Il est seul, de noir vêtu comme les manipulateurs marionnettistes qui se montrent à vue, sans se faire voir,ou pas vraiment: un manteau rouge au sol, affublé d'un visage greffé sur le tissu à l'endroit de la tête.
Commence alors le mouvement, la vie, après quelques gestes de gêne ou d'hésitation marqués sur son corps, dans ses poches, sur lui-même: il se tâte et finalement revêt cette "doublure" avec laquelle il se jouera d'une gémellité fratricide.
Commence un duo, duel ou combat avec ce double gênant qui va le conduire à un duel Eros contre Tanatos: véritable joute quasi criminelle entre lui et cette figure pas vraiment docile de la marionnette ou du mannequin, flexible, issue de tissu malléable
Ami ou ennemi, vampire ou monstre dévorant notre marionnettiste, submergé de baisers, agressé par une frénétique passion humaine et débordante de la part d'un être inanimé et pas vraiment animé de bonnes intentions!
Le combat cessera dans l'obscurité, le rouge contre le noir, au final conquête du manipulateur sur le manipulé après une lutte acharnée.
Kleist et son "Traité de la marionnette", vainqueur une fois de plus.
Et dans les airs, comme un air de Vivaldi et de Sabbat Mater pour rythmer abusivement le tout.
Un nuage de papier transparent comme du fil alimentaire esquisse une danse aérienne qui se joue de la pesanteur, guidée par notre dompteur d'évanescent, de transparence, d'indicible
Immatérialité des formes qui se tracent dans l'espace, rémanence ludique des mouvements impulsés par l'homme qui vont donner naissance à un hasardeux ballet translucide, comme la méduse de Paul Valéry: ce n'est pas une femme qui danse, mais un spectre, ectoplasme évanescent qui va contre son gré, se jouer des manipulations de son géniteur Gépetto!
Un théâtre d'ombres surdimentionnées succède à cette parade amoureuse, qui se glisse et se dérobe pour mieux laisser le désir et l'érotisme se mêler de ce jeu amoureux.
La caverne de Platon s'anime, une ombre se glisse sur les parois d'une tenture , comme un voile tendu entre rêve et réalité
Attention, danger, menace: qui va disparaître? Eurydice ou son amant Orphée, celui qui se retournera, cédant à la tentation amoureuse du dernier regard?
Un second voile transparent, animé par le souffle des machines cède le pas et réitère les formes en volutes, telles les drapés de Loie Fuller, première sculpture plastique animée par la lumière: en noir et blanc, gris et légèrement sépia, comme dans les premiers essais photographiques sur la fumée de Marey. Tout se dilue, se disperse au vent et danse une petite cérémonie, allégorie du temps qui passe, flotte et plane dans un bel onirisme.
La musique seule vient troubler toutes ces bonnes intentions dramatiques et plastiques: Vivaldi comme un torrent, des cascades de tonalité rabâchées, un flot amer de musique de jets d'eau et feux d’artifice royaux
Les "oreilles n'ont pas de paupières": dommage, car les yeux écarquillés on suivrait bien dans le silence le bruissement des matières, le son du leurre que tous ces fantômes, doublures ou être mi hommes, mi marionnette nous suggèrent de mystère, d’artefact ou de magie
Coupez la musique, Maestro et étonnez nous, enfin d'une présence multiple et belle, souple, féline, prestidigitatrice de l'ombre ou de l'incarnation désincarnée des rêves et autres fantasmes salvateurs.
Limbes muettes, linceuls ou suaires au vestiaire, au seuil de l'imaginaire, vous auriez tout à y gagner!
Au théâtre de Hautepierre, présenté par le TJP et Le Maillon, jusqu'au 22 Mai, 20H 30
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