"Mais quand dans la vie on veut faire deux fois la même chose ça ne marche jamais."
« Des fois il arrive Théo et demande, avant même de dire salut « T’as lu mon sms ? ». « Non, tu crois que je vais mettre mes lunettes toutes les cinq minutes pour voir si tu m’as envoyé un sms. Pas la peine de perdre du temps pour m’écrire un sms que tu arrives. Tu viens et fini. » Et tout ça je lui dis en français. Alors il me dit que mon téléphone fait brrr quand il m’envoie un sms. Alors je lui dis : « Mais tu sais donc que ma machine dans l’oreille se dérègle toujours. Tu viens et fini. »
Assis sur le banc devant le Sup’rU, le vieux Sepp remonte le fil de
son passé : sa jeunesse avec son meilleur ami tombé en Algérie, la
rencontre avec son épouse décédée il y a bien longtemps, l’enfance de
son neveu qu’il aimait comme un fils et le fit se lancer dans une
rocambolesque tentative de séduction via un site de rencontre… Du
comique au tragique, dans cet entre-deux qui caractérise la joyeuse
écriture de l’auteur, il égrène ses souvenirs en attendant Théo, son
petit neveu, le seul être cher que la vie lui a laissé.
Et c'est très touchant d'emblée: un personnage se profile dans la pénombre, à peine visible: seule sa voix nous indique son existence . Le texte se fait monologue confidentiel et nous voilà embarqués dans l'histoire d'une grande solitude faite de souvenirs, d'attente, de patience. Crédule à souhait notre bonhomme, ce "ravi de la crèche" à qui l'on fait croire que l'on viendra alors que le suspens est vite dévoilé. Théo sera l'Arlésienne, figure onirique, spectre qui hante notre anti héros et qui le gruge de sms prometteurs: "j'arrive": ce qui signifie souvent que l'on s'en va ...pour revenir. Mais ce soir "j 'attends Madeleine"...mais elle ne viendra pas. Prétexte alors aux souvenirs, aux salutations auprès d'un voisin, d'une voisine dont on finira par connaitre la vie à travers la procuration de Seppi. "Sepp" pour qui préfère. Un bonhomme plein de gentillesse qui évolue sur le parking du grand magasin avec une voix douce qui porte. Francis Freyburger plein de délicatesse, de tempérance, qui ne se fâche jamais et nous embarque en empathie avec son triste sort. Théo absent toujours de la scène. Alors que des paysages mentaux sont projetés sur une longue toile: torrents de rivière, forêts découpées de silhouettes très "Kirchner" signées du talentueux Chtistophe Werhung. Une idée de mise en espace virtuel du metteur en scène Olivier Chapelet doublé d'une scénographie sobre et bienvenue de Emmanuelle Bischoff. La musique d'Olivier Fuchs se fait paysage sonore et l'on quitte ce parking aux lampadaires jaunes pour décoller dans l'univers de Seppi avec grâce et volupté. Rien n'est triste ou sombre dans ce destin si bien mis en mots par Pierre Kretz, ici observateur et serviteur des petites gens sans dédain ni, condescendance. En langue alsacienne, c'est encore plus charmant et ravissant. Alors laissez vous "ravir" par ce personnage si commun, mais attachant. Venez au rendez-vous de Seppi: il vous attend, ne le décevez pas. Car poser un lapin à une proie si docile n'est pas civique ni civile.
Après les tribulations de Thérèse, la beesi Frau de la saison dernière, Pierre Kretz, Olivier Chapelet et Francis Freyburger tirent le portrait d’un autre villageois. Autre destinée silencieuse ravivant ses zones grises et ses myriades de couleurs sous le pinceau complice de l’artiste Christophe Wehrung qui peint les paysages d’une existence simple, car la vie ordinaire c’est ce qui reste quand tout fout le camp.
Au TAPS Scala jusqu'au 25 Novembre
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