jeudi 31 mars 2022

"Duende": rencontre intuitive entre corps et musique.Le Duende, outre-noir!

 Duende!


Strasbourg Opéra, Salle Ponnelle

31 mars 2022

Concert en coréalisation avec l’ensemble lovemusic.

Ensemble lovemusic Flûte Emiliano Gavito Clarinette Adam Starkie Violon/alto Emily Yabe Violoncelle Lola Malique Guitare Christian Lozano Soprano Marion Tassou Comédien (élève de l’École du TNS, section jeu) Yanis Bouferrache

Présentation

Le collectif strasbourgeois lovemusic propose une exploration de l'œuvre de García Lorca qui se nourrit de cette riche tradition populaire gitane - comprenant ses propres Chants populaires espagnols ainsi que d'autres œuvres inspirées par García Lorca, dont une nouvelle pièce de Michele Abondano spécialement écrite pour ce concert. La musique est ponctuée par des extraits de textes et de poèmes de García Lorca lus par Yanis Bouferrache.


Tout démarre par la lecture d'un texte de Federico García Lorca, là où le duende est défini entre la muse et l'ange "depuis la plante des pieds"!Cette douleur humaine qui n'a pas de consolation....


Puis c'est l'oeuvre de Michelle Agnes Magalhaes – Lorca Fragments
pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, guitare et vidéo.Comme une plainte des vents qui soupire sur fond de dessins qui semblent se tracer en direct et en osmose: figures de couples, traits noirs qui sillonnent l'écran: un matelot à la Jean Cocteau, un visage à la André Matisse, un paysage à la Folon. La sécheresse des sons, discrète émanation de chacun des instruments, craquelle, crisse, souffle, s'ébruite.Sons parfois sinueux, ondulant, selon les séquences ponctuées de silences en retenue.Craquements, claquements des sonorités pour créer un univers douloureux: des mains coupées se tracent, deux visages s'esquissent, les saccades et hachures de la musique y font écho.Encore un visage fléché de clown triste ou de matelot, des clapotis de doigts sur les cordes....Un paysage sonore intense et discret, recherché, sensible.  


Au tour de la pièce de Federico García Lorca – Canciones españolas antiguas (extraits)
pour soprano et guitare, toujours après une brève lecture du comédien conteur.Un précieux classique morceau très nuancé, modulé par la voix de Marion Tassou au jeu subtil, bras ouverts, se balançant au gré des sons de la guitare complice de ces accents dilués des sonorités douces et tendres.Regard mutin, beaux gestes, vêtue de blanc, la chanteuse séduit et conquière l'attention.


Passons à l'oeuvre de Michelle Agnes Magalhaes – 4 Canciones españolas
pour soprano, flûte, clarinette, violon et guitare: la voix y est instrument vocal, acoustique à part entière, pleine d’allant aux influences traditionnelles: la découpe du son, dissonante, entrainante, la voix chaude et pleine de la cantatrice ponctue le chatoiement des timbres, très rythmés, dansants.Telle une habanera, narrative, dramatique, la musique se transforme en zapatéados, séquences fragmentées très diverses!


Au tour de l'opus de Manuel de Falla – Canciones españolas antiguas (extraits)
pour soprano et guitare de nous ravir par sa pudeur, sa discrétion: voix et guitare complices pour une atmosphère singulière de tendresse, de nostalgie.


Et au final l'écriture unique de Michele Abondano – Ya, no soy yo
pour cinq instrumentistes parlants: une création pour cette soirée inédite.Après la lecture d'un texte évoquant la lune, les gitans et l'enfant, cette audition des cordes couchées, frottées, grattées pour engendrer des sons de la matière même des instruments est une découverte visuelle surprenante! Le souffle des voix, des vents s'y engouffre discrètement: tel un laboratoire, atelier de fabrication de sons inédits. Dérapages, bruitages incongrus évoquant des objets, sons et souffle du saxophone dans l'eau, créent un univers grinçant, aquatique, aqueux, trouble, étrange inédit... Bulles de sonorités futiles, volages, évanescentes, ambiance, atmosphère unique de sonorités en partance, en voyage.

Ce concert de musique de chambre, bordé de lectures est singulier, rare, à l'image de la ligne édiotiriale du collectif love musique qui n'a pas froid aux yeux ni aux oreilles pour nous offrir des instants inouïs, toujours très visuels et déroutants!

