Après Psychosis 4.48 en 2019 et un concert-portrait en 2021, Philip Venables est de retour à Musica avec une nouvelle pièce forte en émotion. Comme son nom l’indique, Answer Machine Tape, 1987 est une cassette de répondeur automatique découverte dans les archives de l’artiste américain David Wojnarowicz. Celle-ci contient près de 300 messages fixés en 1987, au moment où son ami et compagnon, le photographe Peter Hujar, mourrait du Sida. Philip Venables a opéré une sélection à travers ces instantanés, avant de les lier entre eux grâce à un « piano préparé » devenu transcripteur musical automatique. Une œuvre poignante et un témoignage sur la vie de la communauté queer à New York au moment où toute une génération était frappée par l’épidémie.
Evoquer la maladie sans prendre possession des corps en otage, sans saisir le spectateur de démagogie empathique: voici une oeuvre très bouleversante dont les médias qu'ils soient instrument acoustique tel le piano, la bande son ou le graphisme instantané sur écran qui bouleverse les codes d'interprétation, de sens et de communication. Le pianiste Zubin Kanga se met à l'oeuvre, les paroles d'amis enregistrées sur répondeur comme des messages au début de banalité professionnelles sont apparemment celle du quotidien d'un artiste.Les choses s"éclaircissent quand les mots, les messages entendus et écrits qui défilent sur l'écran évoquent la destinée d'un ami, celui de Richard, Peter atteint du sida. L'époque parait lointaine tant le contenu est celui obligé d'une technologie obsolète: on laisse ses coordonnées, son lieu de contact, ses horaires pour être joint! Loin de nous avec nos "t'es où" et SMS pour rester en contact, exister. La dramaturgie s'accélère, la musique se tend, s’interrompt alors que défilent simultanément signes, lettres et signaux d'une tabulation de machine à écrire. Instrument d'une autre époque où la consternation devant la maladie quasi incurable fait se relier les uns les autres dans l'attente, le désarroi, l'inquiétude Jamais une telle évocation de l"épidémie ne s'est faite aussi touchante et bouleversante. Texte, musique, rythme se mêlent pour évoquer le drame, la perte, les espoirs, les excuses, notre maladresse face à l'impuissance.
La messagerie patine, s'obstine, pugnace, le son se fait obsession, le graphisme pourtant tectonique et volubile confère une dramaturgie signée Ted Huffman qui ressasse lettres, signes et calligraphie poétique et sans concession. Un moment de haute tension : au "temps du sida" cette pièce de référence est unique et catapulte dans une réalité où "ce que le sida à fait de l'art" ce que l'art a fait du sida" pose question et repositionne les postures à ce sujet. Un "discours"qui fait mouche loin de toutes les banalités. A bon répondeur, salut. La bande magnétique, témoin, trace et empreinte est un trésor d'ingéniosité artistique, support-surface sonore oublié mais tant révélateur des comportements et aveux d'une société sous le choc. Philip Venables frappe haut et fort dans une intimité pudique plus que recevable, intelligente et "contagieuse"....
A Pole Sud le 19 SEPTEMBRE dans le cadre du festival MUSICA
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Philip Venables Answer Machine Tape, 1987 (2022)
pour piano solo, avec bande et projection de texte
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piano | Zubin Kanga
musique | Philip Venables
dramaturgie | Ted Huffman
programmation logiciel | Simon Hendry
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