mercredi 5 mars 2025

"Transfiguration" Olivier de Sagazan : mutant, zombie et compagnie

 


Performance historique, qui fit naître à la scène le plasticien Olivier de Sagazan, Transfiguration a déjà été jouée plus de 350 fois. En costume cravate, il y déploie l’histoire de son désir jamais assouvi de sculpteur, de donner vie à sa création. Dans une semi-obscurité, il entame un rituel au cours duquel il s’immerge dans l’argile, et laisse ses mains pleines de peinture danser sur sa tête. Cette matière malléable, mouillée et mêlée à d’autres (paille, branches…), devient la source d’extensions instinctives et d’enveloppes difformes, façonnées à l’aveugle par surmodelages et effacements successifs. Se noue un jeu d’hybridités animales et monstrueuses, de disparition totale de visage humain pour mieux laisser émerger ses perceptions intimes et profondes, les identités cachées qui le possèdent. Sculpture vivante, Olivier de Sagazan éructe et psalmodie à la limite de l’audible, en malaxant sa prochaine mue, toujours en quête de découvrir qui il est sous ses masques, et qui est le marionnettiste : « Je suis sidéré de voir à quel point les gens pensent qu’il est normal d’être en vie. Tout mon objectif est de rendre compte de l’étrangeté même d’être là. La défiguration en art est pour moi un moyen, par la puissance même des images qui peuvent apparaître, d’accéder à cette prise de conscience. »


Il ne restera pas longtemps en costume cravate, courant pieds nus dans la pénombre...Cet homme susurrant, se murmurant à l'oreille des tas de choses inaudibles va peu à peu enduire son visage d'une pâte à modeler grasse et visqueuse comme des tentacules de méduse. Se transformant en un bestiaire singulier de volatile, de faciès de singe et autre oiseau de bon augure. D'abord à l'aide de signaux rougeoyants tracés dans le vif sur son visage et de points noirs qu'il se fixe comme des yeux noircis. Avec doigté, précision il maquille à rebrousse poil sa peau, la métamorphosant en autant de personnages. Se pétrissant, malaxant sa chair comme une pâte à modeler l'improbable.Ces signes reconnaissables se transformant eux-même en autant de figures complexes à décrypter de suite dans le vif du sujet. Toute trace est éphémère mais finit par constituer un palimpseste d'images furtives qui collent à la mémoire de celui qui regarde. Plutôt être hybride que monstre à la Quasimodo, le voilà à genoux devant nous.Devant un triptyque résonnant de sons métalliques. La sculpture est son credo, sur soi et il en use et abuse à loisir pour façonner autant d'identités multiples. La position verticale lui sera douloureuse dans une érection quasi biblique: pose de Christ ressuscitant dans la douleur plutôt que dans la grâce divine! 
 

Saint Jean Baptiste de l'art brut de coffrage, singulière figure de proue d'un street art fait pour la scène. En direct, comme une performance sidérante et hallucinante. Une voix de haute-contre sort de ses tripes doublée par un possible Klaus Nomi..Comme une toile ou des portraits cabossés, défigurés sculptés de Markus Lupertz, Arnulf Rainer ou de Asger Jorn.......A la Bacon avec ses visages déformés.
 

Un discours de dictateur en bouche accompagné de gestes évocateurs de tyrannie et le voilà un autre. La matière lui collant à la peau, terre glaise qu'il érige en phallus pétrissant la viscosité jusqu'à la faire dégringoler de son piédestal. Il flanque son rejeton au mur après avoir bercé cet être venu de ses entrailles en accouchement douloureux.Tout est suggestion, évocation, secrètement façonnées devant nous dans l'instant, in situ. "Je suis un peintre" dit cet homme sauvage qui se pare d'atours arte povera, paille ou tignasse exubérante digne de masques de rituel africain. Une oeuvre d'Art singulier se fabrique devant nous de chair et de sang. Derrière lui se façonne une sculpture murale, passe muraille ou passage de miroir fantasque étonnant. Dégoulinant de glaise bien huilée, organique, suintante  et suante à souhait. Joseph Nadj et Miquel Barcelo ne renieraient pas ce travail à la "Paso Doble", performance crevant un écran d'argile mouillé, mou et glaiseux.Beaucoup d’icônes, de sons résonnent à l'issue de la vision rocambolesque de cette frise fantastique, tableau d'une galerie vivante, physique éprouvante: qui donne une claque comme se l'impose cet homme jeté dans la bataille pour le meilleur d'une performance mémorable. Olivier de Sagazan mutant se métamorphosant à l'envi pour inventer des formes mouvantes au gré de sa férocité. Le geste pictural vif argent d'un performeur incarnant un portrait à multiples facettes, kaléidoscope de visions étranges et inédites. Avec un petit clin d'oeil à La Argentina de Kazuo Ono dans l'épure, le lambeau et la blessure.
 
Olivier de Sagazan est né au Congo en 1959. Après des études de biologie, il enseigne pendant deux ans avant de se lancer dans la peinture. L’idée omniprésente de questionner le vivant organique le mène à la sculpture, puis à la performance. Depuis une trentaine d’années, le plasticien trace un sillon singulier dans les arts vivants. Adepte des performances hybrides, il explore la monstruosité et l’informe, la bestialité et l’humanité. Son univers sans nulle autre pareille a tapé dans l’œil de David Lynch, FKA Twigs, Wim Vandekeybus. Ses deux filles connaissent également un succès foudroyant : la compositrice-autrice-interprète Zaho de Sagazan et la chorégraphe Leïla Ka. Olivier de Sagazan a présenté La Messe de l’Âne au TJP.

Au TJP jusqu'au 7 MARS dans le cadre des "micro giboulées"

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