samedi 27 mai 2023

"Wakatt" : les peurs de notre époque selon Serge Aimé Coulibaly: "sans peur et sans reproche"..

 




Au Maillon Wacken présenté avec POLE-SUD, CDCN les 25 et26 Mai

Comme toujours dans ses spectacles, Serge Aimé Coulibaly se penche sur la société contemporaine, sur les conflits qui la traversent, sur la place qu’y occupe l’individu. Dans Wakatt, un mot qui signifie « notre époque », c’est plus particulièrement notre peur de l’Autre qu’il interroge dans son langage chorégraphique énergique et généreux.


À l’heure où grandissent partout les systèmes xénophobes et les réflexes identitaires, sommes-nous condamné·e·s à réagir instinctivement avec méfiance face à celui que nous ne connaissons pas ? En quoi y sommes-nous conditionné·e·s ? Accompagné·e·s par le trio du Magic Malik Orchestra, au pied d’un rocher et sur un sol organique qui rappelle la terre, les interprètes développent une chorégraphie qui emprunte autant à la tradition qu’au contemporain. Dans le droit fil de l’art engagé, mêlant l’intime et le politique, qui le caractérise, le chorégraphe belge d’origine burkinabé célèbre ici l’altérité et affirme avec force notre liberté et notre capacité à dépasser nos peurs.

Soleil en découpe sur le fond de scène, champ de bataille en ligne de mire, les corps qui jonchent le sol..Le tableau se répète et sort d'un terreau de scories noires, un homme qui n'aura de cesse que de s'ébrouer violemment, faisant voler ces morceaux ou paillettes de terre noire  volcanique: comme ces corps qui vont s'agiter devant nous plus d'une heure durant. D'abord statiques silhouettes costumées de couleurs chaudes, de vêtements d’apparat. Pour quelle cérémonie, quelle démonstration de savoir faire virtuose? Un florilège de courses, roulades, déflagrations de corps jetés dans la bataille...Mais sans émotions ni sens dans d’ennuyeuses reprises sempiternelles de gestes saccadés, mécanique infernale lancée pour ne jamais atterrir. Un rocher doré tient l'avant-scène, alors que le trio de musiciens semble envahir le plateau de décibels monocordes, lassants et sans relief. Un solo à terre, vrillé, aspergeant de débris noirs les personnages hiératiques, fait cependant mouche. Rage, révolte, soulèvement ou simple expression de solitude et de violence faite à l'autre..Car les rencontres sont teintées d'hésitation, de haine ou d'attirance malveillante: l'autre, ce "loup" pour l'homme réagit au coeur du propos comme un leitmotiv d'expression de la fuite, du recul. Possession, transes, zizanie à l'envi sur le plateau peuplé de cette horde de dix danseurs: chacun pour soi dans des battements de coeur qui ne réussissent pas à les fédérer. Un solo de chant, désarticulé au sommet du rocher comme une plainte, un appel, une rogation vaine. Un quatuor dans le silence retrouvé, roulades, sauts, bruit des pieds qui frappent le sol: on revient à de la danse primitive, primaire avec soulagement. En apnée ou à perdre haleine, les sursauts de la danse épuisent leur chapitre et le spectateur, lassé de la redondance des propos dansés. Un seul et unique moment magique quand une des danseuse , Marion Alzieu,traverse la scène à la Pina Bausch, errant, cherchant ses repères dans une gestuelle virtuose et unique de tout son corps engagé dans le mouvement qui suit les pans de sa robe... Un homme-monstre, sauvage, de carnaval costumé à la Charles Fréger fait son apparition, esquissant quelques pas maléfiques, beaucoup de personnages propulsés sur scène en mouvements communs ou singuliers, ne font pas une chorégraphie enthousiasmante... L'ascension du rocher, sa métamorphose en immense termitière mouvante sont idées reçues et "déjà vues". Transe en danse et autres gesticulations qui multiplient les points de vue pour mieux s'y perdre simultanément...Que conclure sinon que l'ennui nait de la redite et de la vacuité d'une proposition au demeurant fort généreuse et pertinente: même pas peur, même pas d'empathie avec cette tribu éclectique qui ne parvient pas à se défaire de la musique omniprésente de Magic Malik qui tient le haut du pavé sans tenir compte du quadrillage de la rue, du trottoir où se meuvent en vain les acteurs de cette fresque indigeste.L'engagement et la dynamique ne pouvant faire office de "pardon" à cet opus vivendi fait de rabâchages.

charles fréger


 

