mercredi 20 juillet 2016

Pascal Quignard: une épopée à Avignon.Le Sujet à Vif, dans le mille! Et XS en prime!

Le 70 ème festival d'Avignon rendait "hommage" à l'oeuvre de Pascal Quignard dont deux événements:

"La rive dans le noir, une performance des ténèbres": la splendeur du noir.


Un spectacle donné à La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon avec la complicité de Marie Vialle.
Dans le noir, tout est possible, sur scène, mieux que dans les livres; alors les deux complices montent sur le plateau, lui en hommage à Carlotta Ikeda, elle pour l'amour du verbe, de la musique partagée. Dans l'obscurité, les oiseaux, diurne et nocturne, le corbeau et la chouette effraie.
Ils sont là, chantent, bougent, danse, comme une sorte de performance, du théâtre no, du buto
C'esr étrange, dérangeant, atypique comme nos protagonisteS, chamane, écrivain, musicien.
Elle fait l'oiseau, d'une voix étrange, murmure, hurle, debout sur la table d'écriture, vêtue de blanc comme un spectre , une vision futile. Corvidée, femme, oiseau, Marie Vialle se meut comme une danseuse de toute sa peau, de toute sa voix
Lui, présent, au piano, retrace la partition d'un chant de chouette. Atmosphère, "un minimum piano", effet de rêve bien éveillé
Ils sont là, avec nous pour cette célébration, ce rituel, sans emphase qui touche juste là où le livre ne peut pas faire sonner la musique.Texte incarné, plongée dans le noir scintillant, dans les ténèbres du Japon avec la force tranquille de deux grands acteurs.

Et dans le cadre du cycle des musiques sacrées à la basilique métropolitaine Notre-Dame des Doms
"Concert-lecture: la leçon de musique" :quand les muses s'en mêlent.

Luc Antonioni
Allier ce fameux texte de référence "La leçon de musique" aux partitions et œuvres des compositeurs dont il question tout au long du livre, voici le pari, réussi de ce rendez-vous matinal à la Basilique
Orgue, viole de gambe, voix et texte lu par Didier Sandre: un bonheur inégalé pour illustrer, rendre vie et agitation à la prose de Guignard, mélomane, musicologue, philosophe qui atteint des sommets d'intelligibilité.Atmosphère recueillie, alternance de morceaux de Couperin, , Marais, Sainte Colombe, Du plus bel "effet", de la communion savante entre musique et rythme du texte et celui des œuvres musicales
La voix féminine en révélation dans l'histoire de l'humanité: celle qui ne mue pas et garde toute son énergie et altérité à construire le destin unique et singulier des femmes.

"Sujets à Vif": programmes A et B: bande d'indisciplinés!

Quatre temps pour ouvrir l'édition 2016, du légendaire "Sujets à vif" qui comme à son "habitude" tranche dans le vif sans mettre de gant.
"La vie des formes" : l'atelier du manipulateur.


Renaud Herbin est bien ici à la place d'un peintre dans son atelier: avec son manequin comme partenaire: ressemblance, autoportrait? Le modèle est docile, tranquille et son maitre , presque de la même grandeur tisse avec lui une véritable relation de danseur: plongées, appuis, portés: on se croirait au studio sauf que la marionnette articulée, toute rembourrée de tissu sobre et cotonneux, ne bronche pas sans se soumettre pour autant.Célia Houdart, elle, raconte, se pause et regarde cette chorégraphie muette et nous parle de l'atelier de confection de marionnettes: la vie de tous ces "modèles". Touchant, calme et recueilli, ce morceau de poésie pure au petit matin dans la cour  du jardin de la vierge, est rare et précieux; on s'en imprègne et ça voyage tranquillement, comme le font ces trois personnages réunis pour façonner ce monde animé plein de surprises et d'étonnement.

"Membre fantôme": duo plein vent,kouign amann amen!


Quel souffle dans une cornemuse qui se rit des conventions et souffle de travers, de bric et de broc , animée par un virtuose de cette outre pleine de vent, Erwan Keravec! Et pour lui donner la réplique, Mickael Phelippeau, longiligne, vêtu comme une bigoudenne, tablier blanc,cheveux au vent, détachés le long du dos. Figure d'Angelus de Millet, pause et tout démarre en fanfare: course poursuite, dialogues ou ratures, manège incessant, danse trad et folklorique virtuose, quel régal d'inventivité et de verve, vif argent, mené tambour battant. La vierge de la cour semble sourire de ravissement à cette cérémonie festive, votive sur piédestal et calvaire. Le travestissement s'achève pour renouer avec un humour plus distancé et maniéré qui font de cette pièce une référence incontournable de la contemporanéité des danses d'hier et d'aujourd'hui Cornemuse au corps, corps qui s'amuse, éructe le vent, souffle à perdre haleine sur les conventions musicales et "fest-noz".Rythme garanti, jubilation au pouvoir: là est bien le creuset de ces "sujets à vif", maltraités, sens dessus dessous pour toucher en plein dans le mille les révélations de l'acte créateur.


