jeudi 20 juillet 2023

La danse dans le Festival IN 2023 à Avignon: "The Romeo" de Trajal Harrell et "Le jardin des délices" de Philippe Quesne: que le spectacle continue: the show must go on....


"Le jardin des délices" de Philippe Quesne : paradis perdu pour arrêt de bus provisoire durant les travaux.

 Bienvenue dans Le Jardin des délices, une épopée rétrofuturiste à la rencontre des mondes à venir. Dans l’espace fantasmagorique de la Carrière de Boulbon, Philippe Quesne, créateur de La Mélancolie des dragons, La Nuit des taupes ou encore Farm fatale, retrouve le Festival pour fêter les vingt ans de sa compagnie, le Vivarium Studio. Il rassemble une équipe d’interprètes, acteurs et musiciens prêts à entreprendre un voyage dans le temps d’hier à aujourd’hui, inspiré des allégories prémonitoires du tableau de Jérôme Bosch. Le peintre flamand a décrit le bouleversement radical des repères usuels, techniques et politiques dans une époque de transition, entre Moyen Âge et Renaissance. À sa suite, entre bestiaire médiéval, science-fiction écologique et western contemporain, Le Jardin des délices explore des mondes à la lisière des nôtres, lorsque fantaisie et utopie troublent le rapport entre nature et culture et formulent une réponse ludique aux menaces en cours.

La carrière Boulbon c'est un voyage, un rituel, un événement pour le spectateur, alors on y arrive en petit bus et pas pedibus comme ces huit escogriffes qui vont animer ce plateau, cette plaque tournante pole intermodal du théâtre, de la musique, de la danse  Chacun s'ingénie deux heures durant à manifester son identité parmi les indices de l'univers de Jérôme Bosch et ça fonctionne, ça cartonne comme un bon western peuplé d'individus uniques, revanchards ou soudés à un destin burlesque, absurde, décalé, déjanté. Les corps bien identifiés dans des costumes tallés dans le vif pour mieux brouiller les pistes que l'on voudrait bien suivre pour comprendre l'intrigue. Justement c'est bien parce qu'il n'y en a pas que la dramaturgie patine joyeusement, que ça dérape et déraille à l'aise. La carrière comme un immense berceau, une cour des miracles trop grande, un XXXL démesuré pour ce petit autobus désuet, touchant qui se transforme à l'envi en cage, en studio, en navire qui divague. De la poésie, du trouble pour faire de ce spectacle un gouffre jubilatoire où le tonnerre gronde où la foudre menace où les petites fourmis que nous sommes ont des yeux de taupes et n'entrevoient rien d'une catastrophe imminente. Départ immédiat pour l'enfer, plus que le paradis perdu.


"The Roméo" de Trajal Harrell : à la mode de chez nous....

Le mythique personnage shakespearien dans la Cour d’honneur. Un prénom plus connu que celui de Juliette, plus rassembleur mais aussi plus ambigu. Grand amoureux ? Séducteur invétéré ? Il est au-delà des frontières le symbole d’un « à la vie, à la mort », adolescent et incandescent. En faisant avec le « the » un archétype, le chorégraphe et danseur nord-américain Trajal Harrell, actuellement directeur du Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble, se joue des singuliers et des pluriels, des frontières nationales et culturelles. Une histoire contenue dans des danses imaginaires qui va ressusciter en nous l’archaïque, comme le désir de rêve commun. The Romeo est une Histoire de la danse qu'incarnent des interprètes de toutes origines, sexes, générations, tempéraments et humeurs. Une ode à la liberté lorsqu’ils et elles ont laissé leurs tragédies derrière eux ! Une danse, qui sait, d’avant la danse. Une danse qui convoque les imaginaires afin que ce qui est pensé impossible advienne. 

