mercredi 19 octobre 2011

"Pina Jackson in Mercemoriam" à Pôle Sud: "un été meurtrier" par Foofwa d'Imobilité.

Salle comble hier soir à Pôle Sud Strasbourg: beaucoup de jeunes d'étudiants: le public de la danse évolue, change et pourtant ce sujet là aurait pu les faire fuir: les trois grosses pointures de la danse disparaissent le même été 2009: Bausch, Cunningham et mieux encore pour leur génération: Michael Jackson porté au pinacle  par intelligentsia du  milieu de la danse!
Tout démarre en images: un très beau montage , iconographie des trois monstres sacrés qui s'emmêle, se superpose, se fond dans une symbiose plastique très esthétisante. On y reconnait le visage émacié de Pina, celui boursoufflé de Merce âgé et l'autre, image mythique du jeune adulescent Michael, si pur, si intouchable.Bel hommage ainsi rendu aux trois "figures" disparues, fantômes, spectres errant sur la toile comme autant d'ectoplasmes virtuels.
Soudain apparait sur scène, seul dans un décor dépouillé, un être "vêtu" de bandelettes, bandages style bandes velpeau: momie, accidenté de la vie, athlète perclus de petits maux , revêtu d'oripeaux, d'une seconde peau délitée.Il parle italien, évoque sa famille: lui est "danse Alighieri", fils de Dante!
Il est baroque, enjoué sautillant précieusement à fleur de sol, lumineux, très formaté classique enrubanné!
L'évocation gestuelle des trois protagonistes de la modernité de la danse peut démarrer: les gestes des uns et des autres sont malinement reproduits à travers un corps qui apriori n'a pas les canons esthétiques des uns et des autres: Foffwa est rablé, costaud: il n'a pas la silhouette effilochée de Pina, ni l'extrême minceur gracile effilée de Michael! Mais les dynamiques, les tics respectifs des trois danseurs-chorégraphes sont bien visibles et repérables. Trop peut-être si l'on considère que par dessus cette gestuelle ressuscitée, des mots décorent et enrubannent la chorégraphie. Broderie décorative, la parole, pourtant burlesque et quelque peu oulipeau ou lettriste, surcharge la lecture du spectateur. Le trop nuit dangereusement dans cet "été meurtrier" où l'on aurait souhaité plus de sobriété et moins de didactisme.
Peu importe: Foofwa se démène, s'embrouille, se joue des poncifs et aligne trois techniques si différentes et si proches à la fois: de la rigueur de l'aléatoire, à l'abandon de la danse d'expression, le néophyte saura reconnaitre ou simplement connaitre des facettes extrêmes qui pourraient se rejoindre dans la peau de Michael. L'artefac, l'artifice de la scène transcende tant de réalités, que celle ci, la présence très forte de l'interprète, se fait incarnation vivante et troublante de nos héros disparus à jamais Avec humour et distanciation toujours! Il fallait oser, Foofwa dit mobilité l'a fait!

mardi 11 octobre 2011

"Un monstre à Paris": M le maudit chante et danse le Paradis!

Lucille, l'ange de Montmartre chante dans son cabaret, l'amour qu'elle éprouve pour une bête monstrueuse, Francoeur, puce géante mais musicien émérite au grand cœur.
Ils chantent et dansent à merveille sur font d'humanisme et de différence. La musique de M Matthieu Chedid est vive et non anecdotique, Vanessa Paradis l'interprète en toute innocence et les voix des personnages sont celles de grosses pointures du cinéma.Paris est magnifique, très graphique et chaleureuse, vue de ses toits, de ses rues serpentines.Les petits métiers d'autrefois, les habitants, tout y est folklore sans dénaturé la vérité.
Pas de poncif non plus dans la musique, loin des valses musettes. Les chansons, "un petit baiser", "un monstre à Paris" sont de belle facture.Un beau film en 3D signé Eric Bergeron.

