lundi 28 mai 2018

"De sang et de lumière" Rachida Brakni et Laurent Gaudé: un "tandem" pour "faire danser les ombres"


Dans le cadre de l'Autre Saison, le TNS vous invite à redécouvrir le premier recueil de poèmes de Laurent Gaudé, «De sang et de lumière» (Actes Sud, mars 2017), à travers la lecture d'extraits par Rachida Brakni et Laurent Gaudé. Romancier, nouvelliste et dramaturge, Laurent Gaudé est l'un des auteurs français les plus reconnus de sa génération. Son oeuvre est traduite dans le monde entier. En 2004 il reçoit le prix Goncourt pour son roman «Le Soleil des Scorta».

Un duo, un "à deux voix" pour cette lecture-surprise des textes de Laurent Gaudé, un "enfant" du TNS, du temps où son maître pouvait être Gignoux et où son premier texte "Onysos le furieux"fut monté par Yannis Kokkos !
C'est donc dans cette émotion vive, proche et directe, qu'il nous adresse cette "nouvelle". 
"Faire danser les ombres", un ouvrage sur la cruauté politique, très poétique dans l'éthique de son écriture, est entre autre une "référence" de son univers , actuel, prégnant, à vif. 
Très ancré dans le récit sur l'Afrique et son histoire de souffrance, sur l'esclavage, "Le chant des sept tours" délivre un récit sur l'espace physique et mental de la maltraitance des esclaves par les maîtres, les tours étant ces étapes sordides, exécutées par les "captifs" autour de l'arbre sacré, l'arbre de l'oubli: cet esclavage qui tourne en bourrique et tue, achève ses chevaux et extermine des naufragés. 
Avec Solange, c'est la mère, la fille qui se dévoilent dans cette poésie du "voyage" autant virtuel que charnel, présent, habité de sensations, celles des mots qui sourdent des lèvres de Rachida Brakti, discrètement éprise des mots, de la syntaxe, souple, flexible.
"Le secret de Paris"" c'est un hommage aux "baptisés des terrasses", ceux que les attentats ont affectés, tous ceux qui victimes des terrorismes sous toute forme, vivent sur le qui-vive.
Laurent Gaudé fait  danser dans une dernière ronde mystique les disparus et les survivants, comme un devoir de mémoire pour les premiers et une reconnaissance au courage des seconds. C'est un message d'espoir à la reconstruction et à la vie renaissante.
Une belle rencontre pour un temps de lecture partagée, émouvante et structurante, paisible mais posant les jalons d'un engagement et d'un inflexion poétique sur l'aaujourd'hui que nous vivons, implacable.

Au TNS le 28 Mai dans le cadre de " l'autre saison"



- « Je veux une poésie qui s’écrive à hauteur d’hommes. Qui regarde le malheur dans les yeux et sache que dire la chute, c’est encore rester debout. Une poésie qui marche derrière la longue colonne des vaincus et qui porte en elle part égale de honte et de fraternité. Une poésie qui sache l’inégalité violente des hommes devant la voracité du malheur. » 
- « Tu es Solange
Tout est à toi qui n’as rien
Et pourquoi pas la joie ?
La fierté d’être femme
Fille de mère nombreuse,
Indisciplinée au temps,
Affranchie,
Sœur des fougères qui plient
  doucement sous le vent.
Solange,
La fille qui ouvre le ciel
Et rachète,
Par le simple déhanchement
   de son sourire,
Nos vies indistinctes. »
 « Et pourquoi pas la joie ? »,

dimanche 27 mai 2018

"Elan Vital":Il- y-a quelqu'un ou Bergson ? L"Inimaginable" concert dominical !

"ELAN VITAL" 

Le troisième concert de la saison de l'Imaginaire a été conçu en étroite collaboration avec Paul Clift. La réflexion sur différentes façons d'observer un objet l'incite à assembler ces œuvres pour accompagner sa nouvelle pièce "Élan Vital" pour le quatuor de l'Imaginaire : flûte, clarinette, saxophone, et piano. 


En "prologue", un opus de Paul Clift “Feuille volante” pour flûte alto seule
Keiko Murakami, de noir et blanc vêtue s'avance, recueillie.Elle entame un long phrasé, en écho, entrecoupé de silences.Gracieuse, le geste retenu, flûte rivée au corps comme un prolongement de l'émission de son souffle.Des mugissements langoureux, indicibles, ponctués de respirations. Keiko fait des vagues de son corps, marche, se balance,oscille, respire et émet de longues sonorités aiguës, suspendues. Se plie et ne rompt pas, enchante et magnifie la partition, discrète, secrète.



