lundi 22 juillet 2019

La danse au Théâtre Golovine: Avignon, le off renforce la qualité dans la diversité


Avec "J'habite une blessure sacrée" de Max Diakok, compagnie Boukousou, c'est à un solo plein d'inspiration en hommage aux massacres de civils perpétrés en Guadeloupe par les forces de l'ordre, en "souvenir" de Thomas Sankara chef d'état burkinabé tué en 1987...Une danse furieuse, révoltée, agitée de soubresauts, de mouvements douloureux et sous-tendus par l'angoisse et l'oppression. De belles volutes, du sentiment dans cette distance aussi qui touche et émeut: le danseur s'y perd corps et âme et communique son aversion pour la cruauté du monde.Des projections d'images vidéo en contrepoint, paysages de couleurs ou effigie du danseur viennent répondre en dialogue à la danse live. Beau tableau mouvant de traces et signes magnétiques!


"Vendetta" de Link Berthomieux, dansé par Link Le Neil est aussi un solo plein de tendresse pour "la famille", évoquée comme une plante maléfique et toxique, mais qu'il a su fuir pour se construire. Une façon de danser sa liberté conquise, bel hommage au corps affranchi de la dépendance, danse illuminée par une réconciliation possible entre blessures et réparations.


"L'ambition d'être tendre" de Christophe Garcia , compagnie La Parenthèse,est un moment de pur bonheur, la danse en trio, encadrée par deux musiciens, Benjamin Melia et Guillaume Rigaud au fifre,  au tambourin et oh, merveille, à la cornemuse! Les souffles des danseurs croisent ceux des interprètes musiciens pour façonner une danse, vivante, percutante et emprunte de joie et de simplicité.Sur un sol en terre de Sienne rougeoyante, les corps glissent, se croisent et se rencontre à l'envie. Un moment de félicité, douce et tranquille que rien ne vient déranger, encadré par la complicité de la musique vivante patrimoniale de la Méditerranée !


"Rodéo" de la compagnie Apart, Yannick Siméon et Jérémy Silvetti est un bijou du "genre": genre traité dans tous ces états amoureux, entre deux hommes malins, complices, charmants et touchants dans l'évocation de leur tendresse, affection et passion masculine. Un duo plein de rebondissements amoureux où les corps se chahutent, s'écartent pour mieux se rejoindre, se disputer la scène, le succès ou la discrétion. Le charme foudroyant des deux danseurs nous fait pénétrer dans leur univers désopilant ou l'empathie fonctionne à fond. Une réussite de mise en scène et d'interprétation où s'envoyer en l'air est un délice partagé!


"Forward-Into outside" de la Beaver Dam Compagny de Edouard Hue, est la pièce maitresse de la programmation chez Golovine.
Un solo solaire, félin, interprété par  Edouard Hue lui-même donne le ton:gracieux phénomène, danseur évoluant sous des effets stroboscopiques ou dans un halo de lumière unique, il chemine corps baissé, scrutant le sol, leste, agile dans des sauts d'envergure, des glissades, des fractures étonnantes.
Pour la seconde pièce, cinq danseurs s’attellent à tisser enchevêtrements, contacts, mouvements à l'unisson ou solos pour tisser une mouvance singulière et forte.Du flegme, de la lassitude, des pulsations de dépense ou de rage, une qualité gestuelle inouïe, des tremblements font vibrer les corps dansants à l'envi.Du beau travail sur les pieds, orteils en éventail saisissants, jeu de jambes et talons électrisants, pas de bourrée et pieds flex, rythmes et percussions corporelles au chapitre. Danse alanguie, étirée, très contrastée en contrepoint.Un beau solo entouré par les quatre autres complices, la contagion de la fluidité fait mouche, en déploiement de lianes dansantes.Une danse binaire, mécanique en quintette, extatique encouragée par les autres. Une chaine qui se meut et se déploie  tournant sur elle-même évoque le collectif qui tourne rond et fonctionne à l'unisson.
Du bel ouvrage très convaincant!


"One More?" de Odile Gheysens, compagnie in SENSO
Et pour la fin du voyage, un petit tour par le tango contemporain, simple et belle évocation d'une gestuelle sensuelle interprétée par quatre danseurs bien vitaminés, inspirés par les musiques si évocatrices de proximité corporelle, de sensibilité à fleur de peau, hors des cadres, des codes et des normes de cette danse si souvent frelatée !

dimanche 21 juillet 2019

"Comme un trio" de Jean Claude Gallotta dans Avignon Off: "bonjour allégresse" !