Et si le "Roméo" était simplement une danse, un rituel, un habit, un vêtement sur mesure taillé dans le vif du sujet humain, dans le sujet à vif comme une proposition chorégraphique mouvante, seyante: de la haute couture signée par un maitre à danser, un mètre à danser, toise des corps, différents, multiples, uniques? Dans la Cour d'Honneur rien de semblable jusqu'alors ne s'y était déroulé. Prise comme un podium immense, un salon clôturé par un moucharabieh aéré aux fins interstices laissant filtrer l'air, le vent dans les voiles de tous ces apparats que l'on va voir "défiler" plus d'une heure durant. Le Palais des Papes frissonne et retentit de musique nostalgique, piano à la "Diva" de J.J.Beneix dont sont empruntés quelques belles mélodies lyriques. Ils sont là, les danseurs, nous accueillent, nous attendent dans une ambiance relax. Se présentent, se prénomment. Ils existent. Et tout démarre simplement par de très beaux mouvements d'ensemble où l'on perçoit traces et empreintes de Nijinski, d'Isadora Duncan, de ceux qui ont magnifié le corps comme enveloppe, tissu, ivres de liberté, de naturel. Paradoxe que ces nymphes, frises peintes et mouvantes dans ce futur beau désordre de couleurs, de parures, de luxe et volupté. Car du voguing dépenaillé d'origine, on passe à un rituel splendide d'atours lumineux, empanachés, fouillés conduit par des danseurs aguerris à une forme de gestuelle entre mannequina dompté et mouvance sauvage. Toutes les fantaisies permises sur cet immense plateau font office de rituel sacral où l'officiant, Trajal Harrell en personne surveille, conduit, observe ses serviteurs. Comme autant de chasubles ornementées d'une cérémonie païenne agencée pour malmener les codes ecclésiastiques. La mule du Pape comme autant de chaussures aux pieds d'un piédestal érigé en manifeste de la beauté. Loin de Shakespeare cet opus décoiffe, déroute ou offusque les bien-pensants, les adeptes de recettes à la mode. Un défilé loin des Chopinot-Gaultier de l'époque où la danse se frottait à la mode pour réinventer le "costume à danser". Ici les tissus, plis et replis de sapes insensées sont chargés de désordre et d'indiscipline dans un timing furieux et envoutant. La cour s'offusque et bien tant mieux" temps mieux" disait Bagouet: l'étang du lac est asséché pour le plus pur désir de Cocteau qui stigmatisait "Le Lac"comme un étang d'art funeste. Vive le voguing même décharné de sa charge sociétale, de son impact et sens d'origine. Que le spectacle continue.

La danse dans le Festival Off d' Avignon 2023 : "Not I" de Camille Mutel "Dans la boucle" compagnie Carré Blanc "Upshot" compagnie Relevant "Outrenoir" de François Veyrunes compagnie 47-49

 Un panel insolite de danse, variée, protéiforme, toujours surprenante...


"Not I" de Camille Mautel au Train Bleu hors les murs : un moment de grâce.

Not I est le premier volet de la quadrilogie intitulée La Place de l’Autre, un solo intime, au minimalisme radical et à la poésie diffuse. Il décline les étapes d’une cérémonie du thé japonaise, déplacée ici et maintenant. Camille Mutel met en place un rituel, un espace propice à une rencontre toute en douceur. Elle découvre les objets — un étau, une planche de bois — joue avec le couteau, effeuille un oignon, ajoute une nappe au tableau, pique le poisson frais. Sert un verre de vin rouge. Les gestes du quotidien sont décalés ; les mouvements lents. En silence — si ce n’est le bruit du vent dans les pins — le corps se fond dans ce plateau, qui bientôt devient une nature morte d’aujourd’hui, toute entière tournée vers l’autre. L’expérience sensible du geste d’offrande, du partage. 

C'est dans le cloitre de l'Université d'Avignon à potron minet que l'on assiste à une petite cérémonie décalée d'offrande qui serait celle du thé. Hors rien de tout cela sinon l'atmosphère, la lenteur, la gravité de ce moment intense et sacré de la vie japonaise. Ici simulée sur une estrade bois délimité au coeur du cloitre où le public est convié à l'événement matinal. Douceur, respect du lieu, gestes lents et simplement sacralisé par la perfection et la précision d'une exécution qui n'a rien à envier au véritable rituel. La quiétude, la nonchalance de la danse millimétrée sans être minimaliste est sobre et fait acte de sobriété, de don, de frugalité. Pas d'accessoire mais des objets détournés de leur fonction quotidienne. On se jour des formes, des matières pour créer un univers, une ambiance sage et savante, inspirée. La danseuse vêtue d'étoffe grise est belle et tranquille, sereine et complice. Son sourire est une esquisse de Joconde malicieuse, concentrée et ses gestes immémoriaux font office de rituel paisible, apaisé. Une réussite sur mesure pour ce cloitre inconnu, recherché pour ses valeurs architecturales, lumineuses et sonres. Un exemple de réflexion in situ sur la beauté du geste, offrande et partage au coeur d'un lieu chargé, empreint de calme, de volupté inédite et dissimulée. Du bel ouvrage pour un moment unique de méditation, de respiration intime diffuse et poreuse à souhait.


"Dans la boucle" de la compagnie Carré Blanc à la Scierie: danse formica.