photo la fleur du dimanche


La pièce suivante, de Salvatore Sciarrino “D’un faune” pour flûte et piano enchaîne ce moment de grâce.
Des râles, des grognements de cochon sauvage s'emparent de la flûtiste, animal frustre, bien à l'opposé de la pièce précédente! En réponse, le piano se glisse discret dans cet univers abrupte de barissements, la flute comme un faune sylvestre en chasse, en rut Puis se métamorphose, légère, aérienne en contraste, comme deux personnages se dédoublant.alors que l'aspect chasseur reprend le dessus, renifle, guette, rôde, scrute l'entourage.
Ignorant, ces bassesses, la même flûte, s'élève dans l'éther alors que survient le piano dans ce paysage de clairière.Des timbres aigus se démultiplient comme des ondes aquatiques.Alors que le vent de la flûte traverse et fend l'espace sonore.Comme une submersion, de la tendresse ouatée, veloutée et sensuelle sourd de la partition. Faune à la Picasso ou à la Nijinsky, de très beaux gestes des instrumentistes font voyager dans notre imaginaire à chacun de nous Ascension des tonalités, renforcement des identités de chacun des filtres instrumentaux, altérité des caractères fusionnent dans la douceur. Un magnétique duo, très "animal".

photo: la fleur du dimanche

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Philippe Leroux “SPP” pour saxophone et piano pour continuer la navigation, comme une avancée, marche du saxo sur tapis de piano vibrant.Rondeur et chaleur de la matière sonore pour un climat de mugissement de sirènes, pas de loup du piano, touche par touche, martèlement du rythme à l'appui. Des cascades de sonorités, s'écoulent en rigole sur le sol, de marche en marche, la pièce avance, funambule en déséquilibre.Dans une urgence, pressée, course folle l'un  vis à vis de l'autre Qui l'emporte en fin de course après s'être rattrapés en jouant le ludique et l'insouciance.Accéléré de rythmes, rapidité, dextérité des interprètes affolante pour créer un beau volume sonore et de l'amplitude.Dans les graves, on se fâche, on s'énerve on se surpasse, on se double....Un joyeux carnaval , charivari, gai, enjoué, performant se dessine, s'installe Un beau ralenti en redescente de tension dans le réel après un long voyage endiablé.L'impatience se calme en retour en quelques petites touches pianistques égrenées.
Un re-démarrage en trombe pour semer la zizanie , encore une course de vitesse entre les deux protagonistes et l'on voit défiler des images à toute vitesse.Grondement du piano qui inonde et recouvre les sonorités font de cette oeuvre très resserrée, tonique, effervescente, hallucinant voyage en décélération ou accélérations.Au final, l'épuisement, la perte et la dépense font se taire chacun.


photo: la fleur du dimanche
Daniele Bravile Bravi “Aris” pour clarinette basse prend le relais, le flambeau: un coup de cœur pour Adam Starkie qui nous livre son petit secret d'interprétation."Aris" ne signifie rien, alors tout est permis! Sinon regarder un objet dans un musée, de près, de loin!
Ambiance contemplative, religieuse, recueillie, méditative..Quelques beaux déhanchés du corps du soliste,avec accents et appuis dans la lenteur puis du vif, des pirouettes, des éclats, du jaillissement pour fuir la torpeur.Le regard ou l'objet s'animent se poursuivent en rond de bosse Quelques belles envolées, échappées pour créer un suspens intrigant, une attente; l'ouverture des sonorités qui fusent dans la respiration soutenue, le souffle de Adam qui frôle l'espace, subjuguent. Des cris aigus, affolés, effrayés, effrayant évoquent Belfégor, la nuit, au musée ! Le danger menace, une lutte, un combat s'installent lors de cette observation partiale des faits: quiétude, inquiétude sont de la partie.Attraper le son au vol, saisir les notes puis regarder le résultat, libre, ou possédé ...Retour au calme, fin du rêve. Une pièce pour interprète virtuose et performant, animé d'empathie avec l'écriture du compositeur !

Et pour terminer cette matinée musicale, messe pour le temps présent dominical, brunch copieux pour oreilles sensibles et affamées de sons inédits, voici de Paul Clift,  “Elan Vital” - création (commande de l'Imaginaire), qu'il nous commente en live: Bergson et ses découvertes sur l'espèce et son évolution, le questionne dans ce long processus de mutation aléatoire sur la "génération". Et qu'en est-il de l'"évolution" de la création musicale?
Réponse avec "Elan vital", quatuor détonant qui débute en longue tenue entrecoupée des interventions de chacun comme une cacophonie bienvenue, un chaos organisé, en couches napées de nuages et brumes persistants. Des grincements, inconfort pour l'oreille pour l'écoute, désagrément, dérangement à rebrousse poil, dissonances et amoncellement de timbres: de quoi surprendre et étonner, décaler et intriguer !
Ni flatteurs, ni séduisants, les sons décapent au vitriol: longue tenue des vents, sur le fil, espace qui s'étire, chancelant, qui s'allonge, comme se frayant un chemin, un parcours qui file, droit au but.Calme après ce cataclysme sonore de cet univers "timbré", fou :des fréquences inaudibles, salutaires, inouïes! 
Silence, piano solo aux ondes tranquilles, puis les trois autres le rattrapent dans sa course folle, le piano s'affole dans une vélocité incroyable; l'amplification sonore ascendante croit, au zénith, déployée en sons grandissants dans un espace infini. Ouvert, sidéral digne d'un récit de science fiction, sur une planète inconnue, dans le cosmos en folie.Tectonique des plaques pour accueillir ce vaisseau spatial incongru, qui traverse le temps.