La compagnie Faso Danse Théâtre a été fondée en 2002 par Serge Aimé Coulibaly. Dans toutes ses créations, dix à ce jour, le chorégraphe burkinabé, installé à Bruxelles, explore des thèmes complexes dans le but d’impulser une véritable dynamique positive.
Son inspiration est enracinée dans la culture africaine et son art est engagé dans le besoin d'une danse contemporaine, puissante, ancrée dans l'émotion mais toujours porteuse de réflexion et d'espoir. Il a développé un processus créatif qui part du principe de la dualité. Chaque mouvement qui traverse le corps a un contraire. Chaque forme d'énergie est accompagnée d'une seconde forme. Cela amène le corps et l'esprit dans un état où l'intuition et l'urgence prennent le dessus. Son langage fort est universel,
il est invité dans le monde entier avec ses différentes créations (Nuit blanche à Ouagadougou, Kalakuta Republik, Kirina…).  

témoignages:

"Tout à fait d’accord ! J’y ai même senti une certaine paresse, de la confusion sur le sens. L’hyperlaxité de certains danseurs finit par lasser. Quelques beaux moments qui ne masquent pas l’ennui et -ce n’est que mon point de vue- des costumes  dont le sens m’a échappé mais pas la laideur.Un peu de beauté ne nuirait pas.C’est pour moi l’exemple même d’un artiste trop adulé que son succès initial oblige à un travail qui manque de temps, de recul et « d’infusion ». Le public ne s’y trompa pas et les applaudissements juste polis" .   

"Je connais en revanche très bien Magik Malik (depuis 20 ans)avec qui j’ai pu échanger car je le considère comme le virtuose actuel de la flute traversière dans le monde du jazz contemporain.Ce n’est pas seulement un musicien brillant et atypique mais également un humaniste ,je l’apprécie énormément .Je lui ai demandé en discutant « comment tu fais pour ne pas être épuisé car tu as tout donné la? Il a dit « Je le suis «  je le trouve généreux et je pense qu’avec ses musiciens ils ont largement contribué à porter en partie ce spectacle ."

 


vendredi 26 mai 2023

"Harmonies sonores" : Senk, Brahms, Saint-Saens pour un florilège inattendu d'"Harmonies".....

 


Nina Šenk (née en 1982) croit aux pouvoirs des timbres, des harmonies et des rythmes pour eux-mêmes, indépendamment de tout argument extérieur à la musique ; c’est pourquoi elle a baptisé Elements, très sobrement, la pièce que nous entendons au début de ce concert. 
 

Une oeuvre tempétueuse, comme un drame annoncé, les cordes mugissantes,les percussions claires égrenées au loin. Distinctes dans ce flux et reflux sonore ascendant. Comme des vagues qui défilent, déferlent, une tempête fulgurante.Une accalmie pleine de suspens fait suite à ses turbulences grandissantes. L'atmosphère est tendue, inquiétante Des mugissements sourdent de l'orchestre et augurent d'une tornade à venir. Le violon solo dans le silence retrouvé, imperceptible crépuscule sonore dans ce ciel vaste et aérien. Des "éléments" furieux et instables pour un opus bref, court, condensé, une petite"nouvelle" musicale d'une grande beauté.
 

Plus familier bien sûr est le Double concerto de Brahms, emmené ici par deux virtuoses qui n’ont jamais rien abdiqué du souci de l’expression et du lyrisme. D’amblé, un solo de violoncelle introduit par un très bref prologue des cordes. Très inspiré, interprété par Jean Guihen Queyras avec brio, suivi de l'intrusion du violon: le duo s'accordant à merveille déjà dans une douce complicité rythmique. Des masses sonores solennelles les enveloppent, ils se relaient, se répondent, s'invitent avec les autres cordes pour une osmose parfaite des sonorités, des timbres multiples.Une apogée totale, amplifiée, aux volumes grandissants, se profile, comme une tourmente autour des deux solistes. Au coeur du morceau, ils se nichent et s'en détachent sobrement, discrètement.Isabelle Faust, vêtue de couleurs pastels semble ravie et nous convoque à une écoute sensible et habitée.  Second mouvement, place aux vents pour une lenteur, un calme salvateur, très harmonieux, puis plus relevé et dynamique. Avec les cordes à l'unisson d'une atmosphère angevine. Du très beau "travail" d'orfèvre...Deux virtuoses, c'est un cadeau pour l'auditeur qui de plus a droit à un rappel: une "gavotte" rien que pour nous pour éclairer de façon légère et dansante, les possibilités des deux instruments, toujours en osmose, tuilés ou chacun pour soi. Air de danse à deux temps, qui est composé de deux reprises et dont le mouvement est quelquefois vif et gai, quelquefois tendre et lent.
 


