"Avec 100 cymbals, Ryoji Ikeda nous plonge dans les abysses de la vibration. Une expérience d’écoute unique qui marque le lancement du festival Musica 2020 dans l’espace démesuré du Hall Rhin du PMC, à Strasbourg.
"Le concert s’ouvre sur le portrait sonore que John Cage dédia au Strasbourgeois Hans Arp à l’occasion du centenaire de sa naissance. L’Américain considérait le cofondateur du mouvement Dada comme un modèle, en particulier pour sa relation à la nature et sa conception cosmogonique de l’art. Il en résulte cette partition conceptuelle tapée à la machine et offerte aux Percussions de Strasbourg en 1986, où le langage musical se réduit à cinq signes typographiques. Une œuvre minimale, faite de bruissements environnementaux, qui de la même manière que 100 cymbals, sollicite une écoute profonde."
Dispersés sur dix petits établis autour d'un public nombreux situé au cœur du grand hall, comme cerné par les musiciens, les sons parviennent dans notre dos et il faut se retourner régulièrement pour tenter de deviner qui produit quoi, de l'interprète à l'objet: du papier, des petites boules dans une boite, une bouteille d'eau qui déverse son liquide...Sons légèrement amplifiés, mais à peine audibles, sons inouïs du quotidien, issu de l'écoute et de l'observation de John Cage, ce mythique compositeur du petit rien, du presque rien, du rien sonore. Bruissements, écoulements alternent d'un pupitre à l'autre, les interprètes comme des prêtres en chaire, au niveau du sol, priant et provocant d'objets détournés, des sonorités banales, mais reproduites à l'identique: le contexte en transformant la matière et la substance pour en faire du son spatial, intime, proche ou lointain selon la position géographique de chacun, au cœur de la sphère d'écoute. Ensemble, esseulé, individuel ou à l'unisson, ce joyau de fabrication, cette usine à produire vibrations et émotions se fait naturelle et fonctionne dans le respect d'une écoute renforcée par l'immensité de l'espace convoqué pour le concert. Comme un petit théâtre musical où les manipulateurs, marionnettistes magiciens se plaisent à nous charmer, séduire, nous "suspendre" à leurs gestes minimalistes de facteurs de résonances curieuses, étonnantes et pourtant si banales ! Le dispositif incluant les auditeurs, libres pourtant de se frayer un chemin dans ces massifs de bruissements. Un tracé, coup de fouet de bâton, comme un geste tranché de Lucio Fontana sur sa toile tendue, zèbre l'espace de son son cinglant !
Concentration, surprises et découvertes à l'appui, tout surprend, dérange sans jamais heurter nos sens en alerte, aux aguets du moindre "bruit" issu de tant d'objets hétéroclites: au petit bonheur des auditeurs, charmés par tant de préciosité, de précision, d'attention à chaque geste générant musique et univers sonore inouï !
"Créée en 2019 au Los Angeles Philharmonic, dans la somptueuse salle signée par l’architecte Frank Gehry, 100 cymbals est aussi bien une performance scénique qu’une installation audiovisuelle. Ryoji Ikeda met en lumière le riche potentiel des cymbales en suivant la mince frontière qui sépare le bruit de la résonance harmonique. L’instrument d’apparence rudimentaire, un disque convexe fait d’un alliage de cuivre, de laiton et de bronze, que l’on emploie plus communément pour accentuer certains temps de la mesure, se transforme en une puissante ressource polyphonique. Les différents modes de jeu, plus ou moins conventionnels, entretiennent une sonorité fusionnelle — quasi chorale — et laissent surgir des strates harmoniques et autres résultantes acoustiques au sein d’un processus qu’une simple ligne pourrait représenter : un crescendo infini, menant d’un murmure quasi imperceptible à l’éclat du fortississimo final."
Comme une immense installation plasticienne, les 100 cymbals s'alignent, petits soldats, pas tous pareils si l'on y regarde de plus près: venues de Turquie et du potentiel de l'instrumentarium des Percussions de Strasbourg, les instruments se dressent à hauteur d'homme pour mieux être doucement caressés, frappés, touchés subtilement et rendent des sons vibratoires subtils, légers, à peine perceptibles.... Un véritable temple bouddhiste où les cymbales, comme autant de petites flammes, bougent, résonnent, bruissent: les dix officiants, régulièrement modifiant leur poste dans un ensemble chorégraphique très opérant.
Visuellement, œuvre sonore plasticienne, cette pièce singulière qui nous est donnée de découvrir s'ouvre à Cage, en écho à son affection pour la culture zen, la danse, le mouvement naturel des corps et du son dans l'espace Vision reposante, hypnotique, calmante et bienfaisante d'une écoute toujours très concentrée sur ses fins: rendre l'infiniment petit à une place gigantesque, l'infiniment perceptible, digne d'une attention à l'environnement sonore quotidien qui nous berce ou nous froisse, nous ravit ou nous malmène à chaque seconde: les oreilles n'ont pas de paupières: heureusement!
Et bien sûr,en présence des Percussions de Strasbourg, modelées pour accueillir et réfléchir un répertoire inédit, caché, secret, révélé au grand jour par le festival Musica, au diapason de la diversité et de la rareté...Belle soirée inaugurale qui augure du meilleur pour la suite ...Chut! C'est un secret qu'on ne confie qu'à une seule personne à la fois: covid oblige !
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