Désireuse d’entrer en contact avec les hommes, Arletti rôde autour des lieux publics et vole le cartable d’un chercheur qui s’est endormi en attendant l’heure de sa conférence sur la Genèse. Elle entre dans la salle à sa place. La clown entre dans la lumière. En 1995, Le 6ème jour est né de l’envie de Catherine Germain d’être seule en scène avec Arletti, clown qu’elle a créée en 1987. Pour la première fois, Arletti se confronte à la langue comme à un objet étranger, source de fascination mais aussi de difficulté. Que vient-elle exposer dans la lumière ? Dans cette conférence insolite, en s’appliquant à vivre devant nous, Arletti tente de comprendre comment, en ce sixième jour de création du monde, l’aventure de l’Homme a commencé.
Un clown, une clown, surement pas. Un personnage intemporel, irréel, parapluie et gants rouges, un pardessus par dessus un autre, un chapeau par dessus une petite coiffe rouge, un châle comme chevelure tissée et un maquillage facial clownesque dépareillé. De quoi intriguer plus d'un. Bien vite on s'aperçoit que la table sur la scène a de bien grands pieds quand notre "créature" s'en approche.Toute frêle, toute petite, mais qui rapidement va prendre sa place dans le silence qui plane. A peine quelques petites notes sortent de sa bouche. Singulier personnage à la démarche, aux postures étranges et malhabiles comme un simple d'esprit, un naïf, un ravi de la crèche. Handicapé du mental mais simulant une fausse innocence et virginité. Simplette "créature" qui s'empare du bureau. Inadaptée, pleine de tocs et de tics .Mouvements involontaires, rapides, inutiles, répétitifs, mais non rythmiques (tics musculaires ou moteurs) ou des mots et/ou sons involontaires, brusques et souvent répétitifs (tics vocaux). A l'aveuglette, elle cherche au fond de son cartable, les "papiers" de la conférence annoncée. Enfantine et androgyne, elle sème le trouble.Sur sa chaise qui passe largement sous la table. Quel est son lieu, son endroit? La suite le dira peut-être. Ce n'est certes pas l'archétype de la beauté sacralisée dans les magazines. Pas un mot ne sortira des lèvres de cette fonctionnaire bureaucrate qui tamponne de rage ses dossiers bien ficelés dans des paraphes. Mais la magie opère dans les légers décalages qui la font glisser d'un geste repérable à la danse. Moments de grâce qui se réitèrent dans des passages furtifs, incongrus sous l'impulsion de la joie, du désir ou du sentiment de réussite jubilatoire. Un bout de scotch pour colmater des déchirures des feuillets se transforme en séance de ligotage. Tout bascule tout le temps dans l'absurde, le décalé, l'incongru. De quoi perdre pied et se laisser embarquer dans un doux délire délicieux. Dieu là-dedans fait son labeur: du premier jour au cinquième, la lumière et l'obscurité se faisant concurrence, l'eau et le ciel se transformant en masses adverses. Tout un poème inédit dans une langue chatiée et heureuse. Car notre conférencière retrouve la parole et s'en empare sur un ton nasillard, voix chevrotante de vieille dame usée. Elle fait trembler les arbres et danse quelques pas de flamenco bien tempéré. Des excès, elle sait en faire tout de travers, en ruses et stratagèmes de clown qui trouve toujours une solution pour s'en sortir. Quelques rots basiques et organiques pour couronner une attitude très franche et naturelle. Le public sera son complice, témoin des bévues d'un Dieu créateur du monde, des animaux entre autres. Une séquence de choix où les poissons et autres chiens "assis" sont énumérés en inventaire exhaustif: du" par coeur", détaché des notes écrites, fulgurant exercice de comédienne. Un livre musical magique comme partition primitive de ce "récital" très rythmé, au cordeau. Serait-ce un prêche, un sermon, une cérémonie païenne, un cours très scolaire de catéchisme biblique que cette dite conférence? A vous d'entendre et d'écouter parler cet émissaire de Dieu qui ne cesse de commenter en digressions les étapes de la création. C'est drôle et désopilant, décoiffant et toujours inattendu. Car Dieu "dit" en restant épatant, décidé et sûr de lui, de sa galerie et devient passeur, relais de ses aventures.Elle "récapitule", "résume" la situation pour mieux la faire rebondir ou la laisser en suspens. En suspension, comme ces gestes qui deviennent danse et transforment la réalité en fiction onirique. Le feu aux petits papiers qu'elle laisse brûler pour distraire l'attention de notre heroine dans des fumeroles de brouillard vaporeux, évanescent comme sa danse autour du feu. Encore un pré-texte pour déraper dans l'art de Terpsichore !