Trio chorégraphique de danse contemporaine aux influences jazz et hip-hop, Dans la boucle est la première pièce signée de Zoé Boutoille, Yane Corfa et Bryan Montarou, sous l’accompagnement artistique de Michèle Dhallu. Elle questionne nos routines gestuelles, ces mouvement réglés dans le confort de nos foyers, que nous répétons, presque mécaniquement, sans plus y prêter attention.Le confort et avec lui la simplification de nos gestes nous auraient-ils éloignés des chemins de l’aventure, de la rencontre et de la poésie ? Et quand la mécanique déraille, n’est-ce pas l’occasion rêvée de faire un pas de côté, de repenser sa liberté et tenter de retrouver « le sel de la vie » que revendique Stefano Boni ? Ancré dans une esthétique vintage, Dans la boucle fait chavirer la vie de trois individus pour en faire ressortir émotions, situations cocasses et questionnements. Avec son écriture légère et sensible, Dans la boucle insuffle un vent frais de poésie et de folie venant éclairer notre vision du quotidien. 

Il faut les voir évoluer en trio alerte, gai, virevoltant et très dynamique sur fond de musique disco, vintage, très "fornica" pour y croire: une découverte, une surprise rafraichissante très bien menée, au rythme et à la dramaturgie de bon aloi. Les trois larrons de l'histoire sans queue ni tête affrontent le quotidien en déséquilibre, à contre courant, à contre temps. Et avec beaucoup de ressort comme un organisme qui s'emballe, déraille, déroute et fait mouche. L'ambiance est joyeuse et porteuse de surprise, l'architecture fait place aux corps qui l'a recomposent, s'en emparent et se jouent des niveaux, des failles et des embuches. Dans cette grande cour de récréation il fait bon suivre ce trio infernal pétri d'humour et de distanciation avec panache, verve et furie contagieuse.Le flux, le courant passe et l'on est emporté par la marée haute qui monte et se solde par une joyeuse manifestation de nos travers quotidiens.


"Upshot" de la compagnie Relevant à la Scierie:dancing code.

Upshot s’intéresse aux comportements, normes et postures d’un individu face à un groupe. Exclu, inclus, marginalisé. Tour à tour, à l’aide d’un vocabulaire chorégraphique propre et distinct, chaque danseur interprète différents rôles sociaux en fonction des codes dont il dispose et de ceux qu’il doit acquérir pour intégrer le groupe. Les mouvements et le corps deviennent alors une manière de se présenter à l’autre, de parler de soi, d’entamer un dialogue. La pièce raconte la confrontation entre l’individu et le groupe, les degrés d’inclusion ou d’exclusion et nous emmène dans une exploration des symboliques et des représentations de soi. 

Quelle verve, quel tonus pour ce collectif qui sans entrave fait fusionner énergie, enthousiasme et écriture collective au profit d'une horde, d'une meute solidaire et soudée. Le langage est clair et direct, la danse fuse et infuse au profit d'une esthétique sobre et limpide. Ils sont engagés, volontaires et sans faille et cela fait du bien à celui qui sait regarder sans cesse dans toutes les directions divergentes, la vivacité d'une signature protéiforme bien trempée!: Marwan Kadded, Freddy Madode, Jérôme Oussou, David Walther, Elliot Oke au diapason d'un travail où la dépense ne se compte pas mais se raconte à travers les corps galvanisés et soudés par une narration explosive.

 


"Outrenoir" compagnie 47-49 : ça soulage.

Après une plongée dans les grandes figures mythologiques évoquées tour à tour avec Tendre Achille, Chair Antigone et Sisyphe heureux présenté en Avignon 2018, la Compagnie 47•49 François Veyrunes ouvre une nouvelle trilogie « Humain trop Humain », dont le premier volet Outrenoir, s’inspire symboliquement de la quête du « noir lumière » de Pierre Soulages.
La danse comme une chambre d’écho des profondeurs de l’être, « Outrenoir », annonce la couleur et ne craint pas d’entraîner un quintette de magnifiques danseurs dans le tréfonds de leur humanité. Servie par une écriture scénographique subtile, la danse, puissante, met les corps sous tension. Elle conduit les danseurs face à eux-mêmes, en pleine lumière, en guerrier poétique. 

François Veyrunes signe ici l'éloge de la lenteur, de la grâce et de la sobriété. L'évocation de l'oeuvre de Soulages en filigrane, jamais évidente tant le scintillement de cette couleur n'apparait  que ponctuellement et n’efface jamais la lumière que dessinent les corps dans l'espace. Le trait, la trace, le rythme en sont la base et l'empreinte de la musicalité picturale redessine les contours d'une pierre phonolite, volcanique étrange De par leur résonance visuelle les corps plongent dans le mystère du silence et de la dynamique fluide, calme et voluptueuse de la chair vivante. Esquisse et toiles tendues vers des cieux immenses, la danse s'étire, fond, se répand et filtre un élixir de jouvence aux fragrances de potion qui se liquéfie à l'envi. Quand danse et peinture se relient, l'inspiration respire, le geste se fait trace et signe et la magie opère; l'outre danse est née dans la cosmogonie de Terpsichore.



