Spectres d’Europe
Lucinda Childs / David Dawson / William Forsythe
Après les méandres de l'esthétique et de l'histoire, ce nouveau volet de Spectres d'Europe s'intéresse aux figures éthérées et abstraites qui peuplent notre inconscient. Le Ballet de l'OnR fait ainsi dialoguer trois pièces de son répertoire, chorégraphiées par des figures majeures de la danse contemporaine : le Britannique David Dawson et les Américains Lucinda Childs et William Forsythe, tous deux bercés par la culture européenne.
Songs from Before de Lucinda Childs,
créé en 2009 par le Ballet de l’Opéra national du Rhin.
Quelque part dans le monde, un homme commente les détails merveilleusement insignifiants de son environnement : l'aube qui blanchit l'horizon, des flaques d'eau sur le sol, le bruit de la pluie sur l'océan. Sa rêverie solitaire fait rejaillir des limbes du passé des microcosmes de souvenirs dansés par six couples sur la prose poétique de Haruki Murakami et la musique de Max Richter. (Songs from Before) -
Les danseurs apparaissent, en marche frontale très rythmée, les pas sur les demi-pointes en alternance. Rigueur, verticalité extrême, entrées et sorties multiples sans interruption: tout un vocabulaire spatial cher à Lucinda Childs anime le plateau, parfaitement occupé par ces lignes qui strient l'espace et le définissent. Parallèlement trois panneaux faits de bandes plastiques vont et viennent à l'envi, suspendus aux cintres et font se réverbérer la lumière comme autant de lamelles scintillantes. Encore une stricte verticalité comme un instrument de musique à cordes tendues, une architecture à la Portzamparc, inspirée de rythme, de déambulation qui change le point de vue cinétique. Lignes des costumes genrés, féminin-masculin, sobres, lisses comme la danse qui peu à peu se libère des traces et signes pour aller vers les duos en portés, les écarts des jambes tendues vers le ciel, les bras alignés, les tours comme des courses infinies vers l'inconnu.La musique est lancée, les interprètes se fondent dans le rythme et sillonnent l'espace. La lumière se fait changeante et se glisse, art cinétique par excellence entre les bandes des trois panneaux qui circulent de façon frontale. Magie de cette composition lumineuse, transparente qui magnifie ou occulte la vision des corps dansant.Comme des paravents translucides qui ne dévoileraient qu'une des facette mystérieuse de cette danse vue au travers d'un plissé lumineux.signé Bruno de Lavenère et Christophe Forey.Une pièce de répertoire, une reprise édifiante pour le ballet qui semble épouser l'oeuvre de Lucinda Childs avec respect, dévotion en accord parfait avec sa rigueur et sa musicalité au coeur du processus de construction et écriture, de composition radicale et architectonique. Les sauts aériens, les virevoltes attestant d'une légèreté puissante et enivrante.
On the Nature of Daylight de David Dawson,
créé en 2007 par le Dresden Semperoper Ballett.
Le véritable amour est un mystère parfaitement ordinaire et pourtant extraordinaire qui se danse à deux. Mais comment trouver le partenaire idéal ? Par hasard ou par choix ? Et que se passe-t-il si l'on se trompe de personne ? (On the Nature of Daylight) -
Un duo lyrique, harmonieux, sans faille exécuté avec toute la virtuosité de ce couple de danseurs aguerris à une technique pointue. Du charme, de l'harmonie, de la grâce pour cet "entremets", glissé entre les deux "morceaux de choix" du programme. Histoire de respirer, de calmer la donne, de rêver, de se projeter dans un espace intime, plein de charme où la danse de Di He est toute de brio et d'apparente facilité. Tout glisse et coule de source dans cet accord parfait entre deux corps aimantés par des sentiments amoureux sans encombre.
Enemy in the Figure de William Forsythe,
créé en 1989 par le Ballet de Francfort.
Un écran ondulé
traverse en diagonale la scène où attend un projecteur roulant. De la
pénombre surgissent les silhouettes fantomatiques de onze danseurs dont
les convulsions géométriques jouent avec la lumière sur le rythme
lancinant de la musique de Thom Willems. (Enemy in the Figure).
Tout le style Forsythe est présent: ce démiurge de la tonicité, de l'écriture fulgurante, des points, lignes, plans de la chorégraphie exulte dans cette pièce unique en son genre.Son écriture tectonique fuse et les danseurs en sont les "pions" manipulés à l'envi pour créer des espaces toujours changeants, toujours en éruption volcanique alors que la matière phonolitique des corps se transforme en musicalité constante. Les pulsions font se tordre les corps, galvanisés par la musique de Thom Willems, foudre constante. Comme des salves jetées sur le plateau, des éclats de lave, scories en ébullition, enflammées par l'énergie de cette dynamo infernale. Corps machines, corps éperdus, isolés où dans des unissons futiles éphémères.
Le Ballet du Rhin, au zénith pour ces "reprises" menées de main de maitre à danser par la répétitrice "maison", Claude Agrafeil: un rouage incontournable pour remonter une pièce chorégraphique: chef de chantier orchestrant l'esprit de l'oeuvre, ici à l'identique pour le meilleur d'une rencontre avec Forsythe, chef de file d'une danse insaisissable, abrupte, ciselée, vif argent, déconstruite et remontée à l'endroit, à l'envers de toute convention ou d'académisme. Un style qui échappe au temps, jamais "daté"qui est ici servi à merveille par une compagnie soudée et aguerrie aux extrêmes...
A l 'Opéra du Rhin jusqu'au 30 JUIN
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