 
Pour finir le concert, Aziz Shokhakimov dirigeait l’un des piliers du répertoire orchestral. Saint-Saëns dirigea en personne la création de sa Troisième Symphonie à Londres, quelques semaines avant la mort de Liszt, à qui est dédiée cette œuvre qui s’achève en manière d’apothéose. L'audace de l'académisme au crépuscule du romantisme :on oublie parfois que Saint-Saëns fut un organiste admiré par Liszt et Berlioz ! Sa Symphonie n°3 « avec orgue », immense partition au souffle épique, révèle une étonnante joie de vivre et un sens inné du grand spectacle. Au soir de sa vie, le compositeur se confia : « J’ai donné là tout ce que je pouvais donner… ce que j’ai fait alors, je ne le referais plus. »
 Par une succession d'entrées des instruments, débute l'oeuvre, puis tout se fond dans une montée en puissance singulière. Reprises du leitmotiv par les flûtes: en majesté, dans l'épaisseur des masses sonores puissantes. L'amplitude se détend, l'ampleur de la musique s'épanouit. Du suspens avec l'arrivée des contrebasses et violoncelles en renfort.Un orgue s’immisce dans ce magma sonore où deux pianistes pointent leurs accents toniques. Enveloppés par les cordes au diapason. Tout s'étire, languissante musique onirique. Pour le deuxième mouvement, alerte, tonique, les flutes, vivaces éclairent la composition. Tout s'emballe, légère densité du tonus qui s'inscrit dans cet opus magistral. Comme une chevauchée de cavaliers, portés par le rythme et les balancements de leurs montures. Crescendo des masses sonores pour fêter pouvoir et autorité, l'orgue prégnant, pour transporter, soulever les autres pupitres. Galops, courses folles en icônes inconscientes surgies d'une lecture protéiforme de la musique, si tonique, si vivante. Le chef toujours à l'affut, en alerte, corps engagé pour cette apothéose musicale de grande qualité.
 


 
Programme

NINA ŠENK
Elements, pour grand orchestre
JOHANNES BRAHMS
Double concerto pour violon et violoncelle en la mineur
CAMILLE SAINT-SAËNS
Symphonie n°3 en do mineur « avec orgue »

Distribution Aziz SHOKHAKIMOV direction, Isabelle FAUST violon, Jean-Guihen QUEYRAS violoncelle
Lieu
Palais de la Musique et des Congrès les 24 et 25 MAI

mercredi 24 mai 2023

"Le cabaret de la rose blanche": le chant de l'intime....Radhouane el Meddeb blanc comme un ange...qui traverse toutes les danses du "bassin" du danseur méditerranéen....

 


Travaux Publics Radhouane El Meddeb – Le cabaret de la Rose Blanche

Radhouane El Meddeb, d’origine tunisienne, entre en création avec le désir de créer Le cabaret de la Rose Blanche. « Forme fictive, féérique, festive, généreuse et parfois tragique, mais libérée de toute contrainte, elle donnera à voir un peuple qui a toujours aimé la vie et la liberté. Ce cabaret traversera chant, poésie, théâtre et danse pour mieux dire qui nous sommes aujourd’hui, avec sincérité et émotion. Ce sera nos rêves, nos fantasmes, nos frustrations, nos contradictions, nos fêlures, Tunis… »
Il interrogera, avec les artistes invités, passé et présent à travers l’intime et le collectif.