Deux "coups de coeur" au Festival 0ff d'Avignon 2023: "Faraekoto" et "Influences 2.O" ainsi que "Tsef zon(e)"....


 Faraëkoto – Danse hip-hop et vidéo au théâtre Golovine. off danse

Proche du conte d’Hansel et Gretel, ce spectacle mêle avec brio la danse, les mots et la vidéo. Tout commence dans la forêt profonde. Elle c'est Fara, fillette aux jambes molles, interprétée brillamment par Sandra Geco, tout en caoutchouc. Lui, c’est Koto, jeune garçon qui ne peut pas parler, interprété par Giovanni Léocadie, breaker tout en fluidité.
La danse hip-hop est au cœur de l’engagement la chorégraphe Séverine Bidaud qui sublime le handicap et en fait un véritable langage du corps.

C'est une belle histoire de corps que ce"conte de fée" à la façon "Petit Poucet" où les parents voudraient bien se débarrasser de leurs enfants: et pour cause: une fillette "empêchée" et un malentendant! Alors c'est le geste qui prend le relais, l'expression des visages, le langage des signes qui s’ignore sans les codes et cela va bon train sans misérabilisme ni condescendance. Les deux interprètes s'en donnent à; coeur joie pour signifier ces "handicaps" majeurs qui deviennent mineurs tant la communication dansante opère. Sur fond d'images vidéo forestières, d'images de loups menaçants, le récit bat son plein. Corps complices, corps mitoyens, corps siamois pour cette gémellité affective entre les deux "prisonniers" de sens ou de sensation. La complicité est vive par cette danse contact ou danse libérée des poncifs qui séduit, convainc et touche. Mais quand le grand frère est las du poids de sa soeur, il l'abandonne et elle survit de ce désarroi, cet abandon illégitime. Alors son corps se redresse, elle combat, se lève sans entrave et quitte ce sol pesant qu'elle a toujours connu! Quand le frère indigne revient sur ses pas plein de remords, elle a disparu...Les retrouvailles seront le happy end, sobre, humain et plein de perspectives d'autonomie et de grâce. Les corps réconciliés se feront tendres, attentifs, respectueux et la liberté conquise gagne. La considération est reine . On se promène dans le bois en compagnie du loup apprivoisé!



Plateau partagé entre 2 compagnies chorégraphiques émergentes de Bretagne. A l'Atelier

INFLUENCES 2.0 - Cie FLOWCUS : Une écriture chorégraphique qui croise l’art du Bonsaï et celui du hip-hop. Une danse qui plie et ploie le geste et le corps, comme on taillerait un arbre. 

Très beau duo d'hommes inspiré de la poussée, de la taille des bonsaï, art japonais précieux et complexe où le végétal pousse sur du caillou. Belle inspiration pour ce duo contact où les corps ne prennent jamais racine et pourtant s'ancre au sol pour accéder à une verticalité savante. Branches, feulles suggérées par des gestes sobres, architecturés comme des plantes des pieds, des mains, pousses empêchées par une énergie contenue: celle de l'oxygène et de l'eau manquante pour abreuver un langage vif et concis sur un sujet qui touche. Plein de réserve, de respect comme cet art ancestral au devenir plus que d'actualité. Bruno Chiefare signe ici un essai arborescent plein de ramures.

TSEF ZON(E) - Cie C'HOARI : Une écriture chorégraphique qui s'inspire de l'expérience du fest-noz. L’ambiance festive de ces soirées insuffle aux 2 interprètes le fil conducteur de la pièce. 

Il faut les voir, lui en kilt quasi classique, elle en short et bretelles: Pauline Sonnic et Nolwenn Ferry, bretons bretonnants dans une forme olympique et une énergie sans pareil. L'humour des notes de musique au poing, les pas de danse trad à peine suggérés pour mémoire collective. La recherche a semé le bon grain pour ce duo débridé, plein de malice et de verve où la danse vivante et fébrile respire la joie et l'enthousiasme des danses collective: à deux, c'est audacieux mais la légèreté du propos transporte les corps dans une dynamique hors pair où l'empathie vaut bien le plaisir partagé des grands fest noz de Bretagne. Une réussite qui augure d'un talent à soutenir sans modération. Des éclairs dans les yeux et un enthousiasme rare et efficace! Et l'humour et le détachement de surgir de ce bijou alerte, allègre et malicieux.