dimanche 31 octobre 2021

"Les ailes du désir": Ganz schön......Des anges passent, à l'envergure étrange, entre terre et éther. Terpsichore s'enivre et Berlin fait le mur!


"Sentinelles silencieuses et invisibles dans le gris du ciel, les anges veillent sur la vie des habitants de Berlin, à l’ombre d’un mur qui sépare encore le monde en deux. Ils sont là depuis la nuit des temps, omniscients et bienveillants, à l’écoute des tracas quotidiens et des angoisses existentielles de l’humanité. Aucune pensée ne leur échappe. Seuls les enfants et quelques êtres d’exception – des anges déchus ayant renoncé à leur éternité pour endosser la condition humaine – peuvent sentir leur présence éthérée."

Cette tentation du « grand saut » gagne l’ange Damiel, fasciné par les aspirations et la grâce d’une jeune trapéziste contrainte d’abandonner son cirque itinérant. Par amour pour elle, il décide de se couper les ailes et d’accomplir sa chute pour enfin goûter à l’existence humaine et s’éveiller au plaisir des sens. Pour sa première grande forme chorégraphique, Bruno Bouché reprend la trame narrative et les motifs emblématiques du film-culte de Wim Wenders avant d’explorer le mystère de l’incarnation en seconde partie – développement du « à suivre... » qui clôt le film. Cette grande fresque, réunissant l’ensemble des danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin, balance ainsi entre évocation poétique et exaltation du corps en apesanteur.
 

 

Vol au dessus d'un nid berlinois

C'est l'évocation du film de Wenders qui fera la matière de ce premier volet: la "grande ville" , vue du ciel par les anges et par l'émerveillement , l'état cotonneux de Bruno Bouché, provoqué par cette œuvre kiné-matographique qui conte "la beauté simple de la vie quotidienne". Qui mieux que la danse pour faire gouter les sens, rendre palpable la conscience du vécu, des saveurs du désir. Une danse poétique, abstraite qui traverse la dramaturgie de l'histoire européenne à travers la ville de Berlin, personnage à part entière: pulsion de vie, incarnation des corps dansants, théâtralité au cœur de l'émotion. Dans cet instinct de "fabrication" chorégraphique qu'est l'improvisation, nait l'inspiration, l'audace pour ne pas fixer les choses dès le départ. Le texte de Peter Handke est évacué au profit de son "esprit",son flux, son obscurité.On sent l'émerveillement de Bruno Bouché, sculpteur des corps,la trame bouleversante de la pièce où l'on perd ses appuis mais où l'on retrouve aussi la vie en noir et blanc, grisâtre, l'imaginaire des anges...La spiritualité de la musique rejoint le tout, y adhère,contribue à semer la présence de ce "spectre" de la danse et lui "donne des ailes"!C'est en prologue, la grande ville "au ralenti" où les corps s'étirent, tous en longues gabardines grises, parmi des cubes parsemés sur la scène...Une belle unisson qui se façonne, se défait à l'envi.Et plonge dans l'atmosphère du film qui inspire ici les pensées de Bruno Bouché.Un déferlement d'hommes et de femmes tous en "couleurs"en diagonale tranche dans le vif et fait contraste, modulation, surprise. Musique répétitive à l'appui pour rendre cette course folle contre le temps et la montre, encore plus crédible, "dramatique". Des personnages se profilent, chacun évoquant une "figure" du récit des "ailes du désir" sans pour autant que la trame soit respectée point par point. Se glisser entre les mailles du filet pour métisser les styles et les genres de chaque interprète ciblé.La "trame"et la chaine pour instaurer un climat, des états de corps, peut-être proches de ceux ressentis par le chorégraphe lors de la première vision du film, rencontre avec l’œuvre cinématographique...La narration avance, la dramaturgie signée Christian Longchamp, respectant une montée en tension: une scène emblématique très "sexy"à la "Boléro de Ravel" façon Béjart nous plonge dans l'ambiance berlinoise.Ambiance nocturne de boite de nuit où les corps tanguent, se lâchent, se donnent sur fondu de lumières rougeoyantes....

