dimanche 27 novembre 2022

"Monjour" :" just for you! Take your time, please"! et tout ira mieux...Silvia Gribaudi dénonce par la bande à part, le dessein de la société consumériste.

 


Monjour

"Dans Monjour, Silvia Gribaudi imagine une nouvelle forme de « dessin animé contemporain ». Pour la chorégraphe et performeuse, il s’agit de personnages bien en chair et en os. Aiguillonnés par l’ironie et la fantaisie de l’artiste italienne, ils sont cinq à se partager la scène, multipliant les situations les plus inattendues.

 

Bien loin de la DAO (dessin assisté par ordinateur), de la palette graphique, voire même des antiques papiers et crayons, Silvia Gribaudi a choisi d’inviter le public dans un nouvel espace : partager en direct la création live d’un dessin animé qui se déroule sur scène. Complices de cette aventure, deux danseurs, deux acrobates et un clown-acteur. Mais dessiner, tout comme expérimenter entre dessins et corps n’est pas si simple qu’il pourrait y paraître. Aussi la mise en scène de Silvia Gribaudi est-elle soutenue par les dessins pop et les personnages surréels d’une autre artiste italienne, Francesca Ghermandi dont les albums, illustrations et projets d’animation ont fait la réputation. En résonance avec un certain courant du théâtre social, cette façon de partager avec les spectateurs les aspects habituellement invisibles à leurs yeux de la création – ses questionnements, ses difficultés, ses situations incertaines et autres inconnues – fait de Monjour une pièce de dérives comiques qui met en avant la fragilité des êtres et l’intérêt de l’inconnu pour inventer ensemble. Les questions de l’émancipation au cœur du geste créatif ou artistique s’y expriment dans toute leur acuité."

Elle est nichée au premier rang du théâtre, coach, dirigeant les danseurs, micro en main. Au préalable, elle a fait  s'exercer le public à un training du spectateur, étirements à l'appui pour un confort d'écoute et de disponibilité corporelle meilleurs! C'est Silvia Grimaldi qui mène la danse et les cinq interprètes: ils se présentent quasi nus, le sexe masqué par leurs mains ou un châle-serviette de bain...En socquettes et baskets, le costume est sobre et d'emblée, comique, voir bientôt burlesque.De courtes performances dansées ouvrent le bal, quasi folkloriques ou inspirées de la capoeira. Le fond de scène tel un halo de lumière révélant la silhouette découpée des corps. One, two, three et ça démarre au quart de tour comme un show divertissant show-biz jazzy, sexy "just for you": un tantinet flatteur et provocateur.Parce que vous le valez bien...Illusion, arnaque ou désenchantement, on verra par la suite où est le leurre que cette société du spectacle nous "offre" en illusions perdues...La danse macabre pour un numéro burlesque à cinq où l'on joue à cache cache sexe pour ne pas perdre ni sa main ni sa serviette qui cache ce que l'on ne saurait voir. Exercice pas simple pour ne jamais rien dévoiler des "parties" de son corps.O surprise-partie de la danse sans parti pris sur le sujet!Ils volent, les danseurs dans un beau manège, tourniquet comme ces figures classiques virtuoses exécutées par l'un des danseurs expert. Puis c'est un solo magnétique, danse fluide et acrobatique qui prend le relais, pause très poétique loin du virevoltant, ou du pastiche de danse classique. Alors que sur un écran défilent des images surdimensionnées de bandes dessinées, style Crumb ou Blutsh, proche des BD qui ont inspirées Roy Lichtenstein. Une "figuration nouvelle" pour la danse, voisine de ces croquis très stylés monstres, acrobates, espaces théâtraux aux sièges vides, etc...Images fort belles, colorées qui se confondent avec un corps dressé sur demi-pointes, les pieds frétillant comme chaussés de pointes acérées.Une foret de champignons atomiques dans une cheminée ascendante...Un doigt géant pointé dans notre direction pour mieux nous cibler, nous impliquer dans cette société consumériste.