Strasbourg Opéra, Salle Ponnelle 31 mars 2022

 Concert en coréalisation avec l’ensemble lovemusic

Ensemble lovemusic Flûte Emiliano Gavito Clarinette Adam Starkie Violon/alto Emily Yabe Violoncelle Lola Malique Guitare Christian Lozano Soprano Marion Tassou Comédien (élève de l’École du TNS, section jeu) Yanis Bouferrache

 

dimanche 27 mars 2022

"La seconde surprise de l'amour": les variations subtiles des corps amoureux....

 


La Marquise, jeune veuve, est inconsolable d’avoir perdu son époux après seulement un mois de mariage. Le Chevalier, ami du défunt, est lui aussi inconsolable : il a perdu son aimée Angélique, entrée au couvent pour ne pas épouser l’autre homme que son père lui destinait. Tous deux ont pris la décision de se retirer des affaires du monde et s’isoler − au grand regret de Lisette et Lubin, qui les servent. Mais doivent-ils si vite se séparer, alors que parler de son désespoir à quelqu’un qui le comprend et le considère fait tant de bien ? Alain Françon, qui a l’art d’aller au cœur du langage et de ce qu’il révèle des êtres, met ici en scène les variations incessantes qui agitent les personnages jusqu‘au chaos, face à la surprise existentielle qu’est l’amour.

C'est un régal et une "surprise" que d'être toujours embarqué dans des "histoires pas vraiment simples" mais qui semblent couler de source: Marivaux, le démiurge du doute, du trouble et du rebondissement infime de l'action: action qui n'est que glissement progressif des sentiments, des interrogations ou des évidences!Les évidences, c'est Lisette,Suzanne de Baecque, qui les énonce, avec bonhommie, bon train et élocution quelque peu gouaillante. Physique et attitudes lumineuses de sincérité, de "rentre dedans", vive et franche, sans concession, allant droit au but. Sa maitresse, elle, suit ses penchants vers la malédiction de la rupture amoureuse, sans solution que le repentir ou la condamnation à l'échec, à la résignation. Dans ce rôle si évolutif et subtil, Georgia Scalliet, Marquise, veuve, belle, longue silhouette magnifiée par des robes seyantes et souples, au tissus lisse et chatoyant.Elle mène l'intrigue au rythme de ses oscillations sentimentales, sous la pression de ses partenaires de l'instant. Lubin,Thomas Blanchard le valet simplet et bonhomme qui va dans le sens du vent qui se lève, le comte, Alexandre Luby ,un homme séduisant et enjôleur, intriguant malgré lui et surtout le Chevalier, Pierre François Garel.Personnage qui va se révéler, lui aussi, séduit par le cour des événements qui semblent lui échapper: virtuose d'une simulation de naïveté, de gentilles et d'égards empathiques avec la souffrance amoureuse de la Marquise. Tout avance ici, mu par le phrasé du texte, la sobriété des mots et des propos, la colère aussi, les retournements de situation. Du comique bien sur avec le personnage du lecteur, Rodolphe Congé, pédant et "savant" Hortensius, le compagnon des moments de délectation de lecture que s'accorde la Marquise éplorée, endeuillée.La pile de livres qui le fait chanceler en concurrence avec celle du valet qui le fait s'asseoir sans vergogne sur "la culture" lourde et encombrante, face à la légèreté des sentiments que chacun vit et expérimente au gré des fluctuations des humeurs, des changements d'ambiance, de ton, d'atmosphère. On glisse, on navigue à l'envi dans cette ambiance de voisinage, dans des décors bien tracés, escaliers, marche et bassin central, niveaux et hauteurs dont chacun s'empare selon sa situation de domination, de faiblesse ou d'effondrement! Jusqu'à ramper en ce qui concerne nos deux femmes  qui s’empêtrent dans des déboires sentimentaux inextricables...C'est malin, mutin, comique et très relevé, digne et respectueux d'un "marivaudage" stylé, rare et précieux, tendre ou cassant, toujours sur la brèche, sur le fil du déséquilibre, de inattendu.Les décors signés Jacques Gabel illuminent par un paysage champêtre et bucolique, de traits de couleurs quasi impressionniste, les va et vient, allez et retour évolutifs de nos héros en proie à la singularité des situations amoureuses.Caroline Marcadé, discrète chorégraphe associée à la mise en scène très intelligente de Alain Françon, fait de chacun des as du vécu corporel: attitudes, postures et façon de se mouvoir, juste et calculée, maitrisée ou explosive. Les pas de chacun, les postures en changement constant, à fleur de corps pour singulariser chaque émotion. En sensations qui se dévoilent et se posent sur chaque geste comme des signatures singulières, uniques. Les corps des comédiens au bon endroit, rejoignant toujours ce "milieu" cher à la danse: sa juste place ou son trajet pour la rejoindre. Ceci pour incarner la subtilité du phrasé du texte qui sourd de chacun des comédiens, habité par cette langue magnétique de Marivaux.