Et comme d'habitude, le concert est suivi d'un moment convivial autour d'un apéro!


Au Faubourg 12 le 27 Mai

"Matrix": regarder la musique, écouter le cinéma !La maïeutique opère !


"Ce ciné-concert associe les images visionnaires d'un film de science-fiction aux sonorités d'un grand orchestre symphonique. La bande originale de Don Davis est jouée en live pendant la projection du film et dirigé par le compositeur lui-même! 

L’écriture de Don Davis s'adapte à la complexité du film MATRIX : elle associe des techniques minimalistes et polytonales à des superpositions de tonalités dissonantes et à des explosions de style « classique ». Une bande originale qui a marqué l'histoire des musiques de films. Le synopsis du film : l'expert en informatique Thomas Anderson (Keanu Reeves) mène une double vie : le jour, il travaille comme programmeur pour une grande entreprise de logiciels et la nuit, il joue les hackers sur Internet sous le pseudonyme « Neo ». Un soir, il est contacté par une mystérieuse organisation clandestine. Le chef du groupe – le terroriste recherché Morpheus (Laurence Fishburne) – lui confie un terrible secret : la réalité, telle que nous la connaissons, n'est qu'un monde imaginaire. En réalité, les Hommes sont depuis longtemps dominés par une puissance virtuelle surnaturelle – la Matrice, ..."





“Nous ne venons pas au cinéma pour entendre de la musique. Nous demandons à la musique
d’approfondir en nous une impression visuelle.”
Maurice Jaubert, 1936

Alors, en avant pour cet événement, dans un zénith bondé, un public varié, de tout horizon, de tous âges !
De quoi fédérer les passionnés de cinéma, de musique, d'orchestre et de science fiction!
Pas de "friction" ici entre musique et images, récit parlé et notes mélodiques..
Car la musique de Davis est omniprésente, discret prolongement du rythme du montage, découpage et enchaînement des plans. Indissociable du propos, soulignant le suspens, comme les grands moments de déferlement de technologies nouvelles  (de l'époque). De la haute voltige en direct,Lecture instantanée du défilé du film, la partition additionne les contrastes, les surprises et borde l'image de façon à soutenir l'intrigue, sans jamais la noyer sous un flot déferlant de sons et de fureurs.Des séquences comme la métamorphose du héros ou sa descente aux enfers sont médusantes et la musique aspire le protagoniste ou le démonte à l'envi.



 La scène du kungfu se borde  de percussions intrusives pour mieux accompagner des figures, postures et attitudes singulières: voltige, sauts, cabrioles et retenues en ralenti, envolées corporelles hors normes, dignes de numéros ce cirque de trapèze...Tout concourt à l'osmose, la symbiose et la musique se pose sans s'imposer, toujours aux aguets des images, des dialogues .Les instants de silence consacrés à la parole ou au simple enchantement des images sont autant de pauses, de recueillement sur son absence.Là où rayonne la magie de la réalisation fantastique, apparaît la justesse entre monde réel et cette "matrice" accoucheuse de monstres, de morphings, de trucages et paysages urbains aux perspectives vertigineuses ! Maïeutique de l'art, catharsis et empathie au programme !



La masse de l'orchestre opère dans des moments très lyriques, enfle et rebondit sur l'intrigue, faisant avancer à grand pas le récit, participant à l'écriture même d'un scénario catastrophe ou poétique. L' Amérique, Hollywood sont bien là, au seuil d'une machinerie démoniaque où la beauté des images subjugue, où la musique s'incline parfois devant tant de plasticité, d'inventivité et d'efficacité. En un combat singulier, chacun trouve sa place et le grand écran vibre à notre insu de sons, de lignes musicales, toniques, déflagrations ou accalmie en ligne de mire.
Epoustoufflante interprétation en direct d'un orchestre, aguerri à toutes les expériences, sous la baguette du chef, compositeur et meneur de jeu, de tempo, d'espace et de timbres, multiples et inventifs, inspirés et oniriques!




Don Davis, en silhouette devant l'écran semble parfois faire partie intégrante de la toile, comme un sous-titre appuyant la compréhension, révélant ce que l'image donne à voir et à entendre: une chorégraphie visuelle, rythmique et sensible, une partition, composition très inspirée d'un film culte où ce soir là on regarde la musique, on écoute les images
Au zénith de leur valorisation ainsi magnifiée
Et quand défile le générique de fin, les images se taisent et s'éffacent, la musique seule résonne et donne envie de la ré-écouter pour elle seule dans une communion intense, un souvenir du film en rémanence dans notre mémoire, toute oreille seule aux aguets, en alerte !
Au Zénith le 26 Mai

Et rendez vous le 21 Septembre pour "200 Motels" de Franck Zappa dans le cadre de Musica 2018 au Zénith avec le Philarmonique de Strasbourg, et d'autres !

Michel Chion, La Musique au cinéma, Fayard, 1995.
"Histoire de la musique de film" de Florian Guilloux
et