Le public est convoqué pour faire un petit orchestre sonore accompagnant les artistes sur le plateau en short longs, noirs, torse-nus toujours en baskets.S'agit-il de danse, de cirque, de moderne dance ou de métaphore de la communauté humaine? La question est posée, au micro et la réponse apportée par ce à quoi nous assistons: un spectacle qui aurait pu être grandiose si les moyens rêvés de le construire avaient été trouvés! Demain peut-être...Encore une démo de mime esquissée, de gymnastique rythmique et nos cinq Daltons dans le vent de faire la claque aux cygnes alors que le public ne cesse de les ovationner en applaudissant à chaque entremets. Beethoven en finale héroïque pour ce quintette à corps perdus, fort bien accordés dans des canons esthétiques singuliers: grand dadais ou grassouillet en paillettes... Des pieds de nez de clown en parterre fleuri rouge inondent le plateau...Numéros de cirque, saynètes ou morceaux de choix dérisoires dans cette boutique fantasque, symphonie en nu majeur décrivant la noirceur et la gravité de la condition d'artiste dans une distanciation  humoristique à l'anglaise ou a l'italienne, comme il vous plaira. Autodérision gribaudienne au poing!

 A Pole Sud jusqu'au 27 Novembre


"Bachelard quartet": tête en l'air, pieds sur terre..."Imagine"...Si le métal m'était conté, hurlant d'images de BD....

 


Bachelard Quartet
rêverie sur les éléments à partir de l’œuvre de Gaston Bachelard


PRÉSENTÉ AVEC LE TJP

"Marguerite Bordat et Pierre Meunier proposent une immersion dans la pensée et le langage du philosophe-poète Gaston Bachelard (1884-1962), son enthousiasme et son émerveillement à l’égard des quatre éléments qui constituent la vie : terre, feu, air, eau. Dans un dispositif tri-frontal enceint de panneaux boisés, les spectateur·rice·s sont invité·e·s à se réunir comme autour d’un foyer, accueilli·e·s par l’acteur Pierre Meunier, la pianiste Jeanne Bleuse et le violoncelliste Matthew Sharp. Ensemble, se saisissant du pouvoir d’évocation du langage du philosophe et de la musique, elles·ils invitent à partager une « rêverie active », à retrouver une relation intime et vivante avec les éléments, propice au déploiement de l’imagination."