" Il ne m’est pas aisé de traduire en mots mon désir de mettre en scène et en mouvement Les Ailes du Désir. Je ressens que la danse offre une énergie, une vibration particulière à toutes ces sensations, ce goût, cette force de vie, cet étonnement quotidien que vit l’humain. Le souffle, la suspension, l’élan, la chute, la chair, le toucher, le saut, la terre… Je souhaiterais que la danse rende hommage à ce film précieux, donne corps à sa puissance poétique." Bruno Bouché

"Der Himmel über Berlin": les lumières de la ville où les anges ne brûlent pas leurs ailes!

Icare s'effondre et renait de ses cendres durant la seconde partie où c'est l'univers céleste qui prime: lâché d'anges en chemises blanches, suspendus aux cintres, duos célestes, manèges énergiques et fougueux où la foule se soulève sur fond géographique du plan mouvant de la ville de Berlin.Scénographie très inspirée qui place le corps au sein de la cité, géopolitique d'une chorégraphie tracée au cordeau et très orchestrée.Des anges bondissent, se libèrent, se portent en duo, comme des électrons libres lâchés sur la piste du grand cirque de la vie!De très belles lumières inondent les corps mouvants et confèrent au récit des couleurs chaudes et comme autant de corps-écran réfractant la lumière.Des courses folles attestent de la virtuosité des interprètes, souvent occupant le plateau en grappes, en masses compactes de danse chorale: des performances aussi de solistes qui s'égrènent tout au long de cette création originale où la"griffe"et l'empreinte de l'imaginaire de Bruno Bouché laisse libre cour à la poésie! Donner des ailes au récit sans lui couper les ailes, ses envergures singulières, parures mythiques des rêves iconiques païens ou spirituels...Amours ou Belzébuth en "congrès" de chérubins aussi, rassemblés en ode céleste pour fêter les sens et l'essence de la vie: goûter au charme d'être au monde !



A Strasbourg à l'Opéra du Rhin jusqu'au 4 Novembre

  
"les l du désir" de  benjamin kiffel pour l'industrie magnifique 2021


samedi 23 octobre 2021

"Confluences": carrefour, convergence et divergence pour un "trafic" sonore inédit!


Création musicale transatlantique. Les ensembles en scène : HANATSUmiroir + Proxima Centauri + Paramirabo 

Les compositeurs : Didier Rotella, Rocío Cano Valiño, James O’Callaghan, Sylvain Marty, Maxime McKinley 

"Confluence" est un projet qui rassemble trois ensembles et cinq compositeurs et compositrice autour de la création musicale, d’un côté et de l’autre de l’océan Atlantique. Proxima Centauri à Bordeaux, HANATSUmiroir à Strasbourg et Paramirabo à Montréal se retrouvent sur scène pour la création de cinq œuvres originales, au cœur d’une tournée franco-canadienne. 

 Rocío Cano Valiño :" Okinamaro" pour 14 musiciens - Proxima Centauri, HANATSUmiroir et Paramirabo

Piano, cordes et percussions et son enregistré pour une fusion, des craquements, des crachotements fort engageants dans cette polyphonie démarrant sur les chapeaux de roue!Cinq interprètes pour les vents qui œuvrent au dessus d'une "forêt" de flûtes, dressées au sol en attente. Chaque instrument semble s'introduire en résonance, tuilage et glissades progressives.Un côté "symphonique" se dégage dans cette densité de matières sonores puissantes, en masse et taches, touches expressionnistes L’œuvre se colore, mouvante, étrange, polychrome, en modulations progressives Des parties plus saccadées, en explosion d'éclairs et de machinerie infernale alternent et font respiration, pause et surprises....

 "Vitesses locales" pour 8 musiciens - Proxima Centauri et HANATSUmiroir de Sylvain Marty

 Sept musiciens sur le plateau fabriquent des sons curieux, étranges, isolés les uns des autres.Pour créer une ambiance inattendue venue d'objets sonores incongrus: jeux expérimentaux à la clef du meilleur "effet" de surprise. L'humour se dégageant du jeu des percussions insolites, d'un piano frappeur style pic vert affolé dans les bois et guérets, renfloués par des grincements allusifs. Une ambiance de spectres et fantômes s'en détache, de maison hantée, sur un ton de cartoon très animé, savant et comique.Les sonorités fébriles, nerveuses, toniques, ramassées après l'écoute d'un perlage raffiné.Foldingue prestation multidirectionnelle fort séduisante.