Alain Françon a mis en scène une centaine de pièces − tant classiques que contemporaines. Il a dirigé le Théâtre national de La Colline de 1996 à 2010 avant de fonder la compagnie le Théâtre des nuages de neige. Ces dernières années, le public du TNS a pu voir Le Temps et la Chambre de Botho Strauss (2016), Le Misanthrope de Molière (2019). Il a créé en 2020 Les Innocents, moi et l’inconnue au bord de la route départementale de Peter Handke. Il présente ici une des plus célèbres pièces de Marivaux, La Seconde Surprise de l’amour, écrite en 1727.

 

Au TNS jusqu'au 1 Avril

vendredi 25 mars 2022

"Mauvaise": chienne de vie de famille.....

 


La pièce de debbie tucker green met en scène une famille : un père, une mère, trois sœurs, un frère. L’une des sœurs − Fille − pousse les siens à nommer ce qui s’est passé pendant l’enfance. Sébastien Derrey, en créant ce texte, vise à montrer, dans une poétique scénique de l’affleurement, l’histoire familiale d’une blessure toujours ouverte et la volonté acharnée mais vulnérable de faire reconnaître cette blessure.

C'est un chant de dévotion catholique qui introduit dans le noir la voix caricaturale de la même mélodie appuyée et ridiculisée."Chienne de vie"pour l'une des deux filles de ces parents hiératiques, pétrifiés dans un mutisme de déni : elle s’exhibe dans un texte et un rythme vocal digne d'une mélodie de Georges Aperghis: répétitions en boucle, reprise du mot en leitmotiv exacerbé qui va et revient à l'envi. Un débit fort et agacé, féroce aveu d'une femme-fille qui souffre et se venge, ment, combat, se livre corps et âme à une logorrhée hallucinante.Un trio de regard s'établit aussi entre ceux qui veulent bien communiquer autrement que par les mots, leurs scansion, la parole qui afflue, ricoche ou se heurte au néant.  Un duo féroce entre les deux soeurs les plus loquaces fait office de confession abrupte de coffrage.La violence des propos s'envenime, toujours rythmée à l'envi, à foison dans une musicalité obsédante, redondante qui blesse, offense, dévoile les sentiments de rivalité, d'injustice ressenties.On y marche sur des oeufs, alors que les parents, assis, assistent à un quatuor les dénonçant de leurs actes ou de leurs méthodes d'éducation.En demi-cercle toujours, les personnages s'échinent à s'entendre, s'écouter, sans se comprendre.Les mots claquent, déchirent, agressent dans un jeu sur la corde raide, toujours offensif, sur la touche et le qui-vive.La pièce est sous tension, rythmée par des fondus au noir qui se tournent comme des pages: celles d'une histoire de famille qui boxe pour un match sur le ring d'une partition musicale intense, atypique, versatile et frontale On s'y frotte et s'y pique sans cesse, sans répit dans un rythme haletant. Les six comédiens au service de cette véracité féroce et sans concession du texte.C'est beau et tragique à la fois tant le sort de La Fille est sans cesse l'objet d'une destinée sans retour, sans avenir....Chienne de famille ....

debbie tucker green, apparue sur la scène anglaise au début des années 2000, est lauréate du prix britannique Laurence Olivier de la révélation théâtrale en 2004. Son œuvre dramatique est jouée en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis. Les éditions Théâtrales ont publié corde. raide et mauvaise. Sébastien Derrey, longtemps dramaturge de Claude Régy, fonde la compagnie migratori k. merado en 2004 et crée des textes d’auteurs contemporains comme Eugène Savitzkaya, Pierre Guyotat, Frédéric Vossier, Nicolas Doutey.

Au TNS jusqu'au 31 Mars