mardi 9 décembre 2025

"Andromaque": jamais d'eux sans Troie: n'aguère d'aujourd'hui sans relâche


Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector… qui est mort, tué pendant la Guerre de Troie. Liés par cette chaîne d’amours impossibles, c’est sur le sang que marchent les personnages dans cette création de Stéphane Braunschweig qui met en scène Racine pour la troisième fois, avec le constant souci d’articuler aux affects le contexte historico-mythologique. Comment se relever de la déflagration que constitue la Guerre de Troie ? La victoire peut-elle vraiment être assurée par l’élimination totale de celui que les vainqueurs désignent comme ennemi ? Comment se protéger d’un futur de vengeance et du ressentiment transmis d’une génération à l’autre ? Sur une inquiétante ligne de crête, Andromaque n’interroge pas moins que la possibilité même de la paix.

La guerre laisse son tapis ensanglanté, déjà sur scène, immense rond rouge carmin, terrifiant mais plastiquement très beau, efficace dans ce qui va se jouer sous nos yeux: des conflits amoureux sans issue exceptée la guerre, la violence faite à chacun des membres d'une tribu mythologique complexe.Le sang versé et répandu dans lequel baigne chacun, qu'il le veuille ou non. Bain de liquide aqueux,flaque où gravitent les protagonistes, autour d'une table de blanc virginal, de trois chaises renversées: un dispositif sobre et léger pour la lourdeur et le fardeau du destin. C'est la folie pour tous, cette schizophrénie ambiante, incarnée par ce panneau faussement transparent qui dédouble les personnages aux multiples fractures et plaies d'humains cabossés par le sort inéluctable. Tous vêtus de noir, costumes contemporains, excepté Andromaque virginale victime, vierge à l'enfant en icône finale. Dans ce chaos ambiant, un peu de douceur ou de tendresse.Tous sont l'objet de souffrance dans l'expression de l'amour fou, de la résilience, de la plainte ou de la colère. La langue de Racine portant une musicalité contrastée, des timbres de voix et des tessitures multiples pour la servir. Les comédiens sous la direction de Stéphane Braunschweig, tous engagés dans cette tragédie légendaire qui parle à nos inconscients collectifs comme une réalité géopolitique trop d'actualité. Enracinés, ancrés dans la langue et les vers scandés, murmurés ou éclaboussés de rage et de colère par chacun en alternance du déroulement du récit. Cette oeuvre portée sur la scène baigne dans le sang, la liquidité des sentiments et expressions de chacun des personnages qui se heurtent sans cesse à la fatalité. La guerre de Troie aura bien lieu pour eux qu'ils soient vainqueurs ou vaincus, hommes ou femmes traqués par ce vent de fureur incontrôlée. Bel exercice un peu distancé cependant pour concerner directement un spectateur médusé par la complexité des héros transmettant  cette opacité. Un recul est nécessaire pour plonger dans les eaux ensanglantées avant d'y perdre pied et de s'en détacher.Le traumatisme au coeur du sujet vecteur de sollicitations émotionnelles fortes et incontournables. Les comédiens tous remarquables par leur identification souveraine à un opus"classique" loin des clichés offrant ici des perspectives de réflexion sombre mais nécessaire. Naguère, détroit sans issue.

[Texte] Jean Racine
[Mise en scène et scénographie] Stéphane Braunschweig

[Avec] 
Jean-Baptiste Anoumon, Bénédicte Cerutti, Thomas Condemine, Alexandre Pallu, Chloé Rejon, Anne-Laure Tondu, Jean -Philippe Vidal, Clémentine Vignais

[Collaboration artistique] Anne -Françoise Benhamou 
[Collaboration à la scénographie] Alexandre de Dardel 
[Costumes] Thibault Vancraenenbroeck 
[Lumière] Marion Hewlett 
[Son] Xavier Jacquot 

Au TNS jusqu'au 18 Decembre 

 

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