Chorégraphier à partir des secrets du corps. Celui d’une danseuse en particulier, Marta Ciappina. C’est à quoi s’attache Marco D’Agostin. En créant Gli anni (Les années), pour et avec elle, l’artiste italien tente une nouvelle approche : danser comme à l’ombre d’un roman, avec les imprévus et les décalages que suscite le montage musical, une playlist de chansons pop et rock des années 80 à 2000.
Tout comme en littérature – que
l’on pense au titre éponyme des romans de Virginia Woolf ou d’Annie
Ernaux croisant mémoires intimes et collectives – Les années (Gli anni),
ces récits de vie qui vont de la saga familiale à l’autobiographie, se
consacrent au temps. Et c’est bien ce que convoque Marco D’Agostin à
travers l’écriture de cette nouvelle pièce. Déjà dans son solo Best Regards
présenté la saison dernière à POLE-SUD, lettres et correspondances
tenaient un rôle prépondérant dans cet hommage rendu au danseur et
chorégraphe britannique disparu Nigel Charnock.
Dans Gli anni
qu’il crée en tandem avec Marta Ciappina, danseuse et pédagogue qui en
est l’interprète en solo, le chorégraphe italien poursuit la traque des
signes dont il fait la matière de ses créations. À partir du corps même
de l’interprète, de ses gestes singuliers et vibrants, de sa mobilité
fluide ou disloquée, Marco D’Agostin fait de ces mouvements les
messagers d’un récit sans faux semblants, à la fois cru et délicat. Sans
pour autant recourir aux mots, Gli anni fait son office et met à
jour d’indicibles émotions à travers une forme abstraite qui s’adresse à
tous. Une danse énigmatique des souvenirs émane du corps désarmé de
l’interprète.
Limoncello...
Compte, décompte comme lors de l'apprentissage, à l'école, en famille: compter des citrons en rythme, en dansant, en errant sur le plateau, chemise blanche brodée et pantalon seyant: elle, une jeune femme au visage lisse, ouvert, à l'écoute, à l'affut. De l'envergure dans les geste, bras ouverts, des mouvements acérés et directs entre l'air et le sol, dans des directions divergentes. Fluidité et efficacité des décisions de chemin, de parcours: en avant, à rebours comme happée par le passé-présent, un sac à dos pour seul bagage. Elle en extirpe un chien, statue de porcelaine, immobile objet, sujet de mémoire. Une carte magique, des lettres en petits cubes carrés...Des objets souvenirs qui tiennent ç corps. Alors que sur un petit écran suspendu, quelques préceptes kinésiologiques s'affrontent à ses gestes et en soulignent la source.
Mouvance dictée par la verticalité de la colonne vertébrale, par ce qui soustent chaque geste: l'énergie, le fluide.Émouvante figure incarnant les strates des mots qui nous forgent, la danseuse se meut et s'émeut devant nous en grande empathie. Regard attachant, séduisante personne irradiant autant de la malice que du détachement. Marta Ciappina en modelage constant incarnant à sa guise les propos et intentions du chorégraphe Marco D'Agostini. Mutine et distancée, présente et forte d'imprégnation du sujet. Elle se libère alors sur un patchwork de musique pop, rock, souriante, épanouie, séduisante.C'est comme un roman, une histoire à construire le temps de la représentation, avec un lettrage de scrabble, une missive lue par un spectateur. Danse revolver qui fait "bang" avec humour désopilant et dérisoire meurtre d'un polar nanar.
Et des images de films familiaux en super 8 de défiler au lointain: on y aperçoit des fillettes qui comptent des citrons! Et la boucle est bouclée...A rebrousse poil.Rembobinez! Limonade pour trinquer...Faites vos jeux, l'histoire peut recommencer ou continuer. Comme il vous plaira de feuilleter ce livre à corps ouvert, d'en faire un exercice d'Oulipo littérature potentielle ou de leporello...Le leporello, également appelé livre accordéon, ou encore livre frise, est un livre qui se déplie comme un accordéon grâce à une technique particulière de pliage et de collage de ses pages. Danse qui se plie et se déplie à l'envi, se lit, se relie à toutes les fantaisies sur la perception du désordre, de l'incongru, de l'absurde.Un téléphone jaune relié de la main à l'épaule par l'omoplate pour anatomie de l'énergie du geste...Belle image du flux qui relie. Sans raccrocher surtout, la communication n'est pas interrompue...
A Pole Sud jusqu'au 16 Mars..
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