Et Dieu de continuer a se fabriquer seul dans une belle logorrhée inspirée de la langue africaine, dansée évidemment.Et l'on attend ce fameux 6 ème jour annoncé avec impatience.Il nous manque ce "nous", ces hommes qui ne sont pas encore "constatés", estampillés et passés au tamis, au filtre de la création pour de bon. Surgit un magnifique tableau vivant en entremets: vision onirique de ce personnage hybride, blottie sous la table blotti pour échapper à la magie des flocons de papier, neige qui tombent. Vision de charme, très plasticienne, éclairée subtilement dans un beau rapport d'intimité avec "elle". Sur fond de timbres sonores en chinoiseries percussives. Dieu restera en panne, en peine pour créer l'homme. Panique pour cette "pas constatée", pas reconnue, inconnue et sans existence. Comme nous d'ailleurs public non déclaré au registre des naissances de la cité divine.Personne n'existe encore, alors tout est permis dans une joyeuse anarchie permissive. Cette "Genèse à ma façon" est un manifeste joyeux signé François Cervantes et servi magistralement par Catherine Germain, une perle rare, baroque à souhait dans ses plis et replis de l'âme inventive, habitée par la grâce divine d'un jeu malin, serein, distancié. A l'eau quand le téléphone sonne pour annoncer un chaos de décibels envahissant, submergeant notre personnage qui disparait peu à peu dans un halo de lumières.Dieu a-t-il réussi à créer en un seul jour ce que nous sommes? Le saura-t-on seulement. Applaudissements du public conquis au final. Qui s'avère fausse fin.
Une jeune femme en robe rouge se jette sur la scène inondée des eaux du déluge en glissades et autres virevoltes impressionnantes. Se jette à l'eau tout simplement. Issue de la côte d'Adam ? Et Dieu créa la femme ainsi. Danseuse de toute sa peau: c'est Kaori Ito en personne qui franchit le pas et se met à dialoguer avec notre conférencière gesticulante. Et de dévoiler l'identité de la comédienne en la rendant accessible à notre monde: en robe rouge et bottes, voici Catherine Germain en personne devant nous. Le charme est-il rompu ou faut-il ainsi nous ramener sur terre comme le faisait Raymond Devos qui ramenait son public à la réalité, par la main .Faute de quoi il le voyait errer dans la rue de la Gaité, cherchant son chemin autour du Théâtre du Montparnasse....Ressortir "transformés" d'un spectacle, ravis et capturés par les artistes, grandis et responsables "d'une certaine alchimie dans une salle de spectacle".
Invitation à un "pot" de bienvenue spontané où chacun retrouve cette empathie et la cultive le temps d'un verre partagé. Tout l'art de la convivialité de Kaori Ito s'y révèle alors.
Catherine Germain, comédienne formée à la Rue Blanche – École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, rencontre François Cervantes, auteur et metteur en scène, en 1986, l’année où il crée la compagnie L’entreprise. Il en assure la direction artistique, à la recherche d’un langage théâtral qui puisse raconter le monde d’aujourd’hui, traverser les frontières et s’adresser directement aux spectateur·rices. La comédienne collabore et joue dans la plupart des créations de la compagnie, terrain d’une recherche approfondie sur le travail de l’acteur·rice, notamment dans le domaine du clown et du masque. Ce travail s’axe sur l’écriture de François Cervantes, entre élan vers l’origine du théâtre et geste contemporain cherchant le frottement entre réel et imaginaire.
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