" Immaterial howpour" 14 musiciens - Proxima Centauri, HANATSUmiroir et Paramirabo de James O'Callaghan

"Hétérotrophe" en diable que cette pièce rare qui se nourrit de substances musicales et visuelles inouïes!Une voix off pour exposer le propos et commenter des images de formes hybrides en trois chapitres distincts.Univers, paysages et ambiance insolite renforcée pour la séquence "hungerartist" introduite par des icônes de dentition de chèvres multipliées, images de galerie de musée archéologique, de science fiction débridée, le tout guidé par des mains et doigts de robots en 3D, manipulant des téléphones portables. Mises en abîme, une succession d'images sur les petits écrans, en mutation, déformation constante, métamorphose kafkaïennes, de fœtus .Hallucinantes visions dans une scénographie stupéfiante à souhait...

 "Tumulus-Cumulus" pour 6 musiciens - Paramirabo de Maxime McKinley

Une atmosphère légère et lumineuse se dégage dès les premières "notes": ça tintinnabule au piano et une narration infime se détache, des personnages liés aux sonorités distinctes qui se répondent.Travail d'écriture très fin, minutieux, précis, enchanteur.Des conversations comme convergence ou divergence, orientées vers une marche commune, plus pesante et massive. De petites réactions des instruments en ricochets et répercussions pour enluminures.

 

 "Ravages" pour 14 musiciens - Proxima Centauri, HANATSUmiroir et Paramirabo de Didier Rotella

Très tonique introduction, aussi fine que puissante faite de répercutions et de résonances du piano enregistré en direct.De belles rencontres d'espaces électriques, en fractures tectoniques, en chocs et fracas. Une écriture et composition pointilliste ou en masse compacte, colorée faite de tons distincts ou d'ensembles grouillants... Menaçants.Le ruissellement des sons, en répercussion amplifiées, déformées, malaxées. Un déferlement s'organise à son zénith, apogée sonore virulente.Enrobante, enveloppante, glacée parfois, métallique. Une pièce foisonnante qui s'achève sur un focus de trois percussionnistes déchainés sur une grosse caisse!

Un programme inédit qui atteste du désir de converger, de circuler, de partager de la part des trois ensembles réunis à l'occasion d'une expérience unique, riche d'échanges et de rencontres ...du troisième type!Une odyssée de la création contemporaine sonore, musicale, profonde et variée, inattendue et décapante!Tous les compositeurs-trices- au rendez-vous de cette "première mondiale"!Initiée par Hanatsumiroir, fidèle à son esprit audacieux d'initiative, de recherche et savoir inventer et dessiner de nouveaux territoires d'investigation sonores, visuels, émotionnels...

A la cité de la musique et de la danse à Strasbourg le 23 Octobre

Artistes
Proxima Centauri
Marie-Bernadette Charrier, saxophone
Sylvain Millepied, flûte
Benoit Poly, percussion
Hilomi Sakaguchi, piano
Christophe Havel, électronique
Jean-Pascal Pracht, mise en scène et en lumière

HANATSUmiroir
Ayako Okubo, flûte
Olivier Maurel, percussion
Camille Havel, alto
Raphaël Siefert, lumière

Paramirabo
Jeffrey Stonehouse, flûte
Victor Alibert, clarinette
David Therrien-Brongo, percussion
Daniel Áñez, piano
Hubert Brizard, violon
Viviana Gosselin, violoncelle


mardi 19 octobre 2021

"Abberation": architectonique du blanc dansé.


 Emmanuel Eggermont L’Anthracite France solo création 2020

ABERRATION

Eloge du blanc et de ses promesses, ABERRATION, la nouvelle pièce d’Emmanuel Eggermont se fait onirique. Danse délicate et puissante, costumes et effets optiques réveillent les sensations et conduisent le public comme dans un rêve, vers un nouvel univers aux accents décalés et subtilement absurdes. 