"Les corvidés": les corbax en baskets


Deux corbeaux, deux acteurs et le hasard qu'un coup de dé jamais n’abolira: voilà la recette d'un show de Capdevielle et Laetitia Dosch: tarot du cœur, yi king aléatoire, on est dans le ludique prophétique et blasphématoire, dans la jouissance totale des mots, des gestes, du texte et des corps qui sexe posent.Et en plus, ils sont beaux, les corps beaux.
Duo de corbeaux en direct qui causent et coassent sur le tout Avignon bobo branché, sur la vie, comme au marché, le matin ; cartomancie et manipulation au menu de cet adage burlesque et tonitruant
Mais mieux, c'est une leçon d'amour vache, cru et nu que cette diatribe en forme que quatuor pour oiseaux et humains où l'on s'égare, fait fausse route sur le sentier de l'âne pour mieux rejoindre le droit chemin.
Capdevielle, trop fort!

"Takasutra": éros contrarié.


Deux êtres de chair vont nous démontrer que l'amour absent fait naître des acrobaties savantes et référées, expliquées par la comédienne en direct: rien de plus simple pour Sophie Cattani et Hermann Diephuis, souples, à l'aise dans les positions fétiches du kamasutra. Bien sur tout va de soi: taka, tu as qu'à faire ceci et cela et le rythme des danses indiennes est donné. C'est ludique et enjoué, simple comme bonjour: on s’emmêle, on se grimpe dessus et le tour est bien joué sans autre forme de procès. Un peu de légèreté et d'humour dans ce monde de brutes pour éclairer nos pas de deux érotiques
Une bonne leçon à réviser!

"XS" : les perles courtes!
Nouveauté initiée par la SACD France et Belgique avec le Théâtre National de Bruxelles
Trois perles rares, pièces courtes pleines d'avenir pour nous réjouir en fin de journée dans la Cour de la Vierge du Lycée Saint Joseph.

"Axe": ça vacille.

Un duo qui travaille sur la signification du vieux couple, ses fonctionnements, habitudes, rituels désopilants, absurdes, sur le mode du comique de répétition;le décor désuet et kitsch, annonce la couleur du dérisoire.
Déroutants portraits de meurtris, cabossés par la vie, détraqués par Agnès Limbos et Thierry Hellin, ploutocrates vieillissants, piteux et pathétiques , au destin tout tracé mais qui dérape sans cesse et fait sourire et rire de bon cœur.
Humour noir, rires jaunes, sarcasmes et objets de curiosité pour 20 minutes de fatalité, de poids du monde sur l'axe qui chancelle de ces deux corps affalés, piteux portraits d'une génération flétrie. Superbe!

"Les idées grises": en apesanteur: l’insupportable légèreté de l'être ensemble.


Deux escogriffes, compères, complices de l'apesanteur, de l'acrobatie détournée de son droit chemin dans un bric à brac de supports tout genre
C'est le duo-duel Bastien Dausse et François Lemoine qui tient le haut du pavé
Désopilante démonstration de pince sans rire sens dessus dessous où les corps racontent l'absurdité et le charme du monde à l'envers, à l'endroit, toujours au bon endroit
Et quand il s'enferment dans leur cube intime, c'est pour mieux désorienter, déplacer ce microcosme humain, nous rabattre les oreilles et le caquet: la scène c'est un immense terrain de labeur, un travail de fou pour une magie opérante à cent pour cent. Les images vidéo hyper efficaces pour inoculer du neuf dans le monde de la pesanteur et de l’inouï. Surprises et déroute au menu.ambiance tendue et ludique pour ce bijou baroque, qui défie, détraque le temps et la raison.

"Heimaten": vos papiers d'identité territoriale.


Antoine Laubin et ses compères, auteurs belges,s'interroge à bon escient sur la notion d'identité, culturelle, politique, territoriale
Patrie ou Pays d'origine, ils sont deux belges à se triturer joyeusement les neurones, en direct avec un couple d'Allemands sur écran vidéo en fond de scène. Drôle et grave, plein d'humour, ce jeu de devinettes avance et ressemble au "carambolages" de ARTE, cette émission passionnante sur les us et coutumes des "nations" voisines.
Bel édifice, intelligent et percutant de la réflexion, toujours à mettre en route avant d'avancer idées reçues, poncifs et idiotie
Un bon remède à la monotonie; on en prend de la graine et l'on respecte l'altérité de l'autre, dans la joie.

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