dimanche 24 juillet 2022

AVIGNON LE OFF 2022 : les coups de coeur "danse" dans la cité festivalière.....

 LA MANUFACTURE

Un parcours singulier dans les entrelacs des propositions de programmation des différentes structures d'accueil du festival off d'Avignon: La Manufacture entre autre, fidèle à ses engagements : du risque dans les partenariats et accompagnements au regard de la danse et de ses belles dérives...

"ET MON COEUR DANS TOUT CELA?" Soraya Thomas (compagnie Morphose) : à fleur de peau..


Elle est nue et crue sous les lumières ténues du plateau vide: son corps allongé, alanguie, elle déploie avec lenteur et sensualité, les méandres d'un micro parcours corporel, intime, infime, discret. Motus vivendi pour cette performance glissée dans les eaux accueillies par le tapis de danse qui l'abritent, la baignent mesure modestement dans sa plus simple nudité, son plus sobre appareil. Corps confronté à l'espace réduit de son pourtour, dans des lumières savamment conçues pour explorer les petits riens des surfaces charnelles. Soraya Thomas conte la frugalité sans mesure, avec pondération: femme noire métisse, engagée, conteuse d'une histoire tribale, bordée de références cachées à ses guerrières de la beauté: Nina Simone, Joséphine Baker...Et un coté plastique au final, dans un nid de carcasse noire, enroulée dans le tapis de danse: image à explorer encore pour mieux cerner les enjeux d'une renaissance annoncée...Beau travail d'Outre mer de l'Ile de la Réunion, en "outre-noir"....Avec le regard extérieur de David Drouard..

"MIRACLES" Bouba Landrille Tchouda (compagnie Malka) :matière à grimper....




Une structure rappelant  Eduardo Chillida ou Richard Serra , bien campée sur scène est prétexte à de belles évolutions acrobatiques virtuoses sur fond de musique électro-accoustique tonitruante. Le trio de danseurs, surfeurs de lignes de crêtes, sur la touche de l'équilibre-déséquilibre, se livre à corps perdu à un envol salutaire, entre hip-hop savamment réinventé et danse tracée, en osmose avec cet être singulier qui peuple le plateau: une sculpture amovible, sécable qui porte leur démarche comme un geste créateur plastique.Masse, autant que stabile, ce personnage cuivré oscille, bascule, accompagne leur parcours spatial et en fait un tableau changeant constant, déroutant les lois du poids et de la pondération: les corps s'y incrustent ou s'en détachent à loisir pour une très belle plasticité.

"DRESS CODE" Julien Carlier (compagnie Abis): faire un bon break....dance!


Briser le "break", casser la glace et présenter un quintet hors pair, fabriqué de prouesses techniques, certes, mais ourlé de dramaturgie, de jeu, de force et de conviction au delà des clichés du genre: pari tenu pour cette formation où l'empathie fonctionne au quart de tour pour savourer énergie, dynamique, narration des corps engagés dans une aventure scénique qyui tient le spectateur en haleine jusqu'à la fin de cette course contre la montre très bien orchestrée.Soudé, compacté, le groupe avance , s'entraide, se relaie, se lâche dans des phrasés voluptueux enivrants.... La quête de la performance, la dépense, l'entrainement en jogging, ce "dress code" incontournable de l'athlète en est la quintessence et le développement. Être du "milieu", savoir y évoluer, y grandir, dans l'"être ensemble" et la communauté!Dans les abysses de la société du spectacle, aussi...

"DONNE MOI LA MAIN"David Rolland : et prends la mienne!


"Spectacle à jouer et à danser en famille": une bonne entrée en matière pour aborder de plain-pied dans la cour de la récré de l'école  Sixte Isnard. On y prend casque et bonne humeur, on se mêle aux autres spectateurs comme à l’accoutumé chez David Rolland, friand de participation et d'interactivité!On suit Camille et son compère à la lettre pour jouer, perdre et gagner à définir, découvrir la "différence", toutes les facettes de l'apprentissage de la vie en société: des codes de la cour de récré, marelle ou carambole éducative, structurante, architecturantes des jolies et joyeuses mœurs qui unissent la jante humaine: dans la cour des grands, la roue tourne et le monde avance à grands pas: on les suit, ces deux as de l'animation, avec bonheur, empathie, on accueille leurs propositions démocratiques et humaines avec enthousiasme, sourires et émotions.