Après Pólis, pièce carbonique et architecturale inspirée des œuvres au noir de Pierre Soulage, Emmanuel Eggermont poursuit sa recherche sur la couleur dans La méthode des phosphènes, puis se consacre au blanc dans ABERRATION. Questionner ses différentes dimensions, notamment symbolique et spirituelle, conduit sa réflexion et son mouvement. Sur scène, ce nouveau terrain d’investigations devient un paysage surprenant où circulent des corps, des objets, des danses tour à tour abstraites ou plus figuratives avec leurs énigmatiques personnages qui traversent l’espace. Pour le chorégraphe, il s’agit de « provoquer une variation de sensations troublantes comme de s’être couché David Bowie et de se réveiller Ziggy Stardust ». Plus profondément, Emmanuel Eggermont cultive un certain sens de l’absurde lié aux aberrations qui régissent le monde comme la vie quotidienne de chacun. Environnement sonore et chorégraphie développent leurs lignes d’écriture en écho à la notion de résilience qui traverse la pièce. Une façon d’interroger par la danse et la création « la capacité de faire face à la perte soudaine de repères et à l’effondrement des certitudes. » Une pièce fascinante tournée vers les perspectives de la reconstruction.   

Deux belles structures de stores blancs à claire-voie, des traces de lumières très géométriques au sol: point, lignes, plans pour délivrer l’icône immobile d'une figure, créature blanche cagoulée, perchée...Un sac dans le dos, il arpente le plateau au ralenti, nonchalant: soulève un lai du tapis et fixe en tension une bande blanche, formant un anticlinal, une courbe de niveau fragile, marquant un territoire inconstant, fébrile.Animal à terre ou albatros échoué à l'envergure immense des bras déployés. Il ouvre l'espace sans cesse, le creuse, le fait apparaitre, en torsions ou directions sagittales en flèches...En vrilles, sur pivots, en pliés discrets, sur demi-pointes élégantes.Emmanuel Eggermont, danseur faunesque, subtil, baroque, épousant une écriture savante du geste dansé. Quelques objets-sculptures accessoires comme une "cornette" ou "cocotte en papier" géante, origami plié ou petit avion de pacotille.Pour mieux créer les formes et attitudes d'un bestiaire fantastique profilé, très "faune" ou sculpture grecque. La créature homme-icône se révèle, pudique, Terpsichore en baskets blancs, précieuse figure très plastique, éclairée de lumières façonnant ses contours, sa matière... La danse, les déplacements semblent millimétrés, saccadés, segmentés, angulaires, reliés dans une étrange fluidité morcelée.Il moule l'espace, le rend visible, s'asperge de farine tamisée qui fait nuée et brouillard, fumées vaporeuses.Très photographiques à la Etienne-Jules Marey. Palpable sensualité d'un corps qui se meut, se couvre de peinture blanche laquée. Les pans de store comme des jalousies entrebâillées pour entrevoir l'ob-scène dissimulé.Formant un environnement de lignes rythmées comme une architectonique musicale à la Porzamparc. Des poses faunesques digne d'un Serge Lifar à la beauté sculpturale irréprochable.

serge lifar

Le personnage devient dadaïste à la Hugo Ball ou Brancusi façonnant le costume de Lizica Codreanu...

lizica codreanu
hugo ball


La musique présente dès le début de cette exposition, installation corporelle mouvante s'amplifie dans l'urgence; tel un guerrier japonais ou en toge ou tenue d'escrime, le danseur s'expose ou se coiffe, fait son défile de fashion-week contre voguing, le corps empêché dans une guêpière, un corset ou une minerve blanc clinique,médical.Une chute face au mur ajouré le plaque au sol; il "pense" ses plaies, noble Roi Ubuesque fragilisé par tant de candeur, de virginité blanche-neige immaculée.Au final dans un piège de lumières blanches, des ondes parcourent son corps animé de tant d'énergie dissolue, déployée qui se fond dans un environnement et répand sons et frissons d'émerveillement. Cette pièce très plastique, visuelle, est fondations d'une architecture dada fort inventive et structurée au fil d'aplomb!

A Pole Sud jusqu'au 20 Octobre