Jamais un coup de projecteur n'abolira le hasard,
« Comment vous définissez-vous ? — Je suis un utilisateur du ballet classique, du système classique, mais pas de sa rhétorique. Comment travaillez-vous ?
— Je pars de n’importe
quoi, un mot, une couleur, un son, un espace. Ensuite, je fabrique mon
matériel: un mouvement, une lumière, un son avec un objet, un objet avec
un mouvement, un son
avec une lumière et un mouvement, parfois tout ensemble. Je fais des
séquences, ensuite je les monte comme un film. Voyez-vous un futur au ballet classique ?
— Le vocabulaire n’est
pas, ne sera jamais vieux : c’est l’écriture qui date. Si son écriture
évolue, il n’y a aucune raison pour que le ballet classique disparaisse.
»
– Entretien avec William Forsythe, juin 1988.
Il y a quarante ans, le chorégraphe américain William Forsythe prenait la direction du Ballet de Francfort et posait avec sa pièce Artifact (1984) le premier jalon d’une aventure artistique au long cours qui allait profondément renouveler l’écriture et l’approche contemporaine de la danse, et ouvrir celle-ci à l’influence d’autres disciplines. Le Ballet de l’Opéra national du Rhin retrace cette révolution en réunissant pour la première fois trois pièces de Forsythe créées dans les années 1990 sur des musiques de Gavin Bryars, Ludwig van Beethoven et Thom Willems: l’hypnotique Quintett (1993) , le virtuose Trio (1996) qui fait son entrée au répertoire de la compagnie, et enfin le magnétique Enemy in the Figure (1989) . Un programme détonnant, qui met à l’honneur la vitesse et la puissance des corps.
"Quintett" Pièce pour 5 danseurs Reprise. Créée
en 1993 par le Ballet
de Francfort. Entrée
au répertoire du Ballet
de l’OnR en 2017.
Chorégraphie William Forsythe En collaboration avec Dana Caspersen, Stephen Galloway, Jacopo Godani, Thomas McManus, Jones San Martin Musique Gavin Bryars Costumes Stephen Galloway Décors et lumières William Forsythe
"Trio" Pièce pour 3 danseurs Entrée au répertoire.
Créée en 1996 par
le Ballet de Francfort.
Un singulier trio dans le silence autant que dans le tumulte de la narration des corps. Poses sur poses photographiques alternent à l'envi dans une synchronisation d'éclat. Trois figures pour incarner la précision, la mesure, l'envergure d'un geste, d'un demi-geste à moitié entamé, arrêté en cours de course. Stoppé malgré lui par la rigueur de l'écriture de Forsythe. Les costumes colorés, dessinés par la patte d'un peintre sur peau. Trois façons de s'imbriquer, de se fondre ou de s'encastrer les une dans les autres. Puzzle humain, chorégraphique rien qu'avec trois corps dansant, pensant toute cette syntaxe prolixe, florissante au service d'une gestuelle encore à découvrir.
Chorégraphie et scénographie William Forsythe Musique Ludwig van Beethoven Lumières Tanja Rühl Costumes Stephen Galloway
"Enemy in the Figure" Pièce pour 11 danseurs Reprise. Créée
en 1989 par le Ballet de
Francfort. Entrée
au répertoire du Ballet
de l’OnR en 2023.
Tout
le style Forsythe est présent: ce démiurge de la tonicité, de
l'écriture fulgurante, des points, lignes, plans de la chorégraphie
exulte dans cette pièce unique en son genre.Son écriture tectonique fuse
et les danseurs en sont les "pions" manipulés à l'envi pour créer des
espaces toujours changeants, toujours en éruption volcanique alors que
la matière phonolitique des corps se transforme en musicalité constante.
Les pulsions font se tordre les corps, galvanisés par la musique de
Thom Willems, foudre constante. Comme des salves jetées sur le plateau,
des éclats de lave, scories en ébullition, enflammées par l'énergie de
cette dynamo infernale. Corps machines, corps éperdus, isolés où dans
des unissons futiles éphémères.
Chorégraphie, scénographie, lumières et costumes William Forsythe Musique Thom Willems
Le Ballet du Rhin, au zénith pour ces "reprises" menées de main de maitre à danser par la répétitrice "maison", Claude Agrafeil et son double Adrien Boissonnet : un rouage incontournable pour remonter une pièce chorégraphique: chef de chantier orchestrant l'esprit de l'oeuvre, ici à l'identique pour le meilleur d'une rencontre avec Forsythe, chef de file d'une danse insaisissable, abrupte, ciselée, vif argent, déconstruite et remontée à l'endroit, à l'envers de toute convention ou d'académisme. Un style qui échappe au temps, jamais "daté"qui est ici servi à merveille par une compagnie soudée et aguerrie aux extrêmes...
Une soirée qui laisse un sentiment de bien-être, de satisfaction, d'intelligence en "bonne compagnie", ce cum panis qui relie et trace les signes d'un "renouveau" salvateur et constructif pour un "corps" de ballet virtuose et pétri d'une énergie "contagieuse" salvatrice!
Et un "coup de projecteur", poursuite emblématique chez le grand Willy , un "accessoire" indispensable à la focale dans ce malstrom de lumières divines inondant le plateau, révélant la mouvance des corps dansant.
Photos Agathe Poupeney
A l'Opéra du Rhin jusqu"au 2 MARS
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