"SALTI" de Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna (compagnie Toujours après Minuit): un remède à la mélancolie...


Salvateur, réparateur, salutaire...Ce trio fait du bien et soigne tous les maux liés à la "maladie" de la danse obsédante, par les gestes et les mots.La parole est reine et belle, inventive et sereine et berce de sa rythmique endiablée les faits et gestes de trois acrobates virtuoses du genre: mixer et remixer la pensée en mouvement: celle dont le pré-texte est la tarentelle, l'épidémie tectonique qui embrase le corps piqué par le venin de l'araignée...italienne! A régner à l'intérieur des muscles profonds et des têtes folles de ces trois danseurs, imprégnés de l'imaginaire de nos deux compagnes de la compagnie "Toujours après minuit"..Utopie des relations humaines, transe en danse d'une contagion qui fédère et pousse à aller toujours plus loin dans les abimes, failles et rebonds du geste créateur: les mots chuchotent, les gestes ondulent, les visages s'animent, les corps discutent, se répondent, se rebellent.Ça respire le bon air de la "tarantolata" à plein poumons.Sur la toile de l'araignée, les insectes dansent sans se faire piéger et tissent les voies du métissage et des entrelacs savants de la théâtralité des corps mouvants. Une belle réussite bien dosée!Et si Damoiseau et Damoiselles d'Avignon dansaient les passerelles inachevées d'une toile à tisser, geôlière magnétique d'un conte d'effets...

dimanche 26 juin 2022

"Méditations" à Froville: Les bonnes Surprises de Louis-Noel Bestion de Camboulas. Charpentier en majesté!

 


Méditations
 
Madrigaux à 3 voix d'hommes - Charpentier, Marais, Brossard: un chemin de croix 
lumineux....

La musique sacrée française, thème de ce concert, vous transportera dans un temps où théâtralité, suavité et sacré se mêlent et se confondent. Interprété par l'excellent ensemble Les Surprises dirigé du clavecin par son chef et fondateur Louis Noël Bestion de Camboulas, Méditations offre de véritables « petits chefs-d’oeuvre » musicaux de Charpentier, Marais et de Brossard.Ce programme pour 3 voix d’hommes permet de révéler une dramaturgie proche de l'opéra dans sa dimension théâtrale, les différentes tessitures des trois interprètes masculins offrant à la fois Lumière et Ténèbres.Un programme splendide à découvrir dans l'écrin idéal de l’église de Froville, tant pour sa spiritualité que pour son acoustique servant à merveille ce répertoire.lors du Festival pour les 25 ans de la manifestation exemplaire de musique sacrée et baroque.

  Tout débute par l’œuvre de Marc-Antoine Charpentier : "Méditations pour le Carême": un langoureux trio nonchalant ouvre le bal, les musiciens se répondent, se juxtaposent, , se relaient avec brio et virtuosité, qualité et talent qui soutiennent ce récital des "Surprises", ensemble riche d'une expérience de renom!Les chanteurs entuilent leurs interventions, le velouté des voix qui enveloppent les mélodies fait mouche et l'on "tombe en empathie" avec cette petite formation virtuose; une "pièce perdue" et retrouvée dans les trésors des partitions de Charpentier: musique intime et grandiose en autant de saynètes narratives pour un chemin de croix unique en son genre musical!

Marin Marais : "Prélude en ré du Ier livre pour viole de gambe et basse continue". Dansante évocation de l'univers baroque, pliés légers, distingués comme des figures savantes de mesures et tonalités.Les sons s'étirent, suspendus sur demies pointes, allongés, enrobés, sensuels...Les trois instruments glissés, entuilés, mouvants.

Sébastien de Brossard : Motet pour basse "O Plenus Irarum Dies": que voici un quasi opéra baroque, solo de chant et trois musiciens: la vélocité des vocalises, le ton et l'interprétation fière et sacrée donnent de la matière sonore très rythmée, contrastée, recueillie.Parfois c'est un petit filet de voix ténu qui enchante et suspend le temps.De belles basses altières, une homogénéité des tenues vocales séduisent et font voyager l'auditeur.

