Au début des années 1860, Lewis Carroll imaginait pour divertir la petite Alice Liddell un monde merveilleux et bien étrange, où le bon sens est illogique, les chats sont nihilistes, les chapeliers fous, les vers à soie opiomanes et les cartes à jouer des soldats aux ordres d’une reine de coeur tyrannique. Mises par écrit en 1865, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, suivies en 1871 par De l’autre côté du miroir, sont un immense succès populaire. Rapidement, tous les écoliers britanniques et leurs parents connaissent les incroyables péripéties vécues par la jeune Alice qui, pour tromper l’ennui d’un après-midi d’été, suit jusque dans son terrier un lapin blanc très pressé, affublé d’une redingote et d’une montre à gousset. De Walt Disney jusqu’à Tim Burton, nombre d’artistes de toutes les disciplines ont puisé dans cet imaginaire foisonnant et sans limite.
Sur une nouvelle partition de Philip Glass, compositeur majeur du minimalisme américain, les chorégraphes Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn réinventent et s’approprient l’univers fantasmagorique imaginé par Lewis Carroll. Affranchis de la narration de l’histoire originelle, les danseurs du Ballet de l’OnR incarnent une nouvelle galerie de créatures et de personnages contemporains autour de l’actrice Sunnyi Melles.
Et de constater que le "merveilleux" opère toujours avec brio et succès, adhésion du public et des interprètes. Chose peu évidente de nos jours délicats ou "croire" ou ne pas "croire" ne se conjugue plus que par bribe et dans la confidentialité. Ici, au grand jour, le fantastique se dévoile sans pudeur, d'emblée au démarrage quand un lapin sort d'un piano et s'y réfugie affublé d'une cantatrice démoniaque. C'est beau et donne le ton de cet opéra ballet hybride et surprenant, aux entrées multiples. Des portes coulissantes pour paravent mobiles....Valse et suspension d'objets comme des sylphides d'origine suspendues aux cintres. Mais ici ce sont des portés fluorescents qui font leurre et artefacts. Effet créé de toute pièce, illusion d'apesanteur, de vitesse, de rémanence très réussi.Alice se glisse sur scène, légère apparition furtive, très mobile, volubile, aux pieds légers, tournoyants: belle perspective sur l'urgence, la rapidité, forme esthétique aussi très réussie. Une danseuse sur pointe, à barbe, un lapin agile, des personnages nombreux en groupe pour des unissons perceptibles en masse de couleurs, de formes .Valse et tourbillon de fleurs en corolles et sépales blanches, vertes comme un parterre tournoyant de tiges animées...Les références sont nombreuses et jouent sur des univers chatoyants, reflets d'une culture dense et riche sur nos mythes environnants de notre mémoire visuelle.
Alice, c'est un opus non genré, unique, cocasse et poétique où la fantaisie est reine et portée par la musique de Phil Glass, piano en verve et en poupe pour cette oeuvre curieuse et non identifiable. Une lune, une maison hantée de souvenirs et de personnages surgissant de nulle part pour nous emporter très loin au pays du merveilleux: pour ceux bien sur qui se laisseraient encore docilement émerveiller, sans prise ni frein à leur imagination.
A l'Opéra du Rhin jusqu'au 24 Février
Musique Philip Glass Chorégraphie, dramaturgie Amir Hosseinpour, Jonathan Lunn Direction musicale Karen Kamensek Scénographie, costumes Anne Marie Legenstein Lumières Fabrice Kebour Video Design et animation des peintures David Haneke Peintures Robert Israel CCN • Ballet de l'Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse
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