos très personnel du chorégraphe concernant son rapport à la musique, au rythme, au mouvement et à la création artistique.


Il semble nous attendre en tenue de training sur le tapis de danse blanc de blanc.Puis d'un petit vestiaire sur la scène, il enfile jaquette-chemise blanche bouffante et legging de camouflage pour esquisser des gestes de danse baroque: ce sera le prologue ou l'introduction à une série de solo, ponctués d'images, d’interviews et d'informations succulentes sur le personnage hors norme de la claveciniste polonaise. Chérie du public et du monde de la musique, égérie de l'instrument trop méconnu, ignoré ou banni de la musique contemporaine. Jan Martens va faire corps et graphie de cette musique cinglante, scintillante et froide, métallique. Des gestes comme des ornements, des frises très raffinées, des postures, attitudes soignées, tirées au cordeau, strictes graphismes dans l'espace habité de toute son énergie. Tétanie, secousses ou petits sur place calculés, griffés par sa signature précise, concise, efficace enluminure de carnets de croquis fulgurants. En slip scintillant sur place ou dans l'obscurité, le voici présent à toutes les musiques, Ferrari,Goreki, Ligeti, Mâche,Bério,Xénakis,Montague et autres compositeurs férus de signatures sonores, de compositions pour le clavecin. C'est nu, allongé qu'il percute de ses pieds comme l'interprète qui se jouait des pédales du clavecin, glissements et caresses des pieds au sol, frôlant le divin.

En équilibre précaire, de profil comme un faune dans un bel après-midi ! De motifs sonores de couleurs chatoyantes répétitifs signés Krauze , il fait sa Lucinda Childs, parcourt l'espace en d'éternels recommencements, bras en volutes tourbillonnantes, au niveau près de chaque port de bras. Le 16 ème siècle anonyme le conduit  sous une douche de lumière à des évolutions  changeantes, en baskets, vêtu de rouge, micro-mouvements collés au corps, distillés, distribués au compte goutte. Élixirs d'une clepsydre magique, fascinante qui distille le temps et déverse à petit flux des gestes d'une rare beauté concise. Marches dans la lumière qui éclaire et élargie l'espace de ses divagations , baroque léger, rapides et brefs ornements des mains, des bras, sauts mesurés dans des flashs lumineux versatiles rehaussant le rythme de la chorégraphie.  Le morceau de bravoure, le Tango de Michael Nyman où sa robe noire moulante, fendue fait corps avec sa danse. Comme les costumes de la claveciniste qui auparavant avoue que l'habit fait le moine... Tours, bras ouverts en autant de manèges classiques enivrants pour dévoiler les secrets de la fascination des évolutions de Childs ou Carlson. Les poings fermés pour seule différence... Courses, petits sauts altiers et précieux, directions décisives et intentions de parcours définis, tracés, écrits de bout en bout. Danse dans un halo de lumière parfaitement rond comme un cercle chamanique. C'est en short, torse nu, vêtu d'un long gang rouge que Jan Martens nous quitte, rampant au sol dans des esquisses de mouvements volubiles de toute beauté. Une performance agile, fulgurante, savante et contenue pour un danseur de toute sa peau, de tous ses regards sur une musique chatoyante, ferme et déterminée comme le jeu averti de l'interprète phare du clavecin bien "tempéré" ! Un hommage vibrant et vivant à une femme soleil irradiant la musique à son zénith, son apogée.

 

Distribution

Chorégraphie et interprétation : Jan Martens
Ingénieur du son documentaire : Yanna Soentjens
Lumière : Elke Verachtert
Costume : Cédric Charlier
Vidéo : liste complète des extraits vidéo (© Archives Ina)
Musique : liste complète des titres à retouver sur www.Grip.House

Montage Vidéo : Sabine Groenewegen
Regards Extérieurs : Marc Vanrunxt, Anne-Lise Brevers et Rudi Meulemans
Direction technique : Michel Spang/Elke Verachtert

 


Pour mémoire

"FUTUR PROCHE" de Jan Martens: dévorer l'espace....


....Et pour les "souvenirs".....Eté 2022

La Cour d'Honneur du Palais des Papes va s'ébranler des variations chorégraphiques signées Jan Martens en compagnie des danseurs survoltés de l'Opera Ballet Vlaanderen...Ils nous attendent assis sur un très long banc, tenue de sport, décontractés, souriants, tranquilles. Et tout démarre en musique: celle de clavecin de Elisabeth Chojnacka qui ne cessera quasi jamais plus d'une heure durant. Accents métalliques, toniques pour accompagner la troupe de danseurs, ivre de mouvement, jetés à corps perdus dans l'immense espace scénique du plateau, vide.Émotion directe, empathie simultanée avec cette horde de corps qui s'anime, se bouscule sans se toucher, se projette à l'envi pour une vision fugitive, fugace, fulgurante.C'est opérationnel et les tours comme des poupées mécaniques qui ne cessent leur manège font office de vocabulaire contemporain hors pair. Car se servir de la technique inouïe de cette discipline pour inonder le plateau d'une telle dynamique  est petit miracle.Ils tournoient sans cesse sous la pression, la tension de la musique magnétisante qui fait naitre une danse rythmique inédite.Percussive, ascensionnelle, directionnelle et parfaitement plaquée aux corps des danseurs galvanisés.Des solo zoomés par le regard,magnifiques en surgissent, s'en détachent sans briser l'esprit de communauté, sauvage, urgente expression des corps.Des images surdimensionnées sur le mur de fond du Palais se glissent aux pieds des danseurs qui ne disparaissent pas pour autant.Une grande vélocité des déplacement, une ivresse du tour, des déboulés, des jetés font de cette architecture mouvante, un manifeste du neuf très audacieux.Le "ballet" des corps magnifiés dans leur singularité sans effacer la technique, l'homogénéité des corps "classiques font de cette oeuvre un manifeste musical et chorégraphique de haute voltige.Le festival d'Avignon décèle à coup sur des talents inédits ou confirmés qui ouvrent des perspectives inédites à l'art chorégraphique de notre temps: la danse comme médium et vecteur de manifestes humains et communautaires de grande importance. Une prise de conscience évidente sur les corps citoyens ou magnifiés pour un bouleversement des comportements à vivre de toute urgence.

 

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