Un trio d'après "Bonjour tristesse" de Françoise Sagan, visité par Gallotta ça ne se refuse pas!
Alors à la Scierie, nouveau lieu du off, à potron minet, c'est à un petit cérémonial amoureux que l'on assiste,ému, touché par cette gestuelle sans pareille, celle de "Daphnis et Chloé", celle des "Louves et Pandora", celle qui rappelle que seul un geste peut faire signe...
Un signe de grace, un clin d'oeil à une écriture volubile, futile, éléganCe et parfois narquoise...Un homme, deux femmes, un duo-trio complexe et naturel à la fois qui se dispute l'espace, qui s'étreint, qui s'attrape en prises en esquives en circonvolutions merveilleuses. La voix de Gallotta évoque Sagan, ou nous confie quelques bribes de phrases, en phase avec une "dramaturgie" de l’indicible, de l’inattendu, de l’Inouï. De la danse distillée par l'énergie des corps expressifs, pétris de musicalité, de sensibilité, à fleur de prises toujours.Alternance des solos, duos, trio, selon les époques de ces amours graciles, capricieux ou dociles. Cette tendresse, cette violence aussi dans les fugues, courses ou déchirements des corps. Séparations, réparations, insouciance ou gravité. Sagan devrait se réjouir de cette visite incongrue dans son oeuvre, de cette brèche, passage discret et fugace dans son espace textuel et poétique.Comme une faille entrebâillée qui laisse deviner le flux et le reflux de la brise légère d'un vent caressant les corps qui se relèvent toujours de leurs aventures amoureuses !


Vive le Sujet" Série 1 et 2 : la SACD à Avignon : de l'audace, toujours de l'audace!

En avant pour la "série" du théâtre vivant, celle qui ne s'invente que depuis 20 ans grâce à la SACD, fidèle instigatrice de ce projet transformiste et modulable, souple et dans l'air du temps qui fracasse les frontières et ouvre des brèches cinglantes à la création indisciplinaire!

Série 1
"Ils se jettent dans les endroits où on ne peut les trouver"
Sur la plante des pieds
Marie Payen en bégaie de plaisir et Mehdi-Georges Lahlou la seconde avec bonheur dans ce champ des possibles où l'on plante verte sans se planter, sinon sur la plante des pieds. Isadorable femme libellule, et lui bourdon docile, s'entretiennent, couchés au sol, jouissant de ce mas de cocagne qu'est la cour de la vierge.Odeurs, saveurs évoquées se partagent dans cet espace de retraite à défricher, encombré de plantes vertes mobiles, sans racine. "Rhizosphère" salvatrice pour Eden retrouvé, voilà un paysage corporel et végétal bienfaisant où la salsa de pomodoro vient à point dans cette communion vocale et corporelle avec l'environnement. Jouissance de kamasutra où une rangée de chaises "tulipes" fait office de jardin des délices, renversant!

"Axis mundi"
Fontes de jardin
Un rituel en noir, gris blanc qui ne laisse pas de glace, malgré les évolutions sataniques d'un être étrange, Elise Vigneron autour d'une femme simple,Anne Nguyen , sa proie et sa victime se jouant de ses manipulations féroces à distance.
Ange ou démon dissimulé derrière quatre panneaux qui se révèlent des sculptures de glace aux empreintes translucides? Menace, traque, danger!La fonte des empreintes est annoncée , les traces font s'effacer, ça craque sous le soleil du petit matin, les mobiles tournent comme des moulins à prière... Dans des jaillissements d'eau répandue, les corps s'élancent et jouissent de glissades éruptives: c'est la débâcle, on s'essore et seules demeurent de minuscules sculptures aux effigies humaines sur la scène refroidie!

"Pontonniers"
Play time
Tablier de chauffe et gros godillots pour Alexis Forestier, en roue libre sur un instrument bidouillé de récupération: paysan, meunier qui tourne sa roue pendant que le monde musical de Annabelle Playe, joue de l'électronique sur son établi musical!
Zaubergarten en toutes langues, vociféré, catatonique déraillement de choix pour ce duo entre tradition rurale et modernité des espaces sonores tonitruants!
A fond les décibels, à fond la caisse à outils pour ce hurleur de foire, colporteur de nouvelles  qui moulent du bon grain de fabrique. Raz de marée déferlant, comme univers de forgeron au travail qui s'échine pour glaner des pièces rares de bric à brac. Marteau piqueur ou console électronique, meme combat pout le chaos sur un pupitre déambulatoire où tel un curé de village et sa valise pédagogique, il fait son homélie, marchand ambulant Du beau travail de soupapes.


"Esplendor e dismorfia"
Chair de bibendum
Des monstres animés, bibendums assis qui nous regardent et le décor vivant est planté!
Vera Mantero et Jonathan Uliel Saldanha, mannequins musclés en tissu gonflé sont d'un "genre singulier" organes dans la tête et voix off qui psalmodie, au poing. Comme pour une prière, elle chante, prosternée ou affalée dans ses atours de feutre surgonflés où les traces d'anatomie sont plus que visibles.
 Langage inventé, annoné, sonore, petit bougé, précis, drôle ave collant de couleur chair comme une seconde peau sans trou! Mais pas justaucorps à la Cunningham !
 Homme araignée qui se manipule dans ses fils de bas nylon, cordes vocales tendues....
 Montres et acariens en images projetées y remettent de l'étrangeté, de l'hybride.
Des os d'omoplate en guise de membres fantômes pour mieux ramer dans ce monde étrange et monstrueux, énigmatique: les voix sont aussi le fil conducteur de Vera Mantero qui excelle dans ce savoir faire hors des frontières d'un organe lui aussi très musclé: la corde vocale!