"RAOUL" de James Thiérrée: "déus ex machina" au TNS

D'emblée le décor est planté: apocalypse d'une caravelle échouée, tous mats déployés, voiles immenses, mi-tendues, échouées au sol. Le dispositif inonde à vue toute la scène du TNS. L'atmosphère de ce cataclysme en icône promet bien des tumultes, du mouvement. Ou est-ce au contraire signe d'accalmie après le naufrage, la tempête ou l'ouragan?
L'énigme va être très brutalement résolue: un personnage surgit dans une déflagration virevoltante et fait s'abattre l'édifice fragile de fin de règne! Brutale, efficace en diable, cette apparition est comme révélatrice d'une révolution. Mystère: le personnage est doublé par un autre qui lui ressemble étrangement: ils se cherchent
La tornade a dévoilé aux regards une étrange cabane de barreaux métalliques érigés en tipi. Là se cache "Raoul" dont on ne connaîtra pas grand chose. Lui et son double, son "jeu" est un autre?
Vraisemblablement!  Mais tout au long de la pièce - deux heures de performance- notre anti-héros fera la part belle au mystère.Car il est bien le petit-fils de Charlie Chaplin, ce félin qui grimpe aux rideaux comme un primate surdoué. Quelques rictus et mimiques, quelques haussements d'épaules nous ravivent des souvenirs cinématographiques en plan large et fixe, des plus touchants. Mais, feu le cinéma! Un zeste de Jean-Claude Gallotta en sus: normal, ce dernier s'inspira beaucoup de la gestuelle précise, ciselée,tétanique et en miette de Charlot
Ici la kinétique est celle du théâtre, de la scène et pas d'effet de ralenti ou d'accéléré. Tout est bien "vrai" et l'élasticité du personnage, sa vélocité, ses arrêts sur image sont bien ceux de l'espace de la boite noire. Gags, effets de répétitions, corps morcelé, mécanique mais toujours très lié, James, Raoul, évolue en compagnie de ses objets qui apparaissent et disparaissent à l'envi. Le décor est un personnage en soi qui intervient à tout instant sur la destinée de ce petit être qui se débat avec son environnement Quelques bestioles vont venir interroger sa raison d'être: un tendre monstre qui bat des ouïes, charmant, et surtout attachant. Un éléphant à la Dali, un scarabée qui le rendra St Michel terrassant le dragon.
Un très beau duo de Raoul et d'une méduse évoque le texte de Paul Valéry, "L'âme et la danse" où ce dernier définit la vraie danseuse, non pas comme la "femme qui danse" mais comme une méduse gracile, sensuelle ondoyante: sirène à la quelle personne n'échappe dans une danse ensorcelante. Raoul aux prises avec la féminité, sa féminité! Il n'y résistera pas.
Bestiaire fantastique issu de l'imaginaire grandiloquent de Thiérrée. Mégalomanie, narcissisme?
Pourquoi pas, quand ces critères sont au service du fantastique, du poétique, de la déflagration, du rêve, de l'onirique. On peut lui reprocher quelques numéros de mime téléphonés - le cheval- où l'identification est trop vraisemblable et mimétique. On préférera les métamorphoses plus abstraites qui se traduiront par une gestuelle dansante, fluide qui l'emporte vers une chorégraphie soliste époustouflante. On le rêve en Nijinsky ou Nouréiev!
C'est d'ailleurs ce qui emporte ses saluts, merveilleux clins d'œils à toute sa technique transcendée par le talent de clown, de magicien, de funambule.
Car il danse sur la corde raide dans cet univers de désastre où il ne se laisse pas submerger. Son double l'y aide et ses acolytes qui interviennent dans le dispositif d'échafaudage sont les complices de ce solo.
"C'est fou ce qu'on est nombreux à faire un solo" confiait Raymond Devos!
C'est bien le cas pour ce démiurge, tombé du ciel comme un météorite, poussière d'étoile, diamant et perle rare de la scène.
Surtout "pas un mot" de tout ceci, c'est dans le silence intime qu'il faut déguster un tel festin corporel
On en deviendrait anthropophage.
Sans oublier la musique, les musiques qui interviennent comme des espaces d'immobilité, de silence ou de vacarme.
Que dire en conclusion d'une telle prestation, sinon qu'elle incite à une ovation du public qui ne peut qu'honorer le talent de ce "monstre", debout et quasi médusé!