Les trois comédiens sont là, nous "toisent", mesurent les distances et les franchissent entre eux et le public, disposé en cercle autour d'eux, centrés dans l'arène du jeu: ambiance conviviale et chaleureuse autour d'un piano et d'un violoncelle, installés sur deux estrades cuivrées..Et oui, "abandonnez-vous", le temps de la représentation, murmure Pierre Meunier à l'oreille d'un spectateur docile...Le violoncelle démarre, sourit de plaisir sous les doigts de Matthew Sharp qui semble aux anges.Son visage s'étonne, s'émerveille et ponctue d'expressions et de mimiques peu à peu le texte de Pierre Meunier qui s'égrène. L' "imagination" au pouvoir, leitmotiv de cette opus singulier fabriqué à partir des textes de Bachelard sur les quatre éléments fondamentaux de la vie et de la philosophie de ce penseur prolixe.Un petit manège de bris de verre pour lanterne, lampe magique, dance-floor pour  plafond étoilé.Tout sera passé au crible, au tamis ou à la moulinette : réflexion sur le dur, le mou, le "buvard de l'enfant" qui éponge et boit les taches, le métal et l'enclume qui résonne, sublime et sensuel substantif évocateur de bruits singuliers.La musique se fond avec les mots: au piano Jeanne Bleuse, inspirée par toute une ambiance de morceaux choisis du côté de la musique du XXème siècle, riche en harmonies, en ambiance et univers sonores.Les mots du poète-philosophe sont mêlés aux airs de Bartók, Meredith Monk, Messiaen ou Mendelssohn, réinterprétés par la pianiste Jeanne Bleuse et le violoncelliste Matthew Sharp.La musique convoque la matière des mots, la transcende et notre imagination circule, se balade au gré de toutes ces évocations sensibles, sensitives, sensuelles.La brutalité de la pierre et du marteau  la blesse de sa propre chair lapidaire, lithogravure du son.Le marteau, sans maitre joue avec cloche, voix, frappes de pieds et tambourin comme dans un orchestre tonitruant et intime bien chambré; l'onirisme du travail surgit dans ces fumerolles volcaniques, comme les couloirs des égouts que voudrait habiter le violoncelliste...Dans un jeu complexe et malin, les comédiens jouent duo et trio très inspirés, portés par la musique omniprésente.Meunier joue avec des fils suspendus et portant des pendules lourds et sonnant sous la pression de ses doigts.Rémouleur en rémoulade, Devos des sons et des mots, le voici habité, imprégné du texte de Bachelard que l'on redécouvre, riche, évocateur, humoristique, inventif et abordable!Un enfant "hors sol" tout propre et sans contact avec la terre,éduqué sans ce fatras de poésie serait bien indigent.Les sen,s en éveil, le spectacle va bon train, émeut, dérange et déplace, décale, décadre à l'envi les poncifs et apriori de l'existence formatée Joyeux délire, relativement sage portant.Le marteau, l'enclume sans la faucille ni le maitre à danser, compas dans l'oeil oblige.Des déclics et des claques à l'académisme de la pensée.Mounier fait feu de tout bois en caressant les mots, frottant les matières pour en faire surgir la flamme ou l'éther, l'eau ou la terre nourricière.Le corps d'un ivrogne imprégné d'alcool s'y embrasse, s'enflamme bordé d'une musique volcanique éruptive et salvatrice.Les mots monosyllabiques pour évoquer l'efficacité des langues étrangères: un "jetz"sublime les sens et l'eau dormante à la vie très agitée inonde les tonalités d'un volatile dans un "cortile" italien de basse-cour fort évocateur. Tout est imagine, imaginaire et l'imago dans ce riche bercail, cette ménagerie de verres qui sonnent dans un coup de tremblement de terre tellurique des plus résonant!Et quand "La mort du cygne" de Saint Sens fait irruption sonore, c'est à l'eau du lac des signes que l'on songe, rendez-vous de l'imaginaire collectif qui fait surface et nous submerge.La scène tournante pour une plaque tournante, ère secondaire de chemin de  halage, aire de jeu qui n'en à pas l'air.L'âme du poète Bachelard erre et prend l'air dans cette évocation très fouillée, recherchée, fruit d'un travail de complice, de connivence et de résonance musicale. Jamais Pierre Mounier et Marguerite Bordat ne se sont tant pliés à la musicalité d'un texte, d'univers bigarrés jamais monochromes, déjantés sans excès: le "hors-sol"si ré les a mi la.....Et la rivière de couler des jours heureux....
On termine le spectacle en partageant le verre de la convivialité, un cocktail percutant de rhum comme brasier dans ce foyer cendré, encore fumant des scories de la lave: va- t-on nous aussi nous embraser chaleureusement pour un échange fraternel, matière à rire et à pleurer de toute l'eau de nos corps immergés sur cette terre..? Ce trèfle à trois feuilles


Depuis 2012, Marguerite Bordat et Pierre Meunier dirigent ensemble La Belle Meunière (compagnie fondée en 1992 par Pierre Meunier). Les spectateur·rice·s strasbourgeois·e·s ont pu voir, au TNS, Au milieu du désordre en 2009, Sexamor en 2010, Du fond des gorges en 2012, et, au TJP, Forbidden di sporgersi en 2015, La Vase en 2018 et Securilif© en 2019. La Belle Meunière s’associe ici à la Cie Frotter / Frapper, dirigée par la violoncelliste Noémi Boutin qui signe, avec la pianiste Jeanne Bleuse, la direction musicale du spectacle.


samedi 26 novembre 2022

"La Neuvième Symphonie", Symphonie N°9 en ré majeur" de Gustav Mahler: un chiffre mythique qui porte Malher.

 


La Neuvième est l’œuvre des malentendus : c’est la dernière symphonie achevée par Mahler, certes, mais elle a été écrite au moment où le compositeur commençait à surmonter ses démons pour entamer une nouvelle vie. On oublie souvent la moitié de ce qu’en disait Alban Berg : « Le premier mouvement est ce que Mahler a fait de plus extraordinaire », mais aussi : « J’y vois l’expression d’un amour exceptionnel pour cette terre, le désir d’y vivre en paix, d’y jouir pleinement des ressources de la nature. » À l’heure où Schoenberg affirme la mort de la grande forme, Mahler croit plus que jamais aux pouvoirs de la symphonie et livre, avec la Neuvième, une partition où se conjuguent folie et sérénité.