Marc-Antoine Charpentier : Prélude!: à nouveau Charpentier pour perler ce récital des "Méditations" où semblent se dessiner des personnages incarnés par les tonalités des instruments et la fusion-osmose des voix.Plaintes, douceur respectueuses des timbres, hauteurs et mesures...Des solos en alternance dévoilent qualité et capacité de chacun à entrer dans un style, une émotion évidente.De belles unissons aussi pour mieux se fonder dans une ambiance, un univers dramaturgique sonore exhaussé.

"Le tombeau pour Monsieur de Blanrocher", solo de clavecin intimiste et perlé fait suite en contraste avoué: il s'égoutte, clepsydre en suspension ou appuis et en rebond de notes vives.Des notes qui s’égrènent en goutte à goutte, élixir qui se distille à souhait dans nos oreilles alambiquées. L'autre "tombeau" pour les demoiselles de Visée de Robert de Visée pour viole se fait discret, lent, rêveur, alangui...

Sébastien de Brossard : "Motet pour deux ténors Salve Rex Christe": un duo de voix épatant, alerte, vif où le récit s'enflamme et vibre sur le timbre magnétique des voix très présentes.

Au final les trois dernières "Méditations" de Charpentier où l'ensemble vibre et excelle dans le tragique ou la rédemption.

Ce récital exemplaire et fort original de part la rareté des partitions ainsi révélées au public fut un enchantement, du autant à l'acoustique de l'église de Froville, qu'à la remarquable et inégalée passion de l'ensemble convié à partager ces instants rares et précieux de découverte d'un répertoire toujours en devenir!

Paco Garcia, haute-contre

Clément Debieuvre, taille

Étienne Bazola, basse-taille

Juliette Guignard, viole de gambe

Etienne Galletier, théorbe

Louis-Noël Bestion de Camboulas, orgue, clavecin et direction

 

 


"Mon amant de Saint Jean" à Froville: du toupet, du panache et du talent à revendre! Spectacle musical et vocal médusant!

 


STEPHANIE D'OUSTRAC LE POEME HARMONIQUE
 
Mon amant de Saint Jean 
 
De Monteverdi aux années folles - 
 

Un magnifique voyage dans le temps vous attend le 25 juin !
Emmené avec passion par la magnétique mezzo-soprano Stéphanie d'Oustrac et Le Poème Harmonique - Vincent Dumestre , "Mon Amant de Saint Jean" est une aventure musicale et théâtrale unique de Monteverdi, Marais, Cavalli aux années folles...Passionnés par le jeu d’échos d’un passé à l’autre, Vincent Dumestre et Stéphanie d’Oustrac se sont trouvé une affinité commune, aussi surprenante que fascinante – et ont voulu faire de leur toute première collaboration une aventure musicale et théâtrale unique, intitulée Mon Amant de Saint Jean.

Un récital où l’atmosphère des chansons des Années folles -Fréhel, Colette Renard- insuffle sa douce folie à la musique ancienne- Monteverdi, Marais, Cavalli- où priment l’émotion de la voix seule et la poésie des textes. Le tout uni par cette tonalité intime si chère au Poème Harmonique , tel un maillage guidé par l’émotion, la mezzo -soprano Stéphanie d’Oustrac, icône baroque et divine tragédienne réclamée sur les plus belles scènes internationales , offre ses talents d’interprète pour insuffler une vie nouvelle à ces airs d’autrefois...

 Dans la magnifique église de Froville, le concert débute par un prologue, entrée en matière où violons, viole de gambe, violoncelle,basson et flûtes: "Prélude et passacaille en mi mineur" de Marin Marais, entonnent une musique élégante, raffinée, dansante, à souhait.Et, oh surprise, l'insert d'une voix au loin et d'un accordéon faussent les pistes, brouillent l'ambiance en tuilant les genres: musique renaissante et musique de cabaret vont ainsi flirter tout au long du concert avec malice et subtilité. Un art du "programme" et du spectacle musical cher aux protagonistes de la soirée! Ainsi, une chanson populaire doublée d'un accordéon, fait irruption grâce à la présence incongrue de la cantatrice, toute en noir, chevelure détachée: une chanson sur la jeunesse, puis une autre sur le jardin, la fille du Roi Louis. La chanteuse, tant attendue du public, Stéphanie d'Oustrac, se fait conteuse, diseuse d'aventures, comédienne savoureuse. Avec son "Canzona en Do Majeur" de Johann Vierdank, la chanteuse conte et se raconte: un destin tout tracé de l'audition à succès à la grande scène de l'Opéra Comique, en compagnie de ses amis musiciens...Trame et chaine pour tisser une dramaturgie, un fil rouge d'Ariane à ce programme musical..La Mezzo -soprano se fait ensuite , tragédienne dans le Lamento d'Arianna,"Lasciate mi morire" de Monteverdi.En métamorphose de costume, robe de lune, dorée, perle baroque, extravagance délurée pour un rôle tragique.Elle est habitée, ancrée dans un parlé-chanté d'opéra très nuancé, passionné, clair, limpide texture vocale, diction exemplaire.La souffrance du personnage égaré, en furie, insoumise, implorante, révoltée, possédée tour à tour...Semblable à l'autoportrait de Courbet, perdue, effarée, hallucinée.

Telle un soleil baroque, pendant du Roi Soleil dans "Le ballet royal de la nuit", elle illumine la scène, estrade presque trop étroite pour accueillir la générosité de son jeu dramatique.Large collerette d'or, panache et pli baroque à la Deleuze, ses éclats de voix, la richesse de ses timbres puissants, éclatants médusent, hypnotisent, émeuvent jusqu'aux larmes....

Ou visage de Méduse du Caravage? Du grand art baroque à coup sur! En prière, penchée, le corps engagé, elle excelle dans l'interprétation effrayante victime de l'amour à mort: elle s'effondre, désespérée pour mieux renaitre, sortie de sa chrysalide pour endosser à nouveau le répertoire populaire: métamorphose de papillon qui se transforme en fille de rues en compagnie du piano à bretelles du pauvre! "Une femme n'oublie pas": dans "D'elle à lui" de Paul Marinier,belle et sobre, subtile, elle incarne le souffle, le chant du corps en mouvement, animé par des sentiments vrais et crédibles. Sur l'amour vache et sordide tableau de l'humanité amoureuse....Quelle interprète hors pair que cette "femme qui chante" d'une voix lyrique qui se taille la part belle dans un répertoire qu'elle ravive, nourrit d'un talent unique et rare.La revanche d'une femme blessée dans "Les petits pavés" de Paul Delmet et Maurice Vaucaire est une ode à la femme révolutionnaire, sur sa barricade, corps offert, plexus ouvert et sacrifié, dangereuse. Un vrai pavé dans la marre, vêtue de rouge et noir."Les nuits d'une demoiselle" enchantent avec ces mots du sexe féminin à se tordre de rire, d'humour et de malice. La voici enjôleuse, séductrice, malicieuse, provocante ou naïve! Un rôle à sa mesure qui transfigure cette chanson mythique à censure!Et l'on vole dans les plumes des "Canards tyroliens" chanté avec verve où la chanteuse devient bergère de ses petits canards musiciens retrouvés après une période de déprime et de solitude: auto biographie? Elle retrouve sa flamme et son amour de la musique en partage avec joie et luminosité contagieuse.Des "coin-coins" tyroliens virtuose, des envolées lyriques qui témoignent d'un potentiel vocal incroyable, volume et hauteur, souffle et audaces vocales à l'appui!Et les musiciens au diapason de son talent hors pair.

Ce récital fait une fois de plus honneur à la richesse et la qualité de la programmation du festival de musique sacrée et baroque de Froville" dirigée par la dynamique et audacieuse Laure Baert Duval

Ce sont "Les amants de Saint Jean" en épilogue, nostalgie de la jeunesse infidèle qui closent cette virée romanesque dans l'univers du "baroque populaire" revisité ! 


PROGRAMME : De Monteverdi aux années folles - Monteverdi,  Marais, Cavalli, Renard

Vincent Dumestre – direction

Stéphanie d'Oustrac – mezzo-soprano