Un travail en devenir, une expérience à partager en toute simplicité, sobriété, c'est ainsi que le chorégraphe souhaite présenter le travail de son équipe, réduite lors de ce chantier ouvert sur le monde de la création, de sa création: cela va "De Soi" !Hormis la chanteuse, le contrebassiste et une comédienne, ce seront quatre protagonistes du projet de création qui nous ferons le plaisir d'assister à la gestation, la genèse d'un projet murement conçu autour de l'exil, du déplacement, de la "tradition perdue" des cultures, arabes, et bien d'autres de la Méditerranée...L’Égypte, Néfertiti, les idoles de la chanson dans la langue arabe, en espagnol, en italien. Un tour du monde vivant qui démarre au son du piano et des doigts de Sélim Arjoun, jeune compositeur découvert par Radhouane. Evocaton sonore de tons, de sons et de chansons du pays du chorégraphe qu'il va lui même oser chanter seul face à nous dans un très beau et tendre moment d'intimité. Comme on chantait "autrefois" avec et pour ses proches. Quatre interprètes d'une même famille dont deux danseurs Philippe Lebhar et Guillaume Marie, chacun dans une gestuelle propre développée en improvisation et en devenir d'écriture. Ils signent ici évolutions sensuelles et ondoyantes pour Philippe Lebhar, souriant, jouissant d'un plaisir non dissimulé de danser en solo, prologue de cette "démonstration" publique. Danse du bassin -méditerranéen- en diable, bras en couronne déstructurée, les doigts en éventail, cambré au sol dans une offrande lascive à qui voudra. Alors que le piano distille une mélopée ascendante, gamme colorée de perles sonores en boucle, puissante interprétation live d'un épopée musicale inédite, sur mesure. Plus appuyée quand les danseurs apparaissent. Malice et séduction pour l'un, appel et regard provocateur pour l'autre, Guillaume, sur demies pointes ou tressaillant de tout son corps fait corps avec les sonorités complices du musicien très inspiré. Attirance, fierté, sobriété de ses évolutions très personnelles, chevelure bouclée foisonnante comme parure de parade invitant à l'échange. "Venez" semblent nous dire ses mains...Un bref slow entre les deux hommes qui se séparent à nouveau dans l'extase de leur gestuelle implorante ou très pragmatique. Satisfaction, délices, jouissance de la danse dans tout le corps en émoi. Quand Radhouane les rejoint, c'est pour souligner leurs esquisses de tournoiements, qu'il reprend en derviche tourneur et brouille les pistes des références orientalistes. Comme un tableau vivant de ces hommes qui dansent dans des cultures où le tour est enivrant, source de transe, de voyage. Et telle une fin de soirée au cabaret, tout se calme. Les rêves de Philippe qu'il nous conte secrètement, se font cadre, perspectives d'un tableau onirique à la Magritte.. Mise en abime des icônes suggérées dans son texte lu pour support  de divagations salutaires. Au final les quatre hommes se retrouvent en communion fraternelle et musicale...

 Radhouane prend alors la parole pour éclairer ce propos chorégraphique en gestation. Passer de la chanson, de la danse à la musique en faisant corps commun, les écrire ensemble pour mieux impacter l'espace. Pas de numéro de cabaret classique ici qui s'enchaineraient mais une osmose, un glissement sensuel de tous les médias ici convoqués. La danse, territoire de mémoire également pour vitaliser un patrimoine qui perd pied. Ou reste ignoré des jeunes générations. Ludique expérimentation collective , traversée, comme un appel à la dignité: l'exil comme toile de fond, déracinement, peurs et fuites, migrations volontaire ou non. Loin de "chez soi", du coté de chez Radhouane, il fait bond réagir, partager l'aspect humain de la danse, mémoire, patrimoine vivant à porter ensemble. Travailler au delà des frontières, comme un va et vient entre deux mondes révolu et actuel. Vivifier notre regard, notre écoute, serait son credo pour se ressaisir, communiquer humblement mais surement une position, une attitude posturale et intellectuelle de bon aloi. Et de circonstances contre les barricades. De "l'arabo-oriental" d'ailleurs, inspirant et transformé par les écriture musicales et contemporaines . La transmission en figure de proue, gardant les signes et traces du passé comme boussole et indicateur de métamorphose. Un héritage direct et façonné par la culture des multiplicités."La rose blanche" ce film emblématique, source de son inspiration comme référence très discrète. Sublime film, dansé, chanté à foison pour un récit très corporel et visuel. Dramaturgie en sourdine pour ce "quatuor" futur septuor de charme au seuil de sa création...

On songe en filigrane aux tableaux de Djamel Tatah où les corps se meuvent ou interrogent nos attitudes quotidiennes dans une vacuité émotionnelle, intime, secrète, discrète à l'envi.

 

Résidence : LU 15 > VE 26 MAI à Pole Sud

 travaux public le 23 MAI


Conception et chorégraphie : Radhouane El Meddeb
Création musicale : Selim Arjoun
Interprètes danse, chant et musique : Selim Arjoun,Yasmine Dimassi, Radhouane El Meddeb, Philippe Lebhar, Guillaume Marie, Lobna Noomene, Sofiane Saadaoui
Collaboration artistique : Philippe Lebhar
Création costumes : Celestina Agostino
Création maquillage et coiffure : Denis Vidal
Création lumières : Manuel Desfeux
Production, diffusion : Nicolas Gilles

Production : La Compagnie de SOI
Coproduction : Le Manège Scène nationale de Reims / Pôle Sud, CDCN de Strasbourg
Accueil studio : La Ménagerie de Verre, Paris / La Briqueterie, CDCN du Val-de-Marne / Pavillon Noir, CDCN d’Aix-en-Provence, Ballet Prejlocaj
Avec le Soutien de l’Institut Français de Tunis, DRAC Ile-de-France

 
résonance avec le travail du peintre djamel tatah....