 "La neuvième symphonie" ou l'orchestre éclaté" confie en prologue Mathieu Schneider:une Neuvième symphonie n’est jamais anodine. Après Beethoven, Schubert et Bruckner, Mahler n’échappe pas à la règle. De nombreux éléments y rappellent les symphonies précédentes, mais éclatés. Comme vus à travers le prisme du temps, ou d’une ironie mordante. Ce discours est-il celui d’une nouvelle modernité ? Ou le signe d’un monde en décadence ?

Et c'est l'événement tant attendu de cette saison!L'orchestre au grand complet pour cet opus de légende peuplé de la complexité de nos émotions et de nos états d'âme. Mahler y décrit l'être humain avec ses bassesses et sa grandeur, ses doutes et sa foi..Le temps de quatre mouvements. Il faut ici souligner l'extrême rigueur du chef, Vassili Sinaiski qui sait révéler chaque instrument, discrètement introduit dans la globalité de la musique orchestrale, donnant à chacun sa place, son timbre souvent détourné, méconnaissable. C'est un don, une qualité de geste de direction non égalée: pour faire des interprètes des anti-solistes, loin de la performance et si près de l'émotion issue de cette façon de mettre au grand jour les talents de chacun. Il en va des flutes dont un piccolo comme des deux harpes, des hautbois dont le cor anglais, des clarinettes dont une basse, des bassons dont un contrebasson....Beaucoup de diversité dans cette homogénéité, parsemée de troubles sonores qui intriguent, éveillent la curiosité des résonances, stimule l'écoute permanente de toutes ces variations: riches, lumineuses, attractives sonorités inédites.Souffrance physique du compositeur évoquée, proche de la mort, souffrance morale et spirituelle Deux mouvements lents jouissant d'une expression de l'amour de cette terre, deux autres pour l'expression de la mort qui a hanté toute l'existence du compositeur. La preuve par le chiffre 9 qui le poursuit que la prémonition, le destin, la prédestination ne lui font pas baisser les bras, ni l'imagination si prolixe et fertile Les silences ici prennent une ampleur disproportionnée à l'écoute qui calme la donne, respirent l'inspiration et le souffle de la création. L'écoute s'y maintient, vigilante et active, pleine de suspens et de suspension en apnée.Chaos et accalmie s'y succèdent dans une fougue, un volume ou une amplitude calculée pour rehausser la dramaturgie.Omniprésente musicalité qui vacille, hésite ou s'affirme selon le volume donné.Berceuse égarée dans un maelstrom sonore ou soupir, chant d'oiseau qui s’immiscent dans la partition...Cataclysme annoncé par le rythme cardiaque, tonique ou s'affaiblissant."Comme un lourd cortège funèbre"écrit pour célébrer la mort de l'ère tonale.Schönberg, Berg, Webern, pour contempler plus tard,cette écriture qui étire le temps à loisir.Les danses du second mouvement pour vivifier ces emprunts  rythmiques puisés dans les folklores d'Europe Centrale, polyphonies du monde sonore,bruits de l'environnement...L'exploration harmonique dépasse les frontières de la tonalité, la richesse de cette furie musicale, émeut, déplace, dérange.Le final, tout en douceur et lenteur bouleverse les codes et la spiritualité s'en trouve grandie, magnifiée. Une véritable plongée dans l’univers musical du compositeur, qui a toujours eu à cœur de traduire la complexité des émotions humaines. Et pour cause, ayant vécu plusieurs drames successifs, Mahler la compose à un tournant de sa vie.

L'Orchestre Philharmonique en grande forme pour restituer sous la baguette d'un chef remarquable, l'authenticité d'une oeuvre qui fait songer à un univers inexploré à redécouvrir à chaque écoute, chaque vibration des instruments si richement magnifiés sans exagérer leur place dans l'orchestre.


Vassili SINAÏSKI direction 

Au PMC le 25 Novembre par l'orchestre philharmonique de Strasbourg