mardi 27 juin 2023

La Danse au 43 ème Festival Montpellier Danse: un droit de cité inaliénable...Preljocaj en majesté.

 Une "Agora" de la Danse résume à elle seule l'Esprit des Lieux: un "endroit" pour Terpsichore en baskets ou non, un lieu, un "milieu"où l'on trouve son ancrage, son équilibre/déséquilibre, son "ici et maintenant" pour le plaisir du partage de l'expérience de l'artiste autant que du spectateur. Un droit de cité lié à ceux qui la magnifie, la porte dans toute sa rigueur autant que sa fantaisie. Alors traiter de la question de la mémoire de la danse par le truchement de la notion de "reprise" d'un répertoire qui se constitue peu à peu pour forger un patrimoine vivant et unique en son genre, s'imposait.C'est l'"ancrage" de l'écriture mise à nue par les chorégraphes de notre temps.


Processus en cour lors de ce début d'édition à l'occasion de l'ouverture du festival avec les deux pièces emblématiques d'Angelin Preljocaj, "Annonciation" et "Noces" qui bordent une création mondiale "Torpeur". Événement donc que ces reprises qui fonctionnent comme des étoffes qui n'ont pas pris un pli, comme un ouvrage où "papa pique et maman coud"en réplique à l'identique des deux œuvres originales, originelles.Voir ou revoir "Annonciation" tient du "miracle"biblique, tant l'authenticité du duo se révèle à nos yeux dans sa densité, sa fragilité. De l'époque me direz vous, certes avec des interprètes d'un autre siècle-déjà-mais qui possèdent l'esprit et le geste chorégraphique d'Angelin, comme des éponges poreuses imbibées d'une esthétique, d'une énergie propre à l'écriture du chorégraphe.Reconstitution, restauration à l'identique du duo, l’œuvre qui nous est donnée à voir est chargée d'émotion, de revirement, de la quiétude à la révolte des corps dansant dans la plus "pure" ligne d'origine. L'ange déflagrateur terrassant celle qui reçoit cette fécondation virtuelle est franchement troublant d'autorité, les gestes tranchants, vifs argent, le doigt pointé vers le ciel, élévation spirituelle qui va "incarner" l'"heureux événement" dont Marie sera le réceptacle. Elle, fragile, docile, allongée est pétrie de douceur et de consentement. Le duo se révèle bijou dans un écrin, un enclos symbolisé par ce long banc où les corps glissent, se repoussent, se questionnent. Pas une ride pour cette "nouvelle", courte pièce qui résumerait la griffe, la patte chorégraphique, calligraphique de Preljocaj. "Datée"? Pas une trace qui ferait croire à une résurrection abusive, trompeuse: un style possède une histoire, un cheminement qui ici se traduit à travers d'autres corps, façonnés par une intelligence contemporaine du ressenti: et la "passassion" de fonctionner à son aise sans "référence" obligatoire. Ce qui fait la force de la pièce: traverser le temps sans encombre pour le bonheur de ceux qui l'ont connue à sa genèse, pour la jubilation de ceux qui se frotteraient pour la première fois à sa vision. 


Belle réussite également pour la reprise de "Noces", réplique de la version Preljocaj sur la musique de Stravinsky. Interprétation très personnelle de l'oeuvre de Nijinska, pétrie de l'âme balkanique, du rituel qui architecture la tradition du mariage. Danseurs et danseuses portant à bras le corps la musicalité de la signature d'Angelin: virtuosité, rapidité, versatilité, art de l'unisson, du groupe soudé, des duos. Danse fascinante, hallucinante tant la rapidité de ce qui est donné à voir est sidérante. Quelques bancs en accessoires pour porter ou soutenir les corps, des poupées de chiffon souples comme mannequins, pantins, objets d'un "trousseau" de mariée comme symbole de coutume, d’obéissance. Mais que l'on fait s'envoler , s'envoyer dans l'éther pour exorciser légende, fable et soumission à l'esprit de tribu. Phoenix, resplendissant, surgit de ses cendres, "Noces" fait figure d'exemple, de référence face à la question de "la reprise" des œuvres contemporaines. 


C'est dire si "Torpeur" ne s'endort pas entre ces turbulences chorégraphiques, météorologie palpitante , agitée du temps qu'il fait. C'est comme si les deux pièces d'antan nourrissaient l'écriture d'Angelin encore aujourd'hui venant approfondir le propos, le style et la réflexion du chorégraphe. On retrouve à l'envi dans ce tout nouvel opus, les duos, les ensembles harmonieux qui ont fait sa légende.L'art de faire vibrer des couples, la sensualité discrète des corps dansants, l'art de la lenteur bordée par des choix musicaux précieux et adéquats. Le cercle, le nid comme un écrin de corps, un plessis végétal ou un marly ouvragé, ajouré de porcelaine, une architecture de rotin tressé, une vannerie, un treillis ondoyant . Les corps allongés, de blanc vêtus, tissant un moucharabieh savant, vivant, ondoyant. Un tableau très pictural comme sait le créer Preljocaj, peintre et féru de culture des Beaux Arts....Mouvements au sol comme un jardin médiéval régénérateur, archaïque soignant les corps de leurs vertus médicinales.

Quel belle référence à présent d'une réussite de "reconstitution" et de "création" au regard d'un répertoire en construction.Rien de "muséal" ni de figé pour la Danse qui trouve ici sa singularité: échapper à toute conservation par son coté éphémère de la "représentation" et son aspect hors du temps à travers l'écriture et la pensée chorégraphique.

Au festival Montpellier Danse 2023 au Corum les 20 et